Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête et le mémoire complémentaire, respectivement enregistrés le 24 septembre 2001 et le 27 septembre 2001 au greffe de la Cour, présentés pour M. et Mme Yves X, demeurant …, par Me Murcia, avocat au barreau de Quimper ; M. et Mme Yves X demandent à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 96.1519 du 12 juillet 2001 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la décharge des compléments d’impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée qui leur ont été assignés au titre de l’année 1991 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de condamner l’Etat à leur rembourser la somme de 42 132 F au titre des frais exposés ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 1er décembre 2004 :
– le rapport de Mme Magnier, rapporteur ;
– les observations de Me Murcia, avocat de M. et Mme X ;
– et les conclusions de M. Lalauze, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu’il est constant que le greffe du Tribunal administratif de Rennes a adressé au mandataire de M. et Mme X, le 11 juin 2001 une lettre l’avertissant que la demande des contribuables serait inscrite au rôle de l’audience du 5 juillet suivant ; que, par une lettre en date du 13 juin, le greffe a toutefois informé les parties de ce que l’affaire était renvoyée et serait inscrite au rôle d’une audience ultérieure ; que ladite audience s’est tenue le 28 juin 2001 ; que les requérants font valoir qu’ils n’ont pas été avisés de la date de cette audience, en violation des dispositions de l’article R.711-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il résulte toutefois de l’instruction que le mandataire des requérants a été rendu destinataire d’un courrier daté également du 13 juin comme la lettre susmentionnée comportant le nouvel avis d’audience, ainsi que cela ressort de l’avis de réception de cet envoi qui mentionne le terme AVIAUD : 28/06/2001 ; que cet avis de réception est revêtu du visa du mandataire des requérants en date du 14 juin 2001 ; qu’il suit de là que l’avis d’audience du 28 juin a été reçu par le mandataire des contribuables le 14 juin et que celui-ci était dès lors mis à même de s’informer quant à l’incohérence apparente entre la décision de report de l’audience à une date ultérieure et la fixation de cette audience à une date avancée ; que le moyen tiré de l’irrégularité du jugement doit par suite être rejeté ;
Sur la procédure d’imposition :
Considérant que, postérieurement à la cession de ses parts dans la SCI Stedicla à M. et Mme X, la SA Style et décor a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration a estimé qu’elle avait consenti, anormalement, au bénéfice des acquéreurs, un prix de cession trop faible ; que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, consultée dans le cadre de la procédure de redressement de la société, a donné un avis favorable à l’administration ; qu’à la suite de cette procédure, M. et Mme X ont à leur tour fait l’objet d’un contrôle sur pièces qui a donné lieu aux impositions litigieuses et à un redressement en matière de droits d’enregistrement ; que la commission de conciliation, appelée à donner un avis dans le cadre de la procédure d’établissement de ces droits, a donné un avis favorable aux contribuables ; que, toutefois, eu égard à l’indépendance des procédures et à la circonstance que l’administration ne s’est pas fondée sur l’avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires pour établir l’imposition des contribuables, M. et Mme X ne peuvent utilement invoquer ni la contradiction des avis rendus par ces deux commissions pour soutenir que l’imposition aurait été établie à la suite d’une procédure irrégulière, ni en tout état de cause, la circonstance que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires aurait été irrégulièrement composée ;
Sur le bien fondé de l’imposition :
Considérant que M. et Mme X, déjà propriétaires chacun de 8 000 parts de la SCI Stedicla, ont acquis de la société Style et décor, le 3 janvier 1991, le reste du capital de la SCI, soit 8 117 parts au prix de 865 000 F, la totalité du capital de la société étant ainsi évaluée par les parties à 2 570 000 F ; que l’administration a estimé que ce prix était inférieur à la valeur vénale réelle de ces parts et que la valeur du capital de la SCI devait être évaluée à 4 560 000 F ; que la différence, en proportion des 8 117 parts cédées, devait être regardée comme une libéralité imposable au titre de l’impôt sur le revenu de M. et Mme X dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, en application du 1° de l’article 109-1 du code général des impôts ;
Considérant qu’aux termes de l’article 109 du code général des impôts : 1- Sont considérés comme revenus distribués : 1°) tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. 2°) toutes sommes mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices et qu’aux termes de l’article 111 du même code : Sont notamment considérés comme revenus distribués : … c) les rémunérations et avantages occultes ;
