Copie de photographie : l’action en responsabilité extra-contractuelle

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Copie de photographie : l’action en responsabilité extra-contractuelle
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En cas de reproduction non autorisée d’une photographie l’action en responsabilité extra-contractuelle peut s’avérer efficace.

D’après l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

L’article 1241 du même Code dispose que “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”.

Ainsi, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut lui causer un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du Code civil. Sans droit patrimonial ou moral, subsiste un droit économique.

En effet, le photographe professionnel s’il ne peut exiger que son nom figure, que son cadrage soit respecté, que son cliché ne soit pas modifié, peut réclamer comme n’importe quel acteur économique, une rémunération de son travail.

S’agissant de l’évaluation de son préjudice, le demandeur ne peut toutefois pas invoquer l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose en son alinéa 2 que “la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”.

Cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux oeuvres protégées au titre de la propriété intellectuelle, ce qui n’est précisément pas le cas de la photographie litigieuse, ainsi que jugé précédemment. Elle ne peut donc recevoir application en l’espèce.

Résumé de l’affaire

En octobre 2002, le photographe [B] [Y] a pris une photo d’un bateau de croisière pour un reportage, qui a ensuite été utilisée sans autorisation dans plusieurs articles d’OUEST FRANCE en août 2018. En février 2021, un accord d’indemnisation a été signé pour une utilisation antérieure de la même photo. En février 2022, [B] [Y] a assigné OUEST FRANCE en justice pour contrefaçon, demandant une indemnisation de 26 000 € pour violation de ses droits d’auteur. OUEST FRANCE conteste le caractère original de la photo et affirme que le préjudice a déjà été indemnisé. Les deux parties demandent des dommages et intérêts, et OUEST FRANCE accuse [B] [Y] de procédure abusive.

Les points essentiels

Sur la demande principale en contrefaçon : la question de l’originalité

L’article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”.

L’article L. 112-1 du même code prévoit quant à lui que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

Une oeuvre peut dès lors bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix libres et créatifs et empreinte de sa personnalité.

Surtout, il revient au juge de vérifier dans chaque cas d’espèce, que l’oeuvre est bien une création intellectuelle de l’auteur répondant à ces critères, mais il appartient aussi et d’abord à celui qui revendique la protection du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de l’oeuvre.

L’originalité doit cependant être distinguée du savoir-faire technique, qui ne relève que de la compétence de l’artiste à réaliser une oeuvre, indépendamment de tout choix dicté par sa personnalité.

Il convient donc d’analyser les choix esthétiques qu’avance monsieur [Y] pour affirmer que sa photographie est originale (pièce n°6 DEM).

S’agissant de sa mise en scène et de sa composition, [B] [Y] prétend avoir étudié le trajet du bateau et patienté plusieurs jours afin de le photographier en un lieu déterminé sous une météo propice. Il précise lui-même que l’idée était de “susciter l’envie de réaliser cette croisière” (pièce n°6 DEM, p.2).

Cependant, si ces efforts traduisent un indéniable savoir-faire de monsieur [Y], ils ne permettent en aucun cas de démontrer l’originalité de la photo, car tout photographe compétent aurait suivi le trajet du bateau et choisi un lieu adéquat. L’explication selon laquelle le décor a été réfléchi pour représenter fidèlement les bords de Rance n’affecte pas ce raisonnement, car la représentation fidèle d’un lieu n’a rien d’original, bien qu’elle nécessite une compétence certaine.

En outre, le choix d’une météo ensoleillée pour susciter l’envie de réaliser une croisière est un choix évident pour toute personne normalement diligente, car peu nombreux seraient les envieux d’une croisière sous la pluie.

