Copie des fonctionnalités d’un logiciel : légal sans conditions

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Copie des fonctionnalités d’un logiciel : légal sans conditions
Ce point juridique est utile ?

Y compris en matière de logiciel, le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas en soi un acte de concurrence fautif, le principe étant qu’une prestation ou un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit.

Principe de libre concurrence

Une telle reprise procure nécessairement à celui qui la pratique des économies qui ne sauraient, à elles seules, être tenues pour fautives, sauf à vider de toute substance le principe ci-avant rappelé, lui-même étroitement lié à la règle fondamentale de la liberté de la concurrence.

La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l’article 1240 du code civil, suppose ainsi l’existence d’une faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou de la prestation, circonstance attentatoire à l’exercice loyal des affaires.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de l’espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Conditions du parasitisme

Le parasitisme, qui s’apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel.

Les idées et les principes sont de libre parcours

Les idées et les principes sont de libre parcours, de sorte que, conformément aux dispositions de l’article L. 122-6-1, III du code de la propriété intellectuelle, tout observateur, utilisateur légitime d’un logiciel, peut tester le programme et tirer de ses observations les enseignements qu’il souhaite, y compris pour réaliser un logiciel concurrent. Il ne saurait donc être reproché à un éditeur de logiciel concurrent, après avoir essayé licitement le logiciel AutoPilot et proposé des améliorations à l’éditeur initial, d’avoir, en l’absence de réponse favorable de cette dernière, développé une version concurrente en y incluant les fonctionnalités qui lui paraissaient manquantes, y compris en reproduisant dans ce cadre les fonctionnalités pré-existantes du logiciel concurrent, dès lors qu’il les a intégralement codées (ou fait coder).

Absence de risque de confusion

En l’occurrence, étant donné le marché très spécifique auquel s’adressent les deux logiciels concurrents en cause, à savoir la planification et l’exécution des productions audiovisuelles en direct, la clientèle visée, très majoritairement composée de monteurs-truquistes et professionnels de l’audiovisuel, doit être considérée comme particulièrement avisée et attentive, de sorte qu’aucun risque de confusion n’était démontré, chacun d’eux sachant sans confusion possible qu’il s’adresse à la société CUEPILOT ou au contraire à la société FACTORY GROUP INVEST. Aucune faute de concurrence déloyale n’était en conséquence constituée.

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TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

3ème chambre

2ème section

No RG 19/08079

No Portalis 352J-W-B7D-CQH3U

No MINUTE :

Assignation du :

28 Juin 2019

JUGEMENT

rendu le 15 Avril 2022

DEMANDERESSE

CUEPILOT ApS

[Adresse 2]

[Adresse 2] (DANEMARK)

représentée par Maître Asim SINGH de la SAS CPC & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P567

DÉFENDERESSE

S.A.S.U. FACTORY GROUP INVEST

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Maître Alain BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0241

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Catherine OSTENGO, Vice-présidente

Madame Elise MELLIER, Juge

Madame [R] [L], Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 11 février 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 1er avril 2022, puis prorogé au 15 avril 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit danois CUEPILOT ApS (ci-après la société « CUEPILOT »), créée en 2010, a pour objet le développement de logiciels.

Son associé fondateur, [E] [C] dit avoir créé avec [S] [Z], en 2004, une solution de planification et d’exécution des productions audiovisuelles en direct sous forme d’un logiciel CuePilot (anciennement dénommé AutoPilot) dont ils ont cédé les droits, à compter du 15 janvier 2010, à la société CUEPILOT.

La société FACTORY GROUP INVEST, créée en 2012 par [N] [W], a quant à elle pour activité la production et la réalisation de programmes audiovisuels.

La société CUEPILOT a été contactée par M. [W] en mai 2013 à propos du logiciel CuePilot, à la suite de quoi ce dernier s’est rendu au Danemark pour observer le fonctionnement du logiciel et a ensuite bénéficié d’un premier essai en novembre 2013 à [Localité 3] puis d’un second en septembre 2014.

Elle indique avoir découvert, en mars 2018, l’existence d’un logiciel LiveEdit permettant de réaliser en direct des programmes et émissions de télévision, offert au téléchargement sur le site internet www.live-edit.tv exploité par la société FACTORY GROUP INVEST.

Soutenant que ce logiciel présentait une interface utilisateur similaire à celle de son logiciel CuePilot, la société CUEPILOT a été autorisée, par ordonnance présidentielle du 15 mai 2019, à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège social de la société FACTORY GROUP INVEST à [Localité 3], lesquelles ont été diligentées le 29 mai 2019.

Elle a ensuite fait assigner la société FACTORY GROUP INVEST par acte du 28 juin 2019 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon de droit d’auteur et subsidiairement en concurrence déloyale et parasitaire.

Une médiation entre les parties a été ordonnée par le juge de la mise en état, suivant ordonnance du 28 février 2020, laquelle n’a toutefois pas abouti à un accord entre les parties.

Par ordonnance sur incident rendue le 4 décembre 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de la société FACTORY GROUP INVEST tendant à l’annulation de l’assignation, et s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande en nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon.

***

Dans le dernier état de ses prétentions, suivant conclusions no 5 signifiées par voie électronique le 14 décembre 2021, la société CUEPILOT ApS demande au tribunal de :

Vu l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240 du code civil ;

— DÉCLARER recevables et bien-fondées les demandes de la société CUEPILOT ;

In limine litis,

– DÉCLARER le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes reconventionnelles de la société FACTORY GROUP INVEST ;

– DÉCLARER le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes principales et subsidiaires de la société CUEPILOT ;

Sur le fond

A titre principal,

– CONSTATER que la société CUEPILOT est titulaire des droits d’auteur patrimoniaux relatifs au logiciel dénommé CuePilot et que ce dernier est original ;

– CONSTATER que la société FACTORY GROUP INVEST, en développant et commercialisant le logiciel dénommé LiveEdit, a illicitement reproduit des éléments originaux du logiciel CuePilot ;

– CONSTATER que ces actes ont causé un préjudice moral et économique à la société CUEPILOT ;

Par conséquent

– DIRE ET JUGER que les opérations de saisie-contrefaçon intervenues le 29 mai 2019 sont valables ;

– DIRE ET JUGER que la société FACTORY GROUP INVEST a commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur afférents au logiciel CuePilot ;

– ORDONNER une expertise afin de déterminer l’étendue de l’exploitation commerciale de LiveEdit en vue de chiffrer les bénéfices réalisés par la société FACTORY GROUP INVEST ;

– CONDAMNER la société FACTORY GROUP INVEST à verser la somme de 586 534 euros (CINQ CENT QUATRE-VINGT-SIX MILLE CINQ CENT TRENTE-QUATRE) euros (sauf à parfaire) à la société CUEPILOT à titre de dommages-intérêts, sous réserve des résultats de l’expertise qu’il conviendra d’ordonner ;

A titre subsidiaire,

– CONSTATER que le développement du logiciel CuePilot par la société CUEPILOT a nécessité des investissements financiers et humains significatifs ;

– CONSTATER que la société FACTORY GROUP INVEST, en développant et commercialisant le logiciel dénommé LiveEdit, s’est illicitement approprié le savoir-faire et les investissements de la société CUEPILOT ;

– CONSTATER que la société FACTORY GROUP INVEST propose son logiciel LiveEdit à des clients existants de la société CUEPILOT ;

– CONSTATER que ces actes ont causé un préjudice moral et économique à la société CUEPILOT ;

Par conséquent

– DIRE ET JUGER que la société FACTORY GROUP INVEST a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au détriment de la société CUEPILOT ;

– CONDAMNER la société FACTORY GROUP INVEST à verser la somme de 586 534 euros (CINQ CENT QUATRE-VINGT-SIX MILLE CINQ CENT TRENTE-QUATRE) euros (sauf à parfaire) à la société CUEPILOT à titre de dommages-intérêts ;

Sur les demandes reconventionnelles

A titre principal,

– DÉCLARER que les demandes reconventionnelles de la société FACTORY GROUP INVEST doivent être régies pas le droit danois (s’agissant des demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale) et par le droit suédois (s’agissant de la demande en dénigrement) ;

A titre subsidiaire,

– DÉCLARER la société FACTORY GROUP INVEST mal fondée en ses demandes reconventionnelles au titre des actes de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire, dénigrement et procédure abusive ;

– DÉBOUTER la société FACTORY GROUP INVEST de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

En tout état de cause,

La concluante exprime son accord quant au principe et à la mission proposée par la société défenderesse en formulant ses protestations et réserves d’usage et sous les réserves suivantes :

– L’expert qui serait désigné devra être parfaitement à l’aise en anglais afin de permettre un dialogue fluide avec les représentants de la demanderesse ;

– La mission de l’expert devra englober en toute hypothèse un examen comparatif des fonctionnalités et des éléments de l’interface utilisateur des deux logiciels (qu’ils soient ou non protégés par le droit d’auteur) et dans ce cadre :

– entendre les parties et poser toute question pertinente concernant notamment leur développement et origine, les investissements y afférents et la chronologie de leur intégration au logiciel concerné et ;

– donner son avis sur (i) le point de savoir si ces fonctionnalités ou éléments procurent un avantage concurrentiel et (ii) laquelle des deux parties étaient à leur origine ;

– La rémunération de l’expert (dont la provision initiale) devra être partagée à parts égales entre les parties.

