7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°460/2022
N° RG 19/02761 – N° Portalis DBVL-V-B7D-PXDX
ABS (ABAQUE BATIMENT SERVICE) SARL
C/
M. [Z] [I]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 Septembre 2022
En présence de Madame MEUNIER, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
ABS (ABAQUE BATIMENT SERVICE) SARL Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Olivier GUILLAS de la SELARL AD LEGIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [Z] [I]
né le 05 Août 1953 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Nicolas MENAGE de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTERVENANTS :
Maître [J] [R], es qualité administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SARL ABS
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Olivier GUILLAS de la SELARL AD LEGIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Maître [T] [W], SAS SAULNIER-[W] et associés, es qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la SARL ABS
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Olivier GUILLAS de la SELARL AD LEGIS, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La société ABAQUE BÂTIMENT SERVICE (ABS), dont le siège social est situé à [Localité 7], est spécialisée dans la réalisation de travaux de couverture, charpente, nettoyage et entretien. Elle gère plusieurs agences situées à [Localité 10], [Localité 6], [Localité 4], [Localité 5], [Localité 11] et [Localité 8].
M. [Z] [I] a travaillé pour le compte de la société ABS à compter du 2 février 2012 en qualité de prestataire de service pour assurer la gestion et le développement du secteur Ouest de la France (Bretagne, Basse Normandie et Pays de la Loire).
En l’absence de contrat de travail ou de contrat commercial, les parties ont convenu par mail du 2 février 2012 des modalités de rémunération de l’activité de M. [I] : ‘ Nous prendrons à notre charge les frais liés à cette mission sur présentation des éléments justificatifs et convenons pour vos honoraires de vous rétroverser 40 % du résultat d’exploitation nette de votre secteur’ .
Par courrier recommandé du 7 avril 2015 transmis à la société ABS, Monsieur [I] a pris acte de la cessation d’activités avec l’entreprise, s’analysant en réalité comme une relation salariale. Il a reproché au dirigeant de la société ABS d’être à l’origine de la rupture, notamment en organisant le départ de l’ensemble des effectifs des salariés de l’agence ABS du secteur ouest de la France, sans en informer M. [I] qui en était le Responsable, en faisant récupérer début 2015 l’ensemble des moyens mis à sa disposition (véhicules, entrepôt, clés diverses..), en lui réclamant la liste des clients et en faisant couper le téléphone et le réseau.
Sollicitant la requalification de la relation en un contrat de travail, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes le 30 avril 2015 afin de voir :
– Dire que la relation avec la société ABS entre le 2/02/2012 et le 7/04/2015 est assimilable à un contrat de travail avec les conséquences qui en découlent,
– Condamner la société ABS au paiement des sommes suivantes:
– Rappel de salaires, outre les congés payés afférents : 61 712 Euros Brut
– Remboursement indû des cotisations sociales : 17 754 Euros
– Indemnité de préavis, outre les congés payés afférents : 11 409 Euros Brut
– Indemnité conventionnelle de licenciement : 1 464,15 Euros
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse nette de csg rds : 60 000 Euros Net
– Indemnité pour travail dissimulé: 22 818 Euros
– Dommages et intérêts pour préjudice moral : 10 000 euros
– Exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– Remise de documents suivants : bulletins de paie afférents aux créances salariales, un certificat de travail et une attestation exploitables destinée à Pôle Emploi conforme à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
– Se réserver la faculté de liquider l’astreinte ;
– Entiers dépens ;
– Article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros.
Dans son jugement du 3 avril 2017, le conseil de prud’hommes de Rennes s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes, les relations contractuelles entre les parties ne relevant pas d’un contrat de travail.
Par arrêt du 14 février 2018, la cour saisi d’un appel de M. [I] a infirmé le jugement au motif que M. [I] exerçait son activité sous l’autorité de la société ABS qui avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements, ce qui caractérise l’existence d’un lien de subordination ; que M. [I] est fondé à prétendre avoir été lié à la société ABC par un contrat de travail. L’affaire a été renvoyée sur le fond devant le conseil de prud’hommes de Rennes.
La Cour de cassation a rejeté dans un arrêt du 5 juin 2019 le pourvoi formé par la société ABC.
