Copropriété sur une marque de l’audiovisuel : affaire d’Art d’Art
Copropriété sur une marque de l’audiovisuel : affaire d’Art d’Art
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En présence d’une copropriété de marques (émissions d’Art d’Art) à hauteur de 50%, l’un des copropriétaires ne peut s’affranchir de son obligation d’information envers l’autre partie avant de concéder une licence sur ces mêmes marques.

Affaire Froggies Media

Dans cette affaire, les droits du copropriétaire lésé (la société D’art d’art) ont été violés par la conclusion au profit de la société D18 du contrat de licence des marques n°4283582 et n°4445284 en consenti par la société Froggies Media seule.

Pas de nullité de la licence consentie

Pour autant, la sanction de ce manquement préjudiciable à la société D’art d’art ne peut être l’annulation du contrat consenti au profit de la société D18, non partie à la procédure, mais son inopposabilité à la société D’art d’art.

Le dépôt frauduleux d’une nouvelle marque

Par ailleurs, le dépôt frauduleux de la marque en copropriété suite à la liquidation judiciaire du copropriétaire doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce existants au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

La mauvaise foi ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit une demande d’enregistrement de cette marque non pas dans un but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine.

Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ou à le priver d’un droit lui appartenant.

En l’espèce, la société Froggies Media en déposant en son seul nom des marques D’ART D’ART a sciemment méconnu les accords qu’elle avait avec la société D’art d’art prévoyant la co-titularité de telles marques déjà déposées ou futures.

De plus, il doit être constaté qu’elle n’a jamais averti la société D’art d’art des dépôts effectués en 2016 et 2018, ni spontanément proposé d’en partager la propriété, et qu’elle n’a pas immédiatement acquiescé à la demande qui lui était faite en ce sens par la société D’art d’art quand elle a eu connaissance de la situation, l’obligeant à saisir le juge commissaire.

Le caractère frauduleux du dépôt des marques n°4283582 et n°4445284 par la société Froggies Media est dès lors caractérisé.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2023

(n°155, 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/20053 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CEVYM

Décision déférée à la Cour : jugement du 22 octobre 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°20/00284

APPELANTE

S.E.L.A.F.A. MJA, représentée par Me [Y] [H], agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société FROGGIES MEDIA

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Valerie DUTREUILH, avocat au barreau de PARIS, toque C 479

Assistée de Me Corinne POURRINET, avocate au barreau de PARIS, toque E 0096 substituant Me Valerie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque C 479

INTIMEE

S.A.S.U. D’ART D’ART, prise en la personne de sa présidente en exercice, Mme [G] [S] épouse [O], domiciliée en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Localité 2]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 443 404 769

Représentée par Me François-Xavier BOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque K 0092

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Mmes Laurence LEHMANN et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 22 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris,

Vu l’appel interjeté le 18 novembre 2021 par la société Selafa MJA ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media,
Moyens

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 janvier 2023 par la société Froggies Media et la société Selafa MJA, appelantes et intimées à titre incident,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023 par la société D’art d’art, intimée et appelante à titre incident,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 6 avril 2023,

Vu l’audience des plaidoiries du 31 mai 2023 et la demande de la cour faite aux parties d’avoir à adresser une note en délibéré sur la possibilité d’annuler, à la demande de la société D’art d’art, le contrat de licence de marque conclu le 3 mai 2019 entre la société Froggies Media et la société D18 non mise en cause à la procédure,

Vu les notes adressées en cours de délibéré le 13 juin 2023 pour la société Froggies Media et le 14 juin 2023 pour la société D’art d’art.
Motivation

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La société D’art d’art, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le mois septembre 2002, présidée par Mme [G] [S]-[O], est spécialisée dans l’édition et la production d”uvres notamment audiovisuelles.

La société Froggies Média, créée en 1994 par M. [P] [B] et inscrite au registre du commerce et des sociétés de Paris depuis le mois d’aout 2010, avait également pour activité la production de programmes audiovisuels pour la télévision. Elle a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 juin 2014 avec pour mandataire judiciaire la société Selafa MJA, en la personne de Me [Y] [H].

Par jugement du 19 février 2016 un plan de redressement a été arrêté, prévu sur 8 ans.

Puis, par jugement du 10 septembre 2019 ce plan a été résolu et une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte. La société Selafa MJA, en la personne de Me [Y] [H], a été désignée liquidateur judiciaire de la société Froggies Média.

