Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 avril 1998, présentée pour Mme Z… et la succession de M. Daniel Z…, demeurant …, par Me X…, avocat au barreau de Paris ;
Les consorts Z… demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 941139 du Tribunal administratif de Dijon en date du 24 février 1998 qui ne leur a accordé qu’une décharge partielle des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles M. et Mme Z… ont été assujettis au titre des années 1985 à 1987 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions restant en litige ;
3 ) de condamner l’Etat à leur verser une somme de 30 000 francs au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; —- —- —- —- —- —- —- —- —- —- Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 portant loi de finances pour 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 mai 2001:
– le rapport de M. GAILLETON, premier conseiller ;
– et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;
Sur la requête des consorts Z… :
Considérant que la société de fait PRATI-MARTIN, dont les deux associés, M. Daniel Z… et son gendre, M. Christian Y…, détenaient chacun la moitié des droits sociaux, a exercé jusqu’au 31 décembre 1986 une activité d’entreprise de maçonnerie et de travaux du bâtiment ; qu’à compter du 1er janvier 1987, elle a eu une activité de loueur de fonds à la suite de la création de la SA PRATI-MARTIN qui exerce seule l’activité d’entreprise générale du bâtiment tout en versant un loyer à la société de fait ; que cette dernière a fait l’objet du 12 octobre 1988 au 10 mars 1989 d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos au 31 décembre des années 1985 à 1987 ; que la comptabilité de la SA PRATI-MARTIN, dont M. Daniel Z… était actionnaire, a également été vérifiée du 23 janvier au 17 mars 1989 pour le seul exercice clos en 1987 ; qu’à l’issue de ces deux vérifications de comptabilité, l’administration a effectué des redressements qu’elle a notifiés respectivement aux deux sociétés suivant la procédure contradictoire ; qu’elle a également tiré les conséquences de cette vérification en rehaussant les revenus de M. et Mme Z… selon la même procédure ;
En ce qui concerne la motivation des notifications de redressement :
Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales : « L’administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation … – Lorsque l’administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée » ;
Considérant qu’il résulte de leurs énonciations que les notifications de redressement adressées à la société de fait PRATI-MARTIN les 19 décembre 1988 et 20 juillet 1989 indiquaient les raisons pour lesquelles la comptabilité présentée n’avait pu être regardée comme probante, ainsi que la nature et les motifs des divers redressements envisagés, en précisant pour chacun d’eux les circonstances de droit et de fait les justifiant au regard des opérations réalisées ; qu’en ce qui concerne plus particulièrement le redressement relatif aux frais de sous-traitance, celui-ci était motivé par la différence constatée entre la somme globale comptabilisée à ce titre, et le montant total des factures qui avaient été présentées au vérificateur et dont la liste était indiquée ; que le redressement résultant de la réintégration dans les résultats de l’entreprise des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents à chaque exercice était quant à lui suffisamment motivé par le profit résultant de la conservation par l’entreprise de la taxe collectée pour le compte du Trésor ; que la circonstance que le vérificateur ait repris, dans la notification du 23 mai 1989, les redressements envisagés au titre de l’exercice clos en 1985 dans la notification interruptive de prescription du 19 décembre 1988, en modifiant les motifs, reste en elle-même sans incidence sur la régularité formelle de la motivation de la notification du 19 décembre 1988 au regard de l’article L. 57 précité ; que les notifications satisfaisaient, par suite, aux prescriptions de cet article ; qu’il en est de même de la réponse de l’administration aux observations de la société de fait, laquelle indiquait avec suffisamment de précision les motifs de droit et de fait qui avaient conduit le vérificateur a maintenir les redressements en litige ;
Considérant que s’il est vrai que les notifications adressées à M. et Mme Z…, respectivement les 19 décembre 1988 et 20 juillet 1989, comportaient en revanche, en ce qui concerne la fraction des bénéfices industriels et commerciaux perçus par l’intéressé comme associé de la société de fait PRATI-MARTIN, une motivation très sommaire qui se bornait à se référer aux rehaussements notifiés à cette société, les consorts Z… ne sont pas fondés, eu égard aux modalités selon lesquelles les résultats d’une société de fait doivent être imposés conformément aux dispositions de l’article 8 du code général des impôts, à soutenir que la motivation de ces notifications serait insuffisante ;
En ce qui concerne la prescription :
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales : « Pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due », et qu’aux termes de l’article L. 189 du même livre : « La prescription est interrompue par la notification d’une proposition de redressement … » ;
Considérant, en premier lieu, que, pour soutenir que les notifications de redressement, qui leur ont été adressées à l’intérieur du délai de reprise prévu à l’article L. 169, n’ont pu néanmoins interrompre la prescription ni, par suite, ouvrir un nouveau délai de reprise, les consorts Z… soutiennent que les notifications adressées à la société de fait étaient irrégulières au motif qu’elles méconnaissaient à la fois les dispositions de l’article 101-I de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989, portant loi de finances pour 1990 codifiées à l’article L. 48 du livre des procédures fiscales, imposant à l’administration d’indiquer spontané-ment, dans la notification de redressement prévue à l’article L. 57 du même livre, le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces redressements, ainsi que celles issues de son article 101-II, codifiées à l’article L. 77 du livre des procédures fiscales, faisant obligation à l’administration, en cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d’affaires et de l’impôt sur le revenu, de notifier l’assiette de ce dernier, déduction faite du supplément éventuel de taxes sur le chiffre d’affaires afférent à un même exercice ;
