Cotisation foncière des entreprises : 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18403

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Cotisation foncière des entreprises : 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18403
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022

(n° /2022, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18403 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2CU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2020 -Tribunal de Commerce de MEAUX – RG n° 2019008288

APPELANTS

Monsieur [K] [L]

Né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 6]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 6]

Madame [M] [S]

Née le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 7]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 6]

Représentés par Me My-Kim YANG PAYA de la SCP SEBAN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498,

Assistés de Me Hakim ZIANE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498,

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. GARNIER [X], prise en la personne de Me [U] [X], en qualité de liquidateur judiciaire de la société BET ETR, immatriculée au registre du commerce et des societes de MEAUX sous le numéro 532 061 843,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 478 547 243,

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée et assistée de Me Carole BOUMAIZA de la SCP GOMME et BOUMAIZA, avocat au barreau de PARIS, toque : J94,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2022, en audience publique, devant la Cour, composée de :

Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre

Mme Anne-Sophie TEXIER, conseillère

Mme Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Anne-Sophie TEXIER dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Liselotte FENOUIL

MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 12 octobre 2021 et ses observations orales lors de l’audience.

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

La SARL Bet Etr, créée le 4 mai 2011 par MM. [G] et [L] et ayant eu pour associés, en dernier lieu et à parts égales, ce dernier et sa concubine, Mme [S], exerçait une activité d’ingénierie de la construction en béton armé. M. [G] en a été le gérant de sa création au 27 février 2014, date à laquelle il a été incarcéré et remplacé dans ses fonctions par Mme [S].

Sur requête du ministère public du 17 novembre 2016 et par jugement du 30 janvier 2017, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une liquidation judiciaire à l’égard de la SARL Bet Etr, fixé la date de la cessation des paiements au 31 juillet 2015 et désigné la SELARL Garnier-[X] en qualité de liquidateur.

Le 2 septembre 2019, le liquidateur a assigné M. [L], en qualité de gérant de fait de la société Bet Etr depuis sa création, et Mme [S], en tant que gérante de droit, en paiement d’une somme de 245 904,80 euros au titre du comblement de l’insuffisance d’actif de la société Bet Etr et prononcé d’une faillite personnelle ou d’une interdiction de gérer en leur imputant :

– à titre de fautes de gestion, une abstention de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal, une inobservation d’obligations légales et fiscales et une absence de tenue d’une comptabilité régulière ;

– à titre de faits passibles d’une sanction personnelle, une abstention de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal, une absence de coopération avec les organes de la procédure collective, un défaut de remise des renseignements à communiquer en application de l’article L. 622-6 du code de commerce, une absence de tenue d’une comptabilité régulière et, à M. [L] uniquement, l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole ou d’une fonction de direction ou d’administration d’une personne morale en violation d’une interdiction prévue par la loi.

Par jugement du 30 novembre 2020 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Meaux, après avoir retenu toutes les fautes de gestion et faits passibles d’une sanction personnelle, a :

– déclaré recevable et en partie fondée la demande du liquidateur,

– condamné solidairement Mme [S] et M. [L] à payer au liquidateur l’intégralité de l’insuffisance d’actif de la société Bet Etr, soit la somme de 200 000 euros,

– prononcé à l’égard de Mme [S] une interdiction de gérer d’une durée de 5 ans,

– prononcé à l’égard de M. [L] une faillite personnelle d’une durée de 10 ans,

– ordonné que les « frais, honoraires et dépens » soient employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Mme [S] et M. [L] ont relevé appel de ce jugement selon déclaration du 16 décembre 2020 en critiquant expressément tous ses chefs de dispositif, à l’exception de celui ayant déclaré recevable et en partie fondée la demande du liquidateur.

Dans ses conclusions n° 1 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 12 mars 2021, Mme [S] et M. [L] demandent à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de rejeter les demandes du liquidateur et de condamner ce dernier au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 juin 2021, la SELARL Garnier-[X], en qualité de liquidateur de la société Bet Etr, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de rejeter les demandes de Mme [S] et M. [L] et de condamner ces derniers à lui payer chacun la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Dans son avis déposé au greffe et notifié par voie électronique le 12 octobre 2021, le ministère public invite la cour à confirmer le jugement.

