Cour administrative d’appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, du 7 juillet 2005, 02MA00893, inédit au recueil Lebon

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Cour administrative d’appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, du 7 juillet 2005, 02MA00893, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, I, le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 17 mai 2002 sous le n° 02MA00893, présenté par le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ;

Le MINISTRE demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 9801895 du 20 décembre 2001 par lequel le Tribunal administratif de Nice a accordé à la société anonyme Intranor la décharge de la contribution de 10% sur l’impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l’année 1995 ;

2°) de remettre intégralement la contribution contestée à la charge de la société Intranor, ainsi que la majoration y afférente ;

…………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu convention fiscale conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966, modifiée par un avenant du 3 décembre 1969 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 juin 2005,

– le rapport de Mme Mariller, rapporteur ;

– les observations de Me X…, substituant Me Y…, pour la société Intranor ;

– et les conclusions de M. Bonnet, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les recours susvisés du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Intranor :

Considérant qu’aux termes de l’article R.200-18 du livre des procédures fiscales : « A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l’administration des impôts… qui a suivi l’affaire, celui-ci dispose d’un délai de deux mois pour transmettre, s’il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. Le délai imparti pour saisir la cour administrative d’appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l’alinéa précédent ou de la date de signification au ministre » ;

Considérant que les recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE parvenus au greffe de la Cour par télécopie ont été enregistrés le 17 mai 2002, soit dans le délai de quatre mois prévu par les dispositions précitées de l’article R.200-18 du livre des procédures fiscales, qui a couru à compter de la notification des jugements attaqués au directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, le 21 janvier 2002 ;

Sur le bien fondé des jugements attaqués :

Considérant qu’aux termes de l’article 206-1 du code général des impôts : « Sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes…, les sociétés coopératives et leurs unions, ainsi que, sous réserve des dispositions de l’article 207-1-6° et 6° bis, les établissements publics, les organismes de l’Etat jouissant de l’autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif » ; qu’en application de ces dispositions et sous réserve de l’application des conventions internationales, une société de droit étranger est imposable à l’impôt sur les sociétés en France lorsque, d’une part, elle peut être de par sa forme assimilée à l’une des catégories de sociétés visées par les dispositions précitées, ou, d’autre part, elle réalise sur le territoire français des opérations à caractère lucratif ;

Considérant que la société Intranor, société anonyme de droit suisse doit, pour l’application des dispositions de l’article 206 du code général des impôts être assimilée à une société anonyme française dès lors que la convention internationale franco-suisse n’exclut pas cette assimilation et qu’elle est, de par sa forme passible de l’impôt sur les société en France ; qu’au demeurant, le simple fait pour une personne morale possédant un immeuble en France d’en attribuer la jouissance gratuite à ses actionnaires doit être regardé comme la réalisation d’une opération à caractère lucratif au sens de l’article 206-1 précité ; que, par suite, le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE est fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que la société Intranor n’était pas passible de l’impôt sur les sociétés au sens des dispositions de l’article 206-1 du code général des impôts ;

Considérant qu’il appartient à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société Intranor tant devant le Tribunal administratif de Nice que pour la première fois en appel devant la Cour ;

Sur le principe de l’imposition de la société Intranor :

En ce qui concerne l’application de la Convention fiscale Franco-suisse :

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 6 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée par un avenant du 3 décembre 1969, les revenus provenant de biens immobiliers sont imposables dans l’Etat contractant où ses biens sont situés ;

Considérant, d’une part, que si l’article 7-1 de cette convention prévoit que les bénéfices d’une société ne sont imposables que dans l’Etat sur le territoire duquel elle dispose d’un établissement stable, l’article 7-7 exclut de l’application de ces dispositions les bénéfices comprenant des éléments de revenus traités par d’autres dispositions de la convention ; qu’en conséquence l’article 7-1 n’est pas applicable aux revenus provenant de biens immobiliers qui relèvent de l’article 6-1 et qui sont donc imposables en France, selon le droit commun ; que la société Intranor n’est par suite pas fondée à soutenir, que, n’ayant pas d’établissement stable en France, elle ne pouvait faire l’objet d’une imposition dans ce pays ;