La société D’art d’art et la société Froggies Media ont coproduit une série intitulée D’ART D’ART, diffusée sur la chaîne France 2 à partir du mois de septembre 2002, dont chaque épisode, d’une durée d’une à deux minutes, était dédié à une ‘uvre d’art.

Mme [S]-[O] avait déposé, le 9 novembre 2000, la marque verbale française D’ART D’ART n°003063634 pour désigner les services de « publicité, édition de livres » en classes 35 et 41, venue à expiration sans renouvellement.

La société Froggies Media avait, quant à elle, déposé les marques verbales françaises D’ART D’ART n°3172010 en classe 38 et n°3173622 en classes 9 et 12, respectivement les 2 et 10 juillet 2002, toutes deux venues à expiration sans renouvellement.

La société Froggies Media a, par la suite, déposé trois nouvelles marques françaises D’ART D’ART ;

  • le 26 mars 2008, une marque semi-figurative n°3564855, en classes 16, 25 et 28,
  • le 25 avril 2008, une marque verbale n°357086, en classe 41,
  • le 25 avril 2008, une marque semi-figurative n°3572087, en classe 41.

Les relations entre les parties s’étant dégradées, diverses procédures judiciaires ont été initiées par la société D’art d’art et Mme [S]-[O] à l’encontre de la société Froggies Media et de la société France Télévision au mois d’août 2008.

Le 3 novembre 2008, les parties, la société Froggies Media d’une part et la société D’art d’art et Mme [S]-[O] d’autre part, ont conclu un protocole transactionnel portant désistement d’instance et d’action qui dans son article 2 intitulé « cessions réciproques des marques » rappelait que Mme [S]-[O] était titulaire d’une marque et la société Froggies Media de cinq marques (les marques D’ART D’ART) et stipulait que :

«Au terme des présentes, les parties s’engagent mutuellement et réciproquement à régulariser les cessions de quotes-parts correspondent à 50% de la propriété de leurs marques respectives visées ci-dessus, ce dans un délai de quinze (15) jours à compter de 1a signature du présent protocole.

Les contrats devront expressément prévoir que :

A toutes fins, FROGGIES autorise, en tant que de besoin, la SARL D’ART D’ART à utiliser les Marques comme dénomination sociale. Cet engagement a vocation à permettre à la SARL D’ART D’ART de pouvoir utiliser sa dénomination sociale dans le cadre des activités propres de la SARL D’ART D’ART, sans que FROGGIES ne puisse revendiquer quelque droit que ce soit sur 1’utilisation du signe D’ART D’ART, en tant que dénomination sociale, par la SARL D’ART D’ART dans le cadre de son activité sociale, ce, pour toute la durée de vie de la SARL D’ART D’ART, y compris postérieurement à la cessation des relations commerciales entre les Parties, pour quelque cause que ce soit.

Les actes de cessions seront déposés à l’INPI par FROGGIES en vue de leur publication au Registre National des Marques (RNM), dans les huit (8) jours de la signature des actes de cessions. Les frais afférents aux dépôts de toutes les marques déposées par [G] [S]-[O] et FROGGIES dans l’intérêt de la production tant dans le passé, que pour l’avenir, seront supportés à parts égales par FROGGGIES et D’ART D’ART».

Le protocole prenait soin de rappeler qu’un précédent accord en date du 31 juillet 2002 avait été pris pour prévoir une cession réciproque des marques mais que celui-ci était rédigé en des termes confus.

Les sociétés D’art d’art et Froggies Media ont également conclu un contrat de coproduction le 29 mai 2009 confiant les fonctions de producteur artistique à la société D’art d’art et celles de producteur délégué à la société Froggies Media. Ce contrat stipulait par ailleurs que les parties étaient copropriétaires des droits sur les émissions composant la série.

La société Froggies Media, placée en redressement judiciaire le 12 juin 2014, a, à nouveau, alors qu’elle bénéficiait d’un plan de redressement en date du 19 février 2016, déposé en son seul nom deux nouvelles marques françaises D’ART D’ART ;

  • le 28 juin 2016, une marque semi-figurative n°4283582, en classes 12, 14, 21 et 38,
  • le 12 avril 2018, une marque semi-figurative n°4445284, en classes 16, 25, 28 et 41.

Le 18 mars 2009, une nouvelle société D18 ayant pour activité la production audiovisuelle était immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris avec pour président le gérant de la société Froggies Media, M. [B].

