Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 27 mai 2011, présentée pour la SA Homair Vacances, dont le siège est 570 avenue du club hippique, immeuble Le Derby, à Aix-en-Provence (13097) cedex 02, par Me Krasnopolski ;
La SA Homair Vacances demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0905038 du 15 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, d’une part, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des intérêts de retard, d’un montant total de 247 510 euros, et, d’autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts de retard, d’un montant total de 198 739 euros, mis à sa charge au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2006 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 35 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier;
Vu la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires-système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 20 décembre 2013,
– le rapport de Mme Markarian, rapporteur ;
– les conclusions de M. Maury, rapporteur public ;
– et les observations de Me Krasnopolski, avocat de la SA Homair Vacances ;
1. Considérant que la SA Homair Vacances, anciennement dénommée Homair Holding, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2005 au 31 décembre 2007 à l’issue de laquelle l’administration fiscale a remis en cause le caractère déductible d’honoraires de conseils d’un montant total hors taxes de 938 870 euros ; que des impositions supplémentaires au titre de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée de l’exercice clos le 30 septembre 2006 assorties des intérêts de retard ont été par suite mises à sa charge ; que la SA Homair Vacances relève appel du jugement du 15 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie ainsi que des intérêts de retard les assortissant, d’un montant total de 446 249 euros ;
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés :
2. Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 39 du code général des impôts applicable en matière d’impôts sur les sociétés en application de l’article 209 du même code : » Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (…) » ; qu’il appartient au contribuable, pour l’application de ces dispositions, de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net défini à l’article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée ; que dans l’hypothèse où le contribuable s’acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s’il s’y croit fondé, d’apporter la preuve de ce que la charge en cause n’est pas déductible par nature, qu’elle est dépourvue de contrepartie, qu’elle a une contrepartie dépourvue d’intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;
3. Considérant qu’en vertu de ces principes, lorsqu’une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n’est pas contestée par l’administration, celle-ci peut demander à l’entreprise qu’elle lui fournisse tous éléments d’information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l’entreprise n’aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d’explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l’administration devant alors fournir au juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l’impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l’administration ;
4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SAS Montefiore Investment, agissant au nom et pour le compte de la SAS Montefiore Investment Hotels et Leisure III, société d’investissement dans le domaine de l’hôtellerie et du loisir, qu’elle conseillait, a, à compter du mois de mai 2005, entrepris des négociations avec la SA Ingénierie Loisirs Développement en vue de l’acquisition des titres de cette dernière par une holding de reprise ; qu’un protocole d’acquisition des titres de la SA Ingénierie Loisirs Développement par la société Homair Holding, créée à cette fin le 28 octobre 2005 et immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 9 novembre 2005, a été signé le 2 décembre suivant entre les actionnaires de la SA Ingénierie Loisirs Développement, la SAS Montefiore Investment, agissant au nom et pour le compte de la SAS Montefiore Investment Hotels et Leisure III, principal actionnaire de la société Homair Hodling, et de nouveaux actionnaires ; que la société Homair Holding, qui est devenue, conformément à ce que prévoyait le protocole du 2 décembre 2005, une société anonyme, dénommée Homair Vacances, par décision de son assemblée générale du 27 avril 2007, a inscrit dans ses charges, au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2006, quatre factures d’honoraires de prestataires juridiques et financiers ;
En ce qui concerne les factures de la société d’expertise comptable Fiduciaire de la Rive Gauche et des cabinets d’avocats Cohen et Sitri :
5. Considérant que l’administration a réintégré, au résultat de l’exercice clos le 30 septembre 2006 de la SA Homair Holding, une facture de la société d’expertise comptable Fiduciaire de la Rive Gauche émise le 31 décembre 2005 d’un montant hors taxes de 72 225 euros, une facture du cabinet d’avocats Alain Sitri et associés émise le 31 décembre 2005 d’un montant hors taxes de 10 000 euros et une facture du cabinet d’avocat Cohen émise le 11 janvier 2006 d’un montant hors taxes de 156 645 euros ; que ces factures, qui ont été honorées par la société Homair Holding, correspondent à des prestations de conseil et d’assistance juridiques, comptables, fiscaux et financiers en vue de l’évaluation et de la réalisation de l’objectif de cession des actions de la SA Ingénierie Loisirs Développement au bénéfice de la société Homair Holding, et notamment de participation aux négociations préalables et de vérification des valeurs d’apport et de certification des comptes ;