A l’audience, le ministère public a conclu à la confirmation du jugement sur la responsabilité pour insuffisance d’actif et à son infirmation sur les sanctions personnelles, préconisant le prononcé d’une interdiction de gérer de 4 ans à l’égard de Mme [S] et de 7 ans à l’égard de M. [L].

En application des articles 442 et 445 du code de procédure civile, la cour a invité le liquidateur à apporter des précisions sur les textes fondant ses demandes de prononcé de sanctions personnelles et les appelants à justifier de leur situation personnelle. Des notes ont été transmises par le liquidateur le 20 janvier 2022 et par les appelants le 2 février 2022.

SUR CE,

– Sur la recevabilité de la note en délibéré du liquidateur

Par lettre du 20 janvier 2022, le liquidateur a indiqué à la cour que, comme sollicité, il précisait les articles du code de commerce fondant ses demandes de sanctions personnelles et ce, afin de faciliter la lecture, en les insérant dans ses dernières conclusions, non modifiées pour le surplus.

Le 2 février 2022, les appelants ont soulevé l’irrecevabilité du document ainsi transmis en faisant valoir que l’article 802 du code de procédure civile interdisait le dépôt de conclusions après la clôture de l’instruction.

Même formalisées au moyen d’ajouts insérés dans les dernières écritures déposées, les observations transmises par le liquidateur le 20 janvier 2022, qui se bornent à apporter les précisions demandées par la cour en application des articles 442 et 445 du code de procédure civile, constituent une note en délibéré, et non de nouvelles conclusions.

La note en délibéré du liquidateur est dès lors recevable.

– Sur la direction de fait de M. [L]

La qualité de gérant de fait suppose l’accomplissement, en toute indépendance, d’actes positifs de gestion de la société débitrice.

Dans le rapport d’enquête préalable du 14 mai 2014 établi en application des articles L. 621-1 et R. 621-3 du code de commerce, il est indiqué que M. [L] a déclaré à l’enquêteur avoir constitué la société Bet Etr au mois de mai 2011 en association avec

M. [G] « après que sa propre entreprise, la société Etr [eut] fait l’objet d’une liquidation judiciaire ».

Selon un courrier de l’AGS du 8 mars 2017, la société Etr, gérée par M. [L] et ayant pour activité l’étude technique spécialisée en béton armé, a été placée en redressement puis liquidation judiciaires les 22 juin et 4 août 2010.

Il en ressort que, moins d’un an après la mise en liquidation judiciaire de la société Etr, qu’il avait dirigée, M. [L] a, avec M. [G], créé la société Bet Etr dont la dénomination sociale était proche et l’activité identique.

Le 18 avril 2011, M. [L] a signé le bail commercial consenti à la société Bet Etr non pas en qualité d’associé de cette dernière, alors en formation, mais de gérant.

A compter du 27 juin 2011, il a bénéficié d’une procuration consentie par M. [G] sur le compte bancaire ouvert au nom de la société Bet Etr dans les livres du Crédit industriel et commercial.

Par ailleurs, le rapport d’enquête précité du 14 mai 2014 précise que la personne qui s’est rendue au rendez-vous fixé par l’enquêteur était M. [L], muni d’un pouvoir, qui a alors « reconn[u] que Mme [S] n’exer[çait] pas véritablement de fonction de direction, cette fonction ayant été exercée principalement par M. [G] et lui-même ».

Postérieurement au 14 mai 2014, la société Bet Etr a fait l’objet de trois autres enquêtes préalables en application des articles L. 621-1 et R. 621-3 du code de commerce.

Le deuxième rapport, daté du 23 janvier 2015, mentionne que, par courriel de M. [L] du 21 janvier 2015, la société a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas se présenter.

Le troisième, daté du 9 février 2016, expose que la société s’est faite représenter par

M. [L] muni d’un pouvoir.

Le quatrième, daté du 16 janvier 2017, indique que Mme [S] s’est présentée accompagnée de M. [L] « qui gère en fait les chantiers ».

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [L] était bien le gérant de fait de la société Bet Etr. Au demeurant, ce dernier ne fait valoir aucune observation sur ce point.

– Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif

L’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce dispose :

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. »

La responsabilité pour insuffisance d’actif suppose donc une insuffisance d’actif et une faute de gestion ne relevant pas d’une simple négligence ayant contribué à cette insuffisance.

