Cour Administrative d’Appel de Nancy, 4ème chambre – formation à 3, 19/03/2007, 05NC01018, Inédit au recueil Lebon

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Cour Administrative d’Appel de Nancy, 4ème chambre – formation à 3, 19/03/2007, 05NC01018, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 1er août 2005, complétée par un mémoire enregistré le 6 février 2007, présentée pour M. Lucien X demeurant …, par la SCP d’avocats Dreyfus-Schmid-Ohana-Lietta ;

M. X demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0200776 en date du 23 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1994, 1995 et 1996 ;

2°) de prononcer la décharge demandée et d’assortir les dégrèvements prononcés de l’intérêt moratoire ;

3°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Il soutient que :

– les premiers juges n’ont pas indiqué quels sont les documents qui justifieraient la position de l’administration et le rejet de la demande ;

– aucune preuve n’a été fournie ou des documents versés aux débats dans le cadre de la procédure contradictoire ; la nature précise des documents obtenus auprès de l’autorité judiciaire dans le cadre de la procédure contradictoire n’est pas connue ;

– les biens retenus pour le calcul de la base forfaitaire appartiennent à des sociétés tierces et l’administration n’a pas rapporté la preuve d’une confusion de patrimoines ; la vérification des trois sociétés concernées (STC, ITCA et SEIPP) n’a suscité aucune remarque ;

– les véhicules Ferrari et Porsche étaient utilisés par l’administrateur de la société STC et non par le requérant ; la circonstance que celui-ci serait l’unique actionnaire de STC est indifférente ; aucune preuve n’est apportée de la mise à disposition de ces véhicules ;

– l’avion de tourisme Mooney a été acquis en indivision par les sociétés STC et ITCA et utilisé à titre exclusivement professionnel ; la circonstance que M. X possède le brevet de pilote ne démontre aucun usage privé ; le versement de l’acompte de 50 000 F à partir de son compte courant d’associé n’est pas significatif ;

– le bateau était utilisé à des fins professionnelles par la société SEIPP pour la réception de clients ; la circonstance qu’il ait eu son port d’attaches en Corse ne permet en aucune façon de démontrer sa mise à disposition exclusive au profit de M. X ;

– la mise à disposition de la propriété corse d’Albritreccia à M. X par la société STC en 1995 et 1996 n’est pas prouvée ; cette société y a fait construire quatre pavillons sur un terrain qu’elle avait acquis ; l’achèvement du premier pavillon n’a eu lieu qu’en septembre 1996 et sa mise en location en 1997 ; le fait que M. X ait été mandaté par la société STC pour ces opérations ne prouve rien, non plus le paiement de 344 784,77 F à un artisan le 18 février 1993 ; M. X logeait en caravane à proximité ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 12 janvier 2006 et 20 février 2007, présentés par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ; il conclut :

– au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête à hauteur du dégrèvement devant être prononcé ;

– au rejet du surplus des conclusions ;

Il soutient que :

– l’administration a établi à partir des témoignages recueillis par l’autorité judiciaire et des documents comptables émanant d’un artisan que M. X avait eu la disposition de biens appartenant à la société suisse STC, à la société luxembourgeoise SEIPP et à la société ITCA devenue SEEDRA ; le procès pénal au cours duquel il a été révélé que la société STC établissait des factures de prestations fictives aux sociétés françaises a montré que M. X disposait au sein des sociétés ITCA et STC suisse d’un large pouvoir décisionnel et en était le véritable dirigeant ;

– l’administration fiscale ayant obtenu ainsi régulièrement communication de ces documents, il ne lui appartenait pas, en l’absence de demande de la part du contribuable ou de son conseil avant la mise en recouvrement intervenue le 30 septembre 1989, de lui en communiquer une copie ; toutes les pièces utiles ont au demeurant été versées aux débats devant le tribunal ; l’administration peut en outre se fonder sur l’autorité de chose jugée qui s’attache aux constatations de fait opérées par le juge pénal ;

– la circonstance que la vérification de comptabilité des sociétés ITCA, SEEDRA et SEIPP n’aurait suscité aucune remarque sur les points en litige est sans incidence sur l’imposition personnelle de l’intéressé en raison du principe d’indépendance des procédures ;

