Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la décision n° 348025 du 30 mars 2012, enregistrée le 20 avril 2012, par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux a, d’une part, annulé l’arrêt de la Cour n° 08MA001172-08MA01241 du 31 janvier 2011 en tant qu’il a statué sur l’appel de la société Cicom Organisation et, d’autre part, renvoyé l’affaire devant la Cour dans cette mesure ;
Vu la requête, enregistrée le 7 mars 2008 sous le n° 08MA01172, présentée pour la société Cicom Organisation, dont le siège est situé 300 route des Crêtes à Valbonne Sophia-Antipolis (06560), représentée par son gérant en exercice, par Me Rizzo ;
La société Cicom Organisation demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 0502252-0702296 du 8 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Nice a condamné le département des Alpes-Maritimes à lui verser la somme de 179 370,74 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) de désigner un expert avec notamment pour mission de prendre connaissance des actes et contrats conclus avec le département des Alpes-Maritimes, de donner au tribunal tous les éléments d’appréciation utiles afin de déterminer les comptes entre les parties relatifs à l’exécution de la délégation de service public pour la gestion du Centre international de la communication avancée (CICA) achevée au 30 novembre 2000 et d’émettre un avis utile à effet d’apprécier les préjudices qu’elle a subis du fait de son éviction illégale de la procédure d’appel d’offre ;
3°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer :
– d’une part, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, 2 467 976 euros au titre de la perte du bénéfice normalement attendu du marché dont elle a été irrégulièrement évincée, 600 000 euros au titre du préjudice commercial, 50 000 euros au titre des difficultés causées par le département des Alpes-Maritimes lors du transfert de l’exploitation du CICA à la société Carillion Services et des procédures abusives dont elle a été l’objet,
– d’autre part, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, 219 039 euros au titre du préjudice subi du fait du refus du département des Alpes-Maritimes de lui verser la prime variable et les indemnités de licenciement contractuellement dues, 195 836 euros au titre de la part de frais généraux liés à la location et à la maintenance des photocopieurs non repris par le successeur, 50 000 euros à titre de réparation du préjudice subi à la suite de l’émission injustifiée de titres de recette ;
4°) de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes le versement de la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 11 décembre 2012 :
– le rapport de M. Chanon, premier conseiller ;
– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;
– les observations de Me Rizzo pour la société Cicom Organisation et de Me Cazelles pour le département des Alpes-Maritimes ;
1. Considérant que la société Cicom Organisation était titulaire, depuis le 1er juillet 1995, d’une délégation de service public, intitulée contrat de gérance, confiée par le département des Alpes-Maritimes pour la gérance du Centre international de la communication avancée (CICA) à Valbonne, parc de Sophia-Antipolis ; qu’à l’issue de la période couverte par la délégation de service public, le département a lancé un appel d’offres relatif à un marché de prestations de services portant sur la gestion, l’exploitation et l’animation du CICA et de ses équipements ; que, par décision du 27 septembre 2000, la commission d’appel d’offres du département des Alpes-Maritimes a rejeté la candidature de la société Cicom Organisation ; que, par jugement du 27 avril 2001, confirmé le 11 avril 2005 par la Cour par un arrêt devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision au motif que le règlement de consultation de l’appel d’offres avait méconnu les dispositions du code des marchés publics dans des conditions de nature à conduire les soumissionnaires à confondre les phases successives d’examen de leur candidature et de sélection de leur offre ; qu’à la suite du rejet implicite de sa demande préalable d’indemnisation, la société Cicom Organisation a demandé au tribunal administratif, en 2005, de condamner le département des Alpes-Maritimes à l’indemniser de divers préjudices qu’elle estimait avoir subis tant du fait de son éviction illégale du marché que des conditions dans lesquelles la délégation de service public s’est achevée, notamment sur le plan financier ; qu’en 2007, la société a introduit devant le tribunal une demande en référé tendant à la prescription d’une expertise en vue de déterminer les comptes entre les parties au titre de l’exécution de la délégation de service public et d’évaluer le préjudice résultant de son éviction illégale du marché ; que, par jugement du 8 janvier 2008, le tribunal administratif de Nice, après avoir joint les deux affaires, a condamné le département des Alpes-Maritimes à payer à la société une somme de 179 370,74 euros au titre de la prime variable prévue par le contrat de délégation de service public et rejeté les autres prétentions de la société ainsi que la demande d’expertise ; que la société Cicom Organisation relève appel de ce jugement en tant que le surplus de ses conclusions a été rejeté ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu sans aucune précision, le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
3. Considérant que les demandes, précédemment mentionnées, introduites par la société Cicom Organisation devant le tribunal administratif de Nice présentaient un lien de connexité suffisant pour que le tribunal procède à leur jonction sans entacher d’irrégularité le jugement attaqué ;
Sur la demande d’expertise en référé :
4. Considérant que c’est à bon droit que le tribunal administratif de Nice a rejeté les conclusions présentées à cette fin par la société Cicom Organisation dès lors qu’il a statué sur sa demande au fond et que l’expertise telle qu’elle a été demandée en référé n’avait plus d’utilité pour la résolution du litige ; que ce rejet ne privait toutefois pas le tribunal d’ordonner une expertise en tant que juge du fond ;