— INTERDIRE à la société FACTORY GROUP INVEST, à compter de la signification du jugement à intervenir, tout acte de commercialisation du logiciel dénommé LiveEdit (quel qu’en soit le nom et quelle qu’en soit la version), et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, en se réservant la liquidation de l’astreinte ;

– ORDONNER la publication du dispositif du jugement à intervenir sur le site www.liveedit.app, étant précisé que cette publication devra être faite pendant un mois ininterrompu à compter de la signification et dans des caractères de police équivalent à « Times New Roman 12 », le tout aux frais de la société FACTORY GROUP INVEST sous astreinte de 500 euros par jour de retard, en se réservant la liquidation de l’astreinte ;

– CONDAMNER la société FACTORY GROUP INVEST à verser à la société CUEPILOT la somme de 150 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER la société FACTORY GROUP INVEST à verser à la société CUEPILOT la somme de 2 590 euros en remboursement des frais exposés dans le cadre de la saisie-contrefaçon ;

– ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans constitution de garantie ;

– CONDAMNER la société FACTORY GROUP INVEST aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Asim SINGH conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

*

Aux termes de ses dernières conclusions no 5 signifiées par voie électronique le 16 décembre 2021, la société FACTORY GROUP INVEST sollicite du tribunal de :

— DÉCLARER recevable et bien fondée la société Factory Group Invest en l’ensemble de ses fins, moyens et prétentions, y faire droit et en conséquence :

– JUGER irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société CuePilot ApS et subsidiairement, la rejeter comme mal fondée ;

– ANNULER l’intégralité de la saisie pratiquée le 29 mai 2019 suspendue et reprise le 19 juin 2019 en exécution de l’ordonnance du 15 mai 2019 et des actes subséquents, à savoir les procès-verbaux en date des 29 mai 2019 et 20 juin 2019 ;

En conséquence,

– ORDONNER sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la restitution à la société Factory Group Invest des éléments saisis en suite de ces opérations et détenus tant par la société CuePilot ApS que par l’huissier instrumentaire et se réserver le pouvoir de liquider les astreintes prononcées ;

– FAIRE défense à la société CuePilot ApS de se prévaloir dans ses écritures dans la présente instance, et dans toute autre action judiciaire ou extrajudiciaire qu’elle viendrait à engager et en tout état de cause de manière générale, du contenu des procès-verbaux de l’huissier instrumentaire, des pièces appréhendées lors des opérations de saisie, et des informations, pièces et documents dont elle a obtenu la communication dans le cadre de la saisie du 29 mai 2019 suspendue et reprise le 19 juin 2019 ;

Vu l’aveu judiciaire de la société CuePilot, ÉCARTER des débats le photomontage qualifié de « capture d’écran de la solution Cuepilot et de ses fonctionnalités » telle que produite au sein de la pièce adverse numérotée 22 et reproduite au sein des conclusions Cuepilot (5) p.11 ainsi que l’ensemble des développements de l’expert [A] et de la société CuePilot fondés sur ce photomontage ;

– JUGER le rapport d’expertise privée établi par Monsieur [I] [A] le 26 mai 2020, communiqué au soutien des conclusions de la société CuePilot ApS en tant que pièce no 22, dépourvu de force probante ;

– DÉBOUTER la société CuePilot ApS de l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

Reconventionnellement,

– JUGER que les demandes reconventionnelles formées par la société Factory Group Invest sont soumises à la loi française et en conséquence, rejeter la demande de la société CuePilot ApS relative à la loi applicable ;

– CONDAMNER la société CuePilot ApS à payer à la société Factory Group Invest la somme de 856 943 euros en réparation du préjudice subi dont 820 541 euros sur le seul territoire français, au titre de la procédure et de la saisie abusive, au titre de la contrefaçon du logiciel LiveEdit, et subsidiairement de la concurrence déloyale et parasitaire, au titre des faits distincts de concurrence déloyale, dénigrement et détournement de clientèle, avec intérêts au taux légal à compter de ses premières écritures ;

– ORDONNER la capitalisation des intérêts ;

En toute hypothèse,

– ORDONNER, à titre de complément de dommages et intérêts, avec exécution provisoire, la publication aux frais de la société CuePilot ApS du dispositif de la décision à intervenir la condamnant, dans son intégralité ou par extraits dans cinq journaux et revues au choix de la société Factory Group Invest sans que la valeur de ces publications n’excède la somme de 25 000 euros augmentée de la TVA en vigueur :

– que cette publication devra être faite dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

– que la somme de 25 000 euros hors taxes, augmentée de la TVA au taux en vigueur au jour de la facturation, devra être consignée entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris dans le délai de quarante-huit heures à compter de la signification de la décision à intervenir ;

-Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris attribuera cette somme sur production de la commande des publications ;

– CONDAMNER la société CuePilot ApS à payer à la société Factory Group Invest la somme de 185 108 euros avec exécution provisoire en application de l’article 700 du code de procédure civile à compter de ses premières écritures ;

– CONDAMNER la société CuePilot ApS aux dépens, dont distraction au profit d’Alain Bensoussan Selas, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Si compte-tenu de la technicité des éléments et du caractère contradictoire des rapports d’expertise privés produits, le tribunal ne s’estimait pas suffisamment éclairé, il lui est proposé d’ordonner, avant dire droit, une mesure d’expertise sur le fondement des articles 143 et 144 du code de procédure civile et, dans ce cadre,

– DÉSIGNER tel expert inscrit sur la liste des experts judiciaires dans le domaine de l’informatique et des logiciels ayant, si possible une compétence dans le domaine de la production audiovisuelle et évaluation des préjudices qu’il lui plaira avec pour mission de :

1. convoquer et entendre les parties en leurs dires et explications dans le respect du contradictoire ;

2. indiquer aux parties son absence de lien avec chacune d’elles et/ou avec leurs conseils ;

3. se rendre autant de fois qu’il le jugera nécessaire aux sièges sociaux et dans tous locaux des parties, ainsi qu’en tout lieu nécessaire à l’exécution de sa mission ;

4. se faire remettre par les parties tous éléments relatifs aux solutions Cuepilot et LiveEdit et, notamment, les solutions Autopilot version de 2013, Cuepilot V.5.0, V.5.2, V.6.0 et V.7.0, LiveEdit V.1.9.3 et V.4.1.3, en ce compris les codes sources, architectures, interfaces et documentations ;

5. analyser les conditions et modalités de développement et de réalisation de la solution www.AutoPilotuser.com devenue Cuepilot ainsi que les versions Cuepilot V.5.0, V.5.2, V.6.0 et V.7.0 ;

6. entendre Messieurs [E] [C] et [S] [Z] sur les conditions de développement de la solution www.AutoPilotuser.com devenue Cuepilot, ainsi que les versions Cuepilot V.5.0, V.5.2, V.6.0 et V.7.0 ;

7. prendre connaissance de tous éléments qu’il estimera utiles permettant d’établir les conditions et modalités de développement et de réalisation de la solutionwww.AutoPilotuser.com devenue Cuepilot et ses différentes versions ;

8. demander à la société Cuepilot de présenter les éléments de la solution Cuepilot du logiciel qu’elle prétend originaux, ainsi que les critères retenus pour en justifier ;

9. décrire pour chaque module du logiciel Cuepilot, son architecture, ses fonctionnalités, son ergonomie, le traitement des données, les ensembles, ruptures et discontinuités, etc. ;

10. au vu des éléments analysés et des informations reçues, déterminer si les solutions www.AutoPilotuser.com devenue Cuepilot et Cuepilot V.5.0, leurs interfaces graphiques et leurs fonctionnalités sont originales en tout ou partie, en indiquant notamment ce qui relève :

des idées et principes ;

des algorithmes ;

des fonctionnalités ;

du langage de programmation ;

des contraintes techniques ;

des contraintes métier, notamment au regard du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct ;

des usages de la profession ;

de l’état de l’art ou du domaine public ;

de créations antérieures ;

du savoir-faire des développeurs ;

11.se faire remettre par les parties tous éléments relatifs au logiciel LiveEdit V.1.9.3 et V.4.1.3 saisie par la SCP ABCJustice, huissier de justice, le 21 mai 2019 et notamment les codes sources, architectures, interfaces et documentations ;

12. analyser les conditions et modalités de développement et de réalisation de la solution LiveEdit ;

13. entendre Messieurs Monsieur [N] [W] et Monsieur [M] [D] sur les conditions de développement de la solution LiveEdit ;

14. prendre connaissance de tous éléments qu’il estimera utiles permettant d’établir les conditions et modalités de développement et de réalisation de la solution LiveEdit ;

15. décrire pour chaque module de la solution LiveEdit son architecture, ses fonctionnalités, son ergonomie, le traitement des données, les ensembles, ruptures et discontinuités, etc. ;

16. au vu des éléments analysés et des informations reçues, déterminer si le logiciel LiveEdit, ses interfaces graphiques et fonctionnalités sont originales en tout ou partie, en indiquant notamment ce qui relève :

des idées et principes ;

des algorithmes ;

des fonctionnalités ;

du langage de programmation ;

des contraintes techniques ;

des contraintes métier, notamment au regard du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct ;

des usages de la profession ;

de l’état de l’art ou du domaine public ;

de créations antérieures ;

du savoir-faire des développeurs ;

17. rendre un rapport sur cette première partie de la mission d’expertise, et indiquer si, aux vues des éléments analysés, les solutions www.AutoPilotuser.com devenue Cuepilot, Cuepilot et LiveEdit sont susceptibles d’être qualifié d’originales ;

Dans une telle hypothèse, procéder à une seconde partie de la mission d’expertise, et dans ce cadre :

18. prendre possession et connaissance de l’ensemble des versions Autopilot 2013, Cuepilot V.5.0, V.5.2, V.6.0 et V.7.0, LiveEdit V.1.9.3 et V.4.1.3 ;

19. se faire remettre tout document interne aux parties permettant de suivre les étapes du développement desdites versions ;

20. procéder à un examen comparatif des solutions :

Autopilot 2013/ LiveEdit V.1.9.3

LiveEdit V.1.9.3/Cuepilot V.5.0 et Cuepilot V.5.2

LiveEdit V.4.1.3/ Cuepilot V.6.0 et V.7.0.

