COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 30 MARS 2023
N° RG 21/03790 – N° Portalis DBV3-V-B7F-USHH
AFFAIRE :
S.A.S. LEFEBVRE DALLOZ COMPETENCES
C/
[L] [V] [P]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Mai 2021 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE
N° Chambre : 3
N° RG : 2019F00556
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Isabelle TOUSSAINT
TC PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. LEFEBVRE DALLOZ COMPETENCES venant aux droits de la société FRANCIS LEFEBVRE FORMATION -FLF- à la suite d’une fusion absorption
RCS Nanterre n° 479 163 131
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Pauline DUCOIN et Me Luc-Marie AUGAGNEUR de la SELARL CVS, Plaidants, avocats au barreau de LYON, vestiaire: 656
APPELANTE
****************
Madame [L] [V] [P] épouse [F] [N]
née le 06 Juillet 1976 à Mulhouse (68)
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
S.A.S. ALC FORMATION
RCS Pontoise n° 820 487 775
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentées par Me Isabelle TOUSSAINT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 249 et Me Antoine CHERON de la SCP ACBM, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 2536
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Francis Lefebvre Formation, créée en 1974, constitue le pôle « formation » du groupe Francis Lefebvre Sarrut.
Mme [L] [P] épouse [F] [N] (ci-après Mme [F]) a été salariée de la société Francis Lefebvre Formation de 2001 à 2007 puis de 2009 à 2016. Elle a occupé successivement les postes de conseillère formation, de responsable du service commercial et, à compter du 2 janvier 2015, de responsable grands comptes.
Son contrat de travail a été rompu par rupture conventionnelle du 29 février 2016, la date de fin de contrat étant fixée au 5 avril 2016.
Le 17 mai 2016, Mme [F] a créé la SAS ALC Formation, spécialisée dans la formation continue d’adultes.
Par requête du 1er janvier 2017, la société Francis Lefebvre Formation a saisi le président du tribunal de commerce de Pontoise aux fins de voir ordonner des mesures probatoires sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Elle a été autorisée, suivant ordonnance du 5 janvier 2017, à recourir aux services d’un huissier et d’un expert informatique, lesquels se sont rendus le 19 janvier 2017 au siège de la société ALC Formation afin de procéder à des saisies de données informatiques, qui ont été placées sous séquestre.
Par ordonnance de référé du 29 mai 2017, le président du tribunal de commerce de Pontoise a notamment débouté Mme [F] et la société ALC Formation de leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 5 janvier 2017 et ordonné la mainlevée des éléments placés sous séquestre à la suite du constat réalisé au siège de la société ALC Formation.
Par acte du 17 juillet 2019, la société Francis Lefebvre Formation a fait assigner Mme [F] et la société ALC Formation devant le tribunal de commerce de Pontoise en concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement contradictoire du 19 mai 2021, le tribunal de commerce de Pontoise a :
– Déclaré la société Francis Lefebvre Formation recevable, mais mal fondée en ses demandes fins et conclusions et l’en a déboutée ;
– Déclaré la société ALC Formation et Mme [F] recevables et bien fondées en leurs demandes reconventionnelles ;
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à Mme [F] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts ;
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à la société ALC Formation la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts ;
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à Mme [F] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à la société ALC Formation la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 94.34 € TTC ;
– Ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 15 juin 2021, la société Francis Lefebvre Formation a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2022, la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de la société Francis Lefebvre Formation-FLF, demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien fondé son appel à l’encontre du jugement rendu le 19 mai 2021 par le tribunal de commerce de Pontoise ;
Y faisant droit,
– Infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– Déclaré la société Francis Lefebvre Formation recevable, mais mal fondée en ses demandes fins et conclusions et l’en a déboutée,
– Déclaré la société ALC Formation et Mme [F] recevables et bien fondées en leurs demandes reconventionnelles,
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à Mme [F] la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts,
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à la société ALC Formation la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts,
