Cosmétique : 13 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/06316

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Cosmétique : 13 avril 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/06316

13 avril 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/06316

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 13/04/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/06316 – N° Portalis DBVT-V-B7F-UAKB

& RG 22/509 (ordonnance de jonction du 31 mars 2022)

Jugement (N° 2021002593) rendu le 02 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTE

SARL France Commerce Patrimoine, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social, [Adresse 2]

représentée par Me Guillaume Boureux, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur Monsieur [K] [M], pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL Cig Air

de nationalité française

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Sylvie Lhermie, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

SCI Mimosas, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social, [Adresse 3]

représentée par Me Isabelle Mervaille-Guemghar, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

assistée de Me Michel Mall, avocat au barreau de Strasbourg, avocat plaidant

SARL Cig Air représentée par la SELARL R&D, prise en la personne de Maître [D] [X] ès qualités de mandataire ad hoc suivant ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 13 avril 2021

ayant son siège social, [Adresse 1]

Défaillante à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 15 février 2022 à personne habilitée

SELARL R&D prise en la personne de Me [D] [X] en sa qualité de mandataire ad’hoc de la SARL Cig Air

ayant son siège social, [Adresse 5]

défaillante à qui la déclaration d’appel a été signifiée à personne habilitée le 15 février 2022

DÉBATS à l’audience publique du 31 janvier 2023 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Samuel Vitse, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 janvier 2023

****

FAITS ET PROCEDURE

La SARL France commerce patrimoine est promoteur et marchand de biens immobiliers. Elle a pour co-gérants Messieurs [Y] [S] et [U] [B].

Le 29 août 2014, elle a fait l’acquisition d’un bien immobilier à usage commercial situé à [Adresse 7], pour un prix principal de 135 000 euros.

Afin de récupérer sa libre disposition, elle a versé une indemnité d’éviction de 115 000 euros au locataire en place, puis a loué le local à la SARL Cig air, dont les associés étaient Monsieur [K] [M], la SARL Financière de commerce et la SARL Société développement et commerce, les dirigeants de ces dernières étant Messieurs [Y] [S] et [U] [B].

Le bail commercial conclu entre les sociétés France commerce patrimoine et Cig air a pris effet au 1er janvier 2015 et prévoyait le paiement d’un loyer annuel de 24 000 euros HT HC.

Par une publication en date du 21 octobre 2016 sur la plateforme de ventes immobilières Coseyvox, la société France commerce patrimoine a mis l’immeuble en vente au prix de 280 000 euros, en faisant état d’un loyer annuel de 24 000 euros.

Le 4 décembre 2016, la SCI Mimosas, qui a pour objet social l’acquisition d’immeubles ainsi que l’administration et l’exploitation des immeubles dont elle est propriétaire, a adressé une offre d’achat au prix de 240 000 euros, acceptée par la société France commerce patrimoine le 9 décembre 2016.

La vente a été réalisée par acte notarié du 19 avril 2017.

Le 19 juin 2017, la société Mimosas a reçu congé de la société Cig Air à effet au 1er décembre 2017. La bailleresse a vainement cherché un nouveau locataire pour un loyer similaire, et n’a conclu un nouveau bail commercial que le 27 mars 2018 moyennant un loyer annuel de 13 200 euros HT.

Procédant à des investigations, elle a découvert que la société Cig air comptait parmi ses associés les sociétés Financière de commerce et Société développement et commerce gérées par Messieurs [Y] [S] et [U] [B].

Estimant sa « perte de rentabilité attendue sur la durée du bail commercial » à 199 110 euros, elle mis en demeure la société France commerce patrimoine de compenser cette perte par courrier du 28 mai 2018.

Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre.

Par acte d’huissier du 28 septembre 2018, la société Mimosas a assigné la société France commerce patrimoine devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, en vue d’obtenir la réparation de son préjudice.

L’affaire a fait l’objet d’une décision de radiation afin de sanctionner le manque de diligences des parties le 2 décembre 2020.

Suite à une demande de réinscription, le dossier a été appelé à l’audience de mise en état du 6 avril 2021.

La société Cig air ayant été dissoute le 31 décembre 2018, avec publication au BODACC du 25 avril 2019, puis radiée du registre du commerce et des sociétés, avec publication au BODACC du 21 janvier 2021, dans le cadre d’une procédure de dissolution amiable menée par Monsieur [M], la société Mimosas a obtenu du président du tribunal de commerce de Lille Métropole, selon ordonnance du 13 avril 2021, qu’il désigne un mandataire ad hoc afin de la représenter à la procédure. La société R&D, prise en la personne de Maître [D] [X], a été désignée.

Par acte d’huissier du 29 avril 2021, la société Mimosas a assigné en intervention forcée la société Cig air, représentée par son mandataire ad hoc.

Monsieur [M] est intervenu volontairement à la procédure en qualité de liquidateur amiable de ladite société.