21. pour chaque comparaison déterminer s’il existe des ressemblances entre les interfaces utilisateur et les fonctionnalités en indiquant notamment ce qui relève :

– des idées et principes ;

– des algorithmes ;

– des fonctionnalités ;

– du langage de programmation ;

– des contraintes techniques ;

– des contraintes métier, notamment au regard du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct ;

– des usages de la profession ;

– de l’état de l’art ou du domaine public ;

– de créations antérieures ;

– du savoir-faire des développeurs ;

22. procéder à un examen comparatif de l’architecture technique, l’architecture fonctionnelle et le traitement des données des solutions Autopilot 2013 avec LiveEdit V.1.9.3, de LiveEdit V.2.3.3 avec Cuepilot V.5.0 et V.5.2, de LiveEdit V.4.1.3 avec Cuepilot V.6.0 et V.7.0. ;

23. déterminer s’il existe des ressemblances entre l’architecture technique, l’architecture fonctionnelle et le traitement des données dans les logiciels comparés en indiquant notamment ce qui relève :

– des idées et principes ;

– des algorithmes ;

– des fonctionnalités ;

– du langage de programmation ;

– des contraintes techniques ;

– des contraintes métier, notamment au regard du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct ;

– des usages de la profession ;

– de l’état de l’art ou du domaine public ;

– de créations antérieures ;

– du savoir-faire des développeurs ;

24. en tant que de besoin, procéder, de manière confidentielle et hors la présence de chaque partie, à un examen comparatif des codes sources des solutions Autopilot 2013 avec LiveEdit V.1.9.3, de LiveEdit V.2.3.3 avec Cuepilot V.5.0 et V.5.2, de LiveEdit V.4.1.3 avec Cuepilot V.6.0 et V.7.0. ;

25. pour chaque comparaison, déterminer s’il existe des lignes de code identiques, en indiquant notamment ce qui relève :

– des idées et principe ;

– des algorithmes ;

– des fonctionnalités ;

– du langage de programmation ;

– des contraintes techniques ;

– des contraintes métier, notamment au regard du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct ;

– des usages de la profession ;

– de l’état de l’art ou du domaine public ;

– de créations antérieures ;

– du savoir-faire des développeurs ;

26. donner son avis sur la possibilité de mettre au point la solution LiveEdit V.1 au regard de la compétence de ses auteurs et des moyens techniques utilisés dans un délai d’une année ;

27. se faire remettre tous éléments et tous documents, en particulier les documents comptables, jugés nécessaires afin d’évaluer tous préjudices allégués par les parties ;

28. donner toute précision technique utile à la solution du litige ;

29. établir et communiquer aux parties une note ou un compte-rendu de réunion après chaque réunion d’expertise ;

30. répondre à tous dires et demandes des parties ;

31. établir un pré-rapport et le communiquer aux parties pour recueillir leurs observations afin de déposer leur rapport final ;

32. en toute hypothèse garantir la confidentialité et la non-transmission des codes sources des logiciels comparés ainsi que de tous éléments relatifs au savoir-faire des parties ;

33. entendre tout sachant qu’il estimera utile ;

34. se faire assister de tout sapiteur indépendant des parties spécialiste du métier de réalisation et de production d’émissions télévisées en direct qu’il estimera utile ;

— DIRE que la provision sera à la charge de la société CuePilot ApS ;

– DIRE que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s’adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts établie près du tribunal ;

– DIRE qu’en cas de difficulté, l’expert s’en référera au juge désigné par le tribunal ;

– FIXER la première consignation à valoir sur la rémunération de l’expert et juger que les éventuelles provisions ultérieures seront réparties à parts égales entre les sociétés Factory Group Invest et la société CuePilot ;

– RÉSERVER les dépens.

***

La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 décembre 2021 et l’affaire plaidée le 11 février 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l’exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est observé que si la société CUEPILOT sollicite expressément du tribunal qu’il se déclare compétent pour statuer sur ses demandes, cette compétence n’est pas contestée par la défenderesse, de sorte qu’il n’y a pas lieu de répondre sur ce point.

A titre liminaire, sur la demande de réalisation d’une expertise technique

La société FACTORY GROUP INVEST considère que seule une mesure d’instruction permettrait d’établir précisément les droits de chacune des parties, l’évolution des deux solutions dans le temps et l’étendue des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qu’elle allègue, et propose en conséquence la nomination d’un expert afin d’éclairer le tribunal sur :

– la détermination des solutions en comparaison de leur contenu en fonction des différentes versions en présence et l’originalité des solutions opposées, et plus particulièrement de la solution AutoPilot qui lui a été prêtée en 2013 et de la solution CuePilot V.5.0 dite contrefaite,

– la comparaison des solutions en présence et l’identification d’actes de contrefaçon ou de reprises fautives par l’une ou l’autre des parties.

Elle propose une expertise préliminaire consistant en l’identification des éléments originaux des différentes solutions, puis une expertise permettant d’identifier si les architectures des différentes versions des logiciels en cause sont identiques, s’il existe des lignes de code identiques ou similaires entre les solutions en présence, et si les solutions présentent des identités et/ou similitudes de fonctionnalités et d’interface graphique.

La société CUEPILOT répond souscrire à la proposition d’expertise dans son principe, mais formule des protestations et réserves, à savoir que :

– l’expert choisi devra être à l’aise en anglais pour permettre un dialogue fluide avec les représentants de la demanderesse,

– la mission de l’expert devra englober un examen comparatif des fonctionnalités et des éléments de l’interface utilisateur des deux logiciels,

– la rémunération de l’expert devra être partagée à parts égales.

Sur ce,

Il sera simplement relevé qu’il appartient à chaque partie d’établir les faits qu’elle allègue, et que si le tribunal est toujours libre de requérir l’éclairage d’un expert, une telle expertise n’a en tout état de cause pas à suppléer la carence des parties.

Les demandes formées à ce titre seront en conséquence rejetées.

1- Sur la contrefaçon du logiciel CuePilot

1.1- Liminairement, sur la valeur probante du rapport d’expertise du 26 mai 2020

La société FACTORY GROUP INVEST conteste la valeur probante du rapport d’expertise privée établi à la demande de la société CUEPILOT. Elle fait tout d’abord valoir que la première partie de la mission de l’expert, consistant à donner une appréciation quant à l’originalité du logiciel CuePilot est une appréciation juridique contraire aux dispositions du code de procédure civile, de sorte que le rapport est dépourvu de pertinence. Elle ajoute que ce dernier ne comporte pas de bordereau et qu’aucune pièce n’est annexée, et qu’il est établi sur la base de documents internes dont l’origine est inconnue, soulignant la volonté de la demanderesse de fausser les conclusions de l’expert. Enfin, elle considère que la société CUEPILOT a fait l’aveu d’un photomontage pour une photographie qui représenterait la solution CuePilot et ses fonctionnalités, et sollicite en conséquence que cette photographie et la pièce 22 de la demanderesse soient écartées des débats.

La société CUEPILOT répond seulement que la défenderesse ne peut reprocher à l’expert d’avoir pris en considération des informations et pièces fournies par la demanderesse elle-même, alors que le propre expert mandaté par la société FACTORY GROUP INVEST se fonde sur des documents établis par la défenderesse.

Sur ce,

La nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon ayant été prononcée, la demanderesse n’est pas autorisée à invoquer les éléments qui en sont issus au soutien de son action en contrefaçon. Elle entend cependant démontrer la contrefaçon alléguée, notamment par la production d’un rapport d’expertise privée dont elle a confié la réalisation à M. [I] [A], inscrit au moment des faits sur la liste des experts agréés près la cour d’appel de Paris, et réalisé, non sur la base des éléments recueillis lors des opérations de saisie-contrefaçon, mais à partir de documents fournis à l’expert par la demanderesse.

Il sera en premier lieu rappelé qu’un rapport d’expertise, que celle-ci soit privée ou judiciaire, ne lie aucunement le tribunal, qui ne peut lui déléguer son office.

Outre une appréciation personnelle de l’expert quant à l’originalité du logiciel CuePilot, qui ne constitue pas une consultation ou une expertise sur une question de fait requérant ses lumières mais une appréciation d’ordre juridique qu’un expert n’a en principe pas à porter en application des articles 232 et 238 du code de procédure civile, le rapport litigieux (pièce 22 CUEPILOT) comporte également une comparaison « des interfaces utilisateur des logiciels CuePilot et LiveEdit », ainsi qu’une comparaison « du code source de CuePilot avec celui de LiveEdit », et M. [A] conclut des analogies constatées et qui ne peuvent selon lui être le fruit du hasard que : « Le code de Live Edit est évidemment et incontestablement le résultat de la copie d’éléments substantiels et originaux de celui de CuePilot ».

Pour opérer les comparaisons sus-évoquées, l’expert commis s’est appuyé sur un certain nombre de documents et éléments dont il précise qu’ils lui ont tous été remis par la société requérante mais dont aucun n’est annexé au rapport, à savoir notamment :

?En ce qui concerne CuePilot

– la « documentation » et le « manuel utilisateur de CuePilot » [4], sans que l’on sache si ceux-ci sont les mêmes depuis l’origine ou ont pu évoluer au fil du temps ;

– l’« exécutable de CuePilot » sans précision relative à sa version [5] ;

– les « versions successives 5.1.3 (Mai 2017) à 5.6.6 (Septembre 2019) de CUEPILOT » [9],

– le « code source de CuePilot » [10], sans préciser la version mais dont l’on peut supposer au vu du comparatif opéré ensuite qu’il s’agit de la version 5.0.70 ;

– une « copie d’écran du titre des fichiers de CuePilot stockés sous AWS S3 », là encore sans précision relative à la version de ce logiciel [12].

Ainsi, si l’expert précise en page 6 de son rapport que « La version [de CuePilot] qui nous intéresse [est la] 5.0.77 », il n’est pour autant pas établi qu’il ait effectué ses constats et son analyse à partir de cette version et non des versions antérieures ou au contraire postérieures de ce logiciel, étant relevé comme il sera vu infra que ce sont a priori les codes sources d’une version 5.0.70 et non 5.0.77 qu’il dit avoir comparés avec les codes sources présentés comme étant ceux du logiciel LiveEdit.

?En ce qui concerne LiveEdit

– « logiciel LiveEdit » [6], dont il est indiqué ensuite qu’il s’agit d’une version 1.9.3 ;

– « accès au code source de LiveEdit » [7] ;

– « code source de LiveEdit » [10].

Il apparaît quelque peu étonnant que le logiciel soumis à l’expert ne soit pas celui recueilli lors des opérations de saisie-contrefaçon, dont l’objet était d’établir la contrefaçon et alors même que les copies écran de l’interface graphique proviennent de cette saisie.

Il sera ensuite observé que la version 1.9.3 de LiveEdit était entre les mains de la demanderesse en mars 2018 selon l’expert, de sorte qu’il ne peut logiquement être soutenu comme le fait ensuite valoir ce dernier dans son rapport que l’identité des lignes de code entre les deux logiciels démontrent que M. [D] aurait copié ces lignes de code après décompilation de CuePilot en mai 2018 puis février 2019.

Outre que la provenance du logiciel LiveEdit, « récupéré par l’intermédiaire d’un des clients de CUEPILOT », est inconnue et que rien ne démontre qu’il a été obtenu de manière licite et loyale, l’expert expose au §6.1 du rapport le procédé suivi pour en récupérer les codes sources, lequel s’apparente d’évidence à une décompilation illicite, puisqu’elle n’a pas été réalisée pour obtenir les informations strictement nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel avec d’autres logiciels aux termes de l’article L. 122-6-IV du code de la propriété intellectuelle, mais bien pour obtenir les codes sources du logiciel litigieux, et au demeurant par une personne ne disposant pas du droit d’utiliser un exemplaire du logiciel, n’étant ni titulaire des droits d’auteur, ni n’ayant été autorisée par ledit titulaire à utiliser ou reproduire le logiciel.