Mais considérant qu’aux termes de l’article 108 de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 portant loi de finances pour 1993, dont les dispositions du I ont été reprises à l’article L. 284 du livre des procédures fiscales : » I – Sauf disposition contraire, les règles de procédure fiscale ne s’appliquent qu’aux formalités accomplies après leur date d’entrée en vigueur, quelle que soit la date de mise en recouvrement des impositions. – II. Les dispositions du I s’appliquent aux formalités accomplies avant la publication de la présente loi. »; qu’il résulte de ces dispositions que le respect des garanties mentionnées ci-dessus, désormais accordées aux contribuables par la loi du 29 décembre 1989, ne s’impose à l’administration que pour les actes de procédures qu’elle a accomplis après la date d’entrée en vigueur de ladite loi ; que, dès lors, le moyen invoqué par les requérants et tiré de ce que les irrégularités dont sont entachées les notifications de redressement n’ont pas interrompu la prescription est inopérant sur le terrain de loi fiscale, compte tenu des dates auxquelles lesdites notifications sont intervenues ;
Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de l’instruction administrative n° 13 A-1-92 du 19 juin 1992, selon laquelle « la loi nouvelle s’applique à toutes les procédures de redressement qui n’ont pas fait l’objet d’une mise en recouvrement avant son entrée en vigueur », ne peut être utilement invoqué sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dès lors que, relative à la procédure d’imposition, elle ne comporte pas, en tout état de cause, une interprétation de la loi fiscale ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S’agissant du profit sur le Trésor :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du 1 de l’article 38 du code général des impôts : » … le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises … » ;
Considérant que lorsqu’un contribuable a fait l’objet d’un redressement en matière d’impôt sur les bénéfices et de taxe sur la valeur ajoutée, ses bases d’imposition à l’impôt sur le revenu peuvent être rehaussées d’un « profit sur le Trésor » chaque fois que le droit qui lui est ouvert de déduire de ces bases la taxe sur la valeur ajoutée rappelée aboutirait, à défaut de la constatation à due concurrence d’un tel profit, à ce que le contribuable soit imposé à l’impôt sur le revenu sur une assiette plus réduite que celle sur laquelle il aurait été imposé s’il avait acquitté régulièrement la taxe ; que tel est le cas d’un contribuable réalisant des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et tenant une comptabilité hors taxes qui, avant la clôture d’un exercice, n’a ni enregistré certaines créances acquises sur ses clients pendant un exercice pour leur montant total correspondant au prix convenu et les encaissements correspondants éventuellement intervenus, ni déclaré et acquitté spontanément la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces opérations par versement au Trésor ou compensation avec son crédit de taxe déductible, et qui a ainsi minoré son résultat imposable de cet exercice non seulement du montant hors taxe de ces opérations mais du montant de la taxe y afférente ; que tel est également le cas du contribuable qui procède à la déduction anticipée de la taxe afférent à des prestations non encore acquittées ; que, par suite, en l’absence de demande du bénéfice de la déduction « en cascade » prévue par l’article L. 77, alinéa 1, du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable, c’est à bon droit que l’administration a pu déterminer les résultats de la société de fait PRATI-MARTIN en réintégrant dans ses bases d’imposition les rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à des omissions d’affaires imposables ;
S’agissant des autres chefs de redressement :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que, la comptabilité présentée, dépourvue notamment de livre journal, d’inventaire détaillé des stocks et travaux en cours ainsi que de livres de recettes, comportait de graves irrégularités ; que les impositions en litige ayant été établies conformément à l’avis de la commission départementale, la charge de la preuve de l’absence de bien fondé des redressements incombe, par suite, au contribuable conformément à l’article L. 192 du livre des procédures fiscales ; que les consorts Z… n’apportent en ce sens aucune élément à la Cour ;
Sur l’appel incident du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie :
Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a estimé qu’un redressement notifié au titre de l’année 1987 à raison d’une cession de stocks effectuée par la société de fait PRATI-MARTIN n’était que partiellement fondé, et a prononcé en conséquence la réduction, à concurrence d’une somme de 35 051 francs, de la base de l’impôt sur le revenu des époux Y… établie au titre de cette année ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que le redressement dont s’agit avait été abandonné par l’administration dans le cadre de sa réponse aux observations du contribuable et que, par suite, la réduction prononcée par le Tribunal n’avait pas d’objet ; que le ministre est, dès lors, fondé à demander que le montant de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme Z… ont été assujettis au titre de l’année 1987 soit remis intégralement à leur charge ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, reprenant celles de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à payer aux consorts Z… la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête des consorts Z… est rejetée.
Article 2 : L’impôt sur le revenu auquel M. et Mme Z… ont été assujettis au titre de l’année 1987 est remis intégralement à leur charge.
Article 3 : Le jugement n° 941139 du Tribunal administratif de Dijon en date du 24 février 1998 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.