04/11/2022
ARRÊT N° 2022/482
N° RG 22/02012 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OZ5Z
SB/KS
Décision déférée du 28 Février 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Toulouse ( F 20/00633)
V BECANNE
SECTION AGRICULTURE
[W] [B]
C/
S.A.R.L [D] & [O]
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 4/11/2022
à
Me Martine CANTALOUP
Me Bernard DE LAMY
CCC
le 4/11/2022
à
Me Martine CANTALOUP
Me Bernard DE LAMY
Pôle Emploi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
Madame [W] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Martine CANTALOUP, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
S.A.R.L. [D] & [O]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Olivier MONTLAUR de la SELARL SO RH AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. BLUME, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [W] [B] a été embauchée le 18 avril 2005 par la SARL [D] et [O] en qualité de secrétaire comptable suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des exploitations forestières scieries Midi Pyrénées.
Après avoir été convoquée par courrier du 27 mai 2019 à un entretien préalable au licenciement fixé au 4 juin 2019 et assorti d’une mise à pied à titre conservatoire, Mme [B] a été licenciée par courrier du 12 juin 2019 pour faute grave.
Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 26 mai 2020 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.
Le 25 janvier 2021, le conseil a ordonné un sursis à statuer compte tenu de la procédure pénale en cours à la suite de la plainte déposée le 5 juin 2019 par M. [O] contre Mme [B] pour détournement de fonds, faux et usage de faux et destruction de dossiers.
Après classement sans suite décidé par le ministère public le 5 mai 2021, le conseil de prud’hommes , par un nouveau jugement avant dire droit du 28 février 2022, a :
-sursis à statuer au fond dans le litige opposant Madame [W] [B] à la SARL [D] et [O] dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours,
-dit qu’il appartiendra à la partie la plus diligente d’aviser le conseil de prud’hommes de ce que les conditions du sursis à statuer ont cessé,
-réservé les dépens.
***
Mme [B] a saisi le premier président de la cour d’appel de Toulouse afin d’obtenir l’autorisation de relever appel du jugement de sursis à statuer .
Le premier président de la cour d’appel de Toulouse, par ordonnance de référé
du 18 mai 2022, a :
-autorisé Mme [B] à interjeter appel de la décision de sursis à statuer,
-fixé l’affaire à l’audience de la 4ème chambre 1ère section du 6 septembre 2022
à 9 heures,
-condamné la Sarl [D] et [O] aux dépens.
Par déclaration du 25 mai 2022, Mme [B] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 mars 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 26 juillet 2022, Mme [W] [B] demande à la cour de :
-réformer le jugement avant-dire droit en ce qu’il a ordonné le sursis à statuer jusqu’à l’issue de la procédure pénale, et en ce qu’il n’a pas statué au fond sur les demandes de Mme [B],
-juger n’y avoir lieu à sursis à statuer,
-débouter la société de ses demandes,
-ordonner l’évocation de l’affaire au fond,
– juger que le licenciement est nul, ne repose ni sur une faute grave, ni sur un motif réel et sérieux.
-fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 281 euros,
-condamner la société à payer à Mme [B] les sommes suivantes outre intérêts légaux :
*indemnité compensatrice de préavis : 4 562,84 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*congés payés sur préavis : 456,62 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*indemnité de licenciement : 10 196,84 euros et à titre subsidiaire : 8 618,41 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*dommages et intérêts pour licenciement nul, et à titre subsidiaire, pour licenciement abusif, sans faute grave ni cause réelle et sérieuse : 27 277 euros outre intérêts légaux,
*dommages et intérêts pour rupture abusive, vexatoire et humiliante : 14 000 euros outre intérêts légaux,
*dommages et intérêts pour harcèlement moral : 14 000 euros outre intérêts légaux,
*rappel de salaire mise à pied à titre conservatoire : 1 299,27 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*rappel de salaire sur congés payés y afférents : 129 ,92 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*rappel de salaire pour heures supplémentaires : 16 154,97 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*rappel de salaire sur congés payés y afférents : 1 615,48 euros outre intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance,
*dommages et intérêts pour travail dissimulé : 15 519,66 euros outre intérêts légaux,
*juger que les sommes dues porteront intérêts au taux légal avec capitalisation de ces intérêts en vertu de l’article 1343-2 du code civil,
-condamner la société à la remise de documents sociaux afférents aux condamnations prononcées sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la date de prononcé du jugement à intervenir,
-condamner en outre la société à lui payer une somme de 7 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
-à titre subsidiaire, si la cour décidait de ne pas évoquer le fond du dossier,
-ordonner le renvoi de cette affaire devant le conseil de prud’hommes de Toulouse, section agriculture afin qu’il soit statué au fond, sur les demandes de Mme [B],
-débouter la société de l’intégralité de ses demandes,
-condamner en outre la société à lui payer une somme de 7 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le le 5 septembre 2022, la SARL [F] et [O] demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes, de la condamner à la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le sursis statuer
Aux termes de l’article 4 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
Au cas d’espèce la plainte pénale déposée par l’employeur contre Mme [B] a donné lieu à un classement sans suite par le Procureur de la République de Castres suivant avis du 5 mai 2021. Contrairement à la motivation retenue par les premiers juges, l’avis de classement ne constitue pas une décision susceptible d’appel. Il s’ensuit que lors de l’examen de l’affaire en première instance aucune procédure pénale n’était en cours depuis plus de huit mois.
Si depuis cette ordonnance une plainte avec constitution de partie civile a été déposée devant le juge d’instruction par la société [D] et [O] et reçue
le 24 mai 2022 , soit plus d’un an après le classement sans suite décidé par le procureur de la République , il ne ressort pas des pièces produites qu’il ait été statué sur sa recevabilité au regard des exigences de l’article 88 du code de procédure pénale.
En tout état de cause, et à supposer qu’une procédure pénale soit ultérieurement instruite, ce qui n’est pas en l’état démontré, une telle procédure ne ferait pas obstacle à ce qu’il soit statué sur les demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail.
La demande de sursis à statuer sera donc écartée.
Sur l’évocation
Selon l’article 568 du code de procédure civile, « lorsque la cour d’appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction (…)».
L’appel du jugement de sursis à statuer du 5 mai 2021 a été autorisé par ordonnance du premier président du 18 mai 2022 pour des motifs graves et légitimes tenant à l’épuisement des droits d’indemnisation chômage de la salariée et aux difficultés rencontrées dans ses recherches d’emploi dans le secteur agricole à raison des accusations qui motivent la rupture.
Le conseil de prud’hommes n’ayant pas statué sur le fond du litige, l’effet dévolutif de l’appel est limité à la décision de sursis statuer.
Pour autant , eu égard à la nature du litige et à ses implications dans la vie familiale des parties, ainsi qu’ à la durée de la procédure – la saisine de la juridiction prud’homale étant intervenue il y a deux ans et cinq mois- il est de bonne justice , notamment dans le souci de veiller au respect d’un délai raisonnable de jugement , de donner à cette affaire une solution définitive, étant observé que les deux parties ont communiqué leurs conclusions au fond et pièces sur l’entier litige.
La cour ordonne en conséquence l’évocation.
Sur le fond
Sur le harcèlement moral
En application des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits à et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article 1154-1 du code de travail dispose qu’il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il en résulte que s’il appartient au salarié d’établir la matérialité des faits qu’il invoque, les juges doivent quant à eux, appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettent de présumer l’existence du harcèlement allégué. En ce cas alors, il revient à l’employeur d’établir qu’ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement.
Mme [B] soutient qu’elle a été victime de menaces et de violences morales sur son lieu de travail, qu’elle a subi des pressions psychologiques et humiliations qui l’ont affectée au point qu’elle a été placée en arrêt de travail à compter de mai 2019.
Elle produit à l’appui de sa demande les témoignages émanant de:
– Mme [R], qui déclare que Mme [W] [B] était sous pression en raison de brimades et persécutions sur son lieu de travail.
– son compagnon M.[S] [M], qui relate que depuis septembre 2018 elle était triste et préoccupée par des problèmes professionnels, qu’elle subissait des insultes et menaces de violences physiques, ‘coups sur les meubles’, et vivait dans la crainte de se rendre sur son lieu de travail.