L’argumentaire de monsieur [Y] détaille plusieurs démarches qu’il a été contraint d’effectuer dans sa recherche du cadre parfait, telles que “prendre sa voiture”, “avoir un temps d’avance sur le bateau”, ou choisir parmi les différents clichés pris, autant de démarches qui ne sont que la suite logique de sa tâche de photographier un bateau en mouvement. Si monsieur [Y] n’avait pas “un temps d’avance sur le bateau”, il aurait été bien en peine de photographier quoi que ce fût.

De surcroît, si l’occurrence que le cliché résulte d’un reportage commandé à monsieur [Y] par le propriétaire du bateau ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’absence d’originalité, elle n’en demeure pas moins un indice supplémentaire en ce sens, d’autant que les propres explications de monsieur [Y] laissent entendre que ses choix ont pu être dictés par la mise en valeur du bateau.

S’agissant du cadrage et de l’atmosphère, monsieur [Y] décrit avec précision l’appareil photo et le paramétrage utilisés pour prendre le cliché.

Là encore, cette description n’est qu’une preuve de son savoir-faire, car les éléments qu’il fournit ont trait aux réglages permettant d’obtenir la photographie souhaitée, sans que celle-ci en soit pour autant originale. Tout bon photographe devrait être à même de décrire les réglages qu’il a utilisés pour parvenir à ses clichés.

L’objectif avancé par monsieur [Y] dans ses conclusions, de créer une atmosphère “estivale et authentique” n’est pas non plus de nature à démontrer l’originalité de la photographie, car les clichés de bateau à l’atmosphère estivale et authentique sont communs.

Au surplus, toute personne ayant pris une photographie, même accidentelle, pourrait retrouver les réglages précis de sa photographie et en faire un argument d’originalité.

Au demeurant, le cadrage et l’atmosphère n’apparaissent pas particulièrement marquants ou inhabituels visuellement.

S’agissant du tirage, [B] [Y] soutient avoir décidé de ne pas supprimer le véhicule et sa remorque visibles dans le coin inférieur gauche de la photographie, expliquant que leur présence était “la raison d’être” de la photographie, car permettant de situer le lieu et de sous-entendre sa facilité d’accès.

Ce “choix” ne permet pas non plus de démontrer l’originalité de la photo car ce véhicule et sa remorque ne sont qu’un détail de la photographie, d’autant que la distance entre l’appareil photo et le véhicule lors de la prise de vue ne permet même pas l’identification du modèle.

Avancer que leur présence permet de présenter la facilité d’accès du lieu ne fait que démontrer l’utilité pratique de cette photographie, et non son originalité.

Ainsi, il ressort de tout ce qui précède que la photographie, si elle fait état d’un savoir-faire certain, ne peut être considérée comme originale, et ne peut donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Par conséquent, aucun acte de contrefaçon ne peut être reconnu. Ce moyen sera par conséquent rejeté et les demandes de publication afférentes seront rejetées.

Sur la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité extra-contractuelle

D’après l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

L’article 1241 du même Code dispose que “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”.

Ainsi, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut lui causer un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du Code civil. Sans droit patrimonial ou moral, subsiste un droit économique.

En effet, le photographe professionnel s’il ne peut exiger que son nom figure, que son cadrage soit respecté, que son cliché ne soit pas modifié, peut réclamer comme n’importe quel acteur économique, une rémunération de son travail.

S’agissant de l’évaluation de son préjudice, le demandeur invoque l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose en son alinéa 2 que “la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”.

Or, d’une part il convient de relever que cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux oeuvres protégées au titre de la propriété intellectuelle, ce qui n’est précisément pas le cas de la photographie litigieuse, ainsi que jugé précédemment.
Elle ne peut donc recevoir application en l’espèce.

D’autre part, s’agissant du préjudice économique invoqué par monsieur [Y], il n’est pas contesté que la photographie a été publiée sur le site de OUEST FRANCE, ainsi que dans son journal papier sans le consentement de son auteur, sans crédit photo et sans rémunération. Cet oubli constitue un manque à gagner susceptible d’indemnisation pour le photographe.

