Cosmétique : 20 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00445

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Cosmétique : 20 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00445

20 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/00445

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°.

N° RG 22/00445 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SNBV

S.A.S. ETS [E]

C/

Société CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julien LEMAITRE

Me Elsa GUENNO-LE PARC

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Morgane LIZEE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 Avril 2023

devant Madame Olivia JEORGER-LE GAC, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

S.A.S. ETS [E], immatriculée au RCS de VANNES sous le n°341 093 573, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Julien LEMAITRE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Guillaume PIERRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN, immatriculée au RCS de VANNES sous le n°777 903 816, agissant poursuites et diligences de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Elsa GUENNO-LE PARC de la SELARL SELARL GUENNO-LE PARC CHEVALIER KERVIO LE CADET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

La SAS [E] a pour activité la conception et la réalisation d’outillage pour l’injection plastique, dans les domaines de l’emballage cosmétique, paramédical et alimentaire.

Elle est titulaire depuis une vingtaine d’années de comptes auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Morbihan (le CREDIT AGRICOLE).

Elle a été victime entre le 26 mai et le 02 juin 2020 d’une escroquerie dite ‘au président’, qui a conduit une comptable nouvellement salariée, Mme [H], à effectuer vers une société située en Hongrie les virements suivants:

– 61.254,74 euros le 26 mai 2020,

– 55.303,81 euros le 26 mai 2020,

– 69.854,14 euros le 26 mai 2020,

– 93.415,75 euros le 28 mai 2020,

– 95.751,63 euros le 28 mai 2020,

– 89.103,47 euros le 02 juin 2020.

Soit un total de 464.683,54 euros.

Le CREDIT AGRICOLE a refusé de lui restituer les fonds, alléguant des défaillances dans le contrôle interne de l’entreprise.

Par acte du 22 septembre 2020, la société [E] a fait assigner le CREDIT AGRICOLE en paiement de la somme de 464.683,54 euros.

Par jugement du 14 janvier 2022, le tribunal de commerce de Vannes a:

– débouté la société [E] de ses prétentions,

– débouté le CREDIT AGRICOLE de sa demande reconventionnelle,

– condamné la société [E] au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société [E] aux dépens,

– rejeté le surplus des demandes.

Appelante de ce jugement, la société [E], par conclusions du 07 mars 2023, a demandé que la Cour:

– infirme le jugement déféré

– déboute le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL de l’ensemble de ses demandes,

– annule les six virements opérés par la société [E] pour vice du consentement,

– juge que le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDITAGRICOLE MUTUEL n’a pas rempli son devoir d’alerte, et commis une négligence grave,

– dise et juge qu’aucune faute ne peut être reprochée à la société ETS [E] en raison de la méthode utilisée la « fraude au Président » dont elle a été victime,

En conséquence :

– dise et juge que la faute commise par le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL a causé le préjudice subi par la société ETS [E],

– condamne en conséquence le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL à verser à la société ETS [E] la somme de 464.683,54 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 juillet 2020,

– condamne le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL à verser à la société ETS [E] la somme de 7000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– condamne le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN – CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions du 24 mars 2023, le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN a demandé que la Cour:

– déclare le CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN recevable et bien fondé en ses écritures.

– déboute la Société ETS [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

– confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de VANNES le 14 janvier 2022.

– condamne la Société ETS [E] à verser au CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN la somme de 7000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– condamne la Société ETS [E] aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION:

La société [E] a été victime d’une escroquerie assez classique dite ‘au président’, qui a visé sa comptable, Mme [H], en lui faisant réaliser des virements internationaux.

Madame [H] a commencé par recevoir des courriels émanant prétendument du président de la société [E], M. [F], lequel lui indiquait qu’un avocat du cabinet KPMG, M. [M], allait prendre contact avec elle pour une opération de la plus haute importance sur laquelle elle devait garder le secret; il lui était ainsi demandé de respecter les instructions de M. [M], de ne pas mettre M. [F] en copie des mails échangés avec M. [M] et de ne pas échanger verbalement avec M. [F] du dossier.

Une opération du fusion acquisition au visa de l’Autorité des Marchés Financiers était alléguée.