* L’insuffisance d’actif

Le liquidateur justifie que le passif admis s’élève à 259 018,53 euros et l’actif réalisé à 13 035 euros, de sorte que l’insuffisance d’actif ressort à 245 904,80 euros, montant qui n’est au demeurant pas discuté par les appelants.

* Les fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif

L’abstention de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal

Le liquidateur soutient que M. [L] et Mme [S] se sont abstenus de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal et qu’eu égard à l’ancienneté des dettes sociales et fiscales de la société Bet Etr, cette abstention ne procède pas d’une simple négligence.

Les appelants contestent le caractère volontaire de l’abstention en faisant valoir que, compte tenu de l’importance des créances clients détenues par la société Bet Etr, des échéanciers consentis par l’Urssaf et Humanis et de la saisine de la CCSF, il était possible de faire face au passif exigible.

Ils prétendent également que la société Bet Etr a été fragilisée par les malversations de

M. [G], à l’origine selon eux d’une « grave défaillance dans les comptes de la société » ainsi que de « dommages immédiats » et « sur le long terme ».

Ils en déduisent que « les critères rattachés à l’existence d’un état de cessation des paiements n’étaient pas remplis en l’espèce ».

La faute de gestion examinée s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée par le jugement de liquidation judiciaire, à savoir le 31 juillet 2015.

En application de l’article L. 653-8 du code de commerce, M. [L] et Mme [S] étaient tenus de demander l’ouverture d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire dans les 45 jours de la cessation des paiements, soit au plus tard le 14 septembre 2015, ce dont ils se sont abstenus, cette ouverture ayant été sollicitée par le ministère public le 17 novembre 2016.

Si la société Bet Etr était titulaire de créances clients représentant un montant élevé (177 2014 euros au 31 décembre 2013, 210 958 euros au 31 décembre 2014, 207 923 euros au 31 décembre 2015 et 214 845 au 31 juillet 2016), les appelants n’expliquent pas en quoi cette difficulté permanente à obtenir le paiement des prestations effectuées était susceptible d’être résolue.

Par ailleurs, les comptes annuels 2013 à 2015 de la société Bet Etr et la situation arrêtée au 31 juillet 2016 révèlent que cette dernière s’est trouvée dans l’incapacité manifeste de faire face à ses dettes sociales et fiscales qui, alors qu’elles atteignaient déjà 125 366 euros au 31 décembre 2013, ont été portées à 207 841 euros au 31 décembre 2014 puis à 274 167 euros au 31 décembre 2015 avant de diminuer légèrement, le passif correspondant s’élevant à 235 073 euros au 31 juillet 2016.

Parallèlement, les inscriptions de privilège des créanciers publics se sont multipliées, 7 ayant été prises entre le 14 janvier 2015 et le 19 avril 2016, dont 4 après la cessation des paiements (par l’Urssaf les 14 octobre 2015 et 20 janvier 2016 pour 16 524 euros et 8 592 euros, avec une radiation partielle intervenue le 3 août 2016, par le Trésor public le 14 octobre 2015 pour 15 216,53 euros et par Humanis le 19 avril 2016 pour 2 066 euros).

Si, à la suite des actions diligentées par l’Urssaf et des délais de paiement accordés par cette dernière, la dette sociale a pu être contenue (seules restant impayées, à la date du jugement de liquidation judiciaire, des cotisations sociales afférentes aux 1er et 2e trimestres 2015 et aux 3e et 4e trimestres 2016), la totalité des échéances mensuelles de TVA des mois de mai 2015 à juillet 2016, à l’exception de celle du mois de juin 2016, restaient impayées au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire et les démarches entreprises auprès de la CCSF n’ont pas abouti.

Enfin, il convient de relever qu’aucune précision n’est fournie par les appelants sur l’incidence des prétendues malversations commises par M. [G], étant observé que, selon le rapport d’enquête du 14 mai 2014, M. [L] a déclaré à l’enquêteur que « le départ de M. [G] n’avait pas eu d’impact sur le niveau de l’activité de l’entreprise ».