6. Considérant que la société requérante établit ainsi par des justifications suffisantes l’existence et la valeur des prestations fournies ainsi que l’inscription en comptabilité des charges en litige ; que toutefois l’administration, qui ne remet en cause ni la réalité des prestations faisant l’objet de ces trois factures, ni la régularité de leur émission, ni leur paiement effectif par la société Homair Holding, soutient, pour regarder les charges ainsi facturées comme ne correspondant à aucune contrepartie effective pour cette société, d’une part, que ces frais ont été engagés pour l’essentiel avant la constitution de celle-ci et, d’autre part, que ces frais ont été engagés dans le seul intérêt des actionnaires de la SA Ingénierie Loisirs Développement ou des investisseurs, futurs actionnaires de la société Homair Holding ;
7. Considérant que les prestations litigieuses avaient pour objet de s’assurer de la viabilité du projet d’investissement et de préparer l’acquisition des actions de la SA Ingénierie Loisirs Développement par une holding de reprise et présentaient ainsi un intérêt propre pour la société Homair Holding, dont elles justifiaient la constitution en vue de la réalisation de cette opération ; que cette holding de reprise de titres a créé ultérieurement, soit à compter du 1er octobre 2006, le groupe dont elle est devenue la société mère avec pour filiale la SA Ingénierie Loisirs Développement ; que si l’administration soutient que les honoraires de conseil ne peuvent être regardés comme des frais d’acquisition des titres de la SA Ingénierie Loisirs Développement par la société Homair Holding et doivent s’analyser comme des frais de cession incombant aux actionnaires de la SA Ingénierie Loisirs Développement, que la SAS Montefiore Investment Hotels et Leisure III a accepté, en signant le protocole du 2 décembre 2005, de mettre à la charge de la société Homair Holding dont elle allait devenir le principal actionnaire, la société requérante soutient à juste titre que tant le plan comptable général que la doctrine administrative résultant de l’instruction 4A-13-05 du 30 décembre 2005 alors applicable autorisent le traitement des honoraires de conseils comme des frais d’acquisition de titres ; qu’alors même que ces prestations auraient été de nature à satisfaire les intérêts des actionnaires, le cabinet Alain Sitri étant également le conseil du dirigeant de la SA Ingénierie Loisirs Développement, et que des contacts auraient eu lieu entre les avocats de celle-ci et ceux des investisseurs, ce qui apparaît au demeurant favorable à la réussite de l’opération, cette circonstance n’établit pas que les prestations en cause qui devaient être supportées par la société Homair Holding, aux termes de l’article 7.3 du protocole du 2 décembre 2005, approuvé par l’assemblée générale mixte du 5 janvier 2006 de la société holding, auraient été dépourvues de contrepartie pour cette dernière, qui a d’ailleurs procédé elle-même le 5 janvier 2006 à l’acquisition des titres de la SA Ingénierie Loisirs Développement qui figurent désormais à son actif ; que la société requérante souligne que c’est elle qui bénéficie directement des dividendes versés par la SA Ingénierie Loisirs Développement et de l’accroissement de la valeur de sa participation dans cette dernière société ; que, dans ces conditions, et alors même que les prestations en cause ont été pour l’essentiel réalisées avant même la constitution de la société Homair Holding, l’administration ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que les prestations réalisées n’auraient pas présenté de contrepartie pour cette société ;
En ce qui concerne la facture de la société Montefiore Investment :
8. Considérant que l’administration a également réintégré, au résultat de l’exercice clos le 30 septembre 2006 de la société Homair Holding, une facture de la SAS Montefiore Investment du 15 janvier 2006, qu’elle a réglée, d’un montant de 700 000 euros hors taxes, portant sur » des honoraires de conseil et d’arrangement d’opération conformément au protocole d’acquisition signé le 5 janvier 2006 » ; que la SAS Montefiore Investment a indiqué que les prestations facturées, rendues en sa qualité de conseil, avaient été indispensables à la conduite d’une opération de cette envergure et recouvraient la négociation et la coordination de la transaction, l’analyse de l’activité du groupe cible, l’estimation de la valeur potentielle de ce groupe, la négociation notamment avec les vendeurs des titres de la SA Ingéniérie Loisirs Développement et la coordination des travaux de tous les autres prestataires intervenant dans le cadre de l’opération ;
9. Considérant que l’administration fiscale a reproché à cette facture de ne pas démontrer la réalité et le coût de la dépense correspondant au seul motif qu’elle ne détaillait pas la consistance des prestations facturées, notamment le nombre d’heures de travail et de personnes ayant participé à ces prestations ainsi que leur taux horaire ; que la société Homair Holding a objecté que la mission de la SAS Montefiore Investment s’était déroulée pour l’essentiel à l’occasion de multiples négociations avec les différentes parties et, essentiellement immatérielle, s’accommodait mal de traces écrites ; qu’elle a néanmoins produit un rapport de 61 pages, établi par la SAS Montefiore Investment et daté d’octobre 2005, synthétisant les études stratégiques, les négociations, les audits comptables et juridiques menés en vue de l’opération d’investissement projetée ; que l’administration soutient également que la divergence des explications fournies par la société requérante concernant les modalités d’établissement du montant de la facture démontre que la requérante n’est pas en mesure de fournir un détail suffisamment précis des prestations