– l’imposition résultant de la prise en compte de la Mercedes 300 en 1994 et de la Porsche de 1994 à 1996 n’a, compte-tenu des explications fournies, plus lieu d’être retenue ;

– l’acquisition de l’avion de tourisme Mooney a été négociée personnellement par l’intéressé qui dispose d’un brevet de pilote et a versé un acompte sur ses ressources personnelles pour en financer l’acquisition et également encaissé sur son compte personnel le prix de revente ;

– le bateau était ancré au port d’Alata en Corse où M. X passait ses vacances ; il ne peut contester en avoir eu la disposition ;

– concernant la mise à disposition de la propriété corse d’Albritreccia par la société STC en 1995 et 1996, il s’agit d’une seule propriété dont a disposé M. X à travers cette société qu’il contrôlait ; le paiement de 344 784,77 F à un artisan le 18 février 1993 était accompagné d’un courrier relatif notamment à l’achèvement des clôtures, ce qui indique bien que la maison était terminée ; d’ailleurs le relevé des propriétés bâties émanant des services fonciers de Corse montre que l’évaluation foncière, qui doit être faite dans les 90 jours suivant la réalisation définitive, a pu être réalisée au 1er janvier 1994, pour cette maison comprenant sept pièces et un garage ; les procès-verbaux d’audition judiciaire confirment ces faits ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 26 février 2007 :

– le rapport de M. Devillers, premier conseiller,

– les conclusions de M. Wallerich, commissaire du gouvernement ;

Sur l’étendue du litige :

Considérant que, par décision en date du 16 janvier 2006, postérieure à l’introduction de la requête, le directeur des services fiscaux du territoire de Belfort a prononcé le dégrèvement en droits et pénalités, à concurrence d’une somme de 245 453 euros, du complément d’impôt sur le revenu auquel M. X a été assujetti au titre des années 1994 à 1996 ; que les conclusions de la requête de M. X relatives à cette imposition sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que M. X invoquait en première instance un moyen relatif à la réalité de la mise à disposition de chacun des éléments dont il est fait état pour la détermination de sa base d’imposition ; qu’en se bornant à relever qu’il résulte des renseignements recueillis par le fisc dans le cadre de son droit de communication auprès des autorités judiciaires et des constatations opérées au cours de l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de l’intéressé que cette mise à disposition était effective, les premiers juges n’ont pas motivé leur réponse à ce moyen ; que M. X est, par suite, fondé à soutenir que le jugement du Tribunal administratif de Besançon en date du 23 juin 2005 est entaché d’irrégularité et doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Besançon ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

Considérant que, s’il incombe à l’administration d’informer le contribuable dont elle envisage de redresser l’impôt, de l’origine, de la nature et de la teneur des renseignements qu’elle a pu recueillir auprès de tiers dans l’exercice de son droit de communication, afin de permettre à celui-ci de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents qui contiennent ces renseignements, elle n’est pas tenue de communiquer ces documents spontanément ; que M. X n’est donc pas fondé à soutenir que, notamment, le rapport rendu sur commission rogatoire du juge d’instruction cantonal suisse, les procès-verbaux d’interrogatoires de l’intéressé, de ses proches ou d’anciens salariés, communiqués dans le cadre de la procédure contradictoire devant le tribunal, dont il n’a pas demandé copie auparavant, auraient dû lui être transmis avant la mise en recouvrement intervenue le 30 septembre 1989 ; que ce moyen doit donc être écarté ;

Sur le bien fondé de l’imposition :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 168 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : « 1. En cas de disproportion marquée entre le train de vie d’un contribuable et ses revenus, la base d’imposition à l’impôt sur le revenu est portée à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments de ce train de vie le barème ci-après… : « Les éléments dont il est fait état pour la détermination de la base d’imposition sont ceux dont ont disposé, pendant l’année de l’imposition, les membres du foyer fiscal désignés à l’article 6-1 et 3. 2 bis. La disproportion marquée entre le train de vie d’un contribuable et ses revenus est établie lorsque la somme forfaitaire qui résulte de l’application du barème et des majorations prévues aux 1 et 2 excède d’au moins un tiers, pour l’année de l’imposition et l’année précédente, le montant du revenu net global déclaré y compris les revenus exonérés ou taxés selon un taux proportionnel ou libérés de l’impôt par l’application d’un prélèvement… 3. Le contribuable peut apporter la preuve que ses revenus ou l’utilisation de son capital ou les emprunts qu’il a contractés lui ont permis d’assurer son train de vie » ;

Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient le contribuable, d’une part, ainsi qu’il résulte des disposions précitées de l’article 168 du code général des impôts, les éléments dont il est fait état pour la détermination de la base d’imposition sont ceux dont ont disposé, pendant l’année de l’imposition, les membres du foyer fiscal, sans qu’il y ait lieu de rechercher si la propriété de ces biens a été acquise ou transférée à ces membres, d’autre part, la circonstance que la vérification de comptabilité des sociétés ITCA, SEEDRA et SEIPP n’aurait suscité aucune remarque sur les points en litige est sans incidence sur l’imposition personnelle de l’intéressé ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’en ce qui concerne la mise à disposition du véhicule Ferrari, il ne résulte pas de l’instruction que celui-ci, qui a été acquis le 12 juillet 1991 par M. Guyaz, administrateur de la société STC Suisse, qui a déclaré en avoir l’usage et l’a revendu lui-même sous la forme d’une reprise pour l‘achat d’une autre voiture de luxe le 16 novembre 1999, ait été à la disposition effective et habituelle du requérant durant les années d’imposition en litige ; que M. X est par suite fondé à demander que cet élément soit soustrait de ceux dont il est fait état pour la détermination de sa base d’imposition ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en ce qui concerne l’avion de tourisme Mooney, il résulte de l’instruction que son acquisition a été négociée personnellement par l’intéressé, qui dispose d’un brevet de pilote, et a versé un acompte sur ses ressources personnelles pour en financer l’acquisition et, également, encaissé sur son compte personnel le prix de revente ; que M. X, qui ne donne aucune justification de l’emploi professionnel de cet appareil, n’est donc pas fondé à soutenir qu’il n’en a pas eu la disposition ; qu’il en va de même pour le bateau ancré au port d’Alata en Corse, lieu de villégiature du requérant, dont aucune utilisation professionnelle n’est justifiée ;

Considérant, enfin, qu’il est constant qu’une seule villa a été construite sur les quatre lots de terrain acquis par la société STC, contrôlée par le requérant, à Albritreccia en Corse ; qu’ainsi qu’il résulte du relevé d’évaluation des propriétés bâties et de plusieurs documents issus de la procédure judiciaire, le pavillon de sept pièces était achevé en janvier 1994 et mis à la disposition de M. X, qui n’en démontre d’ailleurs aucune autre utilisation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c’est à tort que l’administration a retenu la mise à disposition du véhicule Ferrari parmi les éléments de sa base d’imposition ; que le surplus des conclusions de sa requête doit être rejeté ;

Sur les intérêts moratoires :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 208 du livre des procédures fiscales : « Quand l’Etat est condamné à un dégrèvement d’impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l’administration à la suite d’une réclamation tendant à la réparation d’une erreur commise dans l’assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d’intérêts moratoires dont le taux est celui de l’intérêt légal. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés » ; qu’en vertu du troisième alinéa de l’article R. 208-1 du même livre, les intérêts moratoires prévus à l’article L. 208 précité sont payés d’office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts ;

Considérant que, faute de litige né et actuel opposant M. X au comptable chargé le cas échéant du paiement des intérêts moratoires visés à l’article L. 208 précité, les conclusions présentées directement par l’intéressé devant la Cour et tendant au paiement de ces intérêts ne peuvent, en tout état de cause, qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : A concurrence d’une somme de 245 453 euros (deux cent quarante cinq mille et quatre cent cinquante trois euros) en droits et pénalités, il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. X.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Besançon en date du 23 juin 2005 est annulé.

Article 3 : M. X est déchargé du complément d’impôt sur le revenu auquel il a été assujetti résultant de la prise en compte de la mise à disposition du véhicule Ferrari parmi les éléments de sa base d’imposition des années 1994 à 1996.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Lucien X et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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