Dans ces conditions, il apparaît que l’omission de déclarer la cessation des paiements pendant 16 mois et demi après l’expiration du délai légal imparti pour ce faire constitue une faute de gestion ne relevant pas d’une simple négligence.

Les déclarations de créance de l’administration fiscale et de l’Urssaf révèlent qu’entre le 15 septembre 2015 et le 30 janvier 2017, sont nés un passif fiscal de 104 054 euros (TVA des mois d’octobre 2015 à décembre 2016 : 7 928 + 3 318 + 7 244 + 3 926 + 6 918 + 5 322 + 5 198 + 4 828 + 10 856 ; TVA janvier 2017 : 8 612 + 34 923 ; cotisation foncière des entreprises 2016 et 2017 : 690 + 750 ; taxe d’apprentissage et de formation professionnelle continue 2016 : 1 958 + 1 583) et un passif social de 13 462,24 euros (cotisations sociales des 3e et 4e trimestres 2016 : 8 194 + 5 268,24).

Il s’ensuit que la faute de gestion commise par Mme [S] et M. [L] a contribué à l’insuffisance d’actif.

L’inobservation des obligations fiscales « et légales »

Le liquidateur expose que la société Bet Etr a reçu notification d’une proposition de rectification fiscale datée du 24 avril 2017 qui fait état d’une absence de déclaration de la TVA afférente au mois de janvier 2017 et de la TVA compte client de 2017 ainsi que du non-paiement des taxes de formation et d’apprentissage des années 2015 et 2016. Il soutient qu’en l’absence de réponse apportée à la proposition de rectification, la société Bet Etr a fait l’objet d’une taxation d’office pour un montant de 50 617 euros qui a contribué à l’insuffisance d’actif.

Les appelants contestent l’existence d’une taxation d’office.

La proposition de rectification du 24 avril 2017 mentionne que la TVA en cause est celle afférente au mois de janvier 2017 et que la taxation d’office résulte de l’absence de déclaration effectuée au plus tard le 30 mars 2017.

Il s’ensuit que la faute de gestion alléguée, consistant à ne pas avoir déclaré la TVA avant l’expiration du délai déclenchant la taxation d’office, est postérieure au jugement de liquidation judiciaire du 30 janvier 2017, et, partant, n’est pas susceptible d’engager la responsabilité des appelants sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce.

Par ailleurs, le liquidateur n’établit ni en quoi le seul défaut de paiement des taxes d’apprentissage et de formation professionnelle continue des années 2015 et 2016 caractérise une faute de gestion, ni en quoi ce défaut de paiement, afférent à des taxes dont la société Bet Etr était redevable indépendamment de la proposition de rectification fiscale, a contribué à l’insuffisance d’actif.

La responsabilité des appelants n’est donc pas engagée à raison de la faute examinée.

L’absence de tenue d’une comptabilité conforme

Le liquidateur fait valoir que la comptabilité des exercices 2015 et 2016 n’a pas été communiquée lors de l’enquête et à la suite de l’ouverture de la procédure collective, qu’il ne lui appartenait pas de contacter l’expert-comptable pour obtenir ces éléments et que les documents à transmettre par le débiteur en application de l’article L. 622-6 du code de commerce, dont la liste des créanciers, n’ont pas été remis. Il en déduit qu’il y a lieu de constater « la non-tenue d’une comptabilité conforme ».

Les appelants contestent l’absence de tenue de la comptabilité, soulignent qu’à la date de l’ouverture de la liquidation judiciaire, le 30 janvier 2017, le délai légal pour déposer les comptes annuels 2016 n’était pas expiré et arguent qu’il a été remis au liquidateur un projet de bilan arrêté au 31 juillet 2016, un prévisionnel d’exploitation 2016-2018 et des éléments relatifs au passif.

Seules les fautes de gestion commises avant l’ouverture de la liquidation judiciaire, intervenue le 30 janvier 2017, sont susceptibles d’engager la responsabilité des appelants sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce.

L’invocation, par le liquidateur, du défaut de remise, entre ses mains, de la comptabilité ou des éléments prévus par L. 622-6 du code de commerce n’est dès lors opérante qu’en ce qu’elle pourrait constituer un indice d’une absence de tenue de la comptabilité antérieure à la liquidation judiciaire.