M. [I] a alors saisi le conseil de prud’hommes de Rennes d’une requête du 28 mars 2018 tendant à voir :
– dire que la relation avec la société ABS du 2 février 2012 au 7 avril 2015 est assimilable à un contrat de travail avec les conséquences qui en découlent ;
– condamner la société ABS au paiement des sommes suivantes :
– 61 712 euros brut au titre du rappel de salaires et les congés payés y afférents,
– 17 754 euros au titre du remboursement indû des cotisations sociales,
– 11 409 euros brut au titre de l’indemnité de préavis outre les congés payés y afférents,
– 1 464,15 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 60 000 euros net au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse nette de csg rds,
– 22 818 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
– remettre les documents suivants : bulletins de paie afférents aux créances salariés, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conforme à la décision, sous astreinte ;
– condamner l’employeur aux entiers dépens et à une indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL ABS a soulevé devant le conseil de prud’hommes diverses exceptions de procédure et a présenté une demande de remboursement du trop perçu au titre des salaires de 82 634 euros outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 25 mars 2019, le conseil de prud’hommes de Rennes a :
– Dit et jugé que la prise d’acte de M. [I] aux torts exclusifs de son employeur la SAS ABS est requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamné la SAS ABS à payer à M. [I] les sommes suivantes :
– 11 409 euros brut à titre de préavis et congés payés afférents,
– 1 464,14 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 23 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 22 818 euros d’indemnité pour travail dissimulé,
– 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Ordonné 1’exécution provisoire de droit sur les salaires,
– Débouté M. [I] du surplus de ses demandes,
– Débouté la SAS ABS de ses demandes,
– Mis les dépens à la charge de la SAS ABS y compris les frais éventuels d’exécution.
La SARL ABS a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date des 25 avril et 09 juillet 2019.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 07 février 2022, la SARL ABS demande à la cour de :
A titre principal
– Constater que la prise d’acte de M.[I] produit les effets d’une démission
– Infirmer purement et simplement le jugement en ce qu’il a condamné la Société ABS à payer à M. [I] les sommes suivantes :
o 11 409 euros brut à titre de préavis et congés payés afférents ;
o 1 464,14 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
o 23 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
o 22 818 euros d’indemnité pour travail dissimulé ;
– Débouter purement et simplement M.[I] de l’ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire, si par impossible la Cour considère que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [I] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Constater que la convention collective nationale du Bâtiment (cadres) est inopposable à la Société ABS, ladite Société n’étant pas membre d’une organisation patronale signataire de ladite Convention à la date de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [I] ;
– Dire que seules les dispositions du code du travail sont applicables ;
– Fixer la rémunération mensuelle de M. [I] au smic, soit la somme de brute de 1 457,52 euros ;
– Constater que les sommes maximales auxquelles la Société ABS pourrait être condamnée à verser à M. [I] sont les suivantes :
o 3 206,54 euros brut à titre de préavis et congés payés afférents ;
o 1 174,11 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
o 5 830,08 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause,
– Constater l’absence de caractère intentionnel de dissimulation du travail de M. [I]
– Infirmer purement et simplement le jugement en ce qu’il a condamné la Société ABS à payer à M. [I] la somme de 22 618 euros brut à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
– Constater que M. [I] ne rapporte la preuve d’aucun préjudice ;
– Débouter purement et simplement M. [I] de sa demande de condamnation de la Société ABS à lui rembourser la somme de 17 754 euros au titre des charges sociales indues ;
– Débouter purement et simplement M. [I] de sa demande de condamnation de la Société ABS à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
– Constater qu’aucune somme n’a été versée par Pôle Emploi à M. [I] ;
– Infirmer purement et simplement le jugement en ce qu’il a condamné la Société ABS à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômages versées à M. [I] dans la limite de six mois d’indemnités ;
– Condamner M. [I] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 22 juillet 2020, M. [I] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la rupture des relations entre les parties était imputable à la Société ABS, qu’il a accordé à M. [I] l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts ;
– Confirmer le jugement en ce qu’il a accordé à M. [I] une indemnité pour travail dissimulé d’un montant de 22 818 euros ;
– Réformer pour le surplus le jugement ;
– Condamner la Société ABS à lui payer :
– la somme de 60 000 euros nette de csg-rds pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– la somme de 61 712 euros brute à titre de rappel de salaire outre congés payés y afférents ;
– la somme de 17 754 euros au titre du remboursement des cotisations sociales ;
– la somme de 10 000 euros pour préjudice moral.