Par contrat du 2 mai 2019, la société Froggies Media, représentée par M. [B], transférait ses droits de producteur à la société D18, elle aussi représentée par M. [B] et par un avenant en date du 3 mai 2019, une licence exclusive sur les deux marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284 était concédée par la société Froggies Media à la société D18.

La société D’art d’art indique avoir appris les dépôts des deux marques n°4283582 et n°4445284 et l’existence des contrats des 2 et 3 mai 2019 à l’occasion de la liquidation judiciaire de la société Froggies Media prononcée par jugement du tribunal de commerce du 10 septembre 2019.

Elle dit avoir également, par une consultation du registre de l’INPI, pris connaissance d’un contrat, daté du 1er mai 2019, de cession totale de propriété au bénéfice de la société D18 de la marque n°4283582 en contradiction avec le contrat de cession du 3 mai 2019.

Le conseil de la société Froggies Media précisait par un courrier du 21 novembre 2019 que l’enregistrement d’une cession de marque du 1er mai 2019 avait été une erreur qui allait être corrigée auprès de l’INPI et qu’aucune cession de marque n’avait été réalisée au profit de la société DI8.

La société D’art d’art, par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 décembre 2019, présentait à Me [Y] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire, une demande en revendication à hauteur de 50% sur les marques n°4283582 et n°4445284.

En l’absence de réponse positive, la société D’art d’art a fait assigner la société Froggies Media et la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire, par acte du 26 décembre 2019, devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris, en transfert de la copropriété des marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284 et subsidiairement en nullité de ces marques pour dépôt frauduleux.

En parallèle de cette procédure et en date du 19 février 2020, la société D’art d’art a saisi le juge commissaire désigné dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Froggies Media, qui par une ordonnance du 26 janvier 2021 a fait droit à la demande de revendication de la société D’art d’art et a reconnu son droit de propriété à hauteur de 50 % sur les marques n°4283582 et n°4445284.

De plus, fin mai 2021, la société D’art d’art a saisi le tribunal de commerce de Paris d’une action en concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre des sociétés D18 et France Télévisions et en rupture brutale des relations commerciales établies à l’encontre de cette dernière. Par un jugement du 10 octobre 2022, la société D’art d’art a été déboutée de ses demandes et la procédure est actuellement pendante devant la cour d’appel de Paris sous le n° RG 22/19138.

L’émission D’ART DART était diffusée pour la dernière fois par la société France Télévisions le 21 novembre 2020. Une nouvelle émission produite par la société D 18 et animée par la même présentatrice était programmée par la société France Télévisions à compter du mois de mars 2021.

Le jugement dont appel du tribunal judiciaire a :

  • déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media,
  • débouté la société D’art d’art de sa demande tendant à la reconnaissance du caractère frauduleux des dépôts des marques D’ART D’ART n°4283582 du 28 juin 2016 et n°4445284 du 12 avril 2018,
  • constaté que la société MJA et la société D’art d’art s’accordent sur le fait que cette dernière et la société Froggies Media sont copropriétaires des marques D’ART D’ART n°4283582 et n° 4445284,
  • dit que la décision une fois définitive sera transmise à l’INPI par la partie la plus diligente aux fins d’inscription au registre national des marques,
  • prononcé la nullité du contrat de licence exclusive du 3 mai 2019 intervenu entre les sociétés Froggies Media et D18 et portant sur les marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284,
  • dit recevable la demande reconventionnelle en réparation de la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media,
  • débouté la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media de sa demande reconventionnelle,
  • condamné la société MJA, prise en la personne de Me [Y] [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media, à payer à la société D’ART DART la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
  • condamné la société MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media aux dépens qui seront directement recouvrés par la société Selarl Atana, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
  • ordonné l’exécution provisoire.

Par leurs dernières conclusions, la société Froggies Media et la société Selafa MJA, ès qualités, demandent à la cour de :

  • déclarer la société MJA ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media recevable en son appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 22 octobre 2021, limité aux chefs du jugement listés ci-dessous,
  • infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
  • prononcé la nullité du contrat de licence exclusive du 3 mai 2019 intervenu entre les sociétés Froggies Media et D18 et portant sur les marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284,
  • débouté la société MJA ès qualité de liquidateur judicaire de la société Froggies Media de sa demande reconventionnelle,
  • condamné la société MJA, prise en la personne de Me [Y] [H], ès qualité de liquidateur judicaire de la société Froggies Media, à payer à la société D’ART DART la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
  • condamné la société MJA, prise en la personne de Me [H], ès qualité de liquidateur judicaire de la société Froggies Media, aux dépens qui seront directement recouvrés par la Selarl Atana, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
  • ordonné l’exécution provisoire.