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à Mme [F] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation à payer à la société ALC Formation la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Francis Lefebvre Formation aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 94,34 € TTC ;
Statuant à nouveau,
– Débouter la société ALC Formation et Mme [F] de l’intégralité de leurs demandes ;
– Juger que la société ALC Formation et Mme [F] ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société FLF ;
– Faire interdiction à la société ALC Formation et à Mme [F] d’utiliser le fichier-clients de la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de Francis Lefebvre Formation, obtenu frauduleusement, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée, chaque démarchage de l’un des clients de la société Lefebvre Dalloz Compétences, anciennement Francis Lefebvre Formation, constituant une infraction ;
– Condamner in solidum la société ALC Formation et Mme [F] à payer à la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de Francis Lefebvre Formation, la somme de 450.000 € en réparation du préjudice causé ;
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site internet d’ALC Formation, à savoir www.alcformation.com, en haut de la page d’accueil, de manière visible, pendant une durée de quinze jours, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, commençant à courir 48 heures après la signification de la décision à intervenir ;
– Se réserver la liquidation de l’astreinte ;
En tout état de cause,
– Déclarer mal fondé l’appel incident formé par la société ALC Formation et Mme [F] et les en débouter ;
– Condamner in solidum la société ALC Formation et Mme [F] à verser à la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de Francis Lefebvre Formation, la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner in solidum la société ALC Formation et Mme [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de constat ordonnés par le président du tribunal de commerce.
Par dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2022, Mme [F] et la société ALC Formation demandent à la cour de :
– Déclarer la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, mal fondée en son appel du jugement rendu le 19 mai 2021 (RG 2019F00556), l’en débouter purement et simplement ;
Ce faisant,
– Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Pontoise le 19 mai 2021(RG 2019F00556), en ce qu’il a :
– Déclaré la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, mal fondée en ses demandes, fins et conclusions et l’en a déboutée,
– Déclaré Mme [F] et la société ALC Formation recevables et bien fondées en leurs demandes reconventionnelles,
– Condamné la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, aux entiers dépens de la première instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 94.34 € TTC,
– Ordonné l’exécution provisoire dudit jugement ;
Recevant Mme [F] et la société ALC Formation en leur appel incident, y faisant droit,
Et statuant à nouveau,
– Condamner la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, à verser à Mme [F] la somme de 20.000 € et à la société ALC Formation la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– Condamner la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, à payer à Mme [F] et à la société ALC Formation la somme de 6.000 € à titre d’amende civile pour procédure abusive en application de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, à verser à la société ALC Formation et Mme [F] la somme de 33.690 € TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant la procédure en première instance ;
En tout état de cause,
Sur les faits incriminés,
– Juger que la création de la société ALC Formation ainsi que les actes réalisés par Mme [F] pour le compte de sa société en formation ont respecté les règles légales en matière d’activité concurrente d’un ancien salarié ;
– Juger que Mme [F] n’a jamais utilisé les données détenues pour créer la société ALC Formation et la pérenniser et que seuls son savoir-faire et son expérience lui ont permis de créer la société ALC Formation, de proposer des formations adéquates et de se constituer une clientèle ;
– Juger que Mme [F] n’a pas détourné des données stratégiques de la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, ni ne les a utilisées, ni violé son obligation de confidentialité ;
– Juger que la société ALC Formation n’a aucunement procédé au démarchage systématique et massif des clients de la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption ;
– Juger qu’en recourant à certains des intervenants effectuant des missions pour la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, Mme [F] et la société ALC Formation n’ont commis aucun acte déloyal dès lors que ces personnes sont indépendantes de la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption ;
– Juger que Mme [F] n’a pas détourné les thèmes et les supports de formations dispensés par son ancien employeur pour développer l’activité commerciale de la société ALC Formation ;