– Condamner la société ABS à lui remettre une fiche de paie régulatrice, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conforme à la décision à intervenir, et ce sous astreinte d’un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision.
– Condamner la Société ABS à lui rembourser la somme de 17 754 euros correspondant aux cotisations réglées de manière indue aux organismes sociaux en raison de son statut d’indépendant.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 17 février 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 21 février 2022.
Par arrêt en date du 17 mars 2022, la cour a ordonné une médiation et la réouverture des débats avec renvoi de l’affaire à l’audience du 12 septembre 2022. Les parties ne sont pas parvenues à un accord.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le rappel de salaires
M. [I] maintient sa demande, dont il a été débouté par les premiers juges, en paiement d’un rappel de salaires de 61 712 euros brut au motif qu’il a exercé les fonctions de Responsable de l’agence ABS de [Localité 10] et qu’il est donc fondé à voir fixer le montant de son salaire au regard de ses responsabilités sur la base du coefficient 130 de la convention collective nationale du bâtiment pour les cadres et d’un salaire mensuel de 3 803 euros brut pour la période du mois de février 2012 au 7 avril 2015, après déduction des avances perçues.
La société ABS conclut au rejet de la demande en soutenant que la convention collective du bâtiment, ingénieurs, assimilés et cadres, ne peut pas s’appliquer en l’absence d’un arrêté d’extension des dispositions conventionnelles aux entreprises concernées ; que la société ABS n’était pas adhérente à cette période antérieure à 2016 d’une organisation syndicale signataire de ladite convention et qu’elle ne l’a pas appliquée volontairement au sein de son entreprise ; que le salarié ne peut revendiquer qu’une rémunération équivalente au Smic, seules les dispositions du code du travail étant applicables.
La société ABS rapporte la preuve qu’elle n’était pas adhérente à une organisation professionnelle avant l’année 2016 au vu de l’attestation de son expert-comptable du 19 juillet 2019 et du courrier confirmant l’adhésion auprès du syndicat FFB depuis le mois de février 2016.
Contrairement à l’analyse de M [I], il ne résulte pas des pièces produites que la société ABS a fait une application volontaire des dispositions de la convention collective nationale des cadres du bâtiment lorsqu’il travaillait pour son compte (2012-2015). Le fait que des ouvriers employés par la société ABS soient soumis aux dispositions de la convention collective des ouvriers du bâtiment est inopérant pour les salariés de statut cadre. Il n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions de cette convention qui ne sont pas étendues aux salariés cadres du secteur en l’absence d’un arrêté d’extension. En conséquence, la relation de travail avec la société ABS est régie par le code du travail.
Il en résulte que le montant de la rémunération de M. [I] doit être fixé en référence au smic dont le montant fluctuait entre 1 398,37 euros brut par mois au 1er février 2012 et 1 457.52 euros brut par mois au 1er janvier 2015. La demande du salarié tendant à obtenir une rémunération sur une base de 39 heures sera rejetée à défaut pour M. [I] de présenter préalablement des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies au-delà de la durée légale de travail.
Le décompte des salaires dus entre le 1er février 2012 et le 7 avril 2015 sur la base du SMIC fait apparaître un montant global de 54 765,71 euros brut outre 5 476,57 euros pour les congés payés y afférents.
Le salarié ayant perçu diverses sommes sous la forme d’honoraires versés par son employeur à hauteur de la somme de 85 634 euros selon ses propres décomptes, il s’en déduit que M. [I] a été rempli de ses droits et qu’il n’est pas fondé en sa demande de rappel de salaires, par voie de confirmation du jugement.
Sur la prise d’acte
La société ABC conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré à tort que M. [I] ne pouvait plus poursuivre la relation de travail avec la société ABC faute de versement des salaires entre le mois de septembre 2014 et le mois de décembre 2014, alors que M. [I] ne percevait pas de paiement périodique et qu’il avait déjà reçu une avance de 1 800 euros sur ses honoraires le 16 septembre 2014 outre des remboursements de ses frais de déplacement ; que M. [I] ayant continué à travailler pour le compte de la société ABS au-delà du mois de décembre 2014, il ne peut pas justifier sa prise d’acte le 7 avril 2015 par des manquements anciens ; qu’il ne démontre pas que la société ABC lui a repris l’intégralité de son matériel professionnel au début de l’année 2015.