Malgré diverses incohérences et notamment:

– un président qui la vouvoie alors que le tutoiement est de rigueur entre eux,

– un président qui lui demande le montant des soldes bancaires plutôt que d’y accéder lui-même,

– des factures évoquées mais jamais jointes pour justifier les paiements,

Mme [H], en quelques jours, effectuera les virements mentionnés plus haut, à destination d’une société dont le compte bancaire était détenu dans les livres d’une banque située en Hongrie.

Mme [H] avait comme spécificité d’avoir été récemment embauchée, en remplacement d’une comptable partie en congés maladie.

Elle était présente dans l’entreprise depuis quatre mois, avec un contrat à durée déterminée.

Malgré son absence d’ancienneté, il lui avait été remis par les dirigeants de la société [E], Messieurs [F] et [E], les codes internet lui permettant de réaliser des virements à l’étranger, sans limitation de montant.

Elle avait été présentée au CREDIT AGRICOLE comme remplaçant l’ancienne comptable.

Ainsi, lorsque le CREDIT AGRICOLE, après les quatre premiers virements, souhaitera vérifier que les deux derniers virements étaient bien autorisés, il prendra contact avec elle, et Mme [H] confirmera les autorisations données.

Les procédures de ‘recall’ mises en oeuvre par le CREDIT AGRICOLE n’ont pas permis le retour des fonds en France.

L’examen des pièces versées aux débats démontre que malgré la demande réitérée du CREDIT AGRICOLE, la société [E] s’est refusée à verser aux débats l’audition de Mme [H] par la gendarmerie, qui pourtant aurait pu permettre d’avoir une vision plus précise de l’escroquerie.

Le CREDIT AGRICOLE a d’autre part justifié qu’entre le 1er février et le 03 juin 2020, elle a effectué pour le compte de la société [E], quarante-une opérations vers l’étranger. Durant les douze mois précédant l’escroquerie, dix virements de plus de 20.000 euros avaient été émis au bénéfice de banques étrangères dont l’un de 75.000 euros.

La société [E] fonde son action contre le CREDIT AGRICOLE sur divers moyens.

Le défaut d’information de la banque:

La société [E] reproche au CREDIT AGRICOLE de ne pas l’avoir sensibilisée aux risques de fraude et aux nécessités de renforcer les mécanismes de sécurité interne.

Un tel grief n’est pas fondé: l’escroquerie a eu lieu en 2020, à une époque à laquelle les escroqueries dites ‘au président’ prospéraient depuis des années, et faisaient l’objet d’articles de presse fréquents.

Ensuite, point n’est besoin de se voir délivrer une information sur les mécanismes de sécurité interne pour s’abstenir de délivrer des codes bancaires à une comptable remplaçante.

L’absence d’autorisation donnée aux virements frauduleux et la nullité des ordres de virements:

Un tel moyen ne peut être utilement soutenu.

Les dirigeants de la société [E], ont remis à Mme [H] les codes lui permettant d’effectuer toutes opérations bancaires dont des virements à l’étranger sans limitation de montant.

Ces codes étaient, selon la convention du 21 mars 2017 conclue avec le CREDIT AGRICOLE et versée aux débats, des codes qui leurs avaient été personnellement attribués.

En agissant ainsi, ils ont librement donné mandat à Mme [H] d’effectuer toutes opérations bancaires en leur nom et pour le compte de la société [E].

L’article L133-7 du code monétaire et financier prévoit ainsi que le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de service de paiement.

Tel a été précisément le cas en l’espèce, les paiements ayant été ordonnés et validés avec les codes remis dans le cadre de la convention de compte.

Ils n’ont pas avisé la banque de ce leurs codes étaient remis à Mme [H].

Les dirigeants de la société MAHEVA S ont ainsi contrevenu aux dispositions de l’article L133-16 du code monétaire et financier leur enjoignant de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données personnalisées.

L’absence de faute de la part de la société [E]:

Ce moyen est infondé.

L’escroquerie a été largement permise par le fait que Mme [H] était nouvelle dans l’entreprise et n’avait pas encore établi de relations de proximité avec ses dirigeants.

Les virements ont été réalisés malgré de nombreuses incohérences, notamment quant aux adresses mail du faux M. [F], quant à son vouvoiement, quant à ses questions.