Sur ce point, la société CUEPILOT ne peut écarter le caractère illicite de la décompilation opérée au motif qu’elle se serait produite au Danemark, dès lors que, outre qu’elle n’établit pas que la législation danoise autoriserait les actes litigieux (pièce 60 CUEPILOT), la production des éléments obtenus par ce biais à la présente procédure française revêt un caractère déloyal justifiant que les appréciations tirées par l’expert du code source ainsi décompilé soient écartées des débats.

?Autres éléments

– un « fichier de comparaison (version 5.0.70 de CuePilot avec la version 1.9.3 de Live Edit) associé intitulé « comparison3.txt » » [22] ;

– un « document « comparison2.txt » rédigé par CUEPILOT établissant les similitudes des deux logiciels (version 5.1.3 de CuePilot avec la version 1.9.3 de Live Edit) » [8] ;

– des « diagrammes logiques d’enchaînement de CuePilot et de LiveEdit » [11], indiqués comme « reconstitués par le PDG de CuePilot » ;

Ces documents ayant été établis par la seule société CUEPILOT dans des conditions inconnues, leur valeur probante s’en trouve d’autant plus amoindrie que la défenderesse démontre (pièce 116) que la « comparaison des interfaces présentées sur le site Internet de LiveEdit avec celles de CuePilot » s’appuie sur des montages de captures d’écran et non sur des visuels intègres, ce que reconnaît de surcroît la demanderesse (« Cette image (…) ne montre pas la mise en page exacte sur une vue spécifique dans CuePilot, mais elle montre le concept général de CuePilot version 5 »), les observations de l’expert ayant en conséquence été au moins partiellement faussées.

Enfin, les conclusions que tire M. [A] de son analyse, aux termes de laquelle il relève « un recouvrement très important des lignes de codes allant d’un degré élevé de similitude à une identité complète », ne sont étayées par aucun élément permettant au tribunal d’apprécier la réalité de cette assertion, puisque les lignes de code considérées comme similaires voire identiques ne sont pas reproduites et qu’aucun document n’est annexé.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’expertise privée litigieuse, réalisée à partir de documents dont le contenu et la provenance ne sont pas clairement établis et alors que subsiste un doute manifeste quant à la version du logiciel CuePilot retenue pour comparaison, n’est pas de nature à éclairer utilement le tribunal.

1.2- Sur l’originalité

La société CUEPILOT fait valoir que son logiciel CuePilot est original dans sa structure et son architecture, et qu’il n’existe aucune solution antérieure comparable. Ainsi, les choix opérés sur l’infrastructure du logiciel, et notamment sur le codage, la structuration et la hiérarchisation sont selon elle parfaitement arbitraires et non dictés par les fonctions requises. Elle ajoute que le fait de passer sous l’environnement Electron en 2017 pour la version 5.0 n’a pas changé l’infrastructure du logiciel.

La société FACTORY GROUP INVEST réplique tout d’abord que la demanderesse n’identifie pas la version du logiciel opposé. Si le juge de la mise en état a considéré que la version revendiquée du logiciel était la version 5.0, la défenderesse estime qu’une telle version n’est ni visée, ni versée aux débats et que plus de deux ans de développements continus se sont écoulés entre la version 5.0.70 du 24 avril 2017 et les opérations de saisie-contrefaçon.

Elle considère par ailleurs que la présentation faite par la société CUEPILOT de son logiciel ne fait que décrire le but ou l’objet de la solution revendiquée, et non des éléments de nature à caractériser l’existence d’une oeuvre protégeable. Elle ajoute que les fonctionnalités d’un logiciel sont exclues de la protection par le droit d’auteur. Enfin, elle fait valoir que la demanderesse n’établit pas l’originalité de l’interface graphique de son logiciel, et qu’en tout état de cause, l’organisation choisie par le logiciel LiveEdit est standard et se retrouve dans tous les logiciels de montage vidéo.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’originalité de l’oeuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. Une combinaison d’éléments connus n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, sous réserve qu’elle soit suffisamment précise pour que le monopole sollicité ne soit pas étendu à un genre insusceptible d’appropriation.

Le droit de l’article susmentionné est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, en ce inclus, aux termes de l’article L. 112-2 13o, les logiciels et le matériel de conception préparatoire.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doit être interprété en ce sens que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive » (CJUE, 2 mai 2012, aff. C-406/10, SAS).

Ainsi, la protection spécifique prévue par la directive 91/250/CEE, telle que consolidée par la directive 2009/24/CE, n’est acquise qu’au programme au sens strict et au matériel de conception préparatoire, tandis que la documentation, le langage de programmation, les formats de fichiers ou encore l’interface graphique peuvent néanmoins être protégés au titre du droit d’auteur.

En l’espèce, la société CUEPILOT revendique un logiciel du même nom qu’elle dit avoir été précédemment dénommé AutoPilot, initialement développé à compter de 2004 et n’ayant cessé d’être depuis amélioré. S’il est dans la logique d’un logiciel d’évoluer par différentes versions, au fur et à mesure des progrès techniques mais également de l’ajout de fonctionnalités ou de refontes graphiques ou ergonomiques, il appartient néanmoins à celui qui invoque des droits d’auteur sur un logiciel qu’il estime contrefaits de délimiter précisément le périmètre et le contenu desdroits qu’il revendique, à une date déterminée, laquelle doit nécessairement être antérieure à la date à laquelle la copie litigieuse est censée avoir été réalisée.

La demanderesse argue ainsi que la version de son logiciel au titre de laquelle les comparaisons avec le logiciel adverse doivent être opérées est la V.5.0.70, mise en production le 8 mai 2017 (pièce 27 CUEPILOT), dont elle verse l’exécutable et le code source (pièce 32). Contrairement aux versions antérieures du logiciel CuePilot, cette version est un logiciel « autonome », selon une architecture client-serveur, et a été intégralement développée en JavaScript sous Vue.js et dans un environnement Electron.

Toutefois, s’il est exact que l’appréciation de l’originalité du logiciel englobe son infrastructure (« framework »), encore faut-il, pour celui qui s’en prévaut, établir le caractère réellement arbitraire des choix opérés. Au cas présent, la société CUEPILOT se contente de manière lapidaire d’affirmer que « CuePilot est original dans sa structure et son architecture. Les choix opérés par la société CUEPILOT sur l’infrastructure (« framework ») du logiciel CuePilot et notamment sur le codage, la structuration et la hiérarchisation étaient parfaitement arbitraires et non dictés par les fonctions requises. Les choix faits par les développeurs dans leur codage est (sic) arbitraire, ils sont donc une expression de leur création intellectuelle », sans aucunement expliciter les choix arbitraires qu’elle allègue, pas plus que « le séquençage et les aspects ergonomiques de CuePilot » censés selon elle refléter « la personnalité de ses développeurs/auteurs ». Or il ne suffit pas de renvoyer aux conclusions du rapport d’expertise privée qu’elle a fait réaliser, dont il a été vu plus haut que l’avis de l’expert sur la question de l’originalité ne lie pas le tribunal et apparaît au demeurant emprunt d’une certaine subjectivité. Quant à l’assertion tirée du mémoire en date du 4 mai 2015 rédigé par Mme [V] (pièce 9 FX), à l’issue de son stage au sein de la société CUEPILOT, non seulement il n’a aucune valeur probante dès lors qu’il n’est fait état d’aucune recherche portant sur les éventuelles autres solutions existantes, mais l’affirmation qu’il contient selon laquelle « il n’existe pas d’autre programme d’imagerie automatique dans le monde » est seulement relative à la nouveauté des fonctionnalités proposées, non à l’originalité revendiquée, notions distinctes l’une de l’autre ; et il en est de même de l’attestation rédigée par le principal développeur allégué du logiciel CuePilot, M. [Z] (pièce 67 CUEPILOT), qui, outre qu’elle constitue pour la demanderesse une quasi-preuve faite à elle-même puisqu’établie par un subordonné et étant rappelé que les fonctionnalités sont exclues de la protection, apparaît beaucoup trop générale pour être de nature à établir un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en oeuvre d’une logique automatique et contraignante, matérialisé dans une structure individualisée.

Pour ce qui est de l’interface du logiciel ensuite, celle-ci est en principe ouverte à la protection par le droit d’auteur, à la condition là encore qu’elle traduise des choix arbitraires. En l’espèce, il se comprend des écritures de la demanderesse qu’elle revendique une interface utilisateur « sous forme de « timeline » construite sur différentes pistes horizontales incluant des notes et/ou commentaires, du son et des pistes de caméra », l’utilisation de « boutons de couleur de même forme associés à chaque caméra », l’affichage du « numéro de la caméra, la description de la prise de vue et des informations supplémentaires sur la chronologie des séquences », l’existence d’« une zone de glissement sur le côté gauche de chaque repère pour faire glisser et déplacer les repères séparant chaque partie d’information de la chronologie ». La société CUEPILOT ne produit cependant aucun document ayant date certaine de nature à établir que ces caractéristiques étaient bien présentes dans l’interface de CuePilot antérieurement au logiciel LiveEdit, alors même que le « waveform » (lignes représentant les ondes audio) par exemple n’était pas disponible dans la version V.5.70 de CuePilot. A cet égard, la demanderesse reconnaît elle-même que « CuePilot évolue continuellement et en tant que tel, il n’est pas possible de reproduire à l’identique l’exécution d’une ancienne version dans un environnement qui a été remplacé depuis ».

Faute d’établir de manière certaine le périmètre des caractéristiques revendiquées à une date déterminée et leur originalité, la protection par le droit d’auteur ne peut être conférée à l’interface graphique de CuePilot V.5.70.

Partant, la société CUEPILOT, n’établissant pas l’originalité de son logiciel ni de l’interface de celui-ci, sera déboutée de ses demandes en contrefaçon.

Il sera en tout état de cause relevé que la demanderesse argue de la contrefaçon de cette version de son logiciel par le logiciel LiveEdit de la société FACTORY GROUP INVEST dans sa version 1.9.3.