Après avoir vainement demandé à Monsieur [M], par courrier du 7 mai 2021, de produire les documents sollicités par la société Mimosas, à savoir ses bilans 2016 et 2017 et les annexes correspondantes, en particulier l’annexe 2058 C contenant le détail du poste « autres achats et charges externes », afin d’éviter une procédure contentieuse longue et coûteuse, Maître [X] a pris la décision de ne pas intervenir à la procédure.

Par jugement rendu le 2 novembre 2021, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

« ACTE l’intervention de CIG AIR à l’affaire enrôlée sous le numéro RG 2021005314

ORDONNE la jonction de l’affaire RG 2021005314 à la présente affaire enrôlée sous le numéro RG 2021002593

DIT valable l’intervention volontaire de Monsieur [M] à la présente instance

DECLARE la demande de la SCI MIMOSAS recevable

DEBOUTE SCI MIMOSAS de sa demande de communication de pièces

DIT que FRANCE COMMERCE PATRIMOINE a manqué à son obligation d’information précontractuelle à l’égard de SCI MIMOSAS

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la SCI MIMOSAS la somme de 54.000,00 € pour violation de son obligation d’information précontractuelle

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la société SCI MIMOSAS la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

DIT que l’exécution provisoire est de droit et qu’il n’y a pas lieu à y déroger

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE aux dépens de l’instance, taxés et liquidés à la somme de 69,58 € (en ce qui concerne les frais de Greffe). ».

Par déclaration du 17 décembre 2021, la société France commerce patrimoine a relevé appel de cette décision en ces termes : «  Appel du jugement en ce qu’il a : – Déclaré la SCI MIMOSAS recevable – Dit que FRANCE COMMERCE PATRIMOINE a manqué à son obligation d’information précontractuelle à l’égard de la SCI MIMOSAS – Condamné la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la SCI MIMOSAS la somme de 54.000,00 € pour violation de son obligation d’information précontractuelle – Condamné la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la SCI MIMOSAS la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile – Débouté la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE de ses demandes – Condamné la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE aux dépens de l’instance, taxés et liquidés à la somme de 69,58 € (en ce compris les frais de Greffe) », intimant la SCI Mimosas, la SELARL R&D, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Cig Air, et Monsieur [M], en qualité de liquidateur amiable de cette même société.

L’affaire a été enregistrée sous le numéro de RG 21/06316.

Par déclaration du 31 janvier 2022, la société France commerce patrimoine a de nouveau relevé appel de cette décision, dans les mêmes termes, intimant cette fois la SCI Mimosas, la société Cig Air, la SELARL R&D, ès qualités de mandataire ad hoc de la société Cig air, et Monsieur [M], en qualité de liquidateur amiable de cette même société.

L’affaire a été enregistrée sous le numéro de RG 22/0509.

Les procédures ont été jointes par ordonnance du 31 mars 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions régularisées par le RPVA le 9 janvier 2023, la société France commerce patrimoine demande à la cour de :

« Vu l’article 1112-1 du Code civil,

Vu l’article 1137 du Code civil,

Vu l’article 700 du Code de procédure civile,

Vu les jurisprudences précitées,

Vu les pièces annexées au bordereau ci-joint,

‘ Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et en ce qu’il a :

DIT que FRANCE COMMERCE PATRIMOINE a manqué à son obligation d’information précontractuelle à l’égard de SCI MIMOSAS

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la SCI MIMOSAS la somme de 54.000,00 € pour violation de son obligation d’information précontractuelle

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la société SCI MIMOSAS la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

DIT que l’exécution provisoire est de droit et qu’il n’y a pas lieu à y déroger

CONDAMNE la société FRANCE COMMERCE PATRIMOINE aux dépens de l’instance, taxés et liquidés à la somme de 69,58 € (en ce qui concerne les frais de Greffe).

STATUANT A NOUVEAU

SUR LE FOND

‘ Débouter la SCI MIMOSAS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont irrecevables et infondées ;

‘ Condamner la SCI MIMOSAS à payer 10 000 € de dommages et intérêts à la SARL FRANCE COMMERCE PATRIMOINE pour procédure abusive et vexatoire,

‘ Condamner la SCI MIMOSAS à régler la somme de 6 000 € à la SARL FRANCE COMMERCE PATRIMOINE au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et à prendre en charge les entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d’appel. ».

La société France commerce patrimoine plaide que le loyer fixé en 2015 avec la société Cig air correspondait très exactement à la valeur locative de l’époque sur la principale rue commerciale de [Localité 6], ce dont elle justifie. Si le loyer de la précédente locataire était nettement plus faible, c’est parce qu’elle était propriétaire des murs via la SCI Benji appartenant à son dirigeant.

La société Cig air a effectivement payé son loyer, tant à la société France commerce patrimoine qu’à la société Mimosas, qui a touché les loyers dans leur intégralité après son acquisition des murs.