Considérant, en premier lieu, que M. et Mme X sont fondés à soutenir que, faute pour l’administration d’avoir établi que le résultat de l’exercice 1991 de la SA Style et décor était bénéficiaire, ils ne peuvent être imposés sur le fondement du 1°) de l’article 109-1 du code général des impôts et que, n’étant pas associés de ladite société à la date de la cession des parts, ils ne peuvent pas davantage être imposés sur le fondement du 2° de ce même article ;
Considérant toutefois que l’administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, à la condition que cette substitution de base légale ne prive le contribuable d’aucune des garanties de la procédure d’imposition ; que l’administration fait ainsi valoir à titre subsidiaire sans que cela ait privé les contribuables de l’une quelconque de ces garanties, que l’imposition doit être fondée sur le c) de l’article 111 du code général des impôts ;
Considérant qu’en cas d’acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l’objet de la transaction, ou, s’il s’agit d’une vente, délibérément minoré sans que cet écart de prix comporte une contrepartie, l’avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfice au sens des dispositions précitées de l’article 111 c du code général des impôts, alors même que l’opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l’identité du co-contractant dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause ; que la preuve d’une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d’autre part, d’une intention, pour la société, d’octroyer et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession ;
Considérant que, pour établir l’existence de cette libéralité, l’administration a procédé à une estimation de la valeur vénale des parts sociales cédées ; que la valeur vénale des titres non cotés en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande ;
Considérant qu’il est constant que la SCI Stedicla ne possède pas d’autre actif que l’immeuble situé rue de Bénodet, à Quimper ; que son passif est nul ; que l’administration était par suite fondée, pour évaluer la valeur vénale de ladite société et donc des parts de son capital, à retenir la valeur vénale de cet immeuble ; que, pour parvenir à fixer à 4 560 000 F la valeur de cet immeuble de trois étages, construit en béton en 1968 et agrandi en 1975, qui offre une façade sur rue de 55 m de long et abrite l’activité de vente de meubles et d’objets de décoration de la SA Style et décor, l’administration a procédé par comparaison avec d’autres immeubles commerciaux situés dans une autre zone commerciale de Quimper ; que la valeur de 4 560 000 F obtenue par l’administration a été calculée en retenant un prix de 2 000 F au m² ; que la valeur des immeubles choisis par l’administration à titre de termes de comparaison est en moyenne de 3 270 F le m² ; que cette valeur a été réduite de 40 % pour qu’il soit tenu compte du fait que l’immeuble litigieux n’a que peu de dépendances, qu’il est peu fonctionnel, plus ancien que les immeubles choisis comme termes de comparaison, et occupé, alors que ceux-ci ne le sont pas ;
Considérant que pour critiquer le choix de l’administration des termes de comparaison, M. et Mme X font valoir en premier lieu que 3 des 6 termes de comparaisons ne peuvent être retenus au motif que les cessions sont postérieures au 3 janvier 1991 ; que, toutefois, cette circonstance ne saurait à elle seule, alors que les cessions ont eu lieu au plus 5 mois après, au cours de l’année 1991, conduire à écarter ces termes de comparaison dès lors qu’il n’est pas allégué que les conditions du marché auraient été modifiées entre le mois de janvier et le mois de mai de l’année 1991 ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. et Mme X soutiennent que l’administration aurait dû comparer la cession litigieuse avec des cessions d’immeubles possédés en indivision par analogie avec la situation de la SCI qui est une société fermée ; que ce moyen doit cependant être rejeté en tout état de cause dès lors qu’une société civile de ce type ne saurait être assimilée à une indivision ;
Considérant, en troisième lieu, que s’il résulte effectivement de l’instruction que la zone commerciale des immeubles choisis comme termes de comparaison est plus dynamique que celle de la rue de Bénodet et dispose de parcs de stationnement plus importants, que les époux X ont conservé un droit de passage sur le terrain, et que l’immeuble est occupé, les contribuables n’apportent pas d’éléments permettant de conclure que ces facteurs de dépréciation devraient entraîner une décote supérieure à celle de 40 % déjà retenue par l’administration et les premiers juges, alors même que le service des domaines évaluerait habituellement à 30 % la décote liée à la seule occupation d’un local ;
Considérant, par ailleurs, que les contribuables ne sauraient davantage se prévaloir de ce que la surface utile, mesurée à nouveau par un expert, serait plus faible que ce qu’elle était en janvier 1991 dès lors qu’il n’est pas sérieusement contesté que l’aménagement intérieur de certaines pièces de l’immeuble a été modifié depuis la cession litigieuse ; que, de même, le fait que l’étanchéité du toit ne serait pas parfaite ne saurait être pris en compte ;