Toutefois, cet indice est contredit par la production, par les appelants, des comptes annuels de la société Bet Etr des exercices 2014 et 2015 ainsi que d’un bilan et d’un compte de résultat arrêtés au 31 juillet 2016.

Ensuite, aucun élément du dossier ne permet de retenir que l’expert-comptable a cessé de tenir la comptabilité à compter du 31 juillet 2016, circonstance que le liquidateur s’est abstenu de vérifier, alors qu’il lui incombe de prouver les faits qu’il allègue.

Enfin, la liquidation judiciaire ayant été ouverte le 30 janvier 2017, moins d’un mois après la clôture de l’exercice 2016, il n’est pas démontré que l’absence d’établissement des comptes annuels de cet exercice soit imputable aux dirigeants de la société Bet Etr.

La faute de gestion en cause n’est donc pas établie.

* Le comblement de l’insuffisance d’actif

Il a été retenu une faute de gestion à l’égard de M. [L] et de Mme [S], tenant à l’omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal, qui a été commise conjointement.

Cette faute ne procède pas d’un comportement malhonnête mais a contribué à l’insuffisance d’actif à hauteur de plus de 117 000 euros.

M. [L], bénéficiaire d’une pension d’invalidité, et Mme [S], salariée de la société ISB Ingénierie, justifient avoir perçu en 2020 des revenus imposables de, respectivement, 19 051 euros et 16 783 euros et avoir un enfant à charge âgé de 18 ans.

M. [L] rembourse deux emprunts immobiliers, un emprunt pour travaux et un crédit à la consommation à hauteur d’un montant total de 1 499 euros par mois. L’appel de provision émis par le syndic de copropriété qu’il verse aux débats révèle qu’il est propriétaire de deux appartements et de deux parkings.

En considération de ces éléments, M. [L] et Mme [S] seront condamnés solidairement à payer au liquidateur la somme de 80 000 euros au titre du comblement de l’insuffisance d’actif de la société Bet Etr, le jugement étant infirmé en ce qu’il a fixé cette condamnation à 200 000 euros.

– Sur les sanctions personnelles

* L’omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal

L’article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce dispose qu’une interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 « qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation ».

Il a été dit que le délai de 45 jours prévu par ces dispositions avait expiré le 14 septembre 2015 et qu’à la date du jugement de liquidation judiciaire du 30 janvier 2017, M. [L] et Mme [S] n’avaient toujours pas demandé l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires.

S’ils contestent le caractère délibéré de cette abstention, il ressort des éléments mis en exergue lors de l’examen de la faute de gestion correspondante, que l’incapacité de la société Bet Etr à faire face à ses dettes sociales et fiscales était manifeste et, partant, que les intéressés n’ont pu ignorer la situation de cessation des paiements de celle-ci, de surcroît pendant une période de 16 mois et demi.

Dès lors, le grief est caractérisé.

* L’absence de tenue d’une comptabilité régulière

L’article L. 653-5, 6°, du code de commerce prévoit qu’est passible d’une faillite personnelle toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui a « fait disparaître des documents comptables, [n’a pas] tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou [a] tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ».

Le liquidateur, dont les moyens identiques à ceux présentés pour caractériser la faute de gestion tenant à l’absence de tenue d’une comptabilité « conforme », ne démontre pas le fait qu’il allègue et ce, pour les motifs exposés précédemment.

Le grief n’est donc pas établi.

* Le défaut de remise au liquidateur des renseignements à communiquer en application de l’article L. 622-6 du code de commerce

L’article L. 653-8, alinéa 2, du code de commerce prévoit qu’une interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 « qui, de mauvaise foi, n’aura pas remis […] au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture […] ».

L’article L. 622-6 du même code, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l’article L. 641-4, dispose que le débiteur remet au liquidateur « la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours » et qu’il l’« informe des instances en cours auxquelles il est partie ».

Le liquidateur se borne à faire valoir que les renseignements prévus par l’article L. 622-6 du code de commerce ne lui ont pas été remis dans le mois du jugement d’ouverture sans préciser, ni, a fortiori, établir en quoi cette abstention procède d’un comportement de mauvaise foi de la part de M. [L] et Mme [S].

Le grief n’est donc pas caractérisé.