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Considérant que le département des Alpes-Maritimes a produit en appel un premier mémoire en défense dans le délai d’un mois imparti par la mise en demeure qui lui a été adressée le 22 novembre 2010 ; que, par suite, il ne peut être réputé, en vertu des dispositions de l’article R. 612-6 du code de justice administrative, avoir acquiescé aux faits exposés par la société Cicom Organisation ;
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :
6. Considérant que, dans le dernier état de ses écritures devant la Cour, la société Cicom Organisation demande, au titre de l’exécution du contrat de gérance, la condamnation du département des Alpes-Maritimes à lui payer les sommes de 39 668,26 euros au titre des indemnités de licenciement, de 195 836 euros au titre de la part de frais généraux liés à la location et à la maintenance des photocopieurs non repris par le successeur et de 50 000 euros à titre de réparation du préjudice subi à la suite de l’émission injustifiée de titres de recettes ;
7. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 40 du contrat de gérance : » Les parties au présent contrat conviennent que les contestations sur l’interprétation ou l’exécution de celui-ci seront soumises à un expert désigné conjointement par la collectivité et le gérant dans un délai de quinze jours après la déclaration d’un litige par l’une d’entre elles. (…) A défaut de conciliation ou d’accord sur la désignation d’un expert, les contestations qui s’élèveront entre le gérant et la collectivité au sujet du présent contrat seront soumises au tribunal administratif de Nice » ; que ces stipulations n’ont pas pour objet, et ne sauraient avoir pour effet, d’obliger le juge, saisi sur leur fondement, à désigner un expert ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 15 du contrat de gérance : » A l’expiration du contrat de gérance ou en cas de cessation d’activité ou transfert à un nouveau gérant ou abandon de l’activité du CICA par la collectivité, celle-ci s’engage à accorder au gérant une indemnité couvrant les frais de licenciement du personnel du gérant affecté aux fonctions mentionnées à l’article 5 de l’acte d’engagement » ; qu’il résulte de l’instruction que, sur le fondement de ces stipulations, le département des Alpes-Maritimes a versé à la société Cicom Organisation une somme de 131 852,94 euros, cette dernière sollicitant le paiement du solde du coût des licenciements pour le montant de 39 668,26 euros ; que, toutefois, les seules pièces justificatives invoquées à l’appui de cette prétention, composées d’un tableau récapitulatif du » calcul du coût des licenciements (…) selon convention collective SEMAM » et d’extraits d’un journal de paie, annexées à la réclamation indemnitaire préalable, ne permettent pas d’établir la réalité du préjudice subi au-delà de la somme déjà perçue par la société ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu’à l’appui de sa demande formulée au titre des frais généraux liés à la location et à la maintenance des photocopieurs non repris par le titulaire du marché lui ayant succédé dans la gestion du CICA, la société Cicom Organisation se borne à soutenir que la somme de 195 836 euros est due par le département » en vertu du contrat de concession » dès lors que les contrats de location et maintenance étaient nécessairement conclus pour une longue durée ; qu’ainsi que le fait valoir le département des Alpes-Maritimes, et alors au surplus que le contrat de gérance est resté en vigueur pendant une durée de cinq ans, aucune stipulation contractuelle entre les parties ne prévoit une telle indemnisation ; que, par suite, ce chef de préjudice doit être écarté ;
10. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que trois titres de recettes émis par le département des Alpes-Maritimes dans le cadre du règlement du solde du contrat de gérance ont été annulés par la Cour, par un arrêt du 10 juillet 2009 devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation du département ; que, si l’illégalité de ces titres de recettes est fautive, les frais exposés par la société Cicom Organisation pour se défendre dans les diverses instances évoquées ci-dessus, dont elle a pu solliciter le remboursement au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ne constituent pas un préjudice indemnisable dans la présente affaire ; que la société fait aussi état d’une atteinte à sa réputation résultant d’une prétendue gestion irrégulière de sa part sans apporter aucun élément à l’appui de ses allégations ; que, dans ces conditions, la matérialité du préjudice invoqué n’est pas établie ;
11. Considérant qu’il s’ensuit, sans qu’il soit besoin de prescrire une expertise sur ce point, que les prétentions indemnitaires de la société Cicom Organisation fondées sur la responsabilité contractuelle du département des Alpes-Maritimes doivent être rejetées ;
En ce qui concerne la responsabilité extracontractuelle :
12. Considérant que la société Cicom Organisation demande également, sur le fondement de son éviction irrégulière du marché relatif à l’exploitation du CICA, la condamnation du département des Alpes-Maritimes au paiement des sommes de 2 467 976 euros au titre de la perte du bénéfice normalement attendu, 600 000 euros en réparation du préjudice commercial et 50 000 euros au titre des difficultés causées par le département des Alpes-Maritimes lors du transfert de l’exploitation au nouvel exploitant ;
