Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 19 janvier 2001, présentée pour la société WINTERTHUR, dont le siège est … Défense Cedex (92085), par Me Z…, avocat ; la société WINTERTHUR demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 9504224/1 en date du 8 novembre 2000 en tant que le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à la retenue à la source prévue par l’article 115 quinquies du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1988 et 1989 et des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses, à hauteur de la somme de 739 683 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
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Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune modifiée par un avenant du 3 décembre 1969 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 janvier 2005 :
– le rapport de Mme Helmlinger, rapporteur,
– et les conclusions de M. Bataille, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société WINTERTHUR avait, en application des dispositions des articles R. 190-1 et suivants du livre des procédures fiscales, adressé à l’administration fiscale le 16 juin 1992 une première réclamation préalable, à la suite de la mise en recouvrement de cotisations supplémentaires à la retenue à la source prévue par l’article 115 quinquies du code général des impôts, au titre des exercices clos en 1988 et 1989 ; qu’un nouvel avis de mise en recouvrement ayant été émis le 19 décembre 1994 maintenant la totalité de ces cotisations supplémentaires, la société WINTERTHUR a confirmé à la recette des impôts, par lettre du 6 janvier 1995, qu’une réclamation contentieuse assortie d’une demande de sursis de paiement a été effectuée par nos services le 16 juin 1992 ; que cette lettre doit ainsi être regardée comme réitérant la réclamation préalable de ladite société à la suite de l’établissement du nouvel avis de mise en recouvrement ; que, si cette lettre n’a pas été adressée au directeur des services fiscaux compétent, il appartenait au service du recouvrement destinataire, en application des dispositions de l’article R. 190-2 du livre des procédures fiscales, de la transmettre au service d’assiette ; que, du reste, tel a été apparemment le cas puisque le directeur des vérifications nationales et internationales a statué sur cette réclamation par décision du 11 janvier 1995 ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que les conclusions dirigées contre les cotisations supplémentaires qui lui ont été réclamées au titre de la retenue à la source pour les exercices clos en 1988 et 1989 étaient irrecevables, faute d’avoir fait l’objet d’une réclamation préalable devant le directeur des services fiscaux compétent ; qu’ainsi le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 8 novembre 2000 doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande tendant à la décharge de ces cotisations supplémentaires présentée par la société WINTERTHUR devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
En ce qui concerne la vérification de comptabilité :
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, l’administration a produit, en première instance, l’acte de titularisation de M. Jean Y… en qualité d’inspecteur des impôts à compter du 1er septembre 1983 et son acte d’affectation à la brigade des vérifications générales de la direction des vérifications nationales et internationales à compter du 3 septembre 1990 ; que la société qui n’a assorti ses allégations d’aucune autre précision, n’est donc pas fondée à soutenir que M. Jean Y… n’était pas compétent pour conduire la vérification de comptabilité dont elle a fait l’objet du 12 janvier au 4 juillet 1991 ;
Considérant, en second lieu, que contrairement à ce que soutient la société requérante, l’administration a également produit, en première instance, la copie de l’avis de vérification qui lui a été adressé le 22 décembre 1990 accompagné de l’accusé de réception postal daté du 2 janvier 1991 ; que ces pièces établissent qu’elle a été avisée de la vérification de comptabilité dont elle allait faire l’objet en temps utile ;
En ce qui concerne la motivation des notifications de redressement des 8 juillet et 13 août 1991 et de la réponse aux observations du contribuable du 18 septembre 1991 :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales : L’administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation … Lorsque l’administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes des notifications de redressement qui lui ont été adressées les 8 juillet et 13 août 1991, le vérificateur a fait connaître à la société WINTERTHUR qu’en application de l’article 115 quinquies du code général des impôts, elle devait être assujettie à la retenue à la source sur l’ensemble de ses bénéfices réalisés en France et que ce n’est qu’ultérieurement qu’elle pourrait, le cas échéant, demander une nouvelle liquidation de cette retenue dans la mesure où les sommes auxquelles elle a été appliquée excèderaient le montant total de ses distributions effectives ; que le vérificateur a ensuite explicité le calcul du redressement en mentionnant le montant des bénéfices imposables après redressement, au taux normal et au taux réduit, et en déduisant le montant des bénéfices ou plus-values antérieurs compris dans la base de l’impôt sur les sociétés ; qu’ainsi, ces notifications ont dûment précisé le fondement légal des redressements et leurs bases de calcul ;