M. [I] soutient à l’inverse que la société ABC a voulu échapper à la
législation du travail en sollicitant les services de M. [I] en dehors d’une relation salariée, en le rétribuant de façon chaotique et imprévisible avec parfois 2 à 3 mois de décalage avant d’exiger de lui la restitution des outils de travail ; que ces manquements justifient la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Selon l’article L 1231-1 du code du travail, le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord. En cas de prise d’acte de la rupture par le salarié, il lui appartient d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
Lorsque le salarié invoque des manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite de son contrat de travail, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, la prise d’acte est considérée comme une démission.
M. [I] verse aux débats :
– son courrier recommandé actant de la cessation d’activités avec l’entreprise ABS en date du 7 avril 2015 (pièce 6) dénonçant le versement irrégulier de sa rémunération sous forme d’avances, la récupération de l’ensemble des moyens mis à la disposition du chef d’agence (véhicules, entrepôt, clés diverses), la privation des moyens de communication (téléphone, réseau), l’absence de réponse du dirigeant à ses appels,
– le tableau des honoraires (pièce 9) qui lui étaient versés par la société ABS durant la période de travail allant de février 2012 à avril 2015, révélant une absence de versements depuis le mois d’octobre 2014,
– des courriels échangés avec le dirigeant de la société ABS notamment du 19 janvier 2015 (pièce 118) aux termes duquel M. [I] indique qu’il ‘ n’est plus en mesure d’effectuer les différentes tâches ou actions prévues suite à la décision de [D] (supérieur) de ne plus me faire accéder à l’entrepôt. En conséquence, je demande si je suis toujours prestataire de service de l’agence de [Localité 10] (…). En décembre 2014 et en janvier 2015 , bien que travaillant toujours pour l’entreprise et amenant des chantiers, je vais faire les frais des décisions prises en n’étant pas payé…(…)’
– le témoignage de M. [H], ancien Responsable de l’agence ABS de [Localité 5], (Pièce 104) confirmant que M. [G] a voulu le pousser ainsi que M. [I] à quitter l’entreprise à la fin de l’année 2014, que compte tenu du refus opposé par M. [I] , M. [G] ‘ a fait mine de continuer l’aventure ABS avec lui mais il avait à l’esprit de le contraindre au départ en continuant à lui confier du travail sans plus le payer du tout de septembre à décembre 2014 comme il l’avait déjà fait avec des collègues en 2013 et en acceptant le départ de toute son équipe en décembre, sans l’en informer et surtout sans en remplacer un seul membre.’
L’absence ou du retard de paiement des rémunérations dues à M. [I] en contrepartie de son travail depuis le mois de septembre 2014 est démontrée par les pièces produites. La preuve est également rapportée que la société ABS a privé M. [I] au début de l’année 2015 des moyens mis à sa disposition dans l’exercice de son activité professionnelle.
L’addition de ces manquements leur confère un caractère de gravité qui ne permettait plus, du fait de l’employeur, la poursuite de la relation contractuelle, rendant justifiée la prise d’acte de rupture de la relation de travail par M. [I] aux torts de la société ABS, laquelle doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie de confirmation du jugement.
M. [I], ancien officier, était âgé de 63 ans au moment de la rupture de la relation contractuelle et justifiait d’une ancienneté de 3 ans et deux mois.
Il convient ainsi de l’indemniser des conséquences de la rupture et condamner la société ABC à lui régler, par voie d’infirmation du jugement :
– au titre de l’indemnité légale de préavis équivalente à deux mois de salaire, la somme de 2 915.04 euros brut outre 291.50 euros pour les congés payés y afférents,
– au titre de l’indemnité légale de licenciement, la somme de 1 174.11 euros,
– à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction en vigueur avant l’ordonnance du 22 septembre 2017, s’agissant d’une rupture antérieure à la promulgation de ce texte, la somme de 10 000 euros.
Sur le travail dissimulé
L’article L 8221-5 du code du travail dans sa rédaction alors en vigueur aux faits de l’espèce dispose :’ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur:
…2°- de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L3243-2 relatif à la délivrance d’un bulletin de paie ou de mentionner un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.’
Selon l’article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l’employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 du même code a droit à une indemnité égale à 6 mois de salaire.