La société France commerce patrimoine a mis en vente ce bien immobilier pour un prix de 280 000 euros via la plateforme en ligne Coysevox. L’annonce reprenait, en toute transparence, les informations relatives au bail commercial en cours, notamment le montant du loyer réglé et les dates des échéances triennales.

Il n’y a eu aucun échange entre le vendeur et l’acheteur entre le 8 décembre 2016 et le 19 avril 2017. A la demande de la société Mimosas, cette acquisition s’est faite sans compromis préalable. Le bail commercial, préalablement communiqué à l’acheteur, était annexé à l’acte authentique.

Le 19 juin 2017, la société Mimosas, propriétaire de l’immeuble, a reçu un congé de la locataire à effet au 31 décembre 2017, soit à la fin de la période triennale. Elle a signé un nouveau bail commercial en date du 21 mars 2018, prévoyant un loyer annuel de 13 200 euros HT. Cette baisse de la valeur locative a été causée par une chute de la commercialité à [Localité 6], qui n’a pas été épargnée par le déclin connu par les petites villes.

La société Mimosas et son gérant, gestionnaire de patrimoine de fait, reprochent aujourd’hui une erreur sur le prix. Ils ont pourtant eu tout le temps de prendre les renseignements souhaités. L’investisseur immobilier a fait le choix de formuler son prix et d’acheter, sans faire de la poursuite du bail une condition de son achat. Le vendeur n’a jamais garanti une quelconque rentabilité commerciale.

Les deux associés gérants de la société France commerce patrimoine étaient uniquement des « sleeping partners » de la société Cig air, c’est-à-dire de simples investisseurs qui n’étaient impliqués ni dans la gestion, ni dans la stratégie de l’entreprise. Il s’agissait simplement d’une communauté partielle d’actionnariat. En réalité, la société Mimosas, professionnelle du secteur, s’était évidemment renseignée, avant de signer l’acte définitif de vente, sur l’identité du locataire et de son vendeur, et le fait qu’il y ait partiellement un actionnariat commun était une donnée publique.

La société Mimosas et son gérant, professionnel de l’immobilier, connaissaient pertinemment l’échéance triennale. C’est donc en parfaite connaissance de cause de ce risque qu’ils ont tout de même décidé d’acheter l’immeuble.

L’article 1112-1 du code civil subordonne l’obligation d’information précontractuelle à la condition que l’autre partie ignore « légitimement » une information « déterminante de son consentement », et fait reposer sur cette autre partie la charge de prouver que cette information lui était due.

Contrairement à ce qu’a pu juger le tribunal de commerce, il n’était dû aucune information précontractuelle à la société Mimosas et à son gérant, qui ont agi en qualité de professionnels de l’immobilier et pouvaient aisément se renseigner sur l’identité des associés de la société France commerce patrimoine et le niveau des loyers commerciaux sur la ville de Dieppe. Les statuts de société France commerce patrimoine faisaient partie des annexes de l’acte de vente et son Kbis avait été fourni au notaire de la société Mimosas.

Cette dernière ne démontre pas que l’information concernant l’identité des associés de la société Cig air était déterminante de son consentement. Qu’elle en ait eu connaissance ou non ne changeait rien en soi au risque de départ de la locataire, qui est une prérogative légale et discrétionnaire bénéficiant à cette dernière. La société France commerce patrimoine n’avait pas connaissance, au moment de la vente, de ce qu’elle donnerait congé. C’est sans aucune preuve que la société Mimosas affirme le contraire. Les associés de la société France commerce patrimoine ne sont pas dirigeants de la société Cig air, et ne participent ni à sa gestion, ni à sa stratégie.

En revanche, c’est à raison que le tribunal de commerce a écarté tout dol de la part de la société France commerce patrimoine, faute de réunir la preuve d’éléments matériels et intentionnels. Il ne peut être reproché au vendeur la réalisation du risque de départ du locataire à l’échéance de son bail, a fortiori lorsque l’acquéreur est un professionnel de l’immobilier qui a pu prendre connaissance au préalable du bail commercial en cours.

Dans la présente affaire, il est démontré que la société France commerce patrimoine n’a commis aucun mensonge ni aucune dissimulation intentionnelle ni, plus généralement, aucune man’uvre dolosive.

Les demandes adverses sont « irrecevables sans qualification d’une perte de chance ». Elles sont infondées en ce qu’elles ne reposent sur aucun élément tangible.

