Cour administrative d’appel de Paris, 2ème Chambre – Formation A, du 15 juin 2005, 03PA02725, inédit au recueil Lebon

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Cour administrative d’appel de Paris, 2ème Chambre – Formation A, du 15 juin 2005, 03PA02725, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 10 juillet 2003, présentée par M. et Mme Bruno Y, élisant domicile … ; M. et Mme Y demandent à la cour :

1°) d’annuler l’ordonnance en date du 30 juin 2003 par lequel le vice-président de section au Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des compléments d’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1998, 1999 et 2000 ;

2°) de renvoyer le jugement de l’affaire devant le Tribunal administratif de Paris ;

……………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 1er juin 2005 :

– le rapport de M. Alfonsi, rapporteur,

– les observations de M. Y,

– et les conclusions de M. Magnard, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’à la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration, par une notification de redressements du 28 septembre 2001, a, d’une part, réintégré dans le revenu imposable de M. Y pour les années 1998 et 1999 des revenus réputés distribués par la SARL Mobilière Conseil et, d’autre part, remis en cause l’existence des déficits imputés sur le revenu global de M. et Mme Y pour les années 1998, 1999 et 2000 ; que ces déficits avaient pour origine l’exécution en 1995 par M. Y d’un engagement de caution souscrit en 1993 au profit de la SA DRFI dont il était dirigeant ; que, par l’ordonnance attaquée, en date du 30 juin 2003, le vice-président de section du Tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable la demande de M. et Mme Y tendant à la décharge de l’impôt sur le revenu et des contributions auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1998, 1999 et 2000 en conséquence de ces redressements ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 190-1 du livre des procédures fiscales : Le contribuable qui désire contester tout ou partie d’un impôt qui le concerne doit d’abord adresser une réclamation au service territorial de l’administration des impôts dont dépend le lieu de l’imposition ; que suivant l’article R. 196-3, dans le cas où un contribuable fait l’objet d’une procédure de reprise ou de redressement de la part de l’administration des impôts, il dispose d’un délai égal à celui de l’administration pour présenter ses propres réclamations ; qu’enfin, l’article R. 199-1 prévoit que l’action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l’avis par lequel l’administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation… ; que ces dispositions ont pour objet d’accorder aux contribuables qui font l’objet d’une procédure de reprise ou de redressement le droit de réclamer utilement contre les impositions auxquelles ils sont assujettis jusqu’à l’expiration du délai imparti par l’article R. 196-3, lequel, en vertu des dispositions combinées de cet article et des articles L. 169 et L. 189, expire, comme le délai de reprise de l’administration, le 31 décembre de la troisième année suivant celle au cours de laquelle les redressements ont été notifiés ; qu’en conséquence, aucune irrecevabilité tirée de ce qu’une réclamation antérieure dirigée contre la même imposition aurait déjà été rejetée par le directeur des services fiscaux ne peut être opposée ni à une nouvelle réclamation présentée dans le délai prévu à l’article R. 196-3, ni au recours formé contre la décision qui a rejeté cette dernière réclamation et qui ne peut être regardée comme confirmative du rejet d’une réclamation précédente ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la notification des redressements envisagés en ce qui concerne les compléments d’impôt sur le revenu auxquels M. et Mme Y ont été assujettis au titre des années 1998, 1999 et 2000 a été faite le 28 septembre 2001 ; qu’il s’ensuit que le délai de prescription de l’administration et, corrélativement, le délai dont les requérants disposaient pour présenter leurs réclamations expirait le 31 décembre 2004 ; que M. et Mme Y ont présenté le 12 mars 2002 une réclamation qui a fait l’objet d’une décision de rejet du directeur des services fiscaux de Paris-Ouest du 24 juin 2002 notifiée le 28 juin 2002 ; qu’ils ont présenté une nouvelle réclamation le 17 juillet 2002 qui, ayant été présentée dans le délai susindiqué, était recevable ; que cette nouvelle réclamation a été rejetée par une décision du directeur des services fiscaux datée du 3 mars 2003 notifiée le 15 mars 2003 ; que la circonstance que la décision du 24 juin 2002 n’a pas été attaquée devant le tribunal administratif dans le délai de deux mois suivant la notification de cette décision ne faisait pas obstacle à la demande de M. et Mme Y, qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif le 12 mars 2003, date à laquelle les requérants n’avaient d’ailleurs pas encore connaissance de la décision de rejet de leur seconde réclamation, qui ne leur a été notifiée, comme il a été dit ci-dessus, que le 15 mars 2003 ; que, dans ces conditions, le vice-président de section du Tribunal administratif de Paris a entaché d’irrégularité l’ordonnance attaquée en rejetant la demande de M. et Mme Y comme tardive et, par suite, irrecevable ; que ladite ordonnance doit, en conséquence, être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme Y devant le tribunal administratif ;