Une employée ayant eu une connaissance plus ancienne et plus approfondie de l’entreprise aurait détecté ces incohérences , ou a tout le moins se serait sentie suffisamment en confiance pour demander, malgré sa directive, un entretien confidentiel à son dirigeant pour s’entretenir de ses directives inhabituelles avec lui.

La faute ayant consisté à remettre à une comptable nouvelle dans l’entreprise des codes d’accès permettant d’effectuer sans limitation de montant des virements à l’étranger est une faute de légèreté et d’imprudence grossière.

Le manquement à l’obligation de vigilance:

Ce reproche est partiellement fondé, quoique ne l’étant pas dans les proportions évoquées par la société [E].

Mme [H] a effectué six virements en l’espace de six jours, pour près de 500.000 euros, au bénéfice d’une société ayant un compte bancaire en Hongrie, et pour laquelle aucun précédent virement n’avait été ordonné.

Le CREDIT AGRICOLE, qui n’a pas à s’immiscer dans les affaires de sa cliente, a pu justifier que la société [E] travaillait régulièrement à l’international et effectuait régulièrement des virements de montants importants vers trois pays européens (ne comprenant pas la Hongrie).

Dès lors, compte tenu de cette internationalité de l’activité de la société [E], l’attention de la banque, devant des virement régulièrement autorisés avec les outils mis à la disposition de la société [E], n’avait pas à être spécifiquement attirée dès le premier virement, ceci malgré la ‘mauvaise réputation’ dont jouissent les pays de l’Est de l’Europe en matière de sécurité bancaire.

Ce n’est qu’en présence d’une anomalie apparente a que les banques sont en effet tenues à un devoir de vigilance devant les conduire à procéder à des vérifications supplémentaires, permettant de vérifier que les autorisations formelles (codes) qui ont été reçues ne sont pas que des autorisations apparentes.

En l’espèce, compte tenu de l’activité internationale de la société [E], aucune anomalie apparente n’était immédiatement détectable, seul le cumul de virements en un laps de temps très court pouvant attirer l’attention de la banque.

A cet égard,le CREDIT AGRICOLE a détecté l’anomalie pour les cinquième et sixième virements et il n’est pas fautif qu’il ne l’ait pas détectée pour les virements antérieurs.

Le CREDIT AGRICOLE a ensuite appelé Mme [H] pour vérifier que les virements étaient autorisés.

Toutefois, il n’a pas exécuté cette obligation conformément à la convention du 21 mars 2017, qui aurait dû le conduire à appeler l’un ou l’autre des titulaires des codes, et non la comptable de l’entreprise dont il est notoire qu’ils ou elles sont les cibles des escrocs.

A cet égard, la convention précitée prévoit que le CREDIT AGRICOLE n’est tenu ‘qu’à la vérification des pouvoirs spécifiques prévus aux présentes’ mais tel n’a pas été le cas, la vérification n’ayant pas été faite auprès des titulaires des pouvoirs.

Ce manquement n’a pas permis la détection de l’escroquerie puisque Mme [H] a répondu pour justifier les virements.

Or, l’exécution par la banque de son devoir de vigilance conformément aux dispositions conventionnelles, soit en procédant à une vérification auprès de M. [F] ou de M. [E], aurait permis de détecter l’escroquerie et donc d’éviter l’envoi des deux derniers mandats, pour un montant total de 184.855,10 euros.

Nonobstant la faute commise par la société [E], celle commise par le CREDIT AGRICOLE a causé un préjudice de 184.855,10 euros à la société [E].

En conséquence, le CREDIT AGRICOLE est condamné à payer à la société [E] la somme de 184.855,10 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt compte tenu de la nature indemnitaire de la condamnation.

Chacune des parties succombant partiellement, elles garderont à leur charge leurs propres frais irrépétibles et dépens, de première instance comme d’appel.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement déféré.

Statuant à nouveau:

Condamne la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN à payer à la SAS [E] la somme de 184.855,10 euros.

Rejette le surplus des demandes.

Dit que chaque partie gardera à sa charge ses dépens et frais irrépétibles, de première instance comme d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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