Manifestement, le gérant de la société Mimosas, qui a fait du placement immobilier et de la gestion de patrimoine son métier, reproche à société France commerce patrimoine une rentabilité moins forte que prévue. Pour éviter de subir des reproches de ses associés investisseurs, il essaye de trouver un bouc émissaire et engage une procédure judiciaire. De tels procédés remettent en cause la sécurité juridique dans le monde des affaires. Il est donc demandé la condamnation de la société Mimosas à des dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive et vexatoire.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 9 janvier 2023, la société Mimosas demande à la cour de :

« Vu les articles 1104, 1112-1, 1137, 1178 alinéa 4, 1240 et suivant du code civil, 1231 et suivants du code civil, 1353 du code civil

Vu les articles 865 à 868, 700 du code de procédure civile

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :

– pris acte de l’intervention de CIG AIR;

– ordonné la jonction de l’affaire RG 2021005314 à l’affaire enrôlée sous le numéro RG 2021002593 ;

– déclaré valable l’intervention de M. [M] ;

– déclaré la demande de la SCI MIMOSAS recevable;

– dit que FRANCE COMMERCE PATRIMOINE a manqué à son obligation d’information précontractuelle à l’égard de la SCI MIMOSAS ;

– débouté FRANCE COMMERCE PATRIMOINE et M. [M] de leurs demandes ;

– condamné FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens;

– condamné FRANCE COMMERCE PATRIMOINE aux dépens de l’instance, taxés et liquidés à la somme de 69,58 € (en ce qui concerne les frais de greffe).

INFIRMER le jugement entrepris dans toutes ses autres dispositions ;

STATUANT A NOUVEAU:

DECLARER que FRANCE COMMERCE PATRIMOINE a commis un dol au préjudice de la SCI MIMOSAS;

CONDAMNER FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à payer à la SCI MIMOSAS la somme totale de 117.090 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

A TITRE SUBSIDIAIRE:

CONFIRMER le jugement entrepris dans toutes ses dispositions

EN TOUT ETAT DE CAUSE

DEBOUTER FRANCE COMMERCE PATRIMOINE et M. [M] de l’ensemble de leurs fins, moyens et demandes ;

CONDAMNER FRANCE COMMERCE PATRIMOINE à verser à la SCI MIMOSAS la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

CONDAMNER FRANCE COMMERCE PATRIMOINE aux entiers frais et dépens d’appel ; ».

La société Mimosas expose qu’après avoir reçu le congé de sa locataire, moins de deux mois après avoir acquis l’immeuble, elle s’est aperçue que le bail commercial conclu entre les sociétés France commerce patrimoine et Cig air présentait plusieurs anomalies. En effet, il n’était pas daté et comprenait une contradiction de dates : il était ainsi mentionné qu’il prenait effet à compter du 1er janvier 2015 et que le premier loyer, après une franchise de trois mois, était payable au 1er avril 2014. Ce bail était d’autant plus douteux qu’il indiquait que les activités autorisées consistaient en la « vente de produits de cosmétique, d’hygiène, de maquillage, de parfum, de beauté, de coiffure et accessoires, de prêt à porter homme, femme, enfant », alors que le locataire exerçait une activité de vente de cigarettes électroniques, sans rapport avec les activités précitées.

Poursuivant ses investigations, la société Mimosas a découvert que les associés et gérants de la société France commerce patrimoine, Messieurs [Y] [S] et [U] [B], étaient respectivement les représentants légaux des sociétés Financière de commerce et Société développement et commerce, toutes deux associées de la société Cig air. Il était ainsi établi l’existence d’une communauté d’intérêts et une quasi-identité entre le vendeur/bailleur et le locataire du fait de cette communauté d’associés et de représentants légaux, dont la société Mimosas n’avait pas été informée. Elle a alors réalisé que ce bail était probablement de pure convenance et destiné à tromper l’acheteur sur le niveau de rentabilité de l’opération.

Conformément aux dispositions des articles 1104 et 1112-1 du code civil, le vendeur aurait dû informer l’acheteur de cette identité, ce qui l’aurait amené à s’interroger davantage sur une situation locative dont l’échéance était proche et sur la valeur du loyer déclaré dans le bail entre deux sociétés s’urs. En tant qu’expert-comptable, le gérant de la société Mimosas sait qu’entre sociétés juridiquement et économiquement liées, le montant du loyer peut parfaitement être décorrélé de la valeur du marché, l’idée étant de payer un loyer majoré afin de rembourser plus rapidement un prêt, ou bien d’augmenter les charges d’exploitation pour diminuer le résultat imposable. Bien plus, il se serait interrogé quant à l’intention du locataire de mettre un terme au bail à son échéance qu’il savait proche. La communication de l’information relative à la communauté d’intérêts entre le bailleur/vendeur et le preneur aurait amené la société Mimosas à faire des investigations plus poussées et à demander des documents complémentaires pour s’assurer que le bail n’était pas de pure convenance et que le loyer indiqué était bien réglé à la société France commerce patrimoine, avant de se décider à conclure ou non la vente. Il s’agissait donc bien d’une information dont l’importance était déterminante pour son consentement.