– Débouter la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
En conséquence,
– Juger que la société ALC Formation et Mme [F] n’ont commis aucun acte de concurrence déloyale à l’encontre de la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption ;
– Juger que la société ALC Formation et Mme [F] n’ont commis aucun acte de concurrence parasitaire à l’encontre de la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption ;
Sur le préjudice prétendument subi,
A titre principal,
– Juger qu’en l’absence d’agissements illicites commis à son encontre par la société ALC Formation et Mme [F], la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, n’a subi aucun préjudice;
– Et, par conséquent, la débouter de l’ensemble de ses demandes d’interdiction, de ses demandes de publication et de ses demandes indemnitaires ainsi que de ses demandes d’astreintes associées ;
A titre subsidiaire,
– Juger que la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, n’en rapporte aucunement la preuve du préjudice subi ni qu’un éventuel préjudice soit imputable ;
– Et, par conséquent, la débouter de l’ensemble de ses demandes d’interdiction, de ses demandes de publication et de ses demandes indemnitaires ainsi que de ses demandes d’astreintes associées ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens en appel,
– Condamner la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, à verser à la société ALC Formation et à Mme [F], la somme de 11.040 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
– Condamner la société Lefebvre Dalloz Compétences, se disant venir aux droits de la société Francis Lefebvre Formation radiée à la suite d’une prétendue absorption, aux entiers dépens en appel, dont le recouvrement sera poursuivi par Me Isabelle Toussaint, en application des dispositions de l’article 699 du même code.
La clôture a été prononcée à l’audience du 15 décembre 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La cour observe à titre liminaire que les intimées soulèvent l’irrecevabilité de la procédure tenant à l’inexistence de la société Francis Lefebvre Formation, radiée du registre du commerce et des sociétés le 18 janvier 2022, soit postérieurement à sa déclaration d’appel. Elles n’ont toutefois pas saisi d’une fin de non-recevoir le conseiller de la mise en état, seul compétent pour statuer sur ce moyen d’irrecevabilité. Au surplus, il est rappelé qu’en vertu de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Or, Mme [F] et la société ALC Formation n’ont aucunement repris dans le dispositif de leurs conclusions le moyen d’irrecevabilité développé dans ces conclusions.
Il sera relevé à titre surabondant que la société Lefebvre Dalloz Compétences verse aux débats divers documents, notamment un extrait Kbis à jour au 6 décembre 2022, le traité de fusion signé le 30 novembre 2021 et ses 14 annexes, le procès-verbal constatant les décisions de son associée unique prises le 3 janvier 2022, dont il résulte qu’elle vient effectivement aux droits de la société Francis Lefebvre Formation suite à une fusion-absorption de celle-ci.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme
La société Lefebvre Dalloz Compétences reproche à Mme [F] et à la société ALC Formation d’avoir commis à son encontre d’une part, des actes de concurrence déloyale résultant d’un détournement de données stratégiques, d’un détournement de clientèle et d’un détournement des intervenants et des formations, et d’autre part, des actes de parasitisme.
Elle prétend que Mme [F] a intentionnellement agi de manière déloyale en copiant et conservant l’intégralité de la base de données de Francis Lefebvre Formation, afin de servir les intérêts de sa propre structure, et qu’elle a également violé l’obligation de confidentialité à laquelle elle était tenue au titre des dispositions de la convention de rupture du contrat de travail. Elle fait valoir que l’analyse des documents séquestrés, en particulier ceux contenus dans trois clés USB, a mis en évidence la captation d’informations strictement confidentielles, non accessibles au public, que constitue l’ensemble des données clients et procédures commerciales de la société Francis Lefebvre Formation (liste des clients, liste des intervenants selon les formations concernées, prix facturés pour chaque intervention …), qui sont pour elle des informations stratégiques et qui doivent être incluses dans le champ d’application de la protection du secret des affaires, tel que visé à l’article L.151-1 du code de commerce ; que le fait que Mme [F] ait préalablement travaillé dans l’entreprise ne peut justifier une telle détention ; que la seule appropriation d’informations confidentielles ne peut qu’être sanctionnée ; qu’au surplus, Mme [F] a utilisé les fichiers clients pour contacter plusieurs clients de la société Francis Lefebvre Formation et les informer non seulement de la création de la société ALC Formation mais aussi leur proposer ses propres formations.