Considérant, d’autre part, que la société Intranor fait valoir que les avantages en nature consentis par une société française à ses associés ou à ses dirigeants sont imposés entre les mains des bénéficiaires dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en tant qu’avantages occultes relevant des dispositions de l’article 111C du code général des impôts ; que cependant, s’agissant de la qualification des redressements auxquels elle a été elle-même assujettie, la société ne saurait utilement se prévaloir de la clause d’égalité de traitement prévue par les dispositions de l’article 26 de la convention franco-suisse pour soutenir que l’imposition des revenus en litige ne relevait pas des dispositions de l’article 6-1 susmentionné ;

En ce qui concerne l’application de la doctrine administrative :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’instruction 4H1422 : « Lorsqu’elle n’exerce en France aucune activité commerciale habituelle, une société anonyme étrangère qui possède dans notre pays un immeuble à usage commercial ou d’habitation donné en location est passible de l’impôt sur les sociétés, en raison de sa forme, sur les profits retirés de cette location » ; que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’exclure du champ d’application de l’impôt sur les sociétés en France les sociétés étrangères qui mettent à la disposition gratuite de leurs associés un bien immobilier ;

Considérant, d’autre part, que la doctrine administrative est d’application stricte ; que la société n’est pas fondée à se prévaloir de l’instruction 7Q-3-93 concernant une autre imposition pour soutenir qu’elle n’est pas passible de l’impôt sur les sociétés ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

Considérant, en premier lieu, que ni l’article L.47 du livre des procédures fiscales, ni aucune autre disposition légale ne prévoient que l’avis de vérification doit être envoyé au lieu du principal établissement de la société ; qu’en outre, aucune disposition légale ne prévoit que ledit avis doivent être obligatoirement notifié au contribuable au lieu où doivent intervenir les opérations matérielles de contrôle ou au lieu où l’imposition sera établie ; qu’ainsi, la société Intranor, qui ne conteste pas avoir été destinataire de l’avis de vérification dans les délais légaux, n’est pas fondée à soutenir sur le fondement de la loi fiscale que la procédure serait irrégulière au motif que cet avis lui a été envoyé à son siège social situé à Genève ; qu’elle ne saurait utilement se prévaloir sur le fondement de l’article L.80-A du livre des procédures fiscales de la doctrine administrative exprimée dans la documentation administrative 13L-1311 n° 5 du 15 août 1994 qui recommande que l’avis d’imposition soit notifié au lieu du principal établissement, une telle doctrine n’étant pas invocable en matière de procédure d’imposition ;

Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l’article 72-2 du livre des procédures fiscales permettent seulement à l’administration de taxer d’office une société qui ne satisfait pas à sa demande de désigner un représentant en France dans le délai de 90 jours ; qu’elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’obliger l’administration à inviter une société dont le siège est situé hors du territoire national à désigner un représentant fiscal en France ; qu’en vertu des dispositions de l’article 23D de l’annexe IV au code général des impôts, la désignation d’un tel représentant relève de la seule initiative de la société ;

Considérant, en troisième lieu, que si le vérificateur a, en l’absence de comptabilité, reconstitué le bénéfice de la société en évaluant les recettes dont elle s’est anormalement privée par comparaison avec la valeur locative d’autres villas du département, la méthode de détermination des bénéfices que le vérificateur a utilisée est indépendante de la procédure qui a été suivie ; qu’ainsi, la société Intranor, qui n’établit ni même n’allègue avoir été privée de l’une des garanties de la procédure contradictoire, n’est pas fondée à soutenir que le vérificateur aurait, en utilisant une telle méthode, procédé à une taxation d’office de son bénéfice ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes de l’article L.57 du livre des procédures fiscales : « L’administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation… » ; que la notification de redressements du 17 décembre 1996 mentionne expressément que la procédure de redressement contradictoire prévue à l’article 55 du livre des procédures fiscales a été suivie ; que le vérificateur a également précisé que les redressements étaient fondés sur l’article 206-1 du code général des impôts et sur l’article 6-2 de la convention franco-suisse ; qu’ainsi, le moyen de la société Intranor, tiré de ce que le vérificateur n’a pas étayé sa taxation sur le code général des impôts et sur le livre des procédures fiscales manque en fait ;

