Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 20 février 2007 au greffe de la Cour sous le n°07BX00373, présentée pour la SOCIETE MERCERON TP, dont le siège est 172 rue Carnot BP 579 à Challans Cedex (85305), représentée par son président-directeur général en exercice, par la SELARL Cornet Vincent Segurel ;
Elle demande à la Cour :
– d’annuler le jugement du 28 décembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la commune de Saint-Denis d’Oloron attribuant le marché de dragage du port de plaisance de ladite commune au département de la Charente-Maritime et à ce qu’il soit enjoint à la commune de Saint-Denis d’Oléron de résilier ce marché ou de saisir le juge du contrat en vue de cette résiliation ;
– d’annuler la décision précitée et de prononcer ladite injonction ;
– de condamner la commune de Saint-Denis d’Oléron à lui verser une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne ;
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code des ports maritimes ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 juin 2008,
le rapport de Mme Fabien, premier conseiller ;
les observations de Me Amon pour la SOCIETE MERCERON TP, Me Brossier pour la commune de Saint-Denis d’Oléron et de Me Dunyach pour le département de la Charente-Maritime ;
et les conclusions de Mme Viard, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la commune de Saint-Denis d’Oléron a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de la réalisation des travaux de dragage de son port de plaisance ; que, par décision du 3 mai 2005, la commission d’appel d’offres a attribué ce marché au département de la Charente-Maritime ; que la SOCIETE MERCERON TP, dont la candidature n’a pas été retenue, fait appel du jugement du 28 décembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision d’attribution et à ce qu’il soit enjoint à la commune de Saint-Denis d’Oléron de résilier le marché ou de saisir le juge du contrat en vue de cette résiliation ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la minute du jugement vise l’ensemble des mémoires produits par les parties ; que le Tribunal a explicitement écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l’industrie soulevé par la SOCIETE MERCERON TP ; que, par suite, cette dernière n’est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier pour défaut de visa de l’ensemble des mémoires ou défaut de réponse à un moyen ;
Sur le fond :
Considérant, d’une part, qu’aucun texte ou principe n’interdit à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation d’un service public ; que , cependant, pour que soient respectés tant les exigences de l’égal accès aux marchés publics que le principe de la liberté de l’industrie et du commerce, l’attribution d’un marché public à une personne publique suppose, que le prix qu’elle propose soit déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat, et qu’elle n’ait pas bénéficié , pour déterminer le prix proposé, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public et enfin qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ;
Considérant, d’autre part, que les personnes publiques sont chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique ; qu’en outre, si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie et du droit de la concurrence ; qu’à cet égard , pour intervenir sur un marché, elles doivent non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée ; qu’une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui- ci ;
Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE MERCERON TP n’est pas fondée à soutenir que le principe de liberté du commerce et de l’industrie ou de libre concurrence aurait fait obstacle en lui-même à l’attribution du marché public litigieux au département de la Charente-Maritime en raison de sa qualité de collectivité territoriale ;
Considérant, en deuxième lieu, que le dragage d’un port maritime de plaisance constitue une activité nécessaire à la réalisation de la mission de service public d’aménagement et d’exploitation d’un tel port incombant normalement au département pour les ports de pêche et aux communes pour les ports de plaisance en vertu des dispositions de l’article L 601-1 du code des ports maritimes ; que ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce qu’un département développe une activité de dragage, complémentaire de celle qu’il assure pour l’exploitation et l’entretien des ports lui incombant obligatoirement, en proposant les prestations de son service de dragage à d’autres personnes publiques lorsque cette activité présente un intérêt public local ; que le dragage des ports maritimes de plaisance revêt un intérêt public local, alors même qu’il n’y aurait plus de carence de l’initiative privée dans ce secteur, compte tenu notamment de l’importance et du rôle des ports en Charente-Maritime, ainsi que de leur interdépendance ; que, par suite, et alors même que l’aménagement et l’exploitation du port à activité principale de plaisance de Saint-Denis d’Oléron incombent à la commune en vertu des dispositions de l’article L 601-1 du code des ports maritimes, la SOCIETE MERCERON TP n’est pas fondée à soutenir que l’attribution au département de la Charente-Maritime du marché de dragage de ce port aurait méconnu les limites des compétences de cette collectivité territoriale et, de ce fait, porté atteinte au principe de liberté du commerce et de l’industrie ou de libre concurrence ;