L’appelante soutient que grâce aux informations de son ancien employeur, Mme [F] et sa société de formation ont pu adresser, a minima à huit clients grands comptes de la société Francis Lefebvre Formation, des offres en connaissance de celles qui pouvaient être adressées par cette dernière, permettant ainsi un développement extrêmement rapide de sa propre clientèle. Elle apporte des précisions sur chacun de ces huit clients et sur les moyens utilisés par Mme [F] pour les détourner. Elle considère qu’il importe peu que le nombre de clients détournés soit inférieur au nombre total de clients de la société Francis Lefebvre Formation et qu’il est inutile de procéder à une comparaison entre le portefeuille clients de la société ALC Formation et celui de la société Francis Lefebvre Formation, dès lors qu’un tel détournement est constitutif d’un acte de concurrence déloyale.
Elle fait ensuite valoir que pour développer son activité commerciale, Mme [F] a contacté exclusivement les formateurs référencés chez Francis Lefebvre Formation, dont elle avait copié et conservé la liste. Elle souligne que les informations contenues dans cet annuaire (coordonnées, thème et ville d’intervention, frais pédagogiques) sont strictement confidentielles, seule une présentation sommaire de ces intervenants étant rendue publique sur le site internet de la société. Elle indique en outre que les formations figurant dans les devis adressés dès le 18 avril 2016 aux clients démarchés s’assimilent nettement à celles proposées par la société Francis Lefebvre Formation.
Elle ajoute qu’en proposant des formations thématiques sensiblement identiques à celles de son ancien employeur, en utilisant le listing de ses formateurs, en s’adaptant à ses tarifs et plus encore, en usant les contacts clients de sa base de données, Mme [F] et la société ALC Formation ont profité des investissements et de la notoriété acquise dans le même secteur d’activité par la société Francis Lefebvre Formation et ainsi parasité son activité. Elle estime que le pillage de ses données a indéniablement fait gagner un temps considérable à la société ALC Formation, sans rapport avec les années d’efforts et d’investissements consentis par la société Francis Lefebvre Formation et que le savoir-faire acquis par Mme [F] en tant que salariée de cette dernière était insuffisant pour constituer en quelques mois une clientèle et une offre complète de 90 formations.
Les intimées répondent que la création de la société ALC Formation, plus d’un mois après le départ de Mme [F] de la société Francis Lefebvre Formation, ainsi que les actes réalisés par cette dernière pour le compte de sa société en formation ont respecté les règles légales en matière d’activité concurrente d’un ancien salarié. Elles soulignent à cet égard que Mme [F] n’était liée à son ancien employeur par aucune clause de non-concurrence.
Elles soutiennent que les documents saisis sur ses clés USB ont pour origine l’exercice du travail de Mme [F] lorsqu’elle était encore en poste au sein de la société Francis Lefebvre Formation ; qu’elle n’a usé d’aucune manoeuvre déloyale pour obtenir ces informations auxquelles elle avait librement accès pendant l’exercice de ses fonctions, voire qu’elle a pour certaines créées ; que ces données ne peuvent être considérées comme secrètes puisqu’une partie importante d’entre elles sont en libre accès sur internet et notamment sur le propre site de l’appelante ; qu’en tout état de cause, Mme [F] n’a jamais utilisé ni divulgué les données détenues, en ce compris le fichier clients de la société Francis Lefebvre Formation, dont elle n’avait aucun besoin pour créer sa société et la pérenniser, compte tenu de son savoir-faire et de son expérience ; qu’elle n’a donc pas violé son obligation de confidentialité ; qu’en outre, rien ne permet d’exiger une obligation de confidentialité de la société ALC Formation, qui n’était pas tenue par la convention de rupture conventionnelle liant uniquement Mme [F] et la société Francis Lefebvre Formation.