Et statuant à nouveau,

  • dire valide la convention de licence exclusive conclu entre la société Froggies Media et la société D18 en date du 3 mai 2019 portant sur les marques n°4283582 et n°4445284,
  • dire infondée la demande de la société D’art d’art visant à l’annulation de ladite convention de licence, l’en débouter,
  • débouter plus généralement la société D’art d’art de toutes ses demandes, fins et conclusions,
  • condamner la société D’art d’art à verser à la société MJA ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media, la somme de 150 000 euros titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant pour cette dernière de l’arrêt de l’émission D’ART D’ART et consécutivement de l’arrêt de l’exploitation des marques D’ART D’ART,

Pour le surplus,

  • déclarer la société D’art d’art mal fondée en son appel incident
  • confirmer le jugement entrepris dans toutes ses autres dispositions,
  • débouter la société D’art d’art de toutes ses demandes, fins et conclusions,
  • condamner la société D’art d’art à payer à la société MJA ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
  • condamner la société D’art d’art aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel sur le fondement de l’article 699 du code civil (sic).

Par ses dernières conclusions, la société D’art d’art demande à la cour de :

  • débouter la société MJA, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, de l’ensemble de ses moyens d’appel à l’encontre du jugement du 22 octobre 2021 et, plus généralement, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence, confirmer le jugement du 22 octobre 2021 en ce qu’il a :

  • constaté que la société MJA et la société D’art d’art s’accordent sur le fait que cette dernière et la société Froggies Media sont copropriétaires des marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284,
  • dit que la décision une fois définitive sera transmise à l’INPI par la partie la plus diligente aux fins d’inscription au registre national des marques »,
  • prononcé la nullité du contrat de licence exclusive du 3 mai 2019 intervenu entre les sociétés Froggies Media et D18 et portant sur les marques D’ART D’ART n°4283582 et n°4445284,
  • débouté la société MJA ès qualité de liquidateur judicaire de la société Froggies Media de sa demande reconventionnelle à l’encontre de la société D’art d’art,
  • condamné la société MJA, prise en la personne de Me [Y] [H], ès qualité de liquidateur judicaire de la société Froggies Media, aux dépens qui seront directement recouvrés par la Selarl Atana, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
  • ordonné l’exécution provisoire,
  • recevoir l’appel incident formé par la société D’art d’art et, statuant de nouveau,
  • dire et juger que les dépôts des marques D’ART D’ART n°4283582 du 28 juin 2016 et n°4445284 du 12 avril 2018 sont frauduleux,
  • en conséquence, condamner la société MJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, à payer à la société D’ART DART la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,

En tout état de cause,

  • condamner la société MJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, à payer à la société D’art d’art la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
  • condamner la société MJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, à payer à la société D’art d’art la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
  • condamner la société MJA ès qualité de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, aux entiers dépens.

A titre liminaire

Les dispositions du jugement relatives à l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence qui avait été soulevée devant le tribunal ne sont pas critiquées par les parties devant la cour.

De même ne sont pas remises en cause les dispositions du jugement qui constatent que la société D’art d’art et la société Froggies Media sont copropriétaires des marques D’ART D’ART déposées à l’INPI sous les numéros 4283582 et 4445284 et disent que la décision une fois définitive sera transmise à l’INPI par la partie la plus diligente aux fins d’inscription au registre national des marques.

Le jugement déféré est dès lors irrévocable de ces chefs.

Sur le caractère frauduleux du dépôt des marques françaises n°4283582 et n°4445284

L’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

« Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement. »

La copropriété à 50% des marques n°4283582 et n°4445284 déposées respectivement les 28 juin 2016 et 12 avril 2018 par la seule société Froggies Media n’étant aujourd’hui plus en débat, reconnue notamment par l’ordonnance du juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société Froggies Media du 26 janvier 2021 et non contestée depuis lors par la société MJA en sa qualité de mandataire liquidateur, la société D’art d’art ne forme aucune demande d’annulation ou de transfert des dites marques au regard de la fraude constituée par leurs dépôts.