La consistance des droits revendiqués est donc limitée précisément à la date du 8 mai 2017, à tout le moins au titre de la comparaison qui doit être opérée avec le logiciel argué contrefaisant. Or, il doit être immédiatement relevé que dans ses écritures, la société CUEPILOT reproche également à son adversaire la reprise de fonctionnalités qui ne sont apparues dans le logiciel CuePilot que dans des versions ultérieures de celui-ci, alors qu’elles étaient déjà présentes dans la version de LiveEdit opposée. Certes, les fonctionnalités en elles-mêmes n’entrent pas dans le champ du monopole conféré par le droit d’auteur, néanmoins leur traduction en code source ne pourra pas, du fait de leur inexistence dans la version V.5.0.70, être considérée comme déjà opérée à la date du 8 mai 2017 ; partant, la démonstration que la demanderesse entendait faire sur les similitudes alléguées sur ce point entre le logiciel adverse et son logiciel CuePilot sans autre précision (i.e. intégrant en réalité le dernier état de celui-ci au jour des dernières écritures) n’était en tout état de cause pas pertinente.

2- A titre subsidiaire, sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société CUEPILOT fait valoir qu’il existe de nombreuses ressemblances entre les logiciels CuePilot et LiveEdit, à savoir :

– des boutons de couleurs de même forme associés à chaque caméra, représentés et disposés de la même façon,

– deux applications qui affichent de la même manière le numéro de la caméra, la description de la prise de vue et des informations supplémentaires sur la chronologie des séquences,

– l’utilisation du même principe d’affichage de la liste des prises de vue.

Elle soutient par ailleurs que la société FACTORY GROUP INVEST entretient un flou concernant la période de création du logiciel litigieux, qui oscille entre 1 mois et 1 an et demi, ce qui est particulièrement court dès lors qu’un tel développement nécessite le codage en Electron, la construction de l’infrastructure et de l’architecture du logiciel, la résolution des problèmes et l’élaboration des algorithmes. A titre de comparaison, le développement du logiciel CuePilot a mobilisé les ressources humaines et financières de l’entreprise pendant une période de 3 ans et 8 mois. Elle ajoute que le logiciel CuePilot est une solution à haute valeur ajoutée, le montant des coûts générés par son développement s’élevant à 2 106 552 euros pour la période de janvier 2010 à juin 2019. Enfin, M. [W] a contacté la société CUEPILOT en 2013 et a utilisé l’équipement et le logiciel CuePilot en 2013 et 2014. Dès lors, selon la demanderesse, la société FACTORY GROUP INVEST a utilisé et étudié de manière approfondie la solution CuePilot pour détourner son savoir-faire et ses investissements financiers et humains, et a également cherché à capter sa clientèle en présentant son produit comme moins cher.

A titre de réparation, la société CUEPILOT sollicite la somme de 186 534 euros au titre de son gain manqué, et 400 000 euros au titre de son préjudice moral.

La société FACTORY GROUP INVEST réplique en premier lieu que la version présentée en 2013 à M. [W] et qui correspond aux investissements revendiqués n’est pas la version opposée au titre de la contrefaçon, que seul M. [Z] a développé la solution AutoPilot à l’exclusion de M. [C] pour un coût qui n’est pas justifié, et enfin que la demanderesse ne rapporte pas la preuve d’une valeur économique individualisée.

En second lieu, la défenderesse expose n’avoir pas commis de faute. Elle soutient à ce titre avoir été invitée par la société CUEPILOT à télécharger la nouvelle version de son logiciel, de sorte que celle-ci ne peut ensuite lui reprocher un tel téléchargement, et qu’il n’est pas démontré un quelconque détournement de clientèle. Elle conteste ensuite la force probante des différentes attestations produites qui démontreraient la ressemblance entre les logiciels et soutient au contraire prouver la différence entre ces logiciels. Elle fait encore valoir qu’il ne peut être considéré que le délai d’un an pour développer la solution LiveEdit serait anormalement raccourci, notamment en ce que MM. [W] et [D] sont des professionnels et développeurs bénéficiant de compétences et d’une expertise en la matière reconnues, qu’ils se sont entièrement consacrés au développement du logiciel LiveEdit en travaillant sur la plate-forme de développement de logiciels open-source GitHub, et qu’ils ont eu recours à un développement sous Electron permettant justement d’optimiser la vitesse de développement d’un logiciel. Enfin, elle ajoute pratiquer des tarifs supérieurs à ceux de la société CUEPILOT, de sorte qu’il ne peut lui être reproché de chercher à capter la clientèle de la demanderesse en présentant son produit comme moins cher.

Sur les montants sollicités, la société FACTORY GROUP INVEST répond que la société CUEPILOT ne démontre ni un détournement de clientèle, ni une confusion engendrée par sa faute, et qu’elle ne justifie pas non plus des montants sollicités au titre du gain manqué. De même que le préjudice moral allégué n’est établi ni dans son principe ni dans son étendue.

Sur ce,

Le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas en soi un acte de concurrence fautif, le principe étant qu’une prestation ou un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduit ; une telle reprise procure nécessairement à celui qui la pratique des économies qui ne sauraient, à elles seules, être tenues pour fautives, sauf à vider de toute substance le principe ci-avant rappelé, lui-même étroitement lié à la règle fondamentale de la liberté de la concurrence. La concurrence déloyale, sanctionnée en application de l’article 1240 du code civil, suppose ainsi l’existence d’une faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou de la prestation, circonstance attentatoire à l’exercice loyal des affaires. L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de l’espèce prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s’apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il constitue une déclinaison mais dont la caractérisation est toutefois indépendante du risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel.

En l’espèce, il doit être rappelé que les idées et les principes sont de libre parcours, de sorte que, conformément aux dispositions de l’article L. 122-6-1, III du code de la propriété intellectuelle, tout observateur, utilisateur légitime d’un logiciel, peut tester le programme et tirer de ses observations les enseignements qu’il souhaite, y compris pour réaliser un logiciel concurrent. Il ne saurait donc être reproché à M. [W] , après avoir essayé licitement le logiciel AutoPilot et proposé des améliorations à la société CUEPILOT, d’avoir, en l’absence de réponse favorable de cette dernière, développé une version concurrente en y incluant les fonctionnalités qui lui paraissaient manquantes, y compris en reproduisant dans ce cadre les fonctionnalités pré-existantes du logiciel concurrent, dès lors qu’il les a intégralement codées (ou fait coder), ce qui n’est pas contesté par la demanderesse (en particulier alors que la version 1.9.3 de LiveEdit a été rendue accessible avant que M. [D] ne télécharge la version V.5.0.70 de CuePilot).

Il sera ensuite observé qu’étant donné le marché très spécifique auquel s’adressent les deux logiciels concurrents en cause, à savoir la planification et l’exécution des productions audiovisuelles en direct, la clientèle visée, très majoritairement composée de monteurs-truquistes et professionnels de l’audiovisuel, doit être considérée comme particulièrement avisée et attentive, de sorte qu’aucun risque de confusion n’est démontré en l’espèce, chacun d’eux sachant sans confusion possible qu’il s’adresse à la société CUEPILOT ou au contraire à la société FACTORY GROUP INVEST. Aucune faute de concurrence déloyale n’est en conséquence constituée.

La société CUEPILOT fait état d’investissements importants, humains et financiers pour la mise au point et la commercialisation de son logiciel, rappelant que CuePilot est le fruit de quinze années de recherche et développement de la part de MM. [Z] et [C] ; elle évalue ainsi le total de ses investissements à la somme de 2 106 552 euros entre 2010, sa date d’immatriculation, et juin 2019 (pièce 47 CUEPILOT). Toutefois, la version de CuePilot sur laquelle portent les comparaisons supposées démontrer la copie fautive datant de mai 2017, la période susvisée ne peut être intégralement prise en compte. La demanderesse établit néanmoins avoir consacré des sommes substantielles au développement de son logiciel.

Pour sa part, la société FACTORY GROUP INVEST, bien qu’ayant manifestement consacré un temps plus court à la mise au point de son logiciel LiveEdit, justifie également de ses investissements, notamment le recours à un développeur dédié, M. [D]. La circonstance qu’elle ait pu rapidement mettre en production une première version de son logiciel dès décembre 2016 (pièces 19, 63 et 66 FX notamment) ne permet pas à elle seule d’établir une faute, d’autant que le développement a été conçu nativement sous environnement Electron, favorisant une rapidité d’exécution.

Si la société CUEPILOT soutient que l’identité visuelle des interfaces et le fonctionnement similaire des logiciels est plus que troublant, d’une part certaines des attestations de professionnels de l’audiovisuel qu’elle verse en ce sens portent manifestement sur des versions de CuePilot plus récentes que celle objet des comparaisons à effectuer, et au titre desquelles la société FACTORY GROUP INVEST soutient que c’est au contraire la demanderesse qui a copié certains de ses développements ; d’autre part, il ressort des différents documents versés par la défenderesse que tant les fonctionnalités offertes que la présentation graphique retenue par l’un et l’autre des logiciels en cause (notamment bouton représentant chaque caméra par couleur, présentation selon une timeline des numéro, source, durée et description du plan) correspondent, si ce n’est à des standards, à tout le moins à des éléments communément adoptés par les solutions tierces existant sur le marché de la production audiovisuelle en direct (pièces 12, 18, 32, 45, 76, 82, 109, 127, 129 FX). Il s’ensuit que les éventuelles ressemblances entre les deux interfaces graphiques, au demeurant non établies en l’absence de copies d’écran ayant date certaine comme relevé supra, n’est pas fautive.

Enfin, le logiciel LiveEdit étant commercialisé à un tarif supérieur à CuePilot (pièce 87 FX), il ne peut être considéré, comme le soutient la demanderesse en s’appuyant uniquement sur des témoignages indirects (pièces 14 et 52 CUEPILOT), que la société FACTORY GROUP INVEST chercherait à « capter la clientèle de CUEPILOT en présentant son produit comme moins cher ».

En conséquence, quand bien même le logiciel CuePilot constitue bien pour la demanderesse une valeur économique individualisée, il n’est pas démontré que la société FACTORY GROUP INVEST se la soit appropriée de manière indue et sans bourse déliée, de sorte qu’aucune faute de parasitisme ne peut être retenue à son encontre.

3- Sur les demandes reconventionnelles

3.1- Sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris pourconnaître des demandes reconventionnelles

La société CUEPILOT soutient que les tribunaux français ne sont pas compétents, sur le fondement de l’article 2 du règlement Bruxelles I bis, pour connaître des demandes reconventionnelles en contrefaçon dès lors qu’elle est une société de droit danois établie au Danemark. Elle ajoute que rien ne permet de déroger à la compétence générale du domicile du défendeur, les demandes reconventionnelles n’ayant pas de lien avec les demandes originaires.