Considérant, en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article L.59 du livre des procédures fiscales : « Lorsque le désaccord persiste sur les redressements notifiés, l’administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l’avis (…) de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires (…) » ; qu’aux termes de l’article L.59-A du même livre : « La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires intervient : 1° Lorsque le désaccord porte (…) sur le montant du bénéfice industriel et commercial, du bénéfice non commercial, du bénéfice agricole ou du chiffre d’affaires, déterminé selon un mode réel d’imposition (…) » ; que lorsqu’un contribuable demande que le désaccord qui l’oppose à l’administration soit soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d’affaires, l’administration n’est tenue de saisir cette commission que dans le cas où ce désaccord relève de sa compétence consultative ;

Considérant que dans sa réponse à la notification de redressements en date du 17 janvier 1997, la société Intranor, contrairement à ce qu’elle soutient, a seulement contesté le principe de son imposition en France ; qu’ainsi le désaccord entre la société et l’administration portait uniquement sur une question de droit échappant à la compétence consultative de la commission ; que, par suite, le défaut de saisine de la commission n’a pas privé la société d’une des garanties fondamentales de la procédure contradictoire ;

Considérant, en sixième lieu, que les irrégularités qui peuvent entacher la décision par laquelle l’administration des impôts a rejeté les réclamations de la contribuable, sont sans influence sur la régularité de la procédure d’imposition ; qu’il suit de là que le moyen selon lequel cette décision serait insuffisamment motivée, est, en tout état de cause, inopérant ;

Sur le bien fondé de l’imposition

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 239 octies du code général des impôts : « Lorsqu’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés a pour objet de transférer gratuitement à ses membres la jouissance d’un bien meuble ou immeuble, la valeur nette de l’avantage en nature ainsi consenti n’est pas prise en compte pour la détermination du résultat imposable et elle ne constitue pas un revenu distribué au sens des articles 109 à 111 » ; que la société qui n’établit pas qu’elle aurait pour objet statutaire un tel transfert ne saurait prétendre par l’effet de la clause d’égalité de traitement figurant à l’article 26 de la convention franco-suisse au bénéfice de cette exonération au titre des années litigieuses ;

Considérant, en second lieu, que la villa dont la société Intranor est propriétaire au Cap d’Antibes de plus de 200 m² habitables est construite sur un terrain d’environ 1600 m², avec piscine et comprend trois chambres, deux salles de bain, un séjour et une cuisine ; que pour reconstituer le bénéfice imposable de la société Intranor au titre des trois années vérifiées, l’administration a fixé la valeur locative de cette maison à la somme de 20 000 francs par mois par comparaison avec celle d’une autre maison située à proximité et celle de deux maisons situées dans le département, à défaut d’autres éléments de comparaison au Cap d’Antibes ;

Considérant, d’une part, que si la société conteste les termes de comparaison retenus, il résulte de l’instruction que les trois maisons choisies par l’administration sont, de par leurs caractéristiques, comparables à la villa appartenant à la société Intranor et que l’administration a adapté la valeur locative pour tenir compte de la situation particulière de la maison située au Cap d’Antibes ; que la société n’établit pas que la valeur locative fixée à 20 000 francs par mois serait erronée ;

Considérant, d’autre part, que la société Intranor n’établit ni même n’allègue que la maison n’aurait pas été mise à la dispositions de ses associés sur l’année entière, même si ces associés ne l’ont en fait occupée que pendant quelques mois au cours de chacune des années en litige ; qu’elle n’est donc pas fondée soutenir que l’administration a, à tort reconstitué le bénéfice dont elle s’est anormalement privée sur la base des loyers annuels qui auraient dû être perçus ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE est fondé à demander l’annulation des jugements attaqués et le rétablissement des impositions déchargées à tort par le tribunal ;

Sur les conclusions de la société Intranor tendant au paiement des intérêts moratoires et des frais visés aux article R.204 et suivants du livre des procédures fiscales :

Considérant qu’en l’absence de litige né et actuel avec le comptable du Trésor sur le paiement des intérêts moratoire ou sur le remboursement d’autres frais, les conclusions susanalysées ne sont pas recevables ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements du Tribunal administratif de Nice en date du 20 décembre 2001 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Intranor devant le Tribunal administratif de Nice sont rejetées.

Article 3 : L’impôt sur les sociétés et la contribution supplémentaire auxquels la société a été assujettie au titre des années 1992, 1993 et 1994 sont remis à sa charge.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE et à la société Intranor.

Copie en sera adressée au directeur de contrôle fiscal sud-est et à Me Y….

N° 02MA00893 – 02MA00894 2


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