Cour administrative d’appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, du 13 avril 2004, 03MA02450, inédit au recueil Lebon

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Cour administrative d’appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, du 13 avril 2004, 03MA02450, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 29 décembre 2003 sous le n° 03MA02450, présentée par la SA SOCIETE INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER (ISYCM) représentée par le Président de son Conseil d’administration, sise 11-13 rue Claude Pons, à Cannes (06400), par Me Balique, avocat au barreau de Paris ;

La SA ISYCM demande à la Cour :

1°/ de réformer le jugement n° 03-02711 en date du 25 novembre 2003 du Tribunal administratif de Nice en tant qu’il a rejeté sa requête en récusation de l’expert X ;

2°/ de prononcer la récusation de l’expert X ;

3°/ d’annuler les opérations d’expertise de M. X ainsi que le rapport d’expertise déposé par lui le 19 février 2003 ;

4°/ de condamner la ville de Cannes à lui verser la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

La requérante soutient :

– qu’il existe une raison sérieuse de mettre en doute l’impartialité de l’expert dès lors que celui-ci qui n’a aucune compétence ni expérience dans le domaine de l’entretien des installations portuaires composé d’ouvrages de génie civil et de réseaux divers est gérant de la société Planaria en situation de dépendance manifeste à l’égard de la Ville de Cannes demanderesse de la mission d’expertise aux conséquences financières considérables ;

– qu’elle apporte la preuve, eu égard aux pièces versées, de la dépendance juridique et économique de la société Planaria à l’égard de la Ville de Cannes, collectivité organisatrice du transport maritime régulier public des personnes pour la desserte de l’île Saint-Honorat ;

– que le fait que la ville n’ait pas rempli ses obligations légales à l’égard de la société est la manifestation de sa complaisance à l’égard de cette société qui bénéficie ainsi d’un monopole de fait ;

– que l’arrêté de police municipale du 10 juin 1987 contribue au monopole de la société Planaria ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe le 16 janvier 2004, par lequel la Ville de Cannes demande le rejet de la requête ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe le 19 janvier 2004, par lequel le Secrétaire d’Etat aux transports et à la mer demande le rejet de la requête ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré au greffe le 23 janvier 2004, par lequel la SOCIETE ISYCM confirme ses précédentes écritures ;

Vu le mémoire en intervention de l’association Objectif 2014, enregistré au greffe le 23 janvier 2004, par laquelle celle-ci demande l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a rejeté son intervention et demande de faire droit aux conclusions de la SOCIETE ISYCM ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2004 (après clôture) par lequel M. François X demande le rejet de la requête ;

Vu, enregistré au greffe le 10 mars 2004, le mémoire présenté pour le Secrétaire d’Etat aux transports et à la mer tendant aux mêmes fins que son mémoire précédent par les mêmes moyens ;

Vu, enregistré au greffe le 24 mars 2004, le mémoire présenté pour l’association Objectif 2014 ;

Vu, enregistré au greffe le 25 mars 2004, deux nouveaux mémoires présentés pour la Ville de Cannes (mémoires enregistrés le 29 mars après clôture) ;

Vu, enregistré au greffe le 26 mars 2004, le nouveau mémoire présenté pour la SOCIETE ISYCM ;

Vu, enregistré au greffe le 26 mars 2004, le nouveau mémoire présenté pour l’association Objectif 2014 ;

Vu, enregistré au greffe le 2 avril 2004, la note en délibéré présentée pour la Ville de Cannes et tendant aux mêmes fins que ses précédents mémoires, par les mêmes moyens et en outre par les moyens que c’est seulement au stade de l’appel que l’association invoque pour la première fois sa qualité d’usagers du port et que le commissaire du gouvernement s’est trompé sur la propriété de l’île Saint-Honorat et sur la compétence légale de la ville pour organiser la desserte de l’île laquelle n’est pas titulaire d’un contrat de concession pour l’exploitation des appontements situés sur le domaine public maritime ;

Vu, enregistrée le 7 avril 2004, la note en délibéré présentée pour l’association Objectif 2014 tendant aux mêmes fins que ses mémoires précédents, par les mêmes motifs et contestant en outre la recevabilité de la note en délibéré de la Ville de Cannes ;

Vu, enregistrée le 8 avril 2004, la note en délibéré présentée pour la société ISYCM par laquelle celle-ci soulève l’irrecevabilité de la note en délibéré de la Ville de Cannes ;

Vu, enregistrée le 13 avril 2004, la note en délibéré présentée pour la Ville de Cannes tendant aux mêmes fins que ses précédents mémoires et réfutant les arguments présentés par la société ISYCM dans sa note en délibéré ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 mars 2004 :

– le rapport de M. Duchon-Doris, président assesseur ;