Enfin, la conclusion d’un protocole d’indemnisation concernant la même photographie n’affecte pas la présente instance, dès lors que celui-ci concernait des publications différentes qui ne font pas l’objet de poursuites en l’espèce.

En conséquence, en ne rémunérant pas monsieur [Y] pour l’utilisation de sa photographie, OUEST FRANCE lui a causé un dommage, matérialisé par un manque à gagner qu’il convient de réparer.
Au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses dont s’agit, OUEST FRANCE indemnisera ce préjudice économique à hauteur de 1.500 €.

*

S’agissant du prétendu préjudice moral allégué par monsieur [Y], il convient de relever que son indemnisation est sollicitée à titre principal sur le fondement de la contrefaçon et n’a donc pas vocation à être octroyée puisque ce fondement a été écarté.

Toutefois, le tribunal note que les arguments avancés au soutien du préjudice moral, n’ont que peu à voir avec la contrefaçon proprement dite puisque davantage liés aux tracas subis du fait de la défense plus générale de son travail et de l’attitude procédurale de la défenderesse.

Cependant, n’est pas rapportée la preuve que OUEST FRANCE s’est livrée à une attitude provocatrice, notamment au regard du protocole d’indemnisation signé entre les parties en 2021 et matérialisant la propension OUEST FRANCE à oeuvrer à un règlement amiable du litige.

En outre, monsieur [Y] avance être contraint de surveiller différents sites internet afin d’éviter toute appropriation de son travail, une attitude qui ne saurait trouver sa cause dans les agissements de OUEST FRANCE, puisque monsieur [Y] surveille différents sites hors de portée de toute influence de OUEST FRANCE.

Sur la procédure abusive

L’article 1240 du Code civil dispose que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

En outre, l’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que “celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile (…) sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés”.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

Il s’en déduit que celui qui commet une faute en abusant de son droit d’agir, doit indemniser les préjudices découlant de cet abus et pour ce faire, il faut caractériser une faute de sa part qui soit de nature à faire dégénérer en abus.

En l’espèce, l’action de monsieur [Y] étant au moins en partie fondée si bien qu’il n’est pas possible de la considérer abusive. Ce moyen sera par conséquent rejeté.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

La société OUEST FRANCE succombant à l’instance, elle en supportera par conséquent les dépens.

L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s’il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l’État”.

L’équité commande de condamner OUEST FRANCE à payer à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des frais non répétibles qu’il a exposés pour faire valoir ses droits.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement”.

Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition.

Les montants alloués dans cette affaire: – La société OUEST FRANCE est condamnée à verser à [B] [Y] la somme de 1.500 € en réparation de son préjudice économique
– La société OUEST FRANCE est condamnée à verser à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code de la propriété intellectuelle
– Code civil
– Code de procédure civile

Article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle:
“l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”.

Article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle:
“les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

Article 1240 du Code civil:
“tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

Article 1241 du Code civil:
“chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”.

Article 32-1 du Code de procédure civile:
“celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile (…) sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés”.

Article 696 du Code de procédure civile:
“la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

Article 700 du Code de procédure civile:
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s’il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l’État”.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Lucie MARCHIX de la SELARL ALIX AVOCATS
– Maître Jérôme STEPHAN de la SCP VIA AVOCATS

Mots clefs associés & définitions

– Originalité
– Droit d’auteur
– Contrefaçon
– Responsabilité extra-contractuelle
– Préjudice économique
– Dommages et intérêts
– Procédure abusive
– Dépens
– Frais non répétibles
– Exécution provisoire
– Originalité : caractère de ce qui est nouveau, inédit, créatif
– Droit d’auteur : droit exclusif accordé à l’auteur d’une œuvre littéraire, artistique ou scientifique
– Contrefaçon : reproduction non autorisée d’une œuvre protégée par le droit d’auteur
– Responsabilité extra-contractuelle : obligation de réparer un dommage causé à autrui en dehors de tout contrat
– Préjudice économique : atteinte portée à la situation financière d’une personne ou d’une entreprise
– Dommages et intérêts : somme d’argent versée à la victime pour compenser un préjudice subi
– Procédure abusive : utilisation déloyale du système judiciaire pour nuire à autrui
– Dépens : frais de justice engagés par les parties lors d’un procès
– Frais non répétibles : frais de justice qui ne peuvent pas être réclamés à l’autre partie
– Exécution provisoire : mise en œuvre d’une décision de justice avant que celle-ci ne soit définitive