Sur l’étendue du litige :

Considérant que, par une décision postérieure à l’introduction de l’instance, le directeur des services fiscaux de Paris-Ouest a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence d’une somme de 4 454, 41 euros (29 219 F), du complément d’impôt sur le revenu auxquels M. et Mme Y ont été assujettis au titre de l’année 1999 et, à concurrence d’une somme de 1 127, 36 euros (7 395 F) des contributions sociales complémentaires qui leur ont été assignées au titre de la même année ; que les conclusions de la demande de M. et Mme Y relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :

Considérant qu’aux termes de l’article 13 du code général des impôts : 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l’excédent du produit brut… sur les dépenses effectuées en vue de l’acquisition ou de la conservation du revenu ; que l’article 156 du même code autorise sous certaines conditions que soit déduit du revenu global d’un contribuable le déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus et autorise le report sur le revenu global des années suivantes de l’excédent éventuel de ce déficit sur le revenu global de l’année ; qu’enfin, aux termes de l’article 83 du même code qui concerne l’imposition de revenus dans la catégorie des traitements et salaires : le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés … 3°) les frais inhérents à la fonction ou à l’emploi lorsqu’ils ne sont pas couverts par des allocations spéciales ;

Considérant qu’en vertu de ces dispositions, les sommes qu’un salarié qui, s’étant rendu caution d’une obligation souscrite par la société dont il est le dirigeant de droit ou de fait, a dû payer au créancier de cette dernière, sont déductibles de son revenu imposable de l’année au cours de laquelle le paiement a été effectué, à condition que son engagement comme caution se rattache directement à sa qualité de dirigeant, qu’il ait été pris en vue de servir les intérêts de l’entreprise et qu’il n’ait pas été hors de proportion avec les rémunérations allouées à l’intéressé ou qu’il pouvait escompter au moment où il l’a contracté ; que lorsque l’engagement souscrit ne respecte pas cette dernière condition, les sommes versées à ce titre sont néanmoins déductibles dans la mesure où elles n’excèdent pas le plafond ainsi fixé ;

Considérant qu’il est constant qu’à la suite de la liquidation judiciaire prononcée le 13 octobre 1995 de la SA DRFI, créée en 1993, dont M. Y était président-directeur général et actionnaire majoritaire, celui-ci a été invité à exécuter deux engagements de caution en faveur de cette société, souscrits en sa qualité de dirigeant salarié, auprès de la Banque Scalbert-Dupont, en 1994 à concurrence de 435 000 F et en 1995, solidairement avec son épouse prise en qualité d’administrateur de ladite société, à concurrence de 1 100 000 F ; que M. Y a versé en 1995 à la banque Scalbert-Dupont en exécution de ces deux engagements une somme totale non discutée dans son montant s’élevant suivant l’administration à 1 264 974 F ; qu’il n’est pas contesté, d’une part, que les engagements de caution souscrits par M. Y se rattachaient directement à sa qualité de président-directeur général de la société anonyme DRFI et, d’autre part, qu’en prenant ces engagements, celui-ci a eu en vue les intérêts de la société, ainsi que la préservation non seulement de son patrimoine, mais aussi de son revenu salarial ;