Messieurs [S] et [B] connaissaient nécessairement la situation financière et les projets de la société Cig air, notamment celui de donner congé du bail. Ses associés, parmi lesquels les personnes morales dont ils sont les représentants légaux, avaient décidé, lors d’une assemblée générale extraordinaire du 12 mai 2014 et après examen des comptes clos en 2013, de poursuivre son activité bien que ses capitaux propres soient devenus inférieurs à la moitié du capital social. La société était tenue, au plus tard à la clôture de l’exercice 2015, soit de réduire son capital social, soit de reconstituer ses capitaux propres, sous peine de dissolution. Aucune décision de diminution du capital social n’a été publiée, et rien ne permet de déterminer si elle a reconstitué ses capitaux propres. Cela signifie qu’au moment de la publication de l’annonce en octobre 2016, la société France commerce patrimoine savait que son locataire était dans une situation financière compromise qui l’exposait à une dissolution anticipée, de sorte qu’elle ne poursuivrait pas son activité dans les locaux.

La société Mimosas s’est basée sur les informations communiquées par le vendeur qu’elle croyait être de bonne foi, d’autant qu’elles étaient confirmées, du moins en apparence, par la communication du bail par le notaire lillois du vendeur au notaire parisien de l’acheteur. Elle n’avait aucune raison de remettre en cause les informations transmises, ni de vérifier que ce loyer était bien en adéquation avec le marché locatif à [Localité 6] après étude approfondie de celui-ci, alors de plus que le bail était récent puisqu’il avait été conclu moins de deux ans auparavant.

Elle n’avait pas plus de raison particulière de se renseigner sur les dirigeants du vendeur et l’actionnariat du preneur, puisque rien ne permettait alors de soupçonner qu’ils étaient liés par une communauté d’intérêts. Même si la société Mimosas avait été jusqu’à demander un extrait Kbis des sociétés France commerce patrimoine et Cig air, cela ne lui aurait pas suffi à se rendre compte de leur communauté d’intérêts, puisqu’elle aurait également dû demander un Kbis des deux associés personnes morales de la société Cig air pour se rendre compte que leurs dirigeants étaient les mêmes que ceux de la société France commerce patrimoine.

La production du bail et l’annonce parue sur le site Coseyvox constituaient une information déterminante pour permettre à l’acquéreur, qui ne connaissait pas le marché locatif local, d’apprécier la rentabilité de l’opération.

Par ailleurs, la société France commerce patrimoine échoue à démontrer que le loyer correspondait bien à la valeur locative à la date de conclusion du bail et que le loyer était effectivement payé par le locataire. Deux interprétations de sa carence sont possibles :

-soit la société Cig air payait un loyer surévalué à son bailleur, avec lequel elle partageait une communauté d’intérêts;

-soit le bail indique une somme qui ne correspondait pas à la réalité du loyer effectivement payé.

Aucun des éléments produits par la société France commerce patrimoine ne démontre qu’il y aurait eu une baisse de la commercialité à [Localité 6] et que cette baisse aurait été telle qu’elle aurait entraîné, entre 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2017, un effondrement de la valeur locative de son bien de l’ordre de 50 %.

La société Mimosas a pu se procurer une copie des annexes au bilan 2016 de la société Cig air, qu’elle produit aux débats. Monsieur [M] tente à dessein, et avec l’aide de son comptable, d’induire la cour en erreur en faisant une confusion entre loyers comptabilisés et loyers payés. La société Cig air était une SARL avec une comptabilité d’engagement, ce qui implique une comptabilisation des dettes ou des créances de la société au moment où elles se forment et indépendamment des montants réellement encaissés ou décaissés, à l’inverse de la comptabilité de trésorerie. Les extraits des grands livres produits par Monsieur [M] ne font que matérialiser les dettes de loyers de la société Cig air. Ils ne permettent pas de savoir si ces dettes ont effectivement été payées et, le cas échéant, à quelle hauteur. Les factures de loyers de la société France commerce patrimoine sont tout aussi inopérantes pour démontrer les montants payés par la société Cig air, puisqu’elles ne font pas la preuve d’un paiement.

La société Mimosas a été victime d’un dol et d’un manquement par le vendeur à son obligation d’information et de contracter de façon loyale, avec le concours du locataire Cig air, du fait de :

-l’identité d’intérêts du bailleur et du locataire dissimulée à la société Mimosas;

-la fausse indication sur le montant du loyer qui ne correspondait ni à la valeur locative du local, ni au loyer réellement perçu par le vendeur bailleur.

La qualité de professionnel ou d’acquéreur avisé ne change strictement rien à l’obligation d’information et de loyauté dans la formation des contrats.

Le défaut d’information sur la communauté d’intérêts entre le bailleur et le locataire et l’erreur résultant du dol du vendeur a eu en l’espèce un effet déterminant du consentement de l’acquéreur puisque, comme le souligne le vendeur, il s’agit d’une SCI dirigée par une personne ayant l’habitude de réaliser des opérations d’investissement immobilier avec des investisseurs intéressés par l’acquisition de murs de fonds de commerce. Ainsi, son intérêt premier est de réaliser non pas un achat pour revendre ou y exploiter le fonds lui-même, mais de réaliser un investissement locatif, avec une rentabilité financière suffisante pour rendre l’opération intéressante. A ce jour, elle en est toujours propriétaire et poursuit son activité de location.