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 mai 2024
Tribunal judiciaire de Rennes
RG n° 22/01433
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

06 Mai 2024

2ème Chambre civile
79B

N° RG 22/01433 –
N° Portalis DBYC-W-B7G-JURT

AFFAIRE :

[B] [Y]

C/

S.A. OUEST FRANCE, immatriculée

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente,

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors du prononcé qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 11 Mars 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 06 Mai 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente,

ENTRE :

DEMANDEUR :

Monsieur [B] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Maître Lucie MARCHIX de la SELARL ALIX AVOCATS, avocats au barreau de RENNES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000732 du 22/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)

ET :

DEFENDERESSE :

S.A. OUEST FRANCE, immatriculée au RCS de RENNES sous le n° 377 714 654, prise en la personne de son représentant légal domicilié cette qualité audit siège
[Adresse 1],
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Maître Jérôme STEPHAN de la SCP VIA AVOCATS, avocats au barreau de RENNES

FAITS ET PRETENTIONS

Le 16 octobre 2002, [B] [Y], photographe de métier, a réalisé un cliché représentant un bateau de croisière nommé “Le Chateaubriand”, dans le cadre d’un reportage pour le propriétaire du bateau.

Ce cliché a ensuite été utilisé dans trois articles internet et un article papier du journal OUEST FRANCE les 7, 8 et 9 août 2018.

Le 11 août 2018, monsieur [Y] a adressé à la société OUEST FRANCE un courrier recommandé sollicitant une proposition d’indemnisation amiable pour l’utilisation de sa photographie sans son autorisation ni son crédit.

Le 2 février 2021, un protocole d’indemnisation concernant la même photographie mais des publications différentes, a été signé entre OUEST FRANCE et monsieur [Y].

Par acte du 21 février 2022, [B] [Y] a fait assigner la société OUEST FRANCE devant ce tribunal sur le fondement de la contrefaçon et aux fins d’obtenir indemnisation de son préjudice.
*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 janvier 2023, [B] [Y] demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2, L. 121-1, L. 122-4, L. 331-1-3 et L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle, et 1240 du Code civil, de :
– Dire et juger que la société OUEST-FRANCE a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur en portant atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux.
– Dire et juger que ces contrefaçons lui causent un préjudice direct et certain.
– Condamner la société OUEST-FRANCE à lui verser la somme de 26.000 € au titre de l’indemnisation de son préjudice, décomposée comme suit :
* 2.000 € au titre de la violation de son droit patrimonial sur l’oeuvre (photographie diffusée sur internet en contrefaçon du droit de divulgation et de la rémunération qui s’y rapporte), par contrefaçon, soit au total 8.000 €,
* 2.000 € au titre de la violation de son droit de paternité, pour chaque contrefaçon, soit au total 8.000 €,
* 1.500 € au titre du non-respect de l’oeuvre (photographies recadrées), par contrefaçon, pour chacune des 4 contrefaçons soit un total de 6.000 €,
* 4.000 € au titre du préjudice moral.
– Ordonner la publication, aux frais de la société OUEST-FRANCE sur la page d’accueil du site https://www.OUEST-FRANCE.fr accessible à l’adresse : https://www.OUEST-FRANCE.fr, du dispositif du jugement à intervenir, pendant une durée de deux mois à compter de sa première mise en ligne et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte définitive de 500 € par jour de retard.
– Autoriser [B] [Y] à publier la décision à intervenir par extraits de son choix dans deux journaux nationaux de son choix aux frais du journal de la société OUEST-FRANCE chaque insertion ne devant pas excéder la somme de 1.500 € H.T.
Subsidiairement
− Condamner la société OUEST-FRANCE à lui verser la somme de 3.000 € en indemnisation de son préjudice économique.
– Débouter la société OUEST-FRANCE de sa demande pour procédure abusive.
En toute hypothèse
– Débouter la société OUEST-FRANCE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
– Condamner la société OUEST-FRANCE à payer à maître Lucie MARCHIX, qui intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale, la somme de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 alinéa 2 du Code de procédure civile et de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
– La condamner solidairement aux entiers dépens de l’instance.
– Dire qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