Les intimées énoncent ensuite qu’elles n’ont n’ont aucunement procédé au démarchage systématique et massif des clients de la société Francis Lefebvre Formation ; qu’elles n’ont usé d’aucune man’uvre déloyale pour attirer certains clients qui traitaient auparavant avec cette société ; que Mme [F] n’avait pas besoin du fichier clients car elle avait des liens étroits, parfois même d’amitié, avec les clients de la société Francis Lefebvre Formation avec lesquels elle a travaillé pendant plusieurs années et dont elle connaissait les besoins, que ce soit en termes de formation ou de délai ; que les 8 clients démarchés par Mme [F] représentent une infirme partie du portefeuille clients de son ancien employeur et seulement 10 % des clients qu’elle gérait chez Francis Lefebvre Formation ; que le portefeuille clients de la société ALC Formation n’est pas limité aux clients dont la propriété est revendiquée par l’appelante ; que les tarifs proposés par la société ALC Formation ne peuvent lui être reprochés dès lors que le principe est la libre fixation des prix entre concurrents.
Elles prétendent qu’en recourant à certains des intervenants effectuant des missions pour la société Francis Lefebvre Formation, elles n’ont commis aucun acte déloyal dès lors que ces personnes sont indépendantes et que leur liste est en libre accès sur le site internet de la société Francis Lefebvre Formation ; que comme pour les clients, que Mme [F] a noué des liens privilégiés avec certains intervenants ; qu’elles n’ont n’a pas non plus détourné les thèmes et les supports de formations dispensés par l’appelante pour développer l’activité commerciale de la société ALC Formation, soulignant que la société Francis Lefebvre Formation dispose d’un catalogue de plus de 450 formations tandis que la société ALC Formation propose un catalogue de moins de 90 formations, qu’en outre la première propose majoritairement des formations inter-entreprises alors que la seconde développe des formations intra-entreprise, sur-mesure, qu’enfin les formations préparées et dispensées par les intervenants sont leur propriété et qu’ils sont libres de les utiliser comme bon leur semble.
Elles affirment qu’elles n’ont commis aucun acte parasitaire au préjudice de la société Francis Lefebvre Formation. Elles reprennent pour partie les arguments développés au titre de la concurrence déloyale et font en outre observer qu’au regard de la notoriété de la société Francis Lefebvre Formation dans le domaine de la formation pour adulte, les clients contactés par la société ALC Formation, qui se présente comme telle, n’ont pu croire qu’il traitaient avec la société Francis Lefebvre Formation.
*****
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement de son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
La société Lefebvre Dalloz Compétences se prévaut de plusieurs faits fautifs au soutien de la concurrence déloyale invoquée.
Elle argue tout d’abord d’un détournement de données stratégiques de la part de Mme [F].
Pour le démontrer, elle produit des copies de fichiers, captures d’écran et tableaux excel provenant de la société Francis Lefebvre Formation et recueillis lors des opérations de constat réalisées au siège de la société ALC Formation, en présence de Mme [F]. Comme le fait observer la société Lefebvre Dalloz Compétences, ces enregistrements, sur trois clés USB, ont été réalisés pour l’essentiel entre le mois de février et le mois d’avril 2016, soit postérieurement à la convocation de la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement en date du 10 février 2016, qui a été suivi de la signature d’une rupture conventionnelle le 29 février 2016 puis du départ de Mme [F] de la société en avril 2016.