– les observations de la société Balique pour la SOCIETE INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER, de Me Germani pour l’association Objectif 2014, de Me Leroy-Freschini pour la Commune de Cannes ;

– et les conclusions de M. Bedier, premier conseiller ;

Considérant que le magistrat délégué chargé des référés près le Tribunal administratif de Nice a, par ordonnance du 12 octobre 2001, à la demande de la Ville de Cannes, désigné M. François X pour réaliser une expertise destinée à apprécier l’état général des ouvrages portuaires dont la création et l’exploitation sont concédées à la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER et du coût de l’éventuelle remise en état desdits ouvrages ; que l’expert a remis, aux termes d’opérations d’expertise qui se sont déroulées du 25 mars 2002 au 18 février 2003, un rapport enregistré au greffe de cette juridiction le 19 février 2003 ; que la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER (ISYCM) demande à la Cour d’annuler le jugement en date du 25 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à la récusation de l’expert et à l’annulation des opérations d’expertise ; que l’association Objectif 2014 demande également l’annulation de ce jugement en tant qu’il a rejeté comme irrecevable son intervention ;

Sur l’intervention de l’association Objectif 2014 :

Considérant que l’association Objectif 2014 a pour objet social la gestion de la crise qui résulte de la décision de la Ville de Cannes de prononcer la déchéance de la concession signée avec la SOCIETE INTERNATIONAL SPORTING YACHTING CLUB DE LA MER second port de Cannes dans le respect des droits des actionnaires conférés par le cahier des charges d’origine et ses avenants jusqu’en 2014 ; que s’il ressort de l’article 5 de ses statuts que l’association n’admet comme membres que les actionnaires de la SA ISYCM, ceux-ci qui sont par ailleurs usagers du port, ont un intérêt distinct de celui que défend la société elle-même à intervenir dans la présente instance ; que par suite, l’association est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il rejette son intervention ;

Sur la recevabilité des conclusions d’appel présentées par la SOCIETE ISYCM et par l’association Objectif 2014 :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que tant la requête d’appel de la SOCIETE ISYCM que le mémoire d’appel en intervention présentés par l’association Objectif 2014 ainsi que leurs mémoires ultérieurs comportent une véritable critique du jugement de première instance ; que par suite, la Ville de Cannes n’est pas fondée à soutenir que la requête de la SOCIETE ISYCM et le mémoire de l’association Objectif 2014 devraient être rejetés comme irrecevables pour défaut de critique des motifs retenus par les premiers juges ;

Sur les conclusions tendant à la récusation de l’expert désigné :

Considérant qu’aux termes de l’article R.621-6 du code de justice administrative : les experts ou sapiteurs mentionnés à l’article R.621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. S’il s’agit d’une personne morale, la récusation peut viser tant la personne morale elle-même que la ou les personnes physiques qui assurent en son nom l’exécution de la mesure. La partie qui entend récuser l’expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation. Si l’expert ou le sapiteur s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ; qu’aux termes enfin de l’article L.721-1 du même code : La récusation d’un membre de la juridiction est prononcée à la demande d’une partie s’il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité ;

Considérant que pour demander la récusation de M. François X, la SOCIETE ISYCM soutient en appel d’une part que celui-ci n’avait pas de compétence particulière pour effectuer les opérations d’expertise, d’autre part que celui-ci était dans une situation de dépendance juridique et économique par rapport à la Ville de Cannes ;

En ce qui concerne les conclusions en récusation fondées sur l’absence de compétence de l’expert :

Considérant que la SOCIETE ISYCM ne critique pas en appel le motif de rejet retenu sur ce point par le Tribunal administratif de Nice et tiré de ce que ce motif de récusation était connu de la société à la date de communication du rapport d’expertise et qu’en conséquence, à défaut d’avoir été soulevé dès la révélation de sa cause comme exigé par les dispositions de l’article R.621-6 précité du code de justice administrative, un tel motif ne peut être utilement évoqué devant le juge ; que, par suite et en toute hypothèse, les conclusions de la SOCIETE ISYCM sur ce point ne peuvent être que rejetées ;

En ce qui concerne les conclusions en récusation fondées sur la situation de dépendance de l’expert :

Considérant en premier lieu qu’il ne résulte pas de l’instruction que la SOCIETE ISYCM ait eu connaissance des éléments sur lesquels elle appuie cette demande en récusation avant la date de l’audience de référé-provision qui s’est tenue au Tribunal administratif de Nice le 4 juin 2003 au cours de laquelle les responsabilités exercées par l’expert dans la société Planaria ont été évoquées ; que par suite, le recours en récusation exercé dès le 6 juin 2003 ne peut être regardé comme tardif ; que la Ville de Cannes n’est dès lors pas fondée à soutenir que les conclusions sur ce point de la SOCIETE ISYCM sont irrecevables et auraient dû être rejetées par les premiers juges ;