– sa fille [J] [D] qui déclare avoir assisté à la remise d’une somme
de 3 000 € lors en contrepartie de la signature d’une convention de rupture conventionnelle.
– sa mère [Y] [D] épouse [B] qui déclare avoir gagné au loto la somme d’un million d’euros le 24 novembre 2015 et avoir prêté la somme
de 600 000 euros à ses frères ([D] [X] et [O] [A]) afin de sauver l’entreprise, moyennant un remboursement progressif . Elle expose que des difficultés relationnelles sont apparues en 2017 lorsqu’elle a demandé les premiers remboursements, qui l’ont contrainte le 15 avril 2019 à quitter la maison qu’elle occupait avec son mari et sa fille dans l’immeuble partagé avec l’entreprise et ses deux frères.
– son père M.[C] [B], qui relate qu’un matin sa fille était arrivée en courant en indiquant que son oncle [X] [D] l’avait menacée et l’avait suivie jusque dans la maison, proche des locaux de l’entreprise.
– son fils [G] [D] qui déclare avoir démissionné en mai 2015 du poste de conducteur d’engin qu’il occupait au sein de la société [D] depuis juillet 2014 en raison de la surcharge de travail.
– un certificat d’un médecin généraliste indiquant avoir suivi Mme [B] de mai à septembre 2019 pour un syndrôme anxio-dépressif ayant nécessité un traitement médicamenteux.
– un certificat du médecin du travail du 18 juin 2019 certifiant avoir reçu à sa demande Mme [B] les 7 mai et 7 juin 2019.
La cour relève que les témoignages émanent, pour l’essentiel, de personnes de l’entourage familial proche de la salariée (parents, enfants, compagnon). S’il n’y a pas lieu de douter de leur sincérité, ils ne présentent pas des garanties suffisantes d’objectivité à raison des liens affectifs qui les unissent à la salariée et sont en outre rédigés en termes généraux et peu circonstanciés. Quant au témoignage de Mme [R], qui n’a pas de lien de parenté avec la salariée, il ne relate aucun fait ou propos précis dont l’intéressée aurait été le témoin direct et n’est pas de nature à étayer des agissements menaçants des employeurs.
Quant aux pièces médicales produites qui émanent notamment du médecin du travail, elles ne comportent aucun élément de nature à retenir un lien entre l’état de santé morale de la salariée et l’environnement professionnel.
Ces éléments pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer l’existence d’une situation de harcèlement. Cette demande sera donc écartée.
Sur les heures supplementaires
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1 , du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Mme [B] expose que si elle a été rémunérée sur la base de l’horaire hebdomadaire de 35h prévu par son contrat de travail, le cumul des heures telles que réparties dans son contrat , déduction faite d’une pause déjeuner de 1heure, permet de retenir une durée hebdomadaire effective de 39h. A l’appui de sa demande en rappel de salaire de 16 157,87 euros, elle produit:
– deux attestations émanant pour l’une de Mme [Y] [B], qui indique qu’elle constatait que sa fille travaillait pendant ses congés et effectuait des heures supplémentaires, pour l’autre de son compagnon M.[S] [M] qui déclare l’avoir entendue dire très souvent qu’elle effectuait des heures de travail non payées.
– un tableau récapitulatif des heures accomplies de janvier 2016 à mai 2019 , mentionnant le nombre d’heures de travail hebdomadaires.
– son contrat de travail qui mentionneses horaires de travail
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société [D] et [O] de fournir les éléments utiles à la détermination des heures de travail réellement accomplies par la salariée.
L’employeur objecte que la salariée n’a jamais formulé de réclamation pendant la durée des relations contractuelles et rappelle qu’elle était en charge de la gestion administrative de la société et communiquait chaque mois à l’expert comptable les données propres à l’établissement des bulletins de salaire des employés, ce dont
atteste l’expert comptable M.[I] dans un courrier adressé à l’employeur
le 2 octobre 2020. Il verse aux débats une attestation d’un technicien forestier , M.[T] , qui indique que Mme [B] était présente le matin mais souvent absente l’après midi.