13. Considérant, en premier lieu, que, le tribunal administratif de Nice, par jugement du 29 juin 2001, a annulé, sur la demande du préfet des Alpes-Maritimes, le marché dont la société Carillion Services était titulaire à la suite de la procédure au cours de laquelle la société Cicom Organisation a été illégalement évincée ; qu’en conséquence de cette annulation, et après le dépôt du rapport de l’expertise ordonnée en référé par le tribunal, le département des Alpes-Maritimes a indemnisé la société Carillion Services des préjudices résultant pour elle de l’illégalité du contrat les liant ; que la seule circonstance que le département a procédé à cette indemnisation alors qu’il a refusé d’indemniser la société Cicom Organisation pour son éviction illégale, distincte de l’illégalité du marché lui-même qui avait reçu exécution depuis plusieurs mois et dont la réparation repose sur des chefs de préjudices nécessairement différents, n’est pas de nature à établir que le principe d’égalité aurait été méconnu ou que la société Cicom Organisation aurait été victime d’une discrimination illégale, que ce soit sur le fondement du droit interne, des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de celles de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
14. Considérant, en deuxième lieu, que lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; que, dans le cas où l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché, elle a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner qu’elle a subi ;
15. Considérant que le règlement de consultation du marché en cause prévoit que les critères de jugement des offres, classés par ordre décroissant, sont la valeur technique de l’offre, l’expérience du candidat dans des fonctions analogues et le prix des prestations ; que l’offre de la société Cicom Organisation, rejetée au stade de l’examen des candidatures, n’a pas été analysée par la commission d’appel d’offres, dont le rapport d’analyse des offres figure au dossier de première instance n° 0502252, et n’est plus en possession du département qui l’a remise au tribunal dans le cadre d’une autre instance ; que, si la société Cicom Organisation, titulaire du contrat de gérance antérieur, justifie nécessairement d’une expérience au regard de l’objet du marché et que le prix qu’elle proposait était à peine supérieur à celui de l’entreprise retenue, elle ne verse pas aux débats le mémoire justificatif de son offre, qui aurait seul permis de porter une appréciation sur la valeur technique de celle-ci, premier critère de jugement, laquelle ne saurait être démontrée par la seule référence à l’exécution du contrat de gérance ; que la société ne peut ainsi, en tout état de cause, se prévaloir de ce qu’elle aurait présenté l’offre économiquement la plus avantageuse ; que l’offre retenue, versée en intégralité au dossier, a été présentée par la société Carillion Services, et non par la société Carillion BTP elle-même qui ferait preuve, selon la société appelante, d’inexpérience au regard des prestations attendues ainsi que le démontrerait notamment son objet social et sa gestion ultérieure ; que, dans ces conditions, la société Cicom Organisation n’établit pas qu’elle avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, par suite, sa demande de condamnation du département des Alpes-Maritimes à lui payer la somme de 2 467 976 euros, qui correspond d’ailleurs au montant total du marché, au titre de la perte du bénéfice attendu doit être rejetée ;
16. Considérant que la société Cicom Organisation soutient également que la décision d’éviction est à l’origine pour elle d’un préjudice commercial incontestable compte tenu de son retentissement significatif tant auprès des différentes entreprises du CICA qu’auprès de ses partenaires actionnaires ou clients ; que, toutefois, outre que cette décision ne peut, par elle-même, avoir eu pour conséquence de mettre publiquement en doute sa compétence et son savoir-faire, la société n’apporte aucun élément de nature à démontrer la perte de contrats ou la perte de confiance d’éventuels cocontractants ; que, dès lors, ce chef de préjudice doit être écarté ;
17. Considérant, en troisième lieu, qu’en admettant même, malgré l’absence de versement au dossier de l’intégralité de son offre, que la société Cicom Organisation n’était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché, elle ne formule, en tout état de cause, aucune conclusion tendant au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre, aucun élément n’étant d’ailleurs produit sur ce point ;
18. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que la société Cicom Organisation se plaint des difficultés causées par le département des Alpes-Maritimes lors du transfert de l’exploitation du CICA à la société Carillion Services et en particulier des procédures judiciaires abusives dont elle aurait alors été l’objet en référé ; que, toutefois, d’une part, l’indemnisation des frais de procédure et la mobilisation de cadres de la société relevaient des instances concernées et, d’autre part, la matérialité de l’atteinte à la réputation alléguée n’est pas démontrée ;
19. Considérant qu’il suit de là, sans qu’il soit besoin d’ordonner la production du rapport d’analyse des offres ou de prescrire une expertise sur l’évaluation des préjudices subis en raison de son éviction illégale, que les conclusions indemnitaires de la société Cicom Organisation fondées sur la responsabilité extracontractuelle doivent être rejetées ;
20. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède, sans qu’il besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société Cicom Organisation n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
22. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la société Cicom Organisation, partie perdante, formulées au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au même titre ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Cicom Organisation est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département des Alpes-Maritimes tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cicom Organisation et au département des Alpes-Maritimes.
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N° 12MA01581
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