Considérant que si ces notifications font allusion à la doctrine administrative, ce n’est que pour préciser à la société les conditions dans lesquelles elle pourra former une demande de révision de la liquidation de la retenue à la source ; que, de même, si le vérificateur n’a pas précisé pourquoi le mode de calcul utilisé par la société pour procéder à cette révision ne pourra être admis , cette mention accessoire ne porte pas, en tout état de cause, sur le fondement des redressements ;
Considérant, enfin, que ces notifications précisent que ces redressements sont assortis de l’intérêt de retard ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les taux des pénalités ne sont pas explicités ;
Considérant que la société WINTERTHUR ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantissent la liberté d’expression pour contester la régularité de la motivation desdites notifications de redressement ;
Considérant, en second lieu, que les observations produites à la suite des notifications de redressement par la société WINTERTHUR se réclamaient de la doctrine administrative qui permet aux sociétés étrangères d’être autorisées à limiter le versement de la retenue à la source, compte tenu des perspectives de distributions et du domicile de leurs actionnaires ; qu’elle ne saurait donc, en tout état de cause, faire grief à l’administration de lui avoir répondu sur le terrain de cette doctrine ;
En ce qui concerne l’avis de mise en recouvrement du 19 décembre 1994 :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 257 A du livre des procédures fiscales : Les avis de mise en recouvrement peuvent être signés et rendus exécutoires …, sous l’autorité et la responsabilité du comptable, par les agents de la recette ayant au moins le grade de contrôleur ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article L. 257 A que M. X…, inspecteur, était compétent pour signer et rendre exécutoire l’avis de mise en recouvrement émis le 19 décembre 1994 ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’il ne disposait pas d’une délégation individuelle ne peut être utilement invoqué ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article R* 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : L’avis de mise en recouvrement individuel prévu à l’article L 256 comporte : 1° Les indications nécessaires à la connaissance des droits, taxes, redevances, impositions ou autres sommes qui font l’objet de cet avis ; 2° Les éléments de calcul et le montant des droits et pénalités, indemnités ou intérêts de retard, qui constituent la créance. Toutefois, les éléments de calcul peuvent être remplacés par le renvoi au document sur lequel ils figurent lorsque ce document a été établi ou signé par le contribuable ou son mandataire ou lui a été notifié antérieurement ;
Considérant qu’ainsi qu’il a dit précédemment, la notification de redressement du 8 juillet 1991 mettait la société WINTERTHUR en mesure de connaître les éléments de calcul des redressements litigieux et des pénalités y afférentes ; que, par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que l’insuffisance de motivation de cette notification entachait d’irrégularité l’avis de mise en recouvrement émis le 19 décembre 1994 ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu’aux termes de l’article 119 bis du code général des impôts : 2… les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France … ; qu’aux termes de l’article 115 quinquies du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : 1. Les bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, à des associés n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France. Les bénéfices visés à l’alinéa précédent s’entendent du montant total des résultats, imposables ou exonérés, après déduction de l’impôt sur les sociétés … 2. Toutefois, la société peut demander que la retenue à la source exigible en vertu des dispositions du 1 et de celles du 2 de l’article 119 bis fasse l’objet d’une nouvelle liquidation dans la mesure où les sommes auxquelles elle a été appliquée excède le montant total de ses distributions effectives ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 26 de la convention fiscale franco-suisse :
Considérant qu’aux termes de l’article 10 de la convention fiscale franco-suisse susvisée du 9 septembre 1966, dans sa rédaction issue de l’avenant du 3 décembre 1969 alors en vigueur : Les sociétés qui sont des résidents de Suisse et qui possèdent un établissement stable en France restent soumises en France à la retenue à la source dans les conditions prévues par la législation interne française, étant entendu que le taux applicable est de 5 % ; que l’article 26 précisait explicitement que Les dispositions du présent paragraphe ne font pas obstacle à l’application des dispositions de l’article 10 ;
Considérant qu’il résulte des stipulations précitées que la société requérante ne peut utilement se prévaloir de l’article 26 de la convention fiscale franco-suisse, dans sa rédaction alors en vigueur, pour contester la perception de la retenue à la source prévue par les dispositions précitées des articles 119 bis et 115 quinquies du code général des impôts, qui était expressément visée par l’article 10 de ladite convention ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions combinées de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à ladite Convention :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel doit, en vertu de l’article 5 du même protocole, être regardé comme un article additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ; qu’aux termes de l’article 14 de la même Convention : La jouissance des droits et libertés reconnus par la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;