La société FACTORY GROUP INVEST réplique, d’une part, que la demanderesse n’a soulevé l’incompétence du tribunal que dans son troisième jeu de conclusions au fond, alors que les demandes reconventionnelles étaient formulées dès ses premières conclusions au fond, et d’autre part que cette exception de procédure est irrecevable, faute d’avoir été soulevée devant le juge de la mise en état.

A titre subsidiaire, elle soutient que le tribunal judiciaire de Paris est compétent, dès lors que les demandes reconventionnelles tenant à la procédure et à la saisie abusives prennent leur source dans l’action introduite par la société CUEPILOT, que les demandes au titre de la contrefaçon du logiciel LiveEdit s’appuient sur les mêmes faits que les demandes initiales, à savoir le développement et l’exploitation des solutions LiveEdit et CuePilot, et enfin que les demandes portant sur le comportement déloyal et le dénigrement prennent leur source dans les accusations de contrefaçon formulées par la société CUEPILOT et l’action exercée par elle. En tout état de cause, la défenderesse dit justifier d’un fait dommageable en France.

Sur ce,

En application des articles 73, 74 et 75 du code de procédure civile pris en combinaison, l’exception d’incompétence constitue une exception de procédure, laquelle doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, et « Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public ».

Et aux termes de l’article 771 du code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige, « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1. Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et sur les incidents mettant fin à l’instance ; les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ; (…) ».

L’exception d’incompétence relève donc de la compétence exclusive du juge de la mise en état et non du tribunal saisi au fond, de sorte que la société CUEPILOT sera déclarée irrecevable en sa demande à ce titre.

3.2- Sur la loi applicable aux demandes reconventionnelles

La société CUEPILOT soutient que la règle de conflit de loi issue de la Convention de Berne et du règlement Rome II désigne la loi du pays où la protection est réclamée, à savoir celle du ou des Etats sur le territoire desquels se sont produits les agissements délictueux. Or, il lui est reproché d’avoir décompilé le logiciel LiveEdit, agissements qui se seraient produits au Danemark, de sorte que la loi applicable est la loi danoise.

Selon elle, l’article 4 du règlement Rome II dispose que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, qui doit être apprécié comme le lieu où le dommage direct est survenu, indépendamment du ou des pays où pourraient survenir des conséquences indirectes. En conséquence, selon elle, la loi applicable s’agissant de la concurrence déloyale est la loi danoise, et s’agissant du dénigrement, la loi suédoise.

En réplique, la société FACTORY GROUP INVEST énonce tout d’abord que la société CUEPILOT ne démontre pas que la décompilation a eu lieu au Danemark, et que les faits reprochés portent non seulement sur la décompilation mais aussi sur la contrefaçon de la solution LiveEdit par les versions V.6 et V.7 du logiciel CuePilot. Elle soutient ensuite que le fait dommageable résultant de la saisie-contrefaçon ayant permis de récupérer les codes sources a été réalisé en France de sorte que la loi applicable est la loi française. En tout état de cause, la loi danoise sanctionne de la même manière la décompilation et la contrefaçon de logiciel.

Elle ajoute par ailleurs que les actes de contrefaçon l’affectent elle, au lieu de son siège social qui se situe en France, que le dénigrement effectué auprès d’une société en Suède s’est concrétisé par une demande d’explications qu’elle a reçue en France, que le détournement de clientèle s’est opéré en France et enfin qu’à titre subsidiaire, la diffusion de la solution CuePilot V.6 et V.7 s’est faite en France. Selon elle, il résulte donc de ces éléments que la loi française est applicable.

Sur ce,

Il a déjà été jugé supra que la demanderesse n’établit pas que la législation danoise autoriserait les actes litigieux, alors même que le certificat de coutume qu’elle verse elle-même aux débats (pièce 60) tend au contraire à démontrer que les dispositions applicables en matière de logiciel sont identiques aux règles énoncées par le code de la propriété intellectuelle. En tout état de cause, que la décompilation opérée revête ou non un caractère illicite, la société FACTORY GROUP INVEST fait grief à la société CUEPILOT d’avoir contrefait son logiciel LiveEdit en commercialisant en France le logiciel CuePilot, de sorte que la loi française est en l’espèce applicable, conformément à l’article 8 alinéa 1er du règlement (CE) no 864/2007 du 11 juillet 2007 dit « Rome II », aux termes duquel « La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée », à savoir celle de l’État sur le territoire duquel se sont produits les agissements délictueux (Cass. 1re civ., 30-1-2007, 03-12.354).

Il en est de même s’agissant des actes reprochés par la défenderesse au titre de la concurrence déloyale et parasitaire incluant des faits de dénigrement. En effet, en application de l’article 4 du règlement Rome II précité, « la loi applicable, à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». En l’occurrence, le dommage dont se prévaut la société FACTORY GROUP INVEST est subi sur le territoire français, État où elle est domiciliée.

3.3- Sur la validité des opérations de saisie-contrefaçon

La société FACTORY GROUP INVEST sollicite la nullité des opérations de saisie-contrefaçon au motif, tout d’abord, que le procès-verbal de signification mentionne de manière erronée les voies de recours en ce qu’il vise les articles 496 alinéa 2 et 497 du code de procédure civile et indique, comme seule voie de recours, la modification ou la rétractation. Ainsi, faute d’avoir été informée de la possibilité de solliciter la mainlevée ou le cantonnement des mesures de saisie-contrefaçon conformément à l’article L. 332-2 du code de la propriété intellectuelle, la défenderesse dit avoir été privée d’une voie de recours lui causant un grief.

Elle sollicite ensuite la nullité des opérations de saisie-contrefaçon en raison de la violation du principe du contradictoire au motif que l’huissier instrumentaire s’est présenté à son siège social accompagné d’un expert non identifié et non mentionné dans le procès-verbal et que les opérations ont débuté le 29 mai 2019 et se sont poursuivies le 19 juin 2019, le procès-verbal n’ayant pas été établi contradictoirement. Elle fait enfin valoir que les éléments remis lors des opérations de saisie-contrefaçon, parmi lesquels les logiciels compilés permettant d’avoir accès aux codes sources de la solution LiveEdit, ne figurent pas en annexe du procès-verbal de sorte qu’elle est dans l’incapacité de s’assurer que les éléments produits proviennent bien des opérations de saisie-contrefaçon.

En dernier lieu, la société FACTORY GROUP INVEST énonce que les opérations se sont poursuivies postérieurement au 15 juin 2019, soit au-delà du délai d’un mois fixé par l’ordonnance.

La société CUEPILOT réplique que la défenderesse n’a exercé aucun recours contre l’ordonnance autorisant les opérations de saisie-contrefaçon. Elle ajoute que l’huissier a été autorisé à conserver les produits, pièces, documents, matériels et instruments saisis en son étude, ce qui a été fait, contestant dès lors toute appropriation des codes sources du logiciel LiveEdit.

Sur ce,

En application de l’article 680 du code de procédure civile, l’acte de notification d’un jugement – entendu au sens large comme toute décision de justice contentieuse – doit indiquer de manière apparente les voies de recours ouvertes.

L’article L. 332-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le saisi ou le tiers saisi peuvent demander au président du tribunal judiciaire de prononcer la mainlevée de la saisie ou d’en cantonner les effets, ou encore d’autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l’autorité d’un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation ».

Les articles 496 alinéa 2 et 497 du code de procédure civile disposent quant à eux que « S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance », et « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire ».

En l’espèce, le procès-verbal de signification de l’ordonnance du 29 mai 2019 autorisant la saisie-contrefaçon ne fait mention que des articles 496 alinéa 2 et 497 du code de procédure civile précités, sans mentionner la possibilité, pour le saisi, de demander la mainlevée de la saisie ou le cantonnement de ses effets, tels que prévus à l’article L. 332-2 du code de la propriété intellectuelle (pièce 5 FX). La société FACTORY GROUP INVEST a ainsi été privée de la possibilité d’exercer un recours effectif, lui causant nécessairement un grief dès lors qu’elle a été induite en erreur sur la nécessité de saisir dans les délais requis par les articles L. 332-2 et R. 332-2 du code de la propriété intellectuelle le président du tribunal judiciaire, peu important que celle-ci n’ait pas, en l’occurrence, exercé de voie de recours (Civ. 1ère civ., 8 novembre 2017, no 16-24.212).

En conséquence, la nullité du procès-verbal de signification du 29 mai 2019 sera prononcée, ainsi que la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon subséquents en date des 29 mai et 19 juin 2019, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres motifs de nullité invoqués.

L’intégralité des éléments saisis durant les opérations de saisie-contrefaçon du 29 mai 2019 devra en outre être restituée à la société FACTORY GROUP INVEST, sans que la société CUEPILOT puisse s’y référer dans le cadre de la présente procédure comme à toute autre occasion.

3.4- Sur la contrefaçon du logiciel LiveEdit par le logiciel CuePilot

La société FACTORY GROUP INVEST expose que la société CUEPILOT a multiplié les décompilations du logiciel LiveEdit dans ses différentes versions pour le copier, la version V.6 du logiciel CuePilot reposant désormais sur la même conception générale et reprenant son architecture, à savoir l’ensemble des choix et combinaisons de solutions techniques ayant pour finalité d’assurer de manière cohérente le fonctionnement du logiciel.

En réplique, la société CUEPILOT fait valoir que le logiciel LiveEdit étant la contrefaçon de son logiciel CuePilot, celui-ci n’est pas original. Elle ajoute que la société FACTORY GROUP INVEST ne démontre pas les décompilations alléguées.

Sur ce,

Si le rapport d’expertise privée de M. [A] établit la réalité d’une décompilation de la version 1.9.3 du logiciel LiveEdit, la défenderesse ne démontre pas que d’autres opérations de décompilation des versions ultérieures de son logiciel ont eu lieu. Le fait que ses fonctionnalités additionnelles aient été mises en oeuvre dans les versions du logiciel CuePilot postérieures à la saisie-contrefaçon, s’il peut apparaître troublant, ne suffit pas à établir un acte illicite.

En outre, pour qu’il y ait contrefaçon, encore faut-il que soit démontrée l’originalité du logiciel LiveEdit prétendument copié.