Considérant que, pour demander la décharge des impositions primitives résultant de cette remise en cause, les requérants font valoir que, compte tenu notamment des salaires plus élevés qui étaient ceux de M. Y avant la création de la société DRFI dans son précédent emploi de directeur à la société financière Indosuez et des revenus tirés en 1994 et 1995 du capital détenu par lui dans la société DRFI, il pouvait raisonnablement escompter, à la date à laquelle il s’est personnellement porté caution des obligations de la société DRFI, une rémunération annuelle supérieure à celle qu’il a effectivement perçue, qu’il évalue à 100 000 euros ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le montant de la rémunération de président-directeur général de M. Y s’est élevée à 150 562 F en 1994 et à 71 626 F en 1995 ; que, pour apprécier le montant des rémunérations allouées à l’intéressé ou qu’il pouvait escompter à court terme au moment où il a contracté les engagements de caution en cause, il n’y a pas lieu de tenir compte, contrairement à ce que soutiennent les requérants, de la rémunération versée par d’autres employeurs au titre d’années antérieures à ces engagements ; que le montant des revenus du capital de la société DRFI détenu majoritairement par l’intéressé est par lui-même sans incidence sur la rémunération qu’il pouvait raisonnablement escompter de son activité de dirigeant salarié ; que, dès lors, les deux engagements de caution successivement souscrits par M. Y d’un montant total de 1 535 000 F étaient hors de proportion avec la rémunération de 150 562 F qui lui a été allouée en 1994, laquelle a, d’ailleurs, été diminuée au cours de l’année suivante ; que les sommes versées à ce titre ne pouvaient, en tout état de cause, être regardées comme des dépenses effectuées en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un revenu au sens de l’article 13 précité du code général des impôts et n’étaient, comme telles, déductibles que dans la mesure, admise par l’administration dans ses dernières écritures, où elles n’excédaient pas un plafond de 451 686 F ; que les requérants ne contestent pas que, dans cette mesure, aucun excédent du déficit résultant, dans la catégorie des traitements et salaires pour l’année 1995 de l’exécution des deux engagements de caution souscrits par M. Y susceptible d’être reporté sur les années 1998, 1999 et 2000 ne subsistait ; que, dès lors, l’administration n’a pas méconnu les dispositions précitées du code général des impôts en annulant le report du déficit excédentaire constaté par les requérants dans leurs déclarations de revenus au titre de ces trois années ;

En ce qui concerne la doctrine administrative :

Considérant, qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause d’un rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ; que, suivant l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales : La garantie prévue au premier alinéa de l’article L. 80 A est applicable : 1°) Lorsque l’administration a formellement pris position sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte fiscal … ;

Considérant, que, par sa lettre en date du 13 février 1996, l’administration fiscale s’est bornée à informer M. et Mme Y que le président-directeur général d’une société anonyme peut être autorisé à déduire de son revenu catégoriel (traitements et salaires), les sommes versées en exécution d’un engagement de caution dès lors que certaines conditions sont remplies, en précisant que le montant de l’engagement souscrit doit être en proportion des rémunérations perçues ; qu’ainsi, cette lettre ne contient ni interprétation d’un texte fiscal ni prise de position formelle sur l’appréciation de la situation de fait des requérants au regard de la loi fiscale, dont ils pourraient se prévaloir sur le fondement des dispositions susmentionnées ;

Considérant, que les requérants ne sauraient se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales du dégrèvement d’impôt sur le revenu prononcé au titre de l’année 1996 le 19 septembre 1997, cette décision, dépourvue de toute motivation, ne pouvant être regardée comme une prise de position formelle de l’administration au sens dudit article ; qu’il en va de même de l’avis d’imposition à l’impôt sur le revenu 1995 précédemment établi en juin 1996 conformément à la déclaration de M. et Mme Y ;

Considérant, enfin, qu’eu égard aux règles qui régissent l’invocabilité des interprétations ou des appréciations de l’administration en vertu de ces articles, les contribuables ne sont en droit d’invoquer, sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 80 A et sur celui de l’article L. 80 B, lorsque l’administration procède à un rehaussement d’impositions antérieures, que des interprétations et appréciations antérieures à l’imposition primitive, ou sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 80 A, qu’il s’agisse d’impositions primitives ou supplémentaires, que des interprétations antérieures à l’expiration du délai de déclaration ; que la lettre du 21 février 2002 par laquelle l’administration a explicitement pris position sur le montant du déficit à reporter sur la déclaration des revenus de M. et Mme Y pour l’année 2001 n’est antérieure ni aux impositions primitives en litige mises en recouvrement le 31 décembre 2001 ni à l’expiration du délai de déclaration applicable aux années 1998, 1999 et 2000 ; que, par suite, les requérants ne peuvent, en tout état de cause, se prévaloir des interprétations ou des appréciations contenues dans cette lettre ;

Considérant qu’il suit de là que M. et Mme Y ne sont pas fondés à demander la décharge des impositions à l’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1998,1999 et 2000 ;

DECIDE :

Article 1er : L’ordonnance en date du 30 juin 2003 du vice-président de section du Tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : A concurrence d’une somme de 4 454, 41 euros (29 219 F) en ce qui concerne le complément d’impôt sur le revenu auquel M. et Mme Y ont été assujettis au titre de l’année 1999 et, à concurrence d’une somme de 1 127, 36 euros (7 395 F) en ce qui concerne les contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 1999, il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de M. et Mme Y.

Article 3 : Le surplus de la demande présentée par M. et Mme Y devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.

5

N° 04PA01159

M. PAUSE

2

N°03PA02725


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