Considérant enfin que si M. et Mme X reprochent à l’administration d’avoir écarté des termes de comparaison trois immeubles dont la valeur au m² était nettement inférieure à 2 000 F alors qu’ils auraient été, selon eux, comparables à l’immeuble de la rue de Bénodet, ils ne contestent pas que les dits immeubles sont d’une conception et de matériaux de qualité moindre, l’un d’entre eux étant même promis à la démolition ; que, dans ces conditions, c’est à bon droit que la valeur du m² de l’immeuble de la rue de Bénodet a été évaluée à partir des termes de comparaison retenus par l’administration à 2 000 F ;
Considérant que la méthode d’évaluation des parts sociales de la SCI Stedicla dite valeur mathématique aboutit au même résultat que la méthode qui vient d’être exposée dès lors qu’en l’espèce, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la valeur vénale de l’immeuble de la rue de Bénodet constitue l’actif net de la SCI Stedicla ;
Considérant que, pour corroborer cette évaluation par comparaison, l’administration a en outre eu recours, ainsi que cela ressort d’une mention figurant dans la réponse aux observations du contribuable en date du 4 septembre 1992, à la méthode d’évaluation par le revenu ; qu’elle a ainsi appliqué un taux de capitalisation de 10 % au revenu brut de l’immeuble ; que, pour contester cette évaluation qui corrobore les chiffres issus de la comparaison avec des cessions similaires, M. et Mme X critiquent à la fois le taux et la base à laquelle celui-ci a été appliqué ; que toutefois, ils ne justifient ni que le taux à retenir devrait être de 13 % au lieu de 10 %, ni que la base devrait être en l’espèce le revenu net procuré par l’immeuble et non le revenu brut ;
Considérant enfin que si M. et Mme X font valoir que la valeur des parts sociales de la SCI Stedicla pouvait être estimée au moyen de la méthode dite de productivité, telle qu’elle résulte notamment de la réponse ministérielle faite à M. Taittinger, sénateur (Sénat, 19/08/82), alors même qu’elle n’est pas adaptée à la SCI Stedicla qui distribue tous ses bénéfices, l’évaluation à laquelle ils aboutissent doit être écartée dès lors qu’elle est fondée sur un taux de capitalisation de 15 % qui n’est pas justifié ; que, de même, M. et Mme X ne peuvent se fonder sur la méthode dite de la valeur antérieure, telle que préconisée dans une réponse ministérielle faite à M. Cousté, député (AN, 23/02/81), l’évaluation à laquelle ils parviennent étant fondée sur l’utilisation de l’indice du coût de la construction qui n’est pas adapté à l’évolution du marché des immeubles anciens dans le secteur géographique concerné ;
Considérant par ailleurs que M. et Mme X font valoir que la valeur des parts sociales résultant de la valeur de l’actif net de la SCI Stedicla doit être réduite au double motif que la participation de la SA Style et décor était minoritaire et que la SCI est une société fermée, un associé ne pouvant pas céder ses parts à un acquéreur non agréé par les autres associés ; que toutefois, les dispositions des articles 1861 et suivants du code civil prévoient des garanties au profit des associés ayant l’intention de céder leurs parts ; qu’en tout état de cause, aucun élément du dossier ne permet d’apprécier, dans les circonstance de l’espèce, l’existence et le cas échéant, l’importance de la décote qu’il y aurait lieu d’appliquer à la valeur des parts sociales en raison de la situation minoritaire de la société cédante ;
Considérant que quelles que soient les modalités selon lesquelles la libéralité en cause a été imposée au nom de la société, la cession d’un actif à un prix minoré a nécessairement entraîné un désinvestissement constitutif d’une distribution ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces estimations que l’écart entre le prix de la cession des parts, soit 865 000 F, et la valeur réelle de celles-ci soit 1 534 769 F, est significatif et doit être regardé comme établi par l’administration ; que, par ailleurs, les circonstances qui ont entouré la cession des parts et notamment le fait que la SA Style et décor était minoritaire dans le capital de la SCI Stedicla, ce qui, comme ils le relèvent eux-mêmes, plaçait les contribuables dans une situation favorable pour faire pression sur le prix de cession de ces parts et que ceux-ci sont restés les seuls dirigeants jusqu’au 3 janvier 1991, révèlent une intention d’accorder et de recevoir une libéralité ; que, par suite, l’administration était fondée à imposer la somme correspondante entre les mains de M. et Mme X comme une distribution dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement des dispositions du c) de l’article 111 du code général des impôts ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
Sur l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à M. et Mme X la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Yves X et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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N° 01NT01876
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