En l’espèce, la société FACTORY GROUP INVEST soutient que « la structure et l’enchaînement de ce logiciel se caractérise par une identité forte issue de [sa] volonté de développer une architecture logicielle parfaitement adaptée à son expérience dans le domaine de l’audiovisuel, portant indéniablement son empreinte ». Or, outre qu’une personne morale ne peut imprimer son « empreinte » à une oeuvre, fut-elle logicielle, la défenderesse s’abstient, tout comme elle le reproche à son adversaire, d’expliciter en quoi les choix opérés, en termes de codage notamment, traduisent un arbitraire suffisant pour qualifier le résultat d’original, donc dépassant une « logique automatique et contraignante », alors que l’objectif d’une architecture répondant aux besoins rencontrés sur le terrain révèle lui-même la prise en compte des contraintes opérationnelles et que la défenderesse qualifie elle-même cette architecture comme un standard pour les opérateurs du marché dans son argumentation en défense à la contrefaçon.

Elle sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre de la contrefaçon.

3.5- Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

La société FACTORY GROUP INVEST considère que la société CUEPILOT s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale à son préjudice, tout d’abord en tentant d’obtenir des informations sur le logiciel LiveEdit, mais aussi en décompilant illicitement la version 2.3.3 de ce logiciel, en faisant réaliser une saisie-contrefaçon dans le but d’obtenir les codes sources, en essayant ensuite d’obtenir des informations sur le modèle économique du logiciel LiveEdit, et enfin en ce que la nouvelle version de CuePilot reprend les fonctionnalités et caractéristiques de son logiciel. Elle ajoute que la société CUEPILOT a procédé à des actes de dénigrement à son encontre, indiquant à ses clients qu’elle était contrefactrice. De plus, la société CUEPILOT, en prenant directement attache avec ses clients pour proposer ses services, parfois de manière agressive, a commis un détournement de clientèle. Enfin, la société FACTORY GROUP INVEST reproche à la société CUEPILOT la reprise des fonctionnalités caractéristiques de son logiciel dans les versions 6.0 et 7.0 du logiciel CuePilot.

A titre subsidiaire, dans le cas où la contrefaçon ne serait pas retenue , la société FACTORY GROUP INVEST soutient que la société CUEPILOT s’est rendue coupable d’actes de concurrence déloyale à son égard en procédant à la décompilation illicite du logiciel LiveEdit pour s’en approprier les caractéristiques, fruit d’un savoir-faire et d’un travail intellectuel, ce qui lui a procuré un avantage concurrentiel et a ralenti le développement du logiciel LiveEdit du fait des nouvelles versions de la solution CuePilot.

En réponse, la société CUEPILOT soutient que selon le droit danois de la concurrence déloyale, une création ne peut faire l’objet d’une protection qu’à la condition qu’elle possède des caractéristiques de design respectives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En tout état de cause, elle soutient que les faits de concurrence déloyale reprochés ne sont pas distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon, et qu’il ne peut lui être reproché de continuer, malgré la présente instance, à commercialiser sa solution CuePilot.

S’agissant du dénigrement, elle considère que selon le droit danois, l’envoi d’un courrier au client d’un concurrent l’informant de manière véridique d’une procédure pendante comportant une appréciation sur le bien-fondé de son action n’est pas un acte de dénigrement, et que selon le droit suédois, il est possible pour une partie d’informer un tiers de l’existence d’une procédure de contrefaçon de droit d’auteur à l’encontre d’un logiciel sans que cela soit considéré comme un dénigrement. Selon le droit français à titre subsidiaire, elle soutient s’être contentée d’évoquer un risque de contrefaçon auprès de la télévision suédoise et de l’informer qu’elle protégeait ses droits, ce qui n’est pas une affirmation de culpabilité de la société FACTORY GROUP INVEST.

Sur ce,

Comme rappelé supra, la concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires, tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements ou encore, ceux constitutifs d’actes de dénigrement ou de désorganisation d’une entreprise. Ils supposent tous deux la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice.

En l’espèce, s’il est exact, comme le rappelle la demanderesse, que l’action en concurrence déloyale n’est pas le succédané de l’action en contrefaçon, elle ne peut cependant reprocher à son adversaire l’absence de faits distincts dès lors que l’action en concurrence déloyale, ouverte en l’absence de droits privatifs, peut s’appuyer sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon qui n’est pas susceptible de prospérer. Encore faut-il cependant que soit démontrée une faute génératrice d’un préjudice injustifié.

De la même manière que statué précédemment, aucun risque de confusion n’est établi en l’espèce au regard du caractère particulièrement attentif et avisé du public pertinent.

La société FACTORY GROUP INVEST reproche néanmoins à son adversaire un détournement de son savoir-faire et des informations confidentielles lui appartenant, obtenues par des moyens selon elle abusifs. Il sera sur ce point en premier lieu rappelé, comme il a été répondu supra dans les griefs adverses, que l’analyse des caractéristiques du logiciel concurrent – hors décompilation – par les salariés de la société CUEPILOT n’est pas en soi fautive dès lors que l’accès à ce logiciel a été obtenu licitement, notamment à travers une inscription gratuite au logiciel LiveEdit sur le site de la défenderesse.

En second lieu, la décompilation de son logiciel, dont la défenderesse fait grief à la société CUEPILOT, n’est établie de manière certaine par les conclusions de l’expert [A] que pour la version 1.9.3 de LiveEdit. La société FACTORY GROUP INVEST n’étaye ses soupçons quant à l’usage fait des codes sources obtenus à l’occasion de la saisie-contrefaçon ou relatifs à une possible décompilation du logiciel auquel la demanderesse a accédé gratuitement en ligne par aucun élément de nature indubitable.

Il ne peut toutefois qu’être constaté que les fonctionnalités présentées comme « nouvelles » dans les versions V. 5.2, V.6 et V.7 de CuePilot (Waveform, effect Timeline par exemple) ont été commercialisées peu de temps après que la demanderesse a procédé à la décompilation de LiveEdit version 1.9.3 ou potentiellement eu accès aux codes sources du logiciel LiveEdit non placé sous scellés par l’huissier et du reste non invoqués dans la présente instance. Or, si les fonctionnalités d’un logiciel ne sont pas appropriables et que chacun est libre de les reproduire dans un logiciel concurrent, leur reprise systématique dans les mois suivant leur lancement par LiveEdit, conjuguée aux autres éléments soulignés à juste titre par la défenderesse comme difficilement fortuits (notamment changement total de système d’exploitation alors que les librairies DLL utilisées ne sont disponibles que sous Windows, recours à la même interface « AudioContext » de l’API JavaScript « Web Audio API »), constitue un indice suffisamment probant de l’appropriation par la société CUEPILOT du savoir-faire de sa concurrente de manière indue, s’épargnant corrélativement un nécessaire effort d’investissement et détournant l’avantage concurrentiel détenu par celui qui déploie antérieurement sur le marché des fonctionnalités présentées à la clientèle comme une réelle plus-value.

Quant au dénigrement reproché, il doit d’abord être relevé que le démarchage des clients adverses n’est pas illicite en soi, y compris pour leur proposer des prix présentés comme plus attractifs (pièces 40 et 48 FX), sauf pour la société FACTORY GROUP INVEST à démontrer que son fichier de clientèle aurait été obtenu illicitement et pillé, ce qu’elle n’établit pas. En revanche, la divulgation, par une partie, d’une information de nature à jeter le discrédit sur l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. En l’espèce, le courrier (pièce 86 FX) adressé par le conseil de la société CUEPILOT à la société Sveriges Television (SVT), télévision publique suédoise, mentionne dans sa traduction française non contestée que la demanderesse (CPA) « a intenté une action en justice contre FGI devant la Justice Française en raison du fait que le logiciel derrière Live Edit viole les droits immatériels de CPA, Live Edit ressemblant tellement à CuePilot qu’il doit être considéré comme un plagiat parasitaire. (?) En raison de la procédure en cours, CPA tient à souligner que l’utilisation d’un logiciel contrefait est en soi considérée comme une violation du droit d’auteur et que la responsabilité en dommages et intérêts peut survenir non seulement pour les revenus de licence directement perdus, mais aussi pour les dommages dits collatéraux, tels que le fait que d’autres sociétés, qui considèrent la SVT comme une référence, risquent également de choisir d’acheter des licences à Live Edit plutôt qu’à CuePilot. Les effets néfastes du choix de Live Edit par LA SVT peuvent donc être considérables » ; de tels propos, qui s’apparentent clairement à une tentative de déstabilisation de la société cliente en la menaçant d’une condamnation pour contrefaçon si elle continue de recourir aux services de LiveEdit, constituent nécessairement, en l’absence de toute condamnation judiciaire définitive, un dénigrement préjudiciable à la société défenderesse puisque portant atteinte à sa réputation.

3.6 – Sur les demandes en procédure et saisie abusives

La société FACTORY GROUP INVEST considère que la saisie-contrefaçon est abusive en ce que la société CUEPILOT l’a fait réaliser sans tenter un rapprochement amiable alors que les parties se connaissaient, que les opérations de saisie-contrefaçon ont été réalisées en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense, qu’aucune mise sous scellée n’a été demandée de sorte que la demanderesse s’est approprié ses codes sources et enfin que la saisie-contrefaçon n’a pas été pratiquée pour démontrer la contrefaçon du logiciel CuePilot mais pour décompiler le logiciel LiveEdit.

Elle soutient ensuite que la procédure est abusive au motif que l’assignation n’identifiait pas la solution opposée ni la solution saisie, que la société CUEPILOT a mis à profit la période de médiation pour faire réaliser une expertise privée, faisant échouer cette médiation, et qu’elle a multiplié les affirmations mensongères et témoignages de complaisance.

La société CUEPILOT réplique n’avoir fait que défendre ses droits sur sa solution logicielle.

Sur ce,

L’action en justice, même dénuée de fondement, ne dégénère en abus susceptible d’ouvrir droit à une créance de dommages et intérêts qu’en cas de faute du plaideur, de preuve d’un préjudice pour celui qui l’invoque et de l’existence d’un lien de causalité.

La nullité du procès-verbal de signification du 29 mai 2019 a été prononcée, en raison des conditions de signification de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon. Il doit par ailleurs été jugé que l’huissier et l’informaticien l’assistant en ont outrepassé les termes en procédant à l’étude et à l’analyse de manière non contradictoire, puisque hors la présence du saisi, des logiciels saisis.