Considérant en second lieu qu’il résulte de l’instruction que M. François X est le gérant de la société Planaria dont l’objet est notamment, aux termes de ses statuts, le transport des visiteurs et des marchandises exclusivement de Cannes à Saint-Honorat, aller retour, afin d’assurer le désenclavement et préserver le caractère monastique de l’Ile Saint Honorat et la vente des billets nécessaires audit transport et dont l’unique associé est la Congrégation des Cisterciens de l’Immaculée Conception laquelle est bénéficiaire d’une concession en date du 24 août 1989 relative à l’aménagement, l’entretien et l’exploitation d’ouvrages d’accostage sur le littoral de l’Ile Saint Honorat ; que par arrêté en date du 9 juin 1987, réglementant les conditions de navigation dans le port de Cannes, la Ville de Cannes a réservé l’accès de l’Ile Saint Honorat aux seuls bateaux de la société Planaria ; que par jugement en date du 15 avril 2003, le Tribunal administratif de Nice a relevé que ladite société bénéficie ainsi du monopole de fait du transport des passagers à l’Ile Saint Honorat organisé en mission d’intérêt général ayant pour but d’assurer la continuité territoriale permettant notamment l’accès au domaine public et à un site remarquable ; qu’en application des dispositions combinées des articles 48-1 à 48-3 de la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs et de l’article 116-I de la loi n° 2002-267 du 27 février 2002, lesquelles précisent que les transports maritimes réguliers publics de personnes et de biens pour la desserte des îles sont organisés par le département et, dans les cas où l’île desservie appartient, comme en l’espèce, à une commune continentale, par cette dernière, la commune de Cannes doit être regardée comme la collectivité organisatrice d’un tel service public de transport et à ce titre susceptible d’exercer à l’égard de la société Planaria toutes les prérogatives attachées à cette qualité ; que ni la circonstance à la supposer établie que la ville ne soit propriétaire d’aucune parcelle sur l’Ile Saint-Honorat, ni la circonstance que la compétence en matière de transport public soit exercée par un syndicat intercommunal des transports publics depuis 1954 ne sont de nature à modifier une telle analyse ; que par suite, eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la SOCIETE ANONYME INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER est en droit de faire valoir que M. X, gérant de la société Planaria, n’était pas dans une situation totalement indépendante à l’égard de la Ville de Cannes et qu’il y a de ce fait une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité ; qu’elle est dès lors fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à la récusation de l’expert ; qu’il y a lieu en conséquence d’annuler ledit jugement, de déclarer fondée la demande de récusation présentée par la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER et de renvoyer les parties devant le Tribunal administratif de Nice pour qu’il soit procédé au remplacement de M. X ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation des opérations d’expertise :

Considérant que la récusation de l’expert désigné par ordonnance du 12 octobre 2001 a pour conséquence de rendre irrégulières les opérations d’expertise réalisées par celui-ci ; que par suite, la société requérante est fondée à demander l’annulation des opérations d’expertise par voie de conséquence de la récusation de l’expert désigné pour les accomplir ;

Sur les conclusions relatives aux frais irrépétibles :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, par application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner la Ville de Cannes à payer à la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER et à l’association Objectif 2014 la somme de 1.000 euros chacune au titre des frais supportés par elles et non compris dans les dépens ;

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 25 novembre 2003 est annulé.

Article 2 : L’intervention de l’association Objectif 2014 est admise.

Article 3 : La demande de récusation de M. François X, expert, désigné par ordonnances du magistrat délégué en date du 12 octobre 2001 est acceptée.

Article 4 : Les opérations d’expertise effectuées en application de la précédente expertise par M. François X sont annulées.

Article 5 : Les parties sont renvoyées devant le Tribunal administratif de Nice pour qu’il soit procédé à la désignation d’un nouvel expert.

Article 6 : La Ville de Cannes est condamnée à verser à la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER et à l’association Objectif 2014 une somme de 1.000 euros (mille euros) chacune au titre des frais irrépétibles.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la SA INTERNATIONAL SPORTING CLUB DE LA MER, à la Ville de Cannes, à M. François X, à l’association Objectif 2014 , et au ministre de l’équipement, des transports, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Délibéré à l’issue de l’audience du 30 mars 2004, où siégeaient :

M. Bernault, président,

M. Duchon-Doris, président assesseur,

M. Dubois, premier conseiller,

assistés de Mme Giordano, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 13 avril 2004.

Le rapporteur,

Signé

Jean-Christophe Duchon-Doris

Le président,

Signé

François Bernault

Le greffier,

Signé

Danièle Giordano

La République mande et ordonne au ministre de l’équipement, des transports, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la mer en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

Classement CNIJ : 54-04-02-02-01-02

C+

2

N° 03MA02450


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