L’erreur d’appréciation de la société Mimosas sur la valeur locative et donc de la rentabilité du bien, qui est la conséquence d’un dol, est excusable. Si elle avait eu connaissance du montant réel du loyer pouvant être fixé, soit 13 200 euros HT annuels, impliquant une rentabilité moindre, soit elle n’aurait pas acquis le bien, soit elle aurait conclu la vente à un prix inférieur. Elle estime son préjudice à une somme totale de 117 090 euros.

Le droit d’ester en justice est libre, sauf quand il dégénère en abus. Un tel abus n’est aucunement caractérisé en l’espèce. Seuls sont à l’origine de l’action de la société Mimosas les man’uvres dolosives, les mensonges et les réticences de la société France commerce patrimoine, ainsi que ceux de la locataire Cig air.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 6 janvier 2023, Monsieur [M] demande à la cour de :

« Vu les dispositions des articles 367 et 368 du Code de procédure civile ;

Vu les dispositions de l’article L 237-12 du Code de commerce ;

Vu les dispositions de l’article 462 du Code de procédure civile ;

IN LIMINE LITIS

Ordonner la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 21/06316 et RG 22/00509 ;

SUR LE FOND

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit valable l’intervention volontaire de Monsieur [M] à la présente instance ;

Rectifier l’erreur matérielle qui a consisté à viser les dispositions de l’article 1112-1 du Code de procédure civile au lieu de l’article L 237-12 du Code de commerce ;

Débouter la SCI MIMOSAS de l’intégralités de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre Monsieur [M] es qualité en ce qu’elles sont irrecevables et infondées.

Condamner la SCI MIMOSAS à régler la somme de 2.000 euros au titre de l’article de 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel. »

Monsieur [M] fait valoir que les premiers juges ont à juste titre déclaré valable son intervention volontaire, en sa qualité de liquidateur amiable de la société Cig air. C’est cependant par une erreur matérielle qu’ils ont visé les dispositions de l’article 1112-1 du code de procédure civile au lieu de l’article L237-12 du code de commerce. Cette erreur sera rectifiée devant la cour, conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure civile.

La société Mimosas soutient dans ses dernières écritures que le loyer facturé à la locataire par son bailleur n’aurait pas été de 24 000 euros HT annuels, conformément au bail, mais d’un montant inférieur, et qu’elle aurait été, de ce fait, trompée. Pour arriver à cette fausse conclusion, elle se base exclusivement sur une lecture erronée de sa liasse fiscale pour l’année 2016. Il produit une attestation de son expert-comptable afin de démontrer le montant des loyers comptabilisés.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2023.

L’affaire a été appelée et plaidée à l’audience du 31 janvier 2023, lors de laquelle la cour a invité les parties, pour le cas où elle estimerait l’action bien fondée, à présenter leurs observations sur la qualification possible des demandes d’indemnisation présentées en demandes de dommages et intérêts à titre de perte de chance, ainsi que sur les modalités propres d’indemnisation de ce préjudice, sous 5 jours pour les intimées, l’appelante disposant d’un droit de réponse sous 5 jours.

Par note en délibéré du 3 février 2023, la société Mimosas a indiqué que son préjudice s’analysait en une perte de gain.

Par note en délibéré du 9 février 2023, Monsieur [M] a considéré que si une perte de chance devait exister, ce qu’il a contesté, la société Mimosas, professionnelle avertie, en serait la seule responsable.

La société France patrimoine a adressé sa réponse à la cour hors délai, par note adressée par le RPVA le 27 mars 2023.

SUR CE

A titre préliminaire, la cour observe que la jonction des procédures enregistrées sous les numéros de RG 21/06316, telle que sollicitée par Monsieur [M] et la SCI Mimosas dans leurs conclusions des 6 et 9 janvier 2023, a été réalisée par ordonnance du 31 mars 2022. Leurs demandes de ce chef sont donc désormais dénuées d’objet et il n’y sera pas davantage répondu.

I ‘ Sur la demande de rectification d’erreur matérielle

Aux termes de l’article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Monsieur [M] demande à la cour de réparer l’erreur matérielle des premiers juges qui, dans leurs motifs, ont indiqué :

« Aux termes de l’article 1112-1 du Code procédure civile « Le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions. L’action en responsabilité contre les liquidateurs se prescrit dans les conditions prévues à l’article L 225-254 ». »

Aucune des parties n’a pris la peine de répondre à cette demande, étant observé que cette erreur purement matérielle, d’ailleurs répétée à plusieurs reprises dans les motifs de la décision querellée, est sans conséquence puisqu’elle n’affecte pas son caractère exécutoire.

Dans la mesure où il reste indéniable que les dispositions visées sont en réalité celles de l’article L237-12 du code de commerce, cette erreur sera réparée conformément au dispositif de la présente décision.