En revanche, elle demande à la cour de dire que la fraude est constituée ainsi que le préjudice qu’elle a subi tant patrimonial que moral lié à ces dépôts frauduleux et sollicite, sur le fondement de 1240 du code civil, la condamnation de la société MJA ès qualités à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le dépôt frauduleux doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce existants au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

La mauvaise foi ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit une demande d’enregistrement de cette marque non pas dans un but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celle relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine.

Un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ou à le priver d’un droit lui appartenant.

En l’espèce, la société Froggies Media en déposant en son seul nom des marques D’ART D’ART a sciemment méconnu les accords qu’elle avait avec la société D’art d’art prévoyant la co-titularité de telles marques déjà déposées ou futures.

De plus, il doit être constaté qu’elle n’a jamais averti la société D’art d’art des dépôts effectués en 2016 et 2018, ni spontanément proposé d’en partager la propriété, et qu’elle n’a pas immédiatement acquiescé à la demande qui lui était faite en ce sens par la société D’art d’art quand elle a eu connaissance de la situation, l’obligeant à saisir le juge commissaire.

La société Froggies Media a, en outre, concédé seule le 3 mai 2019, sans l’accord ni la participation de société D’art d’art, une licence des marques litigieuses à une société D18 présidée par son propre gérant.

Le caractère frauduleux du dépôt des marques n°4283582 et n°4445284 par la société Froggies Media est dès lors caractérisé et le jugement infirmé de ce chef.

La société D’art d’art expose que ces dépôts frauduleux lui ont causé un préjudice tant moral qu’économique pour avoir été écartée de ses droits et contrainte d’engager des frais auprès du juge commissaire et pour avoir été privée du bénéfice du contrat de licence consenti.

Elle sollicite de ce chef la condamnation de la société MJA, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Pour autant la cour relève qu’il est ainsi demandé la condamnation de la société Froggies Media en liquidation judiciaire pour des faits commis antérieurement à cette liquidation prononcée par jugement du 10 septembre 2019 et alors qu’elle était en exécution du plan précédemment arrêté par jugement du 19 février 2016.

Il sera dès lors demandé aux parties de présenter leurs observations sur les conséquences de cette situation et sur la recevabilité d’une telle demande en paiement.

Les parties sont ainsi invitées à conclure avant le 5 janvier 2024 sur ce seul point et à se présenter à l’audience de plaidoiries de la cour du jeudi 18 janvier 2024 à 14 heures.

Sur le contrat de licence exclusive conclu entre Froggies Media et D18 le 3 mai 2019

Le protocole d’accord transactionnel conclu entre les sociétés Froggies Media et D’art d’art le 3 novembre 2008 stipule aux deux derniers paragraphes de son article 6 que :

« En tout état de cause, tout contrat conclu par l’une ou l’autre des parties avec un tiers concernant la promotion et/ou le développement des Marques « D’ART D’ART », le format de l’émission télévisée du même nom, et/ou tous produits dérivés en rapport direct ou indirect avec les marques, devra être porté à la connaissance de l’autre partie et contresigné par celle-ci, qui devra également être régulièrement informée des modalités d’exécution dudit contrat.

Cette obligation d’information est d’autant plus nécessaire dans tous les cas où une partie aura autorisé un tiers à utiliser une ou des marques, notamment à des fins promotionnelles et/ou publicitaires, ou encore, dans les cas où le tiers est tenu de soumettre, pour accord, à la partie représentant la coproduction avec laquelle il a contracté, l’utilisation qu’il entend faire d’éléments corporels ou incorporels appartenant à la coproduction. Dans ce dernier cas, l’autorisation donnée, le cas échéant, au tiers devra avoir été discutée et approuvée d’un commun accord par les parties, qui seront cosignataires de cette autorisation ».

Dès lors, c’est à juste titre que les premiers juges qui ont relevé que la société MJA qui ne conteste pas la copropriété des marques n°4283582 et n°4445284 à hauteur de 50% entre les sociétés Froggies Media et D’art d’art ne pouvait admettre que la société Froggies Media s’affranchisse de son obligation d’information envers la société D’art d’art avant de concéder une licence sur ces mêmes marques.

Par ailleurs, c’est en vain que la société Froggies Media se prévaut d’une exception d’inexécution telle que stipulée à l’article 1219 du code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 s’agissant d’une transaction conclue en 2008 et alors que l’inexécution nouvellement alléguée n’a ni fondement textuel, ni réalité démontrée.