Considérant que si les dispositions combinées des articles précités de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l’origine de discriminations injustifiées entre contribuables, les sociétés dont le siège social est situé en France et celles dont le siège social est situé à l’étranger se trouvent dans des situations différentes au regard de la loi fiscale nationale ; qu’en se bornant à soutenir que l’article 115 quinquies précité établit une différence de traitement entre ces deux catégories de contribuables, la société requérante, qui a été soumise à la retenue à la source à un taux limité à 5% par application de la convention franco-suisse précitée, ne démontre pas que cette différence serait constitutive d’une discrimination injustifiée ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :
Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue… équitablement… par un tribunal… qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle… ; que l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques définit le droit à un procès équitable dans des termes identiques ; que ces dispositions ne sont pas applicables aux contestations relatives aux procédures fiscales, lesquelles n’ont le caractère ni d’une contestation sur des droits ou obligations de caractère civil, ni d’une accusation en matière pénale hormis les contestations propres aux pénalités constitutives d’une sanction ; que, dès lors, la société WINTERTHUR ne peut utilement se prévaloir desdites dispositions pour contester le mécanisme de présomption institué par les dispositions précitées de l’article 115 quinquies ;
En ce qui concerne l’application de l’article 115 quinquies du code général des impôts :
Considérant, en premier lieu, que si la société requérante fait valoir que les dispositions précitées de l’article 115 quinquies prévoyant la déduction du montant total des résultats du contribuable, de l’impôt sur les sociétés, ne peuvent faire l’objet d’une interprétation restrictive et doivent nécessairement prendre en compte toute cotisation mise à la charge des sociétés, elle n’assortit cette observation d’aucune précision de nature à justifier que ces dispositions auraient été méconnues, en l’espèce ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 379 de l’annexe II au code général des impôts, la déclaration que les sociétés étrangères sont tenues de produire en vue de la liquidation de la retenue à la source exigible sur le fondement des dispositions de l’article 115 quinquies fait apparaître distinctement le montant en monnaie française … des bénéfices et plus-values à retenir pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt correspondant, des bénéfices et plus-values réalisés en France et exonérés dudit impôt … ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées du 1 de l’article 115 quinquies et de l’article 379 de l’annexe II au code général des impôts que l’assiette de la retenue initiale, exigible à raison des bénéfices que réalise en France une société étrangère, inclut, le cas échéant, les plus-values perçues par cette dernière ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement faire valoir qu’une partie des bénéfices ayant constitué l’assiette de la retenue mise à sa charge était constituée de plus-values à long terme destinées à être mises en réserve ;
Considérant, en troisième lieu, que, sans qu’il y ait besoin de se fonder sur la doctrine administrative, la société requérante peut utilement se prévaloir pour contester les redressements mis à sa charge en application des dispositions précitées de l’article 115 quinquies des dispositions du 2 de cet article et demander que l’assiette desdits redressements soit limitée au montant de ses distributions effectives ; que, toutefois, il résulte de ces dispositions que cette limitation ne peut être admise par l’administration que si le montant total des distributions effectives auxquelles la société étrangère a procédé au cours de la période de référence est inférieur au montant des bénéfices réalisés en France et retenus pour le calcul de ladite retenue et qui, réputés distribués en totalité, constituent la base provisoire de cette dernière ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, ces dispositions excluent que l’administration calcule le montant total des distributions effectives par application aux bénéfices réalisés en France du rapport entre les distributions globales effectives de la société et son bénéfice mondial ; qu’ainsi, la société WINTERTHUR n’est pas fondée à soutenir qu’il n’aurait dû être tenu compte, pour les besoins du calcul des retenues finalement dues par elle, que d’une fraction des bénéfices de son établissement situé en France ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société WINTERTHUR n’est pas fondée à demander la décharge des cotisations supplémentaires à la retenue à la source prévue par l’article 115 quinquies du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1988 et 1989 et des pénalités y afférentes ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 8 novembre 2000 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de la société WINTERTHUR tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à la retenue à la source prévue par l’article 115 quinquies du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1988 et 1989 et des pénalités y afférentes.
Article 2 : La demande de la société WINTERTHUR tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à la retenue à la source prévue par l’article 115 quinquies du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1988 et 1989 et des pénalités y afférentes est rejetée.
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