II ‘ Sur les dommages et intérêts

A ‘ Sur la demande de la société Mimosas

1) Sur le dol

Aux termes de l’article 1112-1 du code civil, celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.

Aux termes de l’article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges.

Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.

Il appartient à la société Mimosas de prouver l’existence de la dissimulation intentionnelle par la société France commerce patrimoine d’une information dont elle savait le caractère déterminant pour elle.

Or elle observe à juste titre qu’il ne lui a pas été indiqué que Messieurs [S] et [B], associés et co-gérants de la société France commerce patrimoine, étaient également les représentants légaux des sociétés Financière de commerce et Société développement et commerce, associées de Monsieur [M] dans la société Cig air, locataire de l’immeuble cédé.

Cette information relevait de l’obligation d’information précontractuelle du vendeur, compte tenu de ses implications en termes d’imbrication des intérêts des sociétés France commerce patrimoine et Cig Air, au travers de Messieurs [S] et [B].

Le simple fait que les statuts de la société France commerce patrimoine aient été annexés à l’acte de vente et son relevé Kbis fourni au notaire de la société Mimosas est sans conséquence, puisqu’il ne permettait nullement de faire apparaître ce lien entre la société venderesse et la locataire de l’immeuble cédé.

Ainsi que le relève la société Mimosas, seule la demande d’un extrait Kbis des deux associées personnes morales de la société Cig air lui aurait permis de se rendre compte que leurs dirigeants étaient les mêmes que ceux de la société France commerce patrimoine. Conformément à ce qu’ont retenu de manière pertinente les premiers juges, cette information ne pouvait pas être obtenue sans diligences excédant les vérifications normales attendues d’un acquéreur suffisamment prudent.

En outre, l’appelante, qui affirme que le loyer figurant au bail conclu avec la société Cig Air était conforme à la commercialité de la ville de [Localité 6] au moment de sa conclusion, échoue totalement à le démontrer, par la seule production d’une recherche sur le site de l’Argus de l’enseigne, mentionnant les loyers commerciaux de commerces situés Grande-Rue. La capture d’écran versée aux débats met en effet en évidence que les loyers mensuels, pour une activité et une surface similaires à celles exercées dans le local litigieux, s’échelonnaient entre 1 200 euros et 546 euros.

La société Mimosas le confirme en produisant, outre le bail conclu avec sa nouvelle locataire le 27 mars 2018 pour un loyer mensuel HT de 1 100 euros, un mail émanant du cabinet Robert, agence immobilière exerçant à [Localité 6], indiquant gérer deux locaux commerciaux d’une surface similaire également situés Grande-Rue, donnés à bail pour des loyers mensuels de 1 200 euros et 1 145 euros.

La société France commerce patrimoine est tout aussi défaillante à justifier de la réalité du paiement des loyers par sa locataire, aucune pièce objective, tels que des relevés de compte courant professionnel, ne faisant apparaître les paiements allégués.

En effet, la liasse fiscale de l’exercice clos le 31 décembre 2016 de la société Cig air fait apparaître un montant de 11 210 euros en case J8, laquelle correspond aux loyers des biens pris en location pour une durée supérieure à 6 mois.

Si son expert-comptable propose un détail de la case XQ, il ne s’explique aucunement sur le montant porté en case J8 dans laquelle devaient nécessairement figurer les loyers commerciaux dus pour le local litigieux. En outre, il se contente de rapporter les loyers comptabilisés. Or la société Mimosas observe légitimement que la comptabilité de la société Cig air est une comptabilité d’engagement, méthode d’enregistrement par laquelle les recettes et dépenses sont comptabilisées lorsqu’elles sont acquises ou engagées même si elles se rapportent à des opérations qui ne se sont pas dénouées sur le plan financier.

Plus généralement, les pièces produites montrent l’ampleur des difficultés financières de la société locataire, puisqu’il a été constaté que son actif net était devenu inférieur à la moitié du capital social par assemblée générale du 12 mai 2014. Elle a enregistré un déficit de 50 608 euros au 31 décembre 2015, et un déficit de 76 768 euros au 31 décembre 2016. Son extrait Kbis à jour au 24 août 2020 mentionne encore qu’elle a été sans activité à compter du 28 février 2016.

Dans ce contexte, la concomitance entre le transfert de propriété de l’immeuble et le congé donné par la locataire suffit à démontrer l’existence d’une man’uvre orchestrée par les vendeurs, étant souligné que l’allégation de la société France commerce patrimoine selon laquelle Messieurs [S] et [B] n’avaient aucune part dans la stratégie de la société Cig air est purement péremptoire.

Les premiers juges ne peuvent donc être suivis en ce qu’ils ont estimé, après avoir justement retenu que l’information sur l’existence d’un actionnariat commun avait une importance déterminante pour le consentement éclairé de société Mimosas, que ni intention dolosive, ni man’uvres de la part du vendeur n’étaient établies.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’ils ont retenu, les conséquences financières de l’effet conjugué de la communauté d’actionnariat entre le vendeur et la locataire d’une part, du non-paiement par cette dernière du loyer fixé au bail d’autre part, sont telles qu’il est évident que la société Mimosas n’aurait pas contracté, ou en tout cas à des conditions différentes, si elle en avait eu connaissance.

2) Sur le préjudice

A titre préliminaire, il sera observé que la cour n’est pas saisie de l’irrecevabilité alléguée par la société France commerce patrimoine de la demande de dommages et intérêts présentée par la SCI Mimosas sur le fondement d’un gain manqué, la phrase qu’elle consacre à cette question figurant exclusivement dans le corps de ses écritures et n’étant pas reprise au dispositif, qui seul saisit la cour aux termes de l’article 954 du code de procédure civile.

En tout état de cause, le moyen excipé, totalement inopérant, n’aurait pu qu’être rejeté comme ne constituant pas une cause d’irrecevabilité.

De manière erronée, la société Mimosas présente son préjudice comme une perte de gain certaine, alors qu’il s’agit manifestement d’une perte de chance d’éviter cette perte, en contractant à des conditions plus favorables.

Il sera rappelé qu’en cas de perte de chance, la réparation du dommage ne peut être que partielle. Elle est en effet mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Ainsi que le plaide la société Mimosas, la rentabilité de son investissement correspond au rapport entre le loyer annuel et le coût d’acquisition des locaux, ce qui, en prenant en compte un coût total d’acquisition de 260 200 euros (240 000 euros + 20 200 euros de frais), permet de calculer le taux attendu de la manière suivante : (24 000 x 100) / 260 200 = 9,22 %.

Or la société Mimosas n’a pu relouer l’immeuble que pour un loyer annuel de 13 200 euros HT, la rentabilité effective de l’opération représentant dès lors : (13 200 x 100) / 260 200 = 5,07 %.

Pour conserver un taux de rentabilité de 9,22 %, la société Mimosas aurait dû contracter pour un prix de : (13 200 x 100) / 9,22 = 143 167 euros, frais d’acte compris, soit 117 036 euros de moins que le prix payé, frais d’acte compris.

Il sera observé que ce prix est très proche de celui déboursé par la société France commerce patrimoine pour acquérir l’immeuble litigieux, celle-ci ne pouvant le majorer en prenant en compte l’indemnité d’éviction réglée au locataire alors en place pour obtenir son départ et disposer des locaux pour les donner à bail à la société Cig Air.

La chance perdue par la société Mimosas de contracter à ces conditions plus favorables peut être évaluée, à l’aune de son expertise, à 90%, ce qui représente une somme de 105 332 euros (117 036 euros x 90%).

La société France commerce patrimoine sera condamnée à lui payer cette somme. La décision entreprise sera réformée de ce chef.

B ‘ Sur la demande de la société France commerce patrimoine

Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, l’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.

Or la société Mimosas n’a fait qu’exercer une action en justice pour faire valoir ses droits, qui ont été accueillis.

La demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire présentée par la société France commerce patrimoine ne peut qu’être rejetée.

III ‘ Sur les demandes accessoires

A – Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

L’issue du litige justifie de condamner la société France commerce patrimoine aux dépens d’appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle l’a condamnée aux dépens de première instance;

B – Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La décision entreprise sera confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.

La société France commerce patrimoine, tenue aux dépens d’appel, sera en outre condamnée à verser à la société Mimosas la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

La société France commerce patrimoine et Monsieur [M] seront déboutés de leurs demandes respectives de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la rectification de l’erreur purement matérielle affectant le paragraphe intitulé « Sur l’intervention volontaire de Monsieur [M] » ;

Dit qu’au lieu de :

« Aux termes de l’article 1112-1 du Code procédure civile « Le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions. L’action en responsabilité contre les liquidateurs se prescrit dans les conditions prévues à l’article L 225-254 » »,

il convient de lire :

« Aux termes de l’article 237-12 du code de commerce, le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions. L’action en responsabilité contre les liquidateurs se prescrit dans les conditions prévues à l’article L 225-254. » ;

Statuant dans les limites de la dévolution,

Confirme le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Lille Métropole en ce qu’il a :

Condamné la société France commerce patrimoine à payer à la société SCI Mimosas la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société France commerce patrimoine aux dépens de première instance ;

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Condamne la SARL France commerce patrimoine à payer à la SCI Mimosas la somme de 105 332 euros à titre de dommages et intérêts ;

Déboute la SARL France commerce patrimoine de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Condamne la SARL France commerce patrimoine à payer à la SCI Mimosas la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel ;

Déboute la SARL France commerce patrimoine et Monsieur [K] [M] de leurs propres demandes au titre de leurs frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la SARL France commerce patrimoine aux dépens d’appel.

Le greffier

Marlène Tocco

Le président

Samuel Vitse

 


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