facturées ; que si la SA Homair Vacances a, dans son courrier du 11 août 2008, indiqué que le montant de la facture en cause correspondait au travail de deux personnes ayant travaillé à plein temps pendant trois mois alors qu’elle a fait état d’une durée de quatre mois et demi devant le tribunal, la société requérante précise que cette estimation approximative n’avait pour finalité, en tout état de cause, que de démontrer le degré d’implication de la SAS Montefiore Investment dans l’opération envisagée ; que la société requérante soutient à cet égard, et sans être contredite, que la pratique des affaires en la matière conduit à facturer des honoraires, conditionnés par la réalisation de l’opération globale dépassant la seule acquisition des titres de la SA Ingénierie Loisirs Développement, correspondant à une commission se situant entre 2, 5 % et 5 % de la valeur d’entreprise qu’elle estimait à 32, 5 millions d’euros dans sa demande de première instance pour ainsi justifier le montant de la facture litigieuse ; que l’absence de frais de personnel déclarés par la SAS Montefiore Investment et le recours présumé à des intervenants extérieurs, invoqués par l’administration, ne permettent pas de mettre en doute la réalité des prestations, dès lors que la SA Homair vacances explique qu’elles ont été accomplies sans rémunération par deux mandataires sociaux de la SAS Montefiore Investment, experts financiers et spécialistes du secteur de l’hôtellerie ;
10. Considérant, par ailleurs, que pour regarder les prestations ainsi facturées par la SAS Montefiore Investment comme ne correspondant à aucune contrepartie pour la société Homair Holding, l’administration remarque que cette société était cosignataire du protocole conclu le 2 décembre 2005, en tant que représentante de la SAS Montefiore Investment Hotels et Leisure III, alors que la SA Homair Holding, pourtant constituée à cette date, ne l’était pas ; que toutefois cette circonstance ne suffit pas à établir que les prestations litigieuses ont été étrangères à l’intérêt propre de la société Homair Holding, comme il a été développé aux points 5 à 7 ; que si l’administration ajoute que la SAS Montefiore Intvestment a émis la facture en cause d’un montant de 700 000 euros hors taxes et s’est engagée en application de l’article 7-4 du protocole du 2 décembre 2005 à verser à la société requérante une subvention d’un montant de 701 665, 10 euros, qui correspondrait à la prise en charge de ses propres prestations, il résulte de l’instruction que cette subvention a été accordée à la société requérante non pas par la SAS Montefiore Investement, qui n’est pas investisseur, mais par la SAS Montefiore Investment Hotels et Leisure III ; que, dans ces conditions, et compte tenu notamment du caractère immatériel des prestations effectuées, l’administration n’apporte pas d’éléments qui seraient de nature à laisser penser que la rémunération de la SAS Montefiore Intvestment constituerait une pure libéralité consentie exclusivement dans un intérêt autre que celui de la société Homair Holding ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est dès lors à tort que la somme totale de 938 870 euros correspondant à ces quatre factures d’honoraires a été rapportée aux résultats imposables de l’exercice 2006 ;
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
12. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 256 du code général des impôts : » I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens meubles et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (…) ; qu’aux termes de l’article 271 de ce code : » 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d’une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (…) » ; qu’aux termes de l’article 230 de l’annexe II au même code, dans sa rédaction applicable à la période d’imposition en litige : » 1. La taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens et services que les assujettis à cette taxe acquièrent ou qu’ils se livrent à eux-mêmes n’est déductible que si ces biens et services sont nécessaires à l’exploitation (…) » ;
13. Considérant que l’administration a remis en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les honoraires versés par la société Homair Holding à la société d’expertise comptable Fiduciaire de la Rive Gauche, aux cabinets d’avocats Cohen et Sitri et à la SAS Montefiore Investment ; que les frais d’honoraires litigieux facturés à la société Homair Holding ayant été exposés dans l’intérêt de l’exploitation de cette dernière et pour les besoins de sa propre activité, comme il a été dit aux points 5 à 11, sont réputés faire partie de ses frais généraux ; que la société Homair Holding était par suite en droit de déduire la taxe ayant grevé ces dépenses ;
14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SA Homair Vacances est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés à hauteur de 247 510 euros et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 198 739 euros, auxquels elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2006 ;
15. Considérant, que dans les circonstance de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Homair Vacances et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2011 est annulé.
Article 2 : La SA Homair Vacances est déchargée des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis des intérêts de retard auxquels elle a été assujettie au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2006 pour un montant total de 446 249 euros.
Article 3 : L’Etat versera à la SA Homair Vacances une somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Homair Vacances et au ministre de l’économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
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11MA02067