Sur ce,
Il convient de préciser que l’absence de réclamation de la salariée pendant l’exécution du travail ne la prive pas du droit de solliciter après la rupture le paiement d’heures supplémentaires . Si les témoignages des membres de la famille proche de la salariée ne présentent pas des garanties d’impartialité suffisantes au regard des développements qui précèdent concernant le conflit familial aigu, l’examen des horaires de travail précisés dans le contrat de travail (8H-17H du lundi au vendredi et le samedi de 9h à 12h) qui ne donnent lieu à aucune observation de l’employeur, fait apparaître qu’en retenant une pause méridienne et une durée de travail de 35h du lundi au vendredi , la salariée effectuait 3 heures supplémentaires par semaine le samedi.
Tenant compte , d’une part, de la souplesse dont disposait la salariée dans ses horaires au regard du témoignage précis du technicien produit par l’employeur, d’autre part des périodes d’arrêt maladie et congés, la cour a la conviction que la salariée a accompli des heures supplémentaires ouvrant droit sur la période de 3 ans précédant la rupture, soit du 12 juin 2016 au 27 mai 2019, à un rappel de salaire avec majoration du taux horaire, de 5 243,20 euros, outre 524,32 euros d’indemnité correspondante de congés payés.
Sur le travail dissimulé
En application de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de salaire un nombre de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
La cour estime que le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi ne peut se déduire du seul accomplissement d’heures supplémentaires par Mme [B] et que le défaut de contrôle des heures de travail effectivement réalisées ne permet pas de caractériser l’intention frauduleuse nécessaire à l’établissement du travail dissimulé. Mme [B] sera déboutée de sa demande en ce sens.
Le rejet de cette demande sera confirmé
– Sur le licenciement
Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en apporter la preuve.
Aux termes de la lettre de licenciement du 12 juin 2019 les employeurs reprochent à la salariée des détournements de fonds et vols depuis 10 ans pour la somme de 155 317,95 euros au préjudice de la société et d’une somme de 3 479,87 euros au préjudice du compte [D] et [O] au Crédit Agricole, faits qui ont motivé un dépôt de plainte à la gendarmerie.
Ils font état notamment du double paiement à Mme [B] d’une somme
de 1 752,75 euros le 1er août 2018 , par virement à partir du compte de la société au CIC et du compte de la société au Crédit Agricole. Il est reproché à Mme [B] d’avoir imité la signature des employeurs lors de l’émission de virements et chèques à son profit et d’avoir fait disparaître des documents, notamment des courriers de l’expert comptable qui n’ont pu être retrouvés .
Si les chèques et ordres de virement versés aux débats comportent deux types de signature, Messieurs [D] et [O] , au delà de leur seules déclarations , ne fournissent aucun élément matériel de nature à objectiver l’usurpation alléguée de leurs signatures respectives par Mme [W] [B].
Au surplus les opérations litigieuses correspondant à des virement et paiements par chèques effectués depuis 2010 apparaissent nécessairement sur les relevés de compte du CIC et du Crédit Agricole ainsi que sur les grands comptes portés à la connaissance des deux employeurs(pièces 28 à 30 de l’employeur) et n’ont pas jamais donné lieu à des remarques de ces derniers.
Il importe de relever que les faits reprochés à la salariée s’inscrivent dans un climat familial marqué par un conflit aigu opposant la mère de l’intéressée à ses frères, dirigeants de la société employeur, à raison d’un litige né après l’obtention d’un gain au loto en 2015 et des réclamations financières formées de Mme [Y] [D] épouse [B] à ses frères en 2017 . Un courriel de l’expert comptable adressé à la salariée le 2 avril 2019 atteste de la réalité d’une demande de remboursement par la mère de la salariée (‘votre mère Mme [B] peut se rembourser à hauteur de 66 996 euros ( ..) ce remboursement ne doit pas mettre en danger la trésorerie. Il vous est conseillé de prendre au fur et à mesure.’).
Alors que les deux gérants ont partagé durablement une même maison d’habitation avec la salariée et ses parents, ces derniers ont déménagé en avril 2019 . Il est observé une concomitance entre ce différend familial et la procédure de licenciement initiée le 27 mai 2019 ainsi que la plainte pénale déposée le 5 juin 2019.