[B] [Y] fait valoir l’originalité de sa photographie, présentant les différents choix créatifs qu’il a effectués pour parvenir à ce cliché, et notamment concernant la mise en scène, ayant nécessité une préparation en amont, le choix d’un lieu particulier et sous une météo propice ; le cadrage, réalisé avec un appareil photo et des réglages précis ; et le tirage, modifiant les couleurs de la photographie, mais conservant sciemment certains éléments nécessaires à la retranscription de l’aspect typique des bords de Rance.

Le demandeur réfute l’argument selon lequel un contrat de commande serait de nature à exclure l’originalité des photographies qui en résultent, dès lors qu’en l’espèce aucune restriction ne lui a été imposée, si ce n’est l’obligation de photographier le bateau.

Il prétend que la diffusion de sa photographie au travers des quatre articles de OUEST FRANCE porte atteinte à ses droits patrimoniaux, en ce qu’elle constituerait une diffusion sans autorisation de l’auteur, ainsi qu’à ses droits moraux, puisque son nom n’est pas crédité et que sa photographie a fait l’objet de modifications non consenties.
Il explique que cette diffusion sans autorisation ni crédit a constitué un manque à gagner préjudiciable au regard de la grande popularité du journal OUEST FRANCE et de la durée de la contrefaçon alléguée.

Il soutient également être victime d’un préjudice moral compte tenu du temps passé à chercher un accord amiable et à surveiller les sites internet pour repérer toute contrefaçon potentielle.

A la défenderesse, qui lui oppose la conclusion d’un protocole d’indemnisation amiable le 2 février 2021, il rétorque que si celui-ci indemnisait l’utilisation non autorisée par OUEST FRANCE de la même photographie, il concernait deux articles de presse différents des quatre présentement incriminés et n’a donc aucune conséquence sur l’instance.

À titre subsidiaire, il demande indemnisation de son préjudice économique sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, et au titre de la diffusion sans autorisation et sans crédit de son cliché.

Le demandeur justifie par ailleurs sa demande de publication par un profond mécontentement face aux violations répétées de ses droits d’auteur par le journal.

Enfin, il se défend de l’accusation de procédure abusive, selon laquelle il aurait sciemment omis d’inclure les quatre articles litigieux dans le protocole d’indemnisation, s’agissant d’un simple oubli de sa part, en soulignant que OUEST FRANCE s’est également bien gardée d’en faire mention dans l’accord, cherchant ainsi à réduire l’indemnisation en ne les mentionnant pas.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 octobre 2022, la société OUEST FRANCE demande au tribunal, au visa des articles L. 112-1 et suivants, L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, et 1240 du Code civil, de :
A titre principal
– Dire et juger que la photographie dont monsieur [Y] revendique la protection est dépourvue de toute originalité.
– Dire et juger mal fondée l’action en contrefaçon initiée par monsieur [Y].
– Débouter monsieur [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire
– Dire et juger que la photographie dont monsieur [Y] revendique la protection est dépourvue de toute originalité.
– Dire et juger mal fondée l’action en contrefaçon initiée par Monsieur [Y].
– Ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées au titre du droit patrimonial et du droit moral englobant le droit au respect de son oeuvre.
– Débouter monsieur [Y] de sa demande au titre de son préjudice moral et de ses demandes de publication de la décision à intervenir.
En toutes hypothèses
– Dire et juger que la procédure initiée à son encontre, est abusive.
– Condamner monsieur [Y] à lui régler la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.
– Condamner monsieur [Y] à lui régler la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
– Condamner monsieur [Y] aux entiers dépens.

La société OUEST FRANCE conteste le caractère original de la photographie, en ce que celle-ci est le résultat d’une commande et donc des directives d’un donneur d’ordre. En outre, elle soutient que les choix prétendument opérés par monsieur [Y] n’ont été dictés que par des considérations techniques – son objectif premier étant de mettre en valeur le bateau – et non par un parti pris esthétique.

Ensuite, la défenderesse fait valoir que le préjudice de monsieur [Y] a déjà été indemnisé par le protocole d’indemnisation du 2 février 2021, aucune nouvelle indemnisation ne pouvant dès lors être ordonnée.

En cas contraire, elle estime que l’évaluation du préjudice telle que présentée en demande est disproportionnée, au regard de la jurisprudence du tribunal, du barème établi par l’union des photographes professionnels, de la faible visibilité des articles et de la faible notoriété du photographe. Elle précise à cet égard n’avoir tiré aucun revenu des articles.

Elle réfute également l’existence d’un préjudice moral qui résulterait des tentatives de règlement amiable du conflit par monsieur [Y], considérant qu’elle a toujours été ouverte au règlement amiable, comme en témoigne la conclusion du protocole d’indemnisation, et que le demandeur ne saurait lui reprocher le temps qu’il passe à rechercher sur internet d’éventuelles contrefaçons.

La société conteste de même la pertinence de la demande de monsieur [Y] de publication du dispositif du jugement sur le site de OUEST FRANCE.

Elle demande enfin condamnation de monsieur [Y] pour procédure abusive, au motif que celui-ci a fait preuve de légèreté blâmable en signant le protocole d’indemnisation le 2 février 2021 sans faire mention des quatre articles objets du présent litige, puis en l’assignant un an plus tard pour ces mêmes articles.

MOTIFS

1/ Sur la demande principale en contrefaçon : la question de l’originalité

L’article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”.

L’article L. 112-1 du même code prévoit quant à lui que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

Une oeuvre peut dès lors bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix libres et créatifs et empreinte de sa personnalité.

Surtout, il revient au juge de vérifier dans chaque cas d’espèce, que l’oeuvre est bien une création intellectuelle de l’auteur répondant à ces critères, mais il appartient aussi et d’abord à celui qui revendique la protection du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de l’oeuvre.

L’originalité doit cependant être distinguée du savoir-faire technique, qui ne relève que de la compétence de l’artiste à réaliser une oeuvre, indépendamment de tout choix dicté par sa personnalité.

Il convient donc d’analyser les choix esthétiques qu’avance monsieur [Y] pour affirmer que sa photographie est originale (pièce n°6 DEM).

S’agissant de sa mise en scène et de sa composition, [B] [Y] prétend avoir étudié le trajet du bateau et patienté plusieurs jours afin de le photographier en un lieu déterminé sous une météo propice. Il précise lui-même que l’idée était de “susciter l’envie de réaliser cette croisière” (pièce n°6 DEM, p.2).

Cependant, si ces efforts traduisent un indéniable savoir-faire de monsieur [Y], ils ne permettent en aucun cas de démontrer l’originalité de la photo, car tout photographe compétent aurait suivi le trajet du bateau et choisi un lieu adéquat. L’explication selon laquelle le décor a été réfléchi pour représenter fidèlement les bords de Rance n’affecte pas ce raisonnement, car la représentation fidèle d’un lieu n’a rien d’original, bien qu’elle nécessite une compétence certaine.

En outre, le choix d’une météo ensoleillée pour susciter l’envie de réaliser une croisière est un choix évident pour toute personne normalement diligente, car peu nombreux seraient les envieux d’une croisière sous la pluie.

L’argumentaire de monsieur [Y] détaille plusieurs démarches qu’il a été contraint d’effectuer dans sa recherche du cadre parfait, telles que “prendre sa voiture”, “avoir un temps d’avance sur le bateau”, ou choisir parmi les différents clichés pris, autant de démarches qui ne sont que la suite logique de sa tâche de photographier un bateau en mouvement. Si monsieur [Y] n’avait pas “un temps d’avance sur le bateau”, il aurait été bien en peine de photographier quoi que ce fût.

De surcroît, si l’occurrence que le cliché résulte d’un reportage commandé à monsieur [Y] par le propriétaire du bateau ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’absence d’originalité, elle n’en demeure pas moins un indice supplémentaire en ce sens, d’autant que les propres explications de monsieur [Y] laissent entendre que ses choix ont pu être dictés par la mise en valeur du bateau.

S’agissant du cadrage et de l’atmosphère, monsieur [Y] décrit avec précision l’appareil photo et le paramétrage utilisés pour prendre le cliché.

Là encore, cette description n’est qu’une preuve de son savoir-faire, car les éléments qu’il fournit ont trait aux réglages permettant d’obtenir la photographie souhaitée, sans que celle-ci en soit pour autant originale. Tout bon photographe devrait être à même de décrire les réglages qu’il a utilisés pour parvenir à ses clichés.

L’objectif avancé par monsieur [Y] dans ses conclusions, de créer une atmosphère “estivale et authentique” n’est pas non plus de nature à démontrer l’originalité de la photographie, car les clichés de bateau à l’atmosphère estivale et authentique sont communs.

Au surplus, toute personne ayant pris une photographie, même accidentelle, pourrait retrouver les réglages précis de sa photographie et en faire un argument d’originalité.

Au demeurant, le cadrage et l’atmosphère n’apparaissent pas particulièrement marquants ou inhabituels visuellement.

S’agissant du tirage, [B] [Y] soutient avoir décidé de ne pas supprimer le véhicule et sa remorque visibles dans le coin inférieur gauche de la photographie, expliquant que leur présence était “la raison d’être” de la photographie, car permettant de situer le lieu et de sous-entendre sa facilité d’accès.

Ce “choix” ne permet pas non plus de démontrer l’originalité de la photo car ce véhicule et sa remorque ne sont qu’un détail de la photographie, d’autant que la distance entre l’appareil photo et le véhicule lors de la prise de vue ne permet même pas l’identification du modèle.

Avancer que leur présence permet de présenter la facilité d’accès du lieu ne fait que démontrer l’utilité pratique de cette photographie, et non son originalité.

Ainsi, il ressort de tout ce qui précède que la photographie, si elle fait état d’un savoir-faire certain, ne peut être considérée comme originale, et ne peut donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Par conséquent, aucun acte de contrefaçon ne peut être reconnu. Ce moyen sera par conséquent rejeté et les demandes de publication afférentes seront rejetées.

2/ Sur la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité extra-contractuelle

D’après l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

L’article 1241 du même Code dispose que “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”.

Ainsi, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut lui causer un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du Code civil. Sans droit patrimonial ou moral, subsiste un droit économique.

En effet, le photographe professionnel s’il ne peut exiger que son nom figure, que son cadrage soit respecté, que son cliché ne soit pas modifié, peut réclamer comme n’importe quel acteur économique, une rémunération de son travail.

S’agissant de l’évaluation de son préjudice, le demandeur invoque l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose en son alinéa 2 que “la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”.

Or, d’une part il convient de relever que cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux oeuvres protégées au titre de la propriété intellectuelle, ce qui n’est précisément pas le cas de la photographie litigieuse, ainsi que jugé précédemment.
Elle ne peut donc recevoir application en l’espèce.

D’autre part, s’agissant du préjudice économique invoqué par monsieur [Y], il n’est pas contesté que la photographie a été publiée sur le site de OUEST FRANCE, ainsi que dans son journal papier sans le consentement de son auteur, sans crédit photo et sans rémunération. Cet oubli constitue un manque à gagner susceptible d’indemnisation pour le photographe.

Enfin, la conclusion d’un protocole d’indemnisation concernant la même photographie n’affecte pas la présente instance, dès lors que celui-ci concernait des publications différentes qui ne font pas l’objet de poursuites en l’espèce.

En conséquence, en ne rémunérant pas monsieur [Y] pour l’utilisation de sa photographie, OUEST FRANCE lui a causé un dommage, matérialisé par un manque à gagner qu’il convient de réparer.
Au regard des redevances habituellement pratiquées en matière de photographie, s’agissant des quatre utilisations frauduleuses dont s’agit, OUEST FRANCE indemnisera ce préjudice économique à hauteur de 1.500 €.

*

S’agissant du prétendu préjudice moral allégué par monsieur [Y], il convient de relever que son indemnisation est sollicitée à titre principal sur le fondement de la contrefaçon et n’a donc pas vocation à être octroyée puisque ce fondement a été écarté.

Toutefois, le tribunal note que les arguments avancés au soutien du préjudice moral, n’ont que peu à voir avec la contrefaçon proprement dite puisque davantage liés aux tracas subis du fait de la défense plus générale de son travail et de l’attitude procédurale de la défenderesse.

Cependant, n’est pas rapportée la preuve que OUEST FRANCE s’est livrée à une attitude provocatrice, notamment au regard du protocole d’indemnisation signé entre les parties en 2021 et matérialisant la propension OUEST FRANCE à oeuvrer à un règlement amiable du litige.

En outre, monsieur [Y] avance être contraint de surveiller différents sites internet afin d’éviter toute appropriation de son travail, une attitude qui ne saurait trouver sa cause dans les agissements de OUEST FRANCE, puisque monsieur [Y] surveille différents sites hors de portée de toute influence de OUEST FRANCE.

IV/ Sur la procédure abusive

L’article 1240 du Code civil dispose que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”.

En outre, l’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que “celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile (…) sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés”.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

Il s’en déduit que celui qui commet une faute en abusant de son droit d’agir, doit indemniser les préjudices découlant de cet abus et pour ce faire, il faut caractériser une faute de sa part qui soit de nature à faire dégénérer en abus.

En l’espèce, l’action de monsieur [Y] étant au moins en partie fondée si bien qu’il n’est pas possible de la considérer abusive. Ce moyen sera par conséquent rejeté.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

La société OUEST FRANCE succombant à l’instance, elle en supportera par conséquent les dépens.

L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s’il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l’État”.

L’équité commande de condamner OUEST FRANCE à payer à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des frais non répétibles qu’il a exposés pour faire valoir ses droits.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement”.

Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition.

PAR CES MOTIFS

Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DIT que la diffusion par la société OUEST FRANCE, de la photographie prise par [B] [Y] et représentant le bateau de croisière “Le Châteaubriand”, n’est pas constitutive d’actes de contrefaçon.

DÉBOUTE [B] [Y] de ses demandes indemnitaires afférentes.

DÉBOUTE [B] [Y] de sa demande de publication du jugement.

CONDAMNE la société OUEST FRANCE à verser à [B] [Y] la somme de 1.500 € en réparation de son préjudice économique.

DÉBOUTE [B] [Y] de sa demande d’indemnisation du préjudice moral.

DÉBOUTE la société OUEST FRANCE de sa demande fondée sur la procédure abusive.

CONDAMNE la société OUEST FRANCE aux dépens.

CONDAMNE la société OUEST FRANCE à verser à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


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