Il ne peut en revanche être reproché à l’huissier de ne pas avoir d’emblée placé sous scellés les codes-sources appréhendés, alors que le saisi, qui avait la possibilité de l’exiger au titre du secret des affaires, ne l’a pas sollicité. Et l’absence de tentative de rapprochement amiable avant de procéder à une saisie-contrefaçon n’est pas non plus fautive, cette mesure probatoire reposant avant tout sur l’effet de surprise, lequel justifie l’absence de contradictoire

Concernant la présente action en contrefaçon, s’il est regrettable que la médiation n’ait pu aboutir à un accord amiable, recourir à une expertise privée parallèlement aux discussions amiables n’est pas en soi fautif, celle-ci ayant un but probatoire.

La société FACTORY GROUP INVEST soutient néanmoins que « la saisie pratiquée, comme l’action engagée n’ont, en réalité, pas d’autre but que de discréditer et d’éliminer un concurrent d’un marché sur lequel la société CUEPILOT prétend revendiquer un quasi-monopole ».

Une saisie-contrefaçon ne devient pas en elle-même abusive du seul fait que les opérations ont été par la suite annulées ou que les éléments saisis n’ont pas été utilisés au soutien de l’action en contrefaçon menée au principal, la preuve étant libre et le demandeur ayant en conséquence le choix de s’appuyer sur les éléments de faits lui paraissant les plus pertinents.

En outre, le caractère abusif d’une action en contrefaçon ne peut résulter du seul débouté des demandes, la société CUEPILOT ayant pu se méprendre sur l’étendue de ses droits et ses chances de réussite. Et les autres griefs formulés à cet égard par la défenderesse sont déjà réparés au titre des actes de concurrence déloyale retenus à l’encontre de la société CUEPILOT au préjudice de la société FACTORY GROUP INVEST.

Les demandes de cette dernière tendant à voir juger abusives la saisie-contrefaçon et la présente procédure seront donc rejetées.

3.7- Sur les mesures réparatrices

La société FACTORY GROUP INVEST soutient avoir engagé des investissements considérables pour la conception, le développement et l’amélioration de son logiciel qui ont été faits en pure perte dès lors que l’exploitation commerciale n’a pu être réalisée dans des conditions normales du fait de la présente procédure et fixe son préjudice à la somme de 134 000 euros. Elle ajoute avoir dû engager des frais pour faire face à cette action, lesquels n’ont pas pu être mobilisés pour le développement de son activité commerciale et évalue son préjudice à la somme de 134 343 euros. Elle dit également que la promotion de son logiciel a été brutalement stoppée du fait des opérations de saisie-contrefaçon et que la mise sur le marché de la version 6.0 du logiciel CuePilot reprenant les caractéristiques de son logiciel LiveEdit a ruiné ses chances de succès commercial, ce dont il résulte un manque à gagner de 513 600 euros (ou de 477 198 euros s’agissant du seul territoire français). Enfin, elle expose avoir subi un préjudice moral résultant de l’atteinte à son image qu’elle évalue à 75 000 euros. Elle sollicite en outre des mesures de publication.

En réplique, la société CUEPILOT énonce qu’aucune pièce probante ne permet d’établir le préjudice invoqué, et notamment la marge prétendument perdue.

Sur ce,

La défenderesse ayant été déboutée de ses prétentions en contrefaçon et en procédure abusive, seules ses demandes au titre des actes de concurrence déloyale retenus à l’encontre de la société CUEPILOT seront examinées.

En l’espèce, la société FACTORY GROUP INVEST justifie, par attestation de son expert-comptable (pièces 34 et 77 FX), avoir engagé un total de 397 243 euros pour développer son logiciel LiveEdit. Si les investissements intellectuels et salariaux consacrés à la mise au point du logiciel ne peuvent être considérés comme perdus, tel n’est pas nécessairement le cas d’une partie des investissements en matériel informatique, d’obsolescence rapide, dès lors qu’ils n’ont pu être intégralement rentabilisés du fait de leur sous-emploi, lui-même en partie causé par le détournement de clientèle induit par les actes de concurrence déloyale de la société CUEPILOT. La défenderesse ne justifie cependant pas du quantum du préjudice qu’elle allègue au titre du détournement opéré, ni même qu’elle aurait intégralement rentabilisé les 134 000 euros d’acquisition de matériel en l’absence d’agissements délictueux de sa concurrente, particulièrement au regard de la situation sanitaire mondiale de 2020. Les demandes de la société FACTORY GROUP INVEST formées à ce ce titre seront par conséquent rejetées.

La défenderesse fait par ailleurs valoir des coûts liés au temps consacré par MM. [W] et [D] à la défense des intérêts de la société FACTORY GROUP INVEST, au détriment de l’amélioration du logiciel et du développement de la société, ainsi que des coûts de la médiation judiciaire vainement engagée, au titre desquels elle produit les justificatifs (pièces 54 et 55 FX) et dont elle sera en conséquence indemnisée, soit la somme de 123 543 euros. En l’absence de justificatif relatif aux honoraires d’avocat qu’elle dit avoir engagés à titre pré-contentieux, elle sera en revanche déboutée de sa demande d’indemnisation à ce titre.

La société FACTORY GROUP INVEST sollicite ensuite réparation au titre du gain manqué, l’action contentieuse et la concurrence déloyale exercée par son adversaire ayant stoppé brutalement la promotion de son logiciel, promis selon elle à un fort développement. S’il est évident que le lancement par la société CUEPILOT d’une version de son logiciel intégrant des fonctionnalités identiques a nécessairement eu pour conséquence d’amoindrir l’avantage concurrentiel dont bénéficiait LiveEdit, d’une part la défenderesse n’établit pas que son logiciel aurait été le seul sur le marché à proposer de telles fonctionnalités, d’autre part elle ne justifie pas qu’elle aurait été en mesure d’obtenir un report de 100 % des gains indûment réalisés par la demanderesse ; enfin, la progression de chiffre d’affaires attendue qu’elle fait valoir apparaît à ce stade hypothétique, reposant sur des projections (pièce 124 FX), de sorte que la perte de marge alléguée s’analyse en réalité en une perte de chance de développement commercial, laquelle, compte tenu des incertitudes inhérentes au secteur de l’audiovisuel, sera évaluée à 30 % de la marge sur coûts variables escomptée sur le territoire français, soit 143 160 euros.

Enfin, le préjudice moral subi par la société FACTORY GROUP INVEST du fait du dénigrement opéré auprès d’un de ses clients, mais également de la perte d’image de son logiciel, dont le côté innovant a été déprécié par le logiciel concurrent, sera indemnisé à hauteur de 15 000 euros.

Il sera par ailleurs partiellement fait droit, à titre complémentaire, à la mesure de publication judiciaire sollicitée, dans les termes du dispositif de la présente décision.

*

La société CUEPILOT, qui succombe largement au principal, supportera la charge des dépens et ses propres frais.

Elle sera en outre condamnée à verser à la société FACTORY GROUP INVEST, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qu’il est équitable de fixer à la somme de 70 000 (soixante-dix mille) euros.

L’exécution provisoire étant justifiée au cas d’espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée, sauf en ce qui concerne la mesure de publication judiciaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT n’y avoir lieu à expertise judiciaire ;

DIT dépourvu de force probante le rapport d’expertise privée établi par M. [I] [A] le 26 mai 2020, en ce compris le document annexé intitulé « capture d’écran de la solution Cuepilot et de ses fonctionnalités » produit en pièce 22 par la société CUEPILOT ApS ;

DÉBOUTE la société CUEPILOT ApS de ses demandes en contrefaçon de droit d’auteur faute d’établir l’originalité du logiciel CuePilot V.5.0.70 et de son interface graphique ;

DÉBOUTE la société CUEPILOT ApS de ses demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire ;

DIT irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société CUEPILOT ApS relativement aux demandes reconventionnelles de la société FACTORY GROUP INVEST ;

DIT que ces demandes reconventionnelles sont soumises à la loi française ;

ANNULE les procès-verbaux de saisie-contrefaçon en date des 29 mai et 20 juin 2019 ;

En conséquence,

ORDONNE la restitution à la société FACTORY GROUP INVEST des éléments saisis au cours des opérations de saisie-contrefaçon du 29 mai 2019, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 8e jour suivant signification du présent jugement, l’astreinte courant sur 3 mois et le tribunal s’en réservant la liquidation ;

INTERDIT à la société CUEPILOT ApS de se prévaloir à quelque titre que ce soit du contenu des procès-verbaux de l’huissier instrumentaire, des pièces appréhendées lors des opérations de saisie, et des informations, pièces et documents dont elle a obtenu la communication dans le cadre de la saisie du 29 mai 2019 suspendue et reprise le 19 juin 2019 ;

DÉBOUTE la société FACTORY GROUP INVEST de ses demandes en contrefaçon de droit d’auteur faute d’établir l’originalité du logiciel LiveEdit ;

DIT que la société CUEPILOT ApS a commis des actes de concurrence déloyale par dénigrement et parasitisme économique au préjudice de la société FACTORY GROUP INVEST ;

CONDAMNE la société CUEPILOT ApS à payer à la société FACTORY GROUP INVEST la somme de 266 703 (deux cent soixante-six mille sept cent trois) euros en réparation de son préjudice économique et 15 000 (quinze mille) euros en réparation de son préjudice moral du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, avec capitalisation des intérêts ;

DÉBOUTE la société FACTORY GROUP INVEST de ses demandes en saisie et procédure abusives ;

ORDONNE la publication, aux frais de la société CUEPILOT ApS, dans trois journaux ou revues au choix de la société FACTORY GROUP INVEST, sans que la valeur de ces publications n’excède la somme globale de 15 000 euros augmentée de la TVA en vigueur, du texte suivant :

« Par jugement du 15 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a débouté la société CUEPILOT ApS de ses demandes en contrefaçon de son logiciel CuePilot par le logiciel LiveEdit de la société FACTORY GROUP INVEST et a reconventionnellement condamné la société CUEPILOT ApS pour concurrence déloyale au préjudice de la société FACTORY GROUP INVEST. » ;

CONDAMNE la société CUEPILOT ApS à verser à la société FACTORY GROUP INVEST la somme de 70 000 (soixante-dix mille) euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société CUEPILOT ApS aux entiers dépens, dont distraction au profit d’Alain Bensoussan Selas, en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire, à l’exception de la publication judiciaire.

Fait et jugé à Paris, le 15 avril 2022.

Le Greffier

Le Président


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