La clé USB 1 contient notamment :
– un fichier intitulé ‘ANNUAIRE DES INTERVENANTS’ ;
– deux fichiers intitulés ‘contacts-alindauer-[F]’ et ‘contacts-gmail’, dont des extraits sont communiqués et qui permettent de constater qu’y figurent les coordonnées professionnelles de salariés de clients de la société Francis Lefebvre Formation ;
– un fichier intitulé ‘Dossiers [L]’ correspondant à un état des prospections clients, dans lequel sont détaillés, par entreprise, les besoins de formations, les dates de prise de décision concernant les budgets alloués, les personnes à contacter, les processus à respecter ;
– un tableau excel intitulé ‘Fichiers [L]’ listant les entreprises clientes, leurs coordonnées, les contacts au sein de ces entreprises, les formations suivies et les prix facturés de 2013 à 2016.
La clé USB 2 contient notamment :
– un tableau excel intitulé ‘suivi portefeuille contacts’ du 14 mars 2016 recensant l’ensemble des clients de la société Francis Lefebvre Formation et le chiffre d’affaires réalisé avec chacun d’eux (chiffre d’affaires inter et chiffre d’affaires intra) de 2013 à 2016 ;
– un tableau excel intitulé ‘Reporting 2016 – ALC – S8″ du 26 février 2016 précisant par client le montant des formations souscrites de 2013 à 2015 ainsi qu’une projection pour 2016 ;
– un tableau excel reprenant pour chaque client de la société Francis Lefebvre Formation et pour chacune de leurs filiales ou établissements le montant des formations souscrites de 2013 à 2015.
La clé USB 3 contient notamment :
– un tableau listant les demandes du catalogue 2016, avec des précisions concernant les effectifs de chaque société demanderesse, les interlocuteurs et leurs coordonnées ;
– un récapitulatif des ‘stages intra’ 2016 mentionnant pour chaque client, le titre du stage, la date du stage, le nom de l’animateur et le coût pédagogique ;
– des fichiers clients, dans un dossier intitulé ‘[L] back up 2016″.
Il est indéniable que ces informations, qui n’ont pas été rendues publiques, contrairement à ce que soutiennent les intimées, et que Mme [F] n’était plus légitime à conserver, n’étant plus salariée de la société Francis Lefebvre Formation, étaient de nature à permettre aux intimées de se positionner avantageusement auprès des clients de cette dernière, en ayant connaissance de leurs besoins précis de formation et du moment opportun pour leur adresser des offres, à des tarifs compétitifs tenant compte des tarifs négociés par la société Francis Lefebvre Formation avec ces clients.
Or, outre que tout salarié est tenu à l’égard de son employeur à une obligation générale de loyauté ainsi qu’à une obligation de discrétion, Mme [F] s’est engagée, aux termes d’un accord transactionnel conclu avec la société Francis Lefebvre Formation le 7 avril 2016, à respecter la confidentialité des informations portées à sa connaissance dans le cadre de ses activités salariées ainsi qu’à ne pas porter atteinte aux intérêts de la société.
Les développements qui suivent démontrent en outre une utilisation déloyale des informations dont Mme [F] a eu connaissance durant la relation de travail avec la société Francis Lefebvre Formation.
La société Lefebvre Dalloz Compétences invoque un détournement de clientèle.
Au soutien de ses dires, l’appelante communique un certain nombre de courriels adressés par Mme [F], à partir du 14 avril 2016, à différents clients de la société Francis Lefebvre Formation (Groupe Alpha, Axa, BPCE, Pluriad, UGC, Neopost, Matmut, Courtepaille, Chantelle). Mme [F] y propose ses services, en indiquant qu’elle est en mesure de faire « une proposition commerciale attractive », qu’elle est « persuadée du succès de notre partenariat, mes tarifs étant très compétitifs ». Dans un courriel du 14 juin 2016, elle écrit à Mme [R] [G], de la société UGC, qu’elle serait « ravie de poursuivre notre collaboration sous ‘ALC Formation’ », faisant ainsi allusion à sa collaboration passée lorsqu’elle était salariée de la société Francis Lefebvre Formation.
La société Lefebvre Dalloz Compétences fait grief aux intimées d’avoir, a minima, détourné huit clients.
Elle invoque ainsi le groupe Louvre Hôtels, un de ses clients habituels, qui l’a informée par courriel du 22 février 2016 qu’elle était « retenue pour le ‘déploiement’ de la formation ‘accueil clientèle chinoise’ sur nos hôtels ». Or, ce client est revenu sur son accord de principe et Mme [H] [W], responsable université d’entreprise, a écrit le 18 avril 2016 à la société Francis Lefebvre Formation : « Je suis désolée de vous apprendre que (…) nous avons décidé de mettre ce projet de formation en stand by pour le moment, celui-ci n’étant plus, à ce jour, une de nos priorités ». Or, il résulte des courriels produits par l’appelante que dès le mois de juin 2016, Mme [F] a mis en relation Mme [W] avec un dénommé [A] [C], conseil et coach, pour accompagner un collaborateur de la société avant son départ en Chine. Est par ailleurs produite une facture de la société ALC Formation, datée du 20 juin 2016, pour une prestation d »apport d’affaire’ réalisée les 6 et 7 mai 2016 et adressée à la société SR2C Consulting et Management, dont la dirigeante est Mme [D] [I] [M], soit la formatrice qui devait intervenir pour le compte de la société Francis Lefebvre Formation au sein du groupe Louvre Hôtels, avant que cette formation ne soit annulée.
L’appelante cite ensuite la société Sofrapar, qui avait envisagé avec la société Francis Lefebvre Formation une mission en novembre 2016, dans la lignée du programme de formation arrêté en 2015, comme en attestent les échanges de courriels versés aux débats. Alors qu’il avait été convenu entre elles, en juillet 2016, de reprendre contact en septembre suivant, les relances de la société Francis Lefebvre Formation sont restées vaines et elle a appris par la formatrice concernée par ce dossier, Mme [X] [J], que fin juillet 2016, Mme [F] l’avait contactée pour lui proposer d’intervenir sur la même mission, ce à quoi Mme [J] lui a répondu que son « éventuelle intervention était conditionnée par l’information et acceptation de FL [Francis Lefebvre ] ». Mme [J] a indiqué à la société Francis Lefebvre Formation qu’après cet échange, elle n’a plus eu de nouvelle de Mme [F]. L’appelante produit deux devis établis par la société ALC Formation à l’attention de la société Sofrapar, datés du 4 août 2016, pour des formations relatives pour l’une à la TVA et pour l’autre à la liasse fiscale, domaine d’intervention habituel de Mme [J] en sa qualité d’expert-comptable. Deux noms de formateurs autres que Mme [J] y sont mentionnés, dont celui de Mme [B] [T] qui, comme elle, animait régulièrement des formations pour le compte de la société Francis Lefebvre Formation.
La société Lefebvre Dalloz Compétences communique également un devis de la société ALC Formation, pour une formation en fiscalité destinée à la société Groupe Alpha, client habituel de la société Francis Lefebvre Formation, daté du 18 avril 2016, soit moins de 15 jours après que le contrat de travail de Mme [F] a été rompu et l’appelante fait justement observer qu’un délai de proposition aussi rapide n’a été possible que grâce aux données détournées par son ancienne salariée.
Mme [F] a également démarché le groupe Axa, client de son ancien employeur. Le 23 novembre 2016, elle écrit ainsi à la société Axa Assistance : « Vous trouverez ci-joint mon ‘mini-catalogue’ avec des thèmes de formations intra que je propose et/ou ai déjà vendu à mes clients et qui ont fait leurs preuves… J’ai déjà eu des missions pour des sociétés du groupe Axa, qui se sont très bien passées », cette rédaction étant révélatrice de la confusion entretenue par Mme [F] entre les clients d’ALC Formation et les clients qu’elle avait pu avoir lors de son activité au sein de la société Francis Lefebvre Formation.
De même, par courriel du 23 novembre 2016, Mme [F] a adressé à la société CFAO, client de son ancien employeur, son « ‘mini-catalogue’ qui reprend des thèmes de formation déjà réