Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
I/ Vu, enregistrée, au greffe de la Cour le 22 juin 1998 sous le n 98LY01110, la requête présentée pour la SA GECINA, dont le siège social est …, venant aux droits de la Société immobilière BATIBAIL qu’elle a absorbée et qui venait elle-même aux droits de la Société des Immeubles de Lyon venant elle-même aux droits de la société S.L.E.P.E., par Me X…, avocat au barreau de Lyon ;
La SA GECINA demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n 88-11731 – 88-11732 du Tribunal administratif de Lyon en date du 12 mai 1998 en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes dont a été déclarée redevable la société S.L.E.P.E. au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1980 par avis de mise en recouvrement du 8 janvier 1985 pour un montant de 621 050 francs ;
2 ) de prononcer la décharge de cette imposition ;
3 ) de condamner l’Etat à lui payer une somme de 15 000 francs sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; II/ Vu, enregistré au greffe de la Cour le 14 septembre 1998 sous le n 98LY01694, le recours présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;
Le ministre demande à la Cour :
1 ) à titre principal, d’annuler le jugement n 88-11731 88-11732 du Tribunal administratif de Lyon en date du 12 mai 1998 en tant qu’il a, par ses articles 1 et 2, accordé à la société S.L.E.P.E. une décharge partielle des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1980, 1981 et 1982 correspondant à des réductions de bases d’impositions de respectivement 400 000 francs, 640 000 francs et 640 000 francs ;
2 ) de rétablir la société S.L.E.P.E. à l’impôt sur les sociétés à raison de l’intégralité des bases d’imposition qui lui avaient été assignées ;
3 ) à titre subsidiaire, de réformer le même jugement en tant qu’il a, par ses articles 1 et 2, accordé à la société S.L.E.P.E. la décharge partielle susmentionnée et de rétablir les impositions supplémentaires litigieuses à concurrence de bases d’imposition de respectivement 105 707 francs pour l’exercice clos en 1980, 169 551 francs pour l’exercice clos en 1981 et de 174 961 francs pour l’exercice clos en 1982 ; La société GECINA demande à la Cour ;
1 ) à titre principal de rejeter le recours du ministre ;
2 ) à titre subsidiaire de rejeter les conclusions du recours du ministre dans la mesure où les intérêts réintégrés aux résultats imposables des exercice clos en 1980, 1981 et 1982 ont été calculés en utilisant un taux supérieur à 4,5 % ;
3 ) de condamner l’Etat à lui payer une somme de 10 000 francs
sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
III/ Vu, enregistré au greffe de la Cour le 17 septembre 1998, sous le n 98LY01714, la requête présentée pour la société GECINA par Me X…, avocat au barreau de Lyon ;
La société GECINA demande à la Cour :
1 ) d’annuler le jugement n 88-11732 en date du 16 juillet 1998 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de sa demande tendant à obtenir la décharge de l’imposition supplémentaire à l’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 1980 ;
2 ) de lui accorder décharge de l’imposition litigieuse pour un montant en droits et pénalités de 1 022 849 francs ;
3 ) de condamner l’Etat à lui payer une somme de 20 000 francs sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la 6ème directive CEE n 77/388 du 17 mai 1977 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 15 novembre 2001 :
le rapport de M. MILLET, premier conseiller ;
les observations de Me MOSSE, avocat de la société GECINA ;
et les conclusions de M. BONNET, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées de la société GECINA et le recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie présentent à juger des questions liées qui concernent le même contribuable ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur les requêtes de la Société GECINA :
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée sur la plus-value de cession des actions de la Société Lyonnaise Immobilière Martin :
Considérant que l’administration a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, sur le fondement de l’article 257,6 du code général des impôts, la plus-value réalisée par la Société Lyonnaise d’Etudes et de Participations Economiques (SA S.L.E.P.E.) à l’occasion de la cession en 1980 à sa filiale, la Société Lyonnaise d’Investissements Mobiliers, des 5432 actions de la Société Lyonnaise Immobilière Martin qu’elle détenait ; que le ministre, qui n’entend plus maintenir l’imposition sur ce fondement, soutient en revanche que la vente des titres dont s’agit devait être soumise à la taxe en vertu des dispositions combinées des articles 256 I et III et 256 A du même code ; que l’administration est en droit d’invoquer, à tout moment de la procédure, tout moyen de nature à faire reconnaître le bien fondé de l’imposition et peut, à cet effet, assujettir les sommes litigieuses sous une nouvelle qualification dès lors que cette substitution de base légale ne prive le contribuable d’aucune des garanties prévues par la loi en matière de procédure d’imposition ; qu’en l’espèce, le service ayant suivi à l’égard de la société S.L.E.P.E. la procédure de redressement contradictoire, le contribuable n’a été privé d’aucune garantie légale ;
Considérant toutefois qu’aux termes de l’article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens meubles et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel … III. Les opérations autres que celles définies au II, et, notamment la livraison de biens meubles incorporels, …, sont considérées comme des prestations de services » ; et qu’aux termes de l’article 256 A du même code, dans sa rédaction également applicable : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent d’une manière indépendante, à titre habituel ou occasionnel, une ou plusieurs opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention … » ; que ces dispositions ont été prises pour l’adaptation de la législation nationale, d’une part, aux articles 2 et 4, 1 et 2 de la 6ème directive n 77/338/77 du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977, en vertu desquels est, notamment, regardé comme assujetti quiconque accomplit des activités économiques de producteur, de commerçant ou de prestataire de services ou se livre à l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence, et, d’autre part, à l’article 4 3 de la même directive, selon lequel les Etats membres ont la faculté de considérer également comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités économiques ci-dessus visées ; qu’il en résulte que sont étrangères à de telles activités les simples prises de participations financières dans d’autres entreprises par une société holding qui, sans préjudice des droits qu’elle détient en sa qualité d’actionnaire ou d’associé des sociétés où se sont opérées les prises de participations, ne s’est pas immiscée directement ou indirectement dans la gestion de celles-ci par la mise en oeuvre de transactions soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l’article 2 de la directive ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SA S.L.E.P.E. a vendu à sa filiale, la Société Lyonnaise d’Investissements Mobiliers, les actions susmentionnées d’une autre de ses filiales, la Société Lyonnaise Immobilière Martin, qu’elle avait acquises progressivement au cours des années 1970, afin de permettre à sa propre société mère, la Société des Immeubles de Lyon, de faire aboutir l’offre publique d’échange que cette dernière avait lancée en vue d’obtenir le contrôle de cette société, dont elle ne pouvait acquérir directement les titres auprès de sa filiale sans se mettre en infraction avec la législation sur les sociétés commerciales relative aux participations croisées ; que les opérations ainsi réalisées par la S.A. S.L.E.P.E., ne s’étant accompagnées d’aucune immixtion directe ou indirecte dans la gestion des sociétés concernées, la cession d’actions en litige ne peut, par suite, être regardée comme une activité économique au sens des dispositions précitées, conférant, par elle-même, à l’intéressée, la qualité d’assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa première requête, la société GECINA est fondée à demander la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SA S.L.E.P.E. au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1980 à raison de cette opération de cession de titres à sa filiale ;
En ce qui concerne le taux d’imposition à l’impôt sur les sociétés de la plus-value de cession des actions de la Société Lyonnaise Immobilière Martin :
Considérant qu’aux termes de l’article 38 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur rendu applicable à l’impôt sur les sociétés par l’article 209 du même code : « 1. …le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation … » ; qu’aux termes de l’article 39 duodecies du même code, également dans sa rédaction alors en vigueur : « 1. Par dérogation aux dispositions de l’article 38, les plus-values provenant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu’elles sont réalisées à court ou à long terme … » ;
Considérant qu’au regard des conditions précédemment décrites dans lesquelles elles ont été acquises, les actions en litige correspondaient à un élément de l’actif immobilisé de la SA S.L.E.P.E., nonobstant la circonstance que son objet social l’aurait autorisée à développer une activité de négoce de titres ; qu’il suit de là que la plus-value de cession réalisée relevait du régime des plus-values de l’article 39 duodecies du code général des impôts et, plus précisément, du taux réduit prévu par l’article 39 quindecies pour les plus-values à long terme ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa seconde requête, la société GECINA est également fondée à demander la décharge de la cotisation d’impôt sur les sociétés à laquelle la SA S.L.E.P.E. a été assujettie au titre de l’année 1980 à raison de l’imposition au taux de droit commun de cette plus-value de cession ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société GECINA est fondée à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions des demandes de la SA S.L.E.P.E. tendant, d’une part, à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés et du complément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie à raison de la plus-value qu’elle a réalisée sur la cession en 1980 des titres de la Société Lyonnaise Immobilière Martin ;