La confusion qui a pu présider aux opérations conclues entre les employeurs et Mme [W] [B] ainsi que ses parents résulte notamment du témoignage de Mme [H], commerciale qui atteste avoir vendu deux véhicules ([Immatriculation 4] et [Immatriculation 5]) à la société [D] et [O] les 19 avril et 10 octobre 2017, avec
modification ultérieure des cartes grises au nom de M.[B] et de Mme [D] [Y], ce avec l’accord de M.[X] [D] qui a fourni les documents (KBIS et pièces d’identité). En dépit de cet arrangement familial décrit par l’agent commercial qui a procédé à ces ventes, les employeurs dénoncent dans leur plainte avec constitution de partie civile les conditions dans lesquelles Mme [W] [B] et ses parents sont ‘devenus étrangement propriétaires par acte de cession’ de ces deux véhicules.
Quant aux deux virements de la somme de 1 752,75 euros le 1er août 2018, la salariée admet le double versement de son salaire et expose , sans être démentie sur point, qu’elle n’a pas perçu le salaire du mois de septembre afin de remédier à cette erreur.
Au vu de l’ensemble de ces considérations la cour considère que la preuve n’est pas rapportée par l’employeur de la matérialité et de la gravité des griefs motivant le licenciement, qu’en tout état de cause un doute sérieux existe sur les faits imputés à la salariée.
Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.
Conséquemment, il sera alloué à la salariée, sur la base d’une rémunération moyenne mensuelle de 2 281euros et d’une ancienneté dans l’entreprise de 14 ans et 4 mois :
– une indemnité compensatrice de préavis de 4 562,84 euros outre l’indemnité correspondante de congés de 456,62 euros ,
– une indemnité légale de licenciement de 9 300,78 euros
– un rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire injustifiée de 1299,27 euros et l’indemnité de congés payés correspondante de 129,92 euros.
En application de l’article L1235-3 du code du travail, la salariée qui bénéficiait d’un ancienneté de plus de 14 ans dans un entreprise employant moins de 11 salariés est en droit de prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 2,5 mois de salaire et 12 mois de salaire. La salarié était agée de 48 ans lors de la rupture et n’a pas retrouvé d’emploi.
Il est justifié de lui allouer la somme de 22 000 euros titre de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes de dommages et intérêts
En vertu de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Les conclusions de l’intimée comportant dans l’exposé des motifs une demande relative à une amende civile qui n’est pas énoncée dans le dispositif et sur laquelle la cour ne peut statuer.
Mme [B] ne caractérise aucun procédé vexatoire dans la mise en ‘uvre du licenciement. En outre, elle ne justifie d’aucun élément permettant d’établir un quelconque préjudice distinct de celui résultant de la rupture injustifiée de son contrat de travail.
Elle sera donc déboutée de sa demande indemnitaire
Sur les demandes annexes
Il sera ordonné à la SARL [D] et [O] la remise à la salariée des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt , sans qu’il y ait lieu à astreinte.
La SARL [D] [O] , partie principalement perdante, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel.
Mme [B] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer à l’occasion de cette procédure. La SARL [D] et [O] sera donc tenue de lui payer la somme globale de 2 500 € euros en application des dispositions de l’article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.
La société [D] et [O] sera déboutée de ses demandes aux titre des frais et dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement , contradictoirement, en dernier ressort
Infirme le jugement déféré
Dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer
Ordonne l’évocation de l’affaire
Statuant en lecture des conclusions au fond des parties
Condamne la SARL [D] et [O] à payer à Mme [W] [B] :
– 22 000 euros titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 9 300,78 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
– 4562,84 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 456,62 euros d’indemnité compensatrice de congés payés correspondante
– un rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire injustifiée de 1299,27 euros
-129,92 euros d’indemnité de congés payés correspondante
– 5243,20 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires
– 524,32 euros d’indemnité compensatrice de congés payés
– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Dit que les créances de nature indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la présente décision, et que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2020,date de réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, et les créances de nature indemnitaire à compter de ce jour,avec capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
Ordonne la remise par la SARL [D] et [O] à Mme [W] [B] des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt sans astreinte
Déboute Mme [W] [B] du surplus de ses demandes
Condamne la SARL [D] [O] aux entiers dépens de première instance et d’appel
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
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