* L’abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure collective

L’article L. 653-5, 5°, du code de commerce prévoit qu’est passible d’une faillite personnelle toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui « [a], en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ».

Le liquidateur fait valoir que M. [L] et Mme [S] n’ont remis ni la comptabilité de l’exercice 2016, ni la liste des créanciers, ni le compte clients.

Le défaut de remise de la liste des créanciers est sanctionné par l’article L. 653-8, alinéa 2, du code de commerce.

Par ailleurs, le liquidateur n’établit pas, ni même ne précise, en quoi l’absence de communication de la comptabilité de l’exercice 2016 et du compte clients procède d’une abstention volontaire de coopérer. En particulier, il ne justifie pas avoir sollicité ces éléments, dont la remise n’est prescrite par aucun texte.

Le grief ne peut donc être retenu.

* L’exercice d’une activité contrairement à une interdiction prévue par la loi

L’article L. 653-5, 1°, du code de commerce dispose qu’est passible d’une faillite personnelle toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui « [a] exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d’administration d’une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ».

M. [L] a géré de fait la société Bet Etr jusqu’au 30 janvier 2017 alors qu’il avait fait l’objet d’une faillite personnelle d’une durée de 5 ans prononcée par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 20 novembre 2012, mesure qui, conformément à l’article

L. 653-2 du code de commerce, emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, notamment, toute entreprise commerciale.

Le grief est donc caractérisé.

* La détermination des sanctions

Les appelants font valoir qu’une mesure d’interdiction de gérer ou de faillite personnelle emporterait pour eux des conséquences très graves en ce que tant M. [L], atteint d’une fibrose pulmonaire, reconnu travailleur handicapé et âgé de 53 ans, que Mme [S], âgée de 44 ans, ne sont pas en mesure de trouver un emploi sur le marché du travail. Ils ajoutent qu’une telle mesure mettrait en péril la survie de la SAS ISB Ingénierie, dont M. [L] est le président et qui emploie 5 personnes.

M. [L] et Mme [S] justifient de la situation personnelle qu’ils allèguent.

Force est de constater, toutefois, qu’en omettant de déclarer la cessation des paiements de la société Bet Etr, ils ont permis à cette dernière de poursuivre son activité pendant une période de 16 mois et demi au cours de laquelle est née une partie importante de l’insuffisance d’actif.

M. [L] aurait dû se montrer d’autant plus vigilant quant au respect du délai légal imparti pour déclarer la cessation des paiements qu’il avait déjà été confronté, en tant que dirigeant, au redressement puis à liquidation judiciaires de la société Etr les 22 juin et 4 août 2010.

De surcroît, le second grief retenu à l’encontre de M. [L], consistant à avoir géré la société Bet Etr alors qu’il en avait l’interdiction, revêt une particulière gravité.

Enfin, il convient de relever que Mme [S] a accepté d’être nommée gérante de la société Bet Etr sans ensuite effectivement assumer des fonctions de direction, laissant ainsi

M. [L] gérer la société, alors qu’en tant que concubine, elle ne pouvait ignorer la mesure de faillite personnelle dont ce dernier faisait l’objet.

En considération de ces éléments, il sera prononcé à l’encontre de Mme [S] et de

M. [L] une interdiction de gérer de, respectivement, 3 ans et 7 ans, les dispositions contraires du jugement étant infirmées.

– Sur les dépens et frais irrépétibles

Les appelants, qui succombent partiellement, seront tenus aux dépens de première instance, le jugement étant infirmé en ce qu’il a ordonné leur emploi en frais privilégiés de liquidation judiciaire, et d’appel.

Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la note en délibéré transmise le 20 janvier 2022 par la SELARL Garnier-[X], en qualité de liquidateur de la SARL Bet Etr,

Infirme les chefs de dispositif du jugement déférés à la cour,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne solidairement Mme [M] [S] et M. [K] [L] à payer à la SELARL Garnier-[X], en qualité de liquidateur de la SARL Bet Etr, la somme de 80 000 euros au titre du comblement de l’insuffisance d’actif de cette société,

Prononce à l’encontre de Mme [M] [S], née le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 7] (92), une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 3 ans,

Prononce à l’encontre de M. [K] [L], né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 6] (93), une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 7 ans,

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme [M] [S] et M. [K] [L] aux dépens.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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