Sur le recours du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie :
Considérant que la SA S.L.E.P.E. a consenti en 1980 et pour les trois années 1980, 1981 et 1982 à sa filiale, la Société Lyonnaise d’Investissements Mobiliers, une avance sans intérêts d’un montant d’environ 8 000 000 de francs pour lui permettre d’acquérir les actions qu’elle détenait de la Société Lyonnaise Immobilière Martin ; que le service, estimant que cette avance sans intérêts ne se rattachait pas à une gestion normale, a réintégré dans les bénéfices des exercices clos en 1980, 1981 et 1982 les intérêts que la société aurait dû percevoir sur lesdites avances, calculés en retenant un taux d’environ 8 % ;
Considérant que le fait pour une entreprise de consentir des avances sans intérêts à un tiers constitue un acte étranger à une gestion commerciale normale ; que cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale de la société, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société-mère aurait agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté ;
Considérant que si la requérante fait état, sans l’établir, de la situation financière difficile de la société Société Lyonnaise Immobilière Martin, le ministre soutient en appel sans être contredit que les avances de fonds que la SA S.L.E.P.E. a consenties à sa filiale ont été dépourvues de contreparties dès lors qu’elles n’étaient pas nécessaires à la réalisation de la plus-value qu’elle a dégagée sur la cession des actions de la Société Lyonnaise Immobilière Martin à sa filiale ; que par suite, l’administration doit être regardée comme ayant, à bon droit, réintégré des intérêts correspondant aux avances en cause dans les résultats imposables de la SA S.L.E.P.E. ;
Considérant cependant que la société fait valoir que le taux d’environ 8 % l’an retenu par l’administration pour le calcul de ces intérêts serait excessif et revendique l’application d’un taux de 4,5 % ; que le montant de l’avantage consenti par la SA S.L.E.P.E. à sa filiale doit être apprécié par référence à la rémunération que le prêteur aurait pu obtenir d’un établissement financier ou d’un organisme assimilé auprès duquel il aurait pu placer, dans des conditions analogues, des sommes d’un montant équivalent ; que le ministre oppose, sans être ultérieurement contredit, que la société ne saurait se prévaloir du taux des avances à vue et que les taux pratiqués à l’époque étaient beaucoup plus élevés que celui retenu ; que, par suite, le ministre apporte la preuve du bien fondé de la réintégration aux résultats imposables de la SA S.L.E.P.E. pour les années 1980, 1981 et 1982 des sommes respectivement de 400 000 francs, 640 000 francs et 640 000 francs ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon accordé à la SA S.L.E.P.E la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1980, 1981 et 1982 à raison de la réintégration des intérêts litigieux ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu’il y a lieu, au titre des requêtes de la société GECINA et dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat, en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, reprenant celles de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, à payer à la société GECINA une somme de 20 000 francs au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant, en revanche, que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas partie perdante dans l’instance ouverte par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, soit condamné à payer à la société GECINA la somme qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La SA S.L.E.P.E. est déchargée, en droits et pénalités, des droits supplémentaires de taxes sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1980.
Article 2 : La plus-value réalisée par la SA S.L.E.P.E. à l’occasion de la cession des titres de la Société Lyonnaise Immobilière Martin sera imposée au taux réduit prévu par l’article 39 quindecies du code général des impôts pour les plus-values à long terme.
Article 3 : La SA S.L.E.P.E est déchargée, en droits et pénalités, de la différence entre la cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 1980 à raison de l’imposition de cette plus-value et celle résultant de l’application de l’article 2 ci-dessus.
Article 4 : La SA S.L.E.P.E. est rétablie au rôle de l’impôt sur les sociétés des années 1980, 1981 et 1982 à raison de la réintégration dans ses résultats imposables des sommes de, respectivement, 400 000 francs, 640 000 francs et 640 000 francs.
Article 5 : L’Etat est condamné à verser à la société anonyme GECINA une somme de 20 000 francs en application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les jugements n 88-11731-et 88-11732 du Tribunal administratif de Lyon en date des 12 mai 1998 et 16 juillet 1998 sont réformés en ce qu’ils ont de contraire au présent arrêt .