Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 9 août 1993 et le 20 octobre 1993, présentés pour l’établissement public GAZ DE FRANCE dont le siège est …, représenté par son directeur général en exercice, par la SCP COUTARD-MAYER, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation ;
GAZ DE FRANCE demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement en date du 27 mai 1993 par lequel le tribunal administratif de Marseille l’a condamné à verser au Centre Mutuel la somme de 12 291 958,73 francs assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation en réparation des conséquences dommageables de l’explosion qui s’est produite le 11 janvier 1981 dans l’ensemble immobilier « La Maison blanche » à Marseille, et mis à sa charge les frais d’expertise ;
2°) de rejeter la demande du Centre Mutuel ou, au moins, de réduire le montant de l’indemnité accordée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 15 mars 1995 :
– le rapport de M. MILLET, conseiller ;
– les observations de Me COUTARD, avocat de GAZ DE FRANCE, et de Me SCHRECKENBERG, avocat du centre mutuel ;
– et les conclusions de M. BONNAUD, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, le 11 janvier 1981 vers 21 heures, une explosion s’est produite dans le bâtiment F de la résidence « Maison Blanche » à Marseille (14°), provoquant le décès de huit personnes, blessant de nombreuses autres et entraînant d’importants dégâts matériels ; qu’il résulte de l’instruction et notamment des différents rapports d’expertise produits au dossier que, peu de temps auparavant, un appel téléphonique a signalé aux services de GAZ DE FRANCE une forte odeur de gaz ; qu’après l’accident les recherches effectuées sur la canalisation principale desservant les immeubles ont révélé une cassure de la conduite en fonte située sous le trottoir au droit du lieu de l’explosion ; que celle-ci était enfouie dans un remblai très instable ayant nécessité, en 1979, l’intervention des services municipaux pour combler un affaissement ; que seul l’un des tronçons de la canalisation s’est effondré de plusieurs centimètres au lieu du sinistre sans mouvement apparent du sol en aval et en amont de la cassure ; que l’analyse de cette conduite a révélé son oxydation en surface et sa corrosion en sous-couche ; que la porosité du sol et la présence proche d’un joint de dilatation entre les immeubles peuvent expliquer le cheminement du gaz jusqu’aux caves où l’explosion s’est produite, probablement déclenchée par la machinerie de l’ascenseur située au sous-sol ;
Considérant que ces constatations et conclusions ne sont pas remises en cause par la circonstance que les agents de GAZ DE FRANCE, présents sur les lieux après l’explosion, n’auraient pas décelé d’odeur de gaz dans les décombres où se trouvaient tous les produits d’une droguerie située au rez-de-chaussée ; que l’affirmation de contrôles négatifs après l’accident, ainsi que les mesures de prévention effectuées en 1980, ne sont, en tout état de cause, établis par aucune pièce du dossier ; que l’éventualité d’une imputabilité de l’explosion survenue au sous-sol, à du gaz butane contenu dans des bouteilles stockées, au rez-de-chaussée, dans la droguerie, n’est confirmée par aucun élément de fait ; que, notamment, l’allégation selon laquelle l’explosion résulterait non d’une déflagration mais d’une détonation que le gaz naturel ne pourrait en aucune circonstance provoquer, n’est pas démontrée ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ensemble de ces circonstances constitue un faisceau d’indices concordants permettant de considérer comme établi l’existence d’un lien de cause à effet entre l’accident et une fuite de gaz naturel en provenance des ouvrages de GAZ DE FRANCE, à l’égard desquels le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier « La Maison blanche » aux droits duquel son assureur, la société le centre mutuel, est subrogé, avait la qualité de tiers ;
Sur le préjudice :
Considérant que l’assureur, subrogé dans les droits de la victime à concurrence des indemnités qu’il a versées, ne peut, quelles que soient les clauses du contrat d’assurances, faire valoir à l’encontre du tiers responsable d’autres droits que ceux que détient son assuré ; que dans le cas de dommages immobiliers, la somme à laquelle peut être tenu le tiers responsable ne peut excéder la valeur vénale de l’immeuble ; qu’il résulte de l’instruction que la compagnie d’assurances « Le Centre Mutuel » a versé au syndicat des copropriétaires de la résidence « Maison blanche », en exécution d’un contrat « multirisques », une somme de 12 292 888 francs correspondant à des pertes de loyers, aux travaux de prévention des risques inhérents à l’état des immeubles après l’explosion, au coût de reconstruction des bâtiments E et F sinistrés sous déduction de la vétusté, ainsi qu’aux frais de réparation des autres immeubles ; que, s’agissant des dommages, l’indemnité due à la compagnie d’assurances « Le Centre Mutuel » ne peut excéder le montant des travaux nécessaires à la remise en état des immeubles, dans la limite, pour les travaux de réparation proprement dits, de la valeur vénale desdits immeubles ; qu’en l’espèce, cette valeur doit être appréciée non pas au regard de la valeur de l’ensemble immobilier, mais en fonction de celle des bâtiments E et F, distincts des autres blocs d’immeubles auxquels ils sont seulement accolés ; que les pièces du dossier ne permettent pas à la cour de déterminer le préjudice indemnisable ; qu’il y a lieu, en conséquence, avant de statuer sur les conclusions de la requête relatives à l’étendue du préjudice, d’ordonner une expertise en vue de déterminer, par bâtiment, le coût de l’ensemble des travaux de prévention et de réparation nécessaires à la remise en état des immeubles de la résidence « Maison blanche », ainsi que, le cas échéant, les pertes de loyers subies par le syndicat de la copropriété et d’évaluer la valeur vénale au jour du sinistre, indépendamment de la valeur du sol, des seuls bâtiments E et F de la résidence ;
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de GAZ DE FRANCE relatives à l’étendue du préjudice de la compagnie d’assurances « Le Centre Mutuel », procédé par un expert désigné par le président de la cour à une expertise en vue de déterminer, par bâtiment, le coût de l’ensemble des travaux de prévention et de réparation nécessaires à la remise en état des immeubles de la résidence « Maison blanche », ainsi que, le cas échéant, les pertes de loyers subies par le syndicat de la copropriété et d’évaluer la valeur vénale au jour du sinistre, indépendamment de la valeur du sol, des seuls bâtiments E et F de la résidence.
Article 2 : L’expert prêtera serment par écrit. Le rapport d’expertise sera déposé au greffe de la cour dans le délai de quatre mois suivant la prestation de serment.
Article 3 : Les frais d’expertise sont réservés pour y être statué en fin d’instance.