Eu égard aux développements qui précédent, l’intention de dissimulation de l’employeur est avérée puisqu’était mise en place au sein de l’entreprise une organisation ayant pour objet de dissimuler l’emploi salarié d’un responsable d’agence sous couvert du recours à un prestataire de service indépendant afin d’éluder le paiement des charges et contributions patronales afférentes à cet emploi.
Il sera fait droit à la demande en paiement du salarié mais dans la limite de 8 745.12 euros en application de l’article L 8223-1 du code du travail, par voie d’infirmation du jugement sur le quantum.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
M. [I] réclame la somme de 10 000 euros, demande dont il a été débouté par le conseil, en réparation de son préjudice moral en ce qu’il s’est retrouvé dans un statut précaire de prestataire alors qu’il aurait dû depuis février 2012 bénéficier d’un statut de salarié et des avantages en terme de protection sociale et de prévoyance.
Faute pour le salarié de justifier d’un préjudice distinct de la perte de cet emploi et de la réalité du préjudice subi, la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral sera rejetée par voie de confirmation du jugement.
Sur le remboursement des charges sociales
M. [I] maintient sa demande en remboursement de la somme de 17 754 euros correspondant aux charges sociales réglées par lui de manière indue auprès des différents organismes en raison de son statut d’indépendant. Il verse à l’appui de sa demande aux débats divers documents se rapportant au paiement des cotisations Urssaf, des cotisations foncières aux entreprises, de la retraite complémentaire Cipav et au RSI durant la période (2012-2015) au cours de laquelle il a déclaré une activité indépendante.
La société ABS s’y oppose au motif que M. [I] en sa qualité de salarié aurait dû acquitter la part salariale des charges sociales et qu’il a bénéficié de la couverture sociale identique à celles versées en qualité de travailleur indépendant.
M. [I], retraité de la fonction publique, s’est constitué du fait de son affiliation à la Cipav de nouveaux droits à retraite sur lesquels il ne fournit aucun justificatif étant précisé qu’il a poursuivi une activité indépendante de conseiller en management depuis la rupture des relations avec la société ABS au vu du courrier de l’Urssaf du 23 septembre 2019 (pièce 110). Il ne s’explique pas sur le fondement de sa demande de remboursement de la cotisation foncière des entreprises faute de justifier de la nécessité de disposer d’un local professionnel, distinct de l’agence mise à disposition par l’entreprise ABS.
Enfin, M. [I] ne s’explique pas sur les restitutions de charges indues qu’il a pu solliciter auprès de l’Urssaf concomittament ou à tout le moins dans un temps proche de son action tendant à voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail. Les pièces qu’il verse aux débats ne permettent pas de déterminier le montant précis des cotisations patronales qu’il allègue avoir acquittées de manière indue.
Le salarié sera en conséquence débouté de sa demande de ce chef par voie de confirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Il convient de constater que le salarié ayant atteint l’âge légal de la retraite, ne peut pas prétendre au bénéfice des indemnités de chômage sur le fondement de l’article L 1235-4 du code du travail, de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef.
Aux termes de l’article R 1234-9 du code du travail, l’employeur doit délivrer au salarié au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications lui permettant d’exercer son droit aux prestations sociales.
Il convient en conséquence d’ordonner à l’employeur de délivrer à M. [I] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaires conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans les deux mois de la notification du présent arrêt sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte.
M. [I] n’ayant pas chiffré dans ses dernières écritures le montant de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la cour n’est saisie d’aucune demande à ce titre en cause d’appel. Il convient seulement de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur qui sera débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions relatives au montant de l’indemnité de préavis, à celui de l’indemnité de licenciement, au quantum des dommages-intérêts alloués au salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’indemnité pour travail dissimulé et au remboursement des indemnités au profit de Pôle Emploi.
– CONFIRME les autres dispositions du jugement,
STATUANT de nouveau des chefs infirmés et y AJOUTANT :
– CONDAMNE la SARL ABS à payer à M. [I] les sommes suivantes :
– 2 915.04 euros brut au titre de l’indemnité légale de préavis,
– 291.50 euros pour les congés payés y afférents,
– 1 174.11 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 8 745.12 euros net au titre de l’indemnité pour travail dissimulé.
– ORDONNE à la SARL ABS de délivrer à M. [I] les bulletins de salaires et les documents de fin de contrat conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans les deux mois de la notification du présent arrêt.
– DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail .
– DEBOUTE la société ABS de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
– CONDAMNE la société ABS aux dépens de l’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT