REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ARRET DU 20 OCTOBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/04164 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFK6U
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Janvier 2022 – Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2020022838
APPELANT
Monsieur [U] [A] [O] [T]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 8] (PORTUGAL)
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Myriam LAHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1249
INTIMES
S.E.L.A.F.A. MJA, en la personne de Me Julia RUTH
en qualité de mandataire liquidateur de la SA RSB
[Adresse 2]
[Localité 5]
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 4]
[Localité 7]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Sophie MOLLAT, Présidente
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
Madame Déborah CORICON, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats
MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Madame Anne-France SARZIER, avocat général, qui a fait connaître son avis.
ARRET :
– réputé contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .
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La société RSB, société anonyme constituée le 8 avril 1994, avait pour activité l’exploitation d’un fonds de commerce de construction de réseaux électriques et de télécommunications.
Elle était détenue à 94’% par la société RPS. Les deux sociétés étaient dirigées par M. [U] [O] [T]. La société RPS a fait l’objet d’un plan de redressement par voie de continuation arrêté par un jugement du tribunal de commerce de Paris le 22 mai 2001.
Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard de la société RSB sur assignation d’un créancier chirographaire par jugement en date du 23 octobre 2019. La SELAFA MJA prise en la personne Maître Julia Ruth, a été désignée mandataire et liquidateur. Le tribunal a fixé la date de cessation des paiements au 23 avril 2018, soit 18 mois avant l’ouverture de la procédure.
Le passif s’élève à 314 750 euros et l’actif est nul. L’insuffisance d’actif hors provisionnel s’élève à 216 100 euros, représente 26,3’% du chiffres d’affaires (le chiffre d’affaires de la société RSB s’élèvait en 2017 à 987 255 euros), dont 120 124 euros constitués pendant la période suspecte.
Le ministère public a, par requête du 9 juin 2020, demandé au tribunal de commerce de prononcer une sanction de faillite personnelle pour une durée de 8 ans à l’encontre de M. [U] [O] [T], lui reprochant les fautes de gestion fondées sur les articles L. 653-5 6°, L. 653-5 5°, L. 653-4 et L. 653-8 3° du code de commerce.
Par un jugement en date du 25 janvier 2022, le tribunal de commerce de Paris a’prononcé la faillite personnelle de M. [U] [O] [T] pour une durée de 7 ans.
M. [U] [O] [T] a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 17 février 2022.
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Dans ces dernières conclusions signifiées le 6 septembre 2022 par voie électronique, M. [U] [O] [T] demande à la Cour de’:
– LE DECLARER recevable en son appel du 17 février 2022 à l’encontre du jugement du 25 janvier 2022, notifié le 9 février en l’en dire bien fondé
– In limine litis : PRONONCER la nullité du jugement attaqué faute de sa convocation régulière à l’audience des plaidoiries du 6 décembre 2021 et de respect du contradictoire
Sur le fond
– CONSTATER la bonne tenue de la comptabilité jusqu’en 2019 et du dépôt des comptes au greffe, tel que publié au BODACC
– CONSTATER que le commissaire priseur a dressé procès verbal d’inventaire en date du 2 juin 2020
– JUGER qu’il s’est efforcé de recouvrer la créance de la Société d’un montant de 435 000 euros auprès de la Société RPS avant d’être déclaré en cessation des paiements
– JUGER que la Société RSB est créancière d’une somme à parfaire de 81 000 euros à l’encontre de la Société RPS ENGINEERING qui n’a pas encore été recouvrée par les organes de la procédure collective
– JUGER qu’il n’a pas sciemment poursuivi d’activité déficitaire
En conséquence :
– JUGER qu’il n’a pas commis de faute ayant contribué à l’augmentation du passif de la Société RSB
– INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 janvier 2022 ayant prononcé sa faillite personnelle pour 7 ans
– REJETER toute demandes, fins et conclusions du Ministère public, et notamment celle tendant à prononcer une mesure d’interdiction de gérer à son encontre
– CONDAMNER le Ministère Public à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens.
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Par un avis notifié par voie électronique le 22 avril 2022, le ministère public demande à la cour d’infirmer la décision du 25 janvier 2022 rendue par le Tribunal de commerce de Paris et de prononcer à l’encontre de M. [U] [O] [T] une mesure d’interdiction de gérer de cinq ans.
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La SELAFA MJA, bien que régulièrement assignée, n’a pas constituée avocat. Elle a transmis à la cour son dernier rapport, en date du 20 mars 2020.
SUR CE
Sur la nullité du jugement attaqué
M. [U] [O] [T] estime qu’il n’a pas été régulièrement convoqué à l’audience du 6 décembre 2021, ayant été informé seulement oralement le 4 octobre 2021, date d’une audience précédente, de la date d’audience. N’ayant été ni présent ni représenté à l’audience des plaidoiries il se fonde sur les articles 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme ainsi que sur l’article 16 du code de procédure civile qui impose au juge de faire respecter le principe du contradictoire, pour affirmer qu’il n’a pas été en mesure de donner les explications et les éléments nécessaires pour sa défense et que dès lors le jugement attaqué doit être annulé.
Le ministère public fait observer que le jugement attaqué précise que l’appelant a été cité à comparaître par acte d’huissier en date du 15 avril 2021 en vertu des articles 656 et 658 du code de procédure civile pour une audience prévue le 13 septembre 2021 ; que M. [U] [O] [T] a envoyé un certificat médical justifiant son absence à l’audience ; que le renvoi de l’audience a été décidé lors d’une audience de mise en état le 4 octobre 2021 durant laquelle M. [U] [O] [T] était présent. Le ministère public relève donc que l’appelant était informé oralement de la date d’audience et en conclut que la procédure était régulière.
Le dossier de première instance, mis à disposition de la cour, contient une côte du greffe du tribunal de commerce de Paris sur laquelle figure, à la date du 4 octobre 2021 tamponnée, les mentions selon lesquelles M. [O] [T] est présent, et qu’il est convoqué en audience publique de plaidoirie le 6 décembre suivant. Le jugement confirme la présence de M. [O] [T] à l’audience du 4 octobre 2021 au cours de laquelle le renvoi à l’audience du 6 décembre 2021 a été décidé. Aucun élément ne permettant de remettre en cause ces mentions apposées par le greffe dans le dossier de la procédure de première instance et par le tribunal dans son jugement, il y a lieu de constater que le principe du contradictoire et la Convention européenne des droits de l’Homme n’ont pas été méconnus, M. [O] [T] ayant été valablement informé de la date de renvoi de son affaire.
Il n’y a donc pas lieu de prononcer la nullité du jugement.
Sur l’inopposabilité de la date de cessation des paiements
L’appelant énonce que la date de cessation des paiements fixée par le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire le 23 octobre 2019 a été fixée plus de 18 mois avant l’ouverture de la procédure, qu’il n’était pas présent à l’audience d’ouverture de la procédure collective et n’a donc pas été informé de cette fixation, en violation de la procédure prévue à l’article L. 631-8 du code de commerce.
Le ministère public réplique que lors de l’ouverture de la procédure le tribunal doit en effet recueillir les observations du débiteur s’agissant de la date de cessation des paiements mais à condition que celui-ci soit présent ; que le débiteur peut contester la date de cessation des paiements en interjetant appel du jugement d’ouverture de la procédure. Il observe que M. [O] [T] n’a formé aucun appel ni aucune demande de report de la date de cessation des paiements, qui est donc devenue définitive et s’impose à tous.
La date de cessation des paiements retenue par le tribunal lors du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, dans un jugement devenu définitif car non frappé d’appel, s’impose à la cour dans le cadre de la procédure en sanction personnelle initiée à l’encontre du dirigeant de la personne morale placée en liquidation judiciaire. Cette date est donc opposable à M. [O] [T], à qui le jugement d’ouverture a été signifié et qui n’a pas interjeté appel.
Sur la sanction
L’appelant rappelle à titre liminaire que les juges doivent préciser les faits fondant la condamnation du dirigeant, que l’arrêt qui prononce une mesure de faillite personnelle sur le fondement de plusieurs fautes doit être cassé si l’une des fautes reprochées n’est pas passible d’une mesure de faillite personnelle et que selon l’article L. 651-2 du code de commerce modifié par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, la faute du dirigeant doit s’apprécier in abstracto par référence à la conduite d’un dirigeant normalement prudent, diligent et actif.
Il était reproché devant les premiers juges quatre griefs à M. [O] [T]. En cause d’appel, le ministère public n’en soutient plus que deux, abandonnant les griefs d’abstention de coopérer avec les organes de la procédure et d’augmentation frauduleuse du passif social. La cour, adoptant le raisonnement du ministère public les concernant, ne les retiendra pas.
– Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements
L’appelant, rappelle que depuis la loi du 26 juillet 2005 n° 2005-845, le défaut de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours n’est pas de nature à fonder une mesure de faillite personnelle mais seulement une interdiction de gérer ce qui n’a pas été demandé par le ministère public dans sa requête.
L’appelant conteste que le passif ait augmenté de 120 124 euros pendant la période suspecte car la société RSB est créancière d’une somme de plus de 81 000 euros à l’encontre de la société Engineering, créance qui n’a toujours pas été recouvrée par les organes de la procédure.
Le ministère public relève qu’au vu de l’ancienneté et du nombre des inscriptions sur l’état des privilèges, dont la plus ancienne date de mai 2017, l’appelant ne pouvait ignorer l’état de cessation des paiements et a donc sciemment omis de déposer le bilan. Il est par ailleurs précisé que l’aggravation du passif durant la période suspecte s’élève à 120 124 euros représentant 38’% du passif déclaré.
Le ministère public admet enfin que ce grief ne peut faire l’objet que d’une interdiction de gérer.
Il ressort des pièces du dossier que la procédure collective a été ouverte sur assignation d’un créancier le 23 octobre 2019 ; que la date de cessation des paiements a été fixée au 23 avril 2018, soit 18 mois avant l’ouverture de la procédure ; qu’il existait alors 15 inscriptions de privilège, font la plus ancienne remontait au 10 mai 2017. La déclaration de créance de l’administration fiscale fait état de TVA impayée à compter de l’exercice 2015, de cotisation foncière des entreprises impayée à compter de l’exercice 2017 et d’impôt sur les sociétés impayé à compter de l’exercice 2016. La déclaration de créance de l’URSSAF fait état de cotisations impayées dès 2015, impayés qui se sont poursuivis en 2017 et 2018.
Il en résulte que M. [O] [T] ne pouvait ignorer que la société qu’il dirigeait n’était pas à jour de ses obligations fiscales et sociales depuis 4 ans, lorsque la procédure collective a été ouverte, et qu’elle faisait l’objet de 15 inscriptions de privilège. C’est donc sciemment qu’il s’est abstenu de déposer une déclaration de cessation des paiements. Le grief sera retenu.
– Sur la tenue de la comptabilité
Le tribunal de commerce de Paris a jugé que la faute prévue à l’article L. 653-5 6° du code de commerce était caractérisée au motif que les documents comptables prévus par l’article L. 123-12 et suivants du code de commerce notamment les journaux, les grands livres bilans ainsi que les comptes de résultats et annexes n’avaient pas été communiqués.
L’appelant précise que sont versés aux débats la publication BODACC du 29 juin 2017 de preuve de dépôts des comptes 2016, la publication BODACC du 16 mai 2018 de preuve de dépôt des comptes 2017 le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels clos au 31 décembre 2017, les grands livres provisoires établis par expert comptable du 1er janvier au 31 décembre 2018 ainsi que l’ensemble des factures émises au cours de l’année 2018 faisant ressortir la bonne tenue de la comptabilité en 2018, et enfin les grands livres provisoires établis par expert comptable du 1er janvier au 1er octobre 2019.
Le ministère public énonce que les documents comptables prévus par la loi à savoir les journaux, les grands livres et les bilans et comptes de résultats et annexes n’ont pas été communiqués au liquidateur, que seuls les comptes 2016 et 2017 semblent avoir été tenus, mais qu’il n’existe aucun élément comptable pour les exercices 2018 et 2019.
Le ministère public considère dès lors qu’il est caractérisé une faute de gestion au regard de la comptabilité manifestement incomplète.
Il ressort des pièces du dossier que M. [O] [T] n’a pas remis l’intégralité de la comptabilité au liquidateur judiciaire, alors pourtant qu’il lui incombait, en tant que dirigeant, de veiller à la tenue des journaux, des grands livres, des bilans et des comptes de résultats. L’expert-comptable, qui avait une mission de tenue des comptes, a affirmé ne pas avoir établi de comptabilité pour l’exercice n2018, n’ayant obtenu aucun élément de la part de la société RSB.
M. [O] [T], sur qui pesait la charge de veiller à la bonne tenue de la comptabilité, n’a pas été en mesure de fournir de comptabilité à compter du 1er janvier 2018, alors que la procédure collective a été ouverte en octobre 2019.
Le grief sera donc retenu à son encontre.
Il y a donc lieu, au regard des deux griefs retenus, d’infirmer le jugement et de prononcer à l’encontre de M. [O] [T] une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de 3 ans.
PAR CES MOTIFS
Déboute M. [U] [O] [T] de sa demande d’annulation du jugement,
Infirme le jugement attaqué,
Statuant à nouveau,
Condamne M. [U] [O] [T] à une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de 3 ans,
Met les dépens de la première instance et de l’instance d’appel à sa charge.
La greffière La présidente