Ainsi, les droits de la société D’art d’art ont été violés par la conclusion au profit de la société D18 du contrat de licence des marques n°4283582 et n°4445284 en date du 3 mai 2019 consenti par la société Froggies Media seule.

Pour autant, la sanction de ce manquement préjudiciable à la société D’art d’art ne peut être l’annulation du contrat consenti au profit de la société D18, non partie à la présente procédure, comme prononcé par les premiers juges, mais son inopposabilité à la société D’art d’art. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur la demande indemnitaire présentée par la société Froggies Media à l’encontre de la société D’ART D’ART

La société Froggies Media reproche à la société D’art d’art un comportement malveillant qui aurait conduit à l’arrêt de l’émission D’ART DART et demande la réparation de son préjudice du fait de l’arrêt de l’émission et de l’exploitation subséquente des marques à hauteur de 150 000 euros.

Pour autant, si la société D’art d’art a effectivement alerté la société France Télévision en 2020 des difficultés qu’elle rencontrait avec son partenaire, la société Froggies Média placée en liquidation judiciaire, puis l’a informée le 12 juillet 2020 de ce qu’elle contestait la validité des contrats de cession de droits de production et de licence de marque octroyé au profit de D18, ainsi que du litige l’opposant à ces deux sociétés, rien ne permet d’établir le caractère mensonger ou malveillant de ces courriers, ni le lien entre ceux-ci et l’arrêt de l’émission.

Les premiers juges ont par ailleurs relevé à juste titre qu’il ressort d’une publication sur le site Internet www.francetelevisions.fr, daté du 22 juillet 2020, qu’une nouvelle série, intitulée « Ouh là l’art », présentée par [C] [E], présentatrice de la série D’ART DART, et produite par la société D18 dont M. [B] est le gérant, était programmée et avait pour but de remplacer l’émission D’ART DART.

Le jugement qui a débouté de sa demande la société Selafa MJA, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Froggies Media de ce chef sera confirmé.

Sur les autres demandes

La société D’art d’art demande la condamnation de la Selafa MJA, ès qualités, de lui verser une somme de 10 000 euros pour appel abusif.

Pour autant, le seul fait d’exercer une voie de recours ne peut être considéré comme abusif et la société D’art d’art ne caractérise pas d’abus ou de faute imputable au liquidateur de la société Froggies Média dans l’exercice de son droit d’interjeter appel d’un jugement.

La société D’art d’art sera déboutée de cette demande.

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.

La société Selafa MJA, ès qualités de liquidateur de la société Froggies Média, sera en outre condamnée aux dépens d’appel et, en équité, à payer à la société D’art d’art la somme complémentaire de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dispositif
PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société D’art d’art de sa demande tendant à la reconnaissance du caractère frauduleux des dépôts des marques D’ART D’ART n°4283582 du 28 juin 2016 et n°4445284 du 12 avril 2018 et prononcé la nullité du contrat de licence exclusive du 3 mai 2019 entre les sociétés Froggies Média et D18,

Y substituant et y ajoutant,

Dit frauduleux les dépôts des marques D’ART D’ART n°4283582 du 28 juin 2016 et n°4445284 du 12 avril 2018 par la société Froggies Média en fraude des droits de la société D’art d’art,

Dit inopposable à la société D’art d’art le contrat de licence exclusive du 3 mai 2019 conclu entre les sociétés Froggies Média et D18,

Déboute la société D’art d’art de sa demande fondée sur l’abus de procédure,

Invite les parties à conclure avant le 5 janvier 2024 sur la recevabilité de la demande de la société D’art d’art tendant à voir condamner de la société MJA, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Froggies Media, à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépôts frauduleux de marques effectués antérieurement à la liquidation prononcée par jugement du 10 septembre 2019 et alors qu’elle était en exécution du plan précédemment arrêté par jugement du 19 février 2016,

Invite les parties à se présenter à l’audience de plaidoiries de la cour du jeudi 18 janvier 2024 à 14 heures.

Condamne la société Froggies Média représentée par la Selafa MJA prise en la personne de Me [Y] [H], ès qualités de liquidateur, à payer à la société D’art d’art la somme de 8 000 euros complémentaires sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Froggies Média représentée par la Selafa MJA prise en la personne de Me [Y] [H], ès qualités de liquidateur, aux dépens d’appel.

La Greffière La Présidente


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