Considérant, en troisième lieu, que l’activité de dragage exercée par le département de la Charente-Maritime est assurée par un service doté d’un budget annexe et soumis à des obligations fiscales et comptables comparables à celles des entreprises privées ; que, dans ces conditions, et alors au surplus que le prix proposé par le département n’était pas le moins élevé, la commune de Saint-Denis d’Oléron ne peut être regardée comme ayant été tenue de demander au département de la Charente-Maritime de produire des documents de nature à justifier la détermination du prix proposé ; que la structure du compte général d’exploitation de l’activité de dragage pour 2004 permettait au département de calculer le coût d’un chantier en définissant notamment un prix de revient de chaque engin de dragage, dont l’aspiratrice Hydre devant être utilisée à Saint-Denis d’Oléron, intégrant les dépenses directes et indirectes telles que les frais de personnel, les frais généraux, et notamment ceux relatifs aux ateliers, liés à l’exploitation des engins de dragage ainsi que les annuités d’amortissement de ces derniers ; qu’aucun élément n’est de nature à établir qu’il aurait été procédé à une sous-estimation de ce coût par l’absence d’intégration de certaines dépenses indirectes et notamment de certains frais de personnel ou de locaux ; que la production par la société requérante d’une circulaire relative au concours particulier de la dotation générale de décentralisation pour les ports maritimes de pêche et de commerce, qui se rapporte exclusivement à des travaux d’infrastructure portuaire, ne saurait permettre d’établir que le département aurait bénéficié pour l’acquisition du matériel de dragage d’un financement de l’Etat lui permettant de réduire le montant du prix ou de proposer une offre d’une valeur technique supérieure ; que si les agents du service de dragage sont des agents publics, les différences existant en matière de législation du travail et de sécurité sociale entre les agents publics et les salariés de droit privé n’ont ni pour objet, ni pour effet de placer les personnes publiques dans une situation nécessairement plus avantageuse que celle dans laquelle se trouvent les entreprises privées ; qu’en conséquence, les moyens tirés de ce que le département de la Charente-Maritime aurait procédé à une sous-estimation du coût de la prestation proposée ou aurait bénéficié d’avantages en méconnaissance du principe de liberté du commerce et de l’industrie ou de libre concurrence et d’égalité d’accès aux marchés publics ou d’égalité de traitement des candidats ne sont pas fondés ; que les stipulations de l’article 87 du traité instituant la communauté européenne prohibant, sauf dérogation, les aides accordées par les Etats faussant ou menaçant de fausser la concurrence sont, en tout état de cause, dépourvues d’effet direct ;
Considérant, enfin, qu’à supposer même que le département de la Charente-Maritime occupe de fait une position dominante sur le marché local du dragage des ports maritimes, cette situation ne constitue pas en soi un abus de position dominante au sens des dispositions de l’article L 420-2 du code de commerce de nature à fausser la libre concurrence ou l’égalité d’accès à ce marché ; qu’il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport d’analyse des offres ainsi que du procès-verbal de la commission d’appel d’offres, que le marché litigieux a été attribué au département non sur la base d’éléments étrangers à l’appréciation de l’offre économiquement la plus avantageuse tels que l’existence de relations privilégiées mais sur la base d’une appréciation comparative des diverses offres au regard des seuls critères de prix et de valeur technique fixés par le règlement de consultation ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la SOCIETE MERCERON TP n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision d’attribution du marché de dragage du port de plaisance de Saint-Denis d’Oléron ainsi que, par voie de conséquence, sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la commune de résilier le contrat ou de saisir le juge du contrat en vue de cette résiliation ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Denis d’Oléron , qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la SOCIETE MERCERON TP au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’affaire, il y a lieu de mettre à la charge de la SOCIETE MERCERON TP une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Denis d’Oléron ainsi qu’une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par le département de la Charente-Maritime ;
DECIDE
Article 1 : La requête de la SOCIETE MERCERON TP est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE MERCERON TP versera une somme de 1 300 euros à la commune de Saint-Denis d’Oléron ainsi qu’une somme de 1 300 euros au département de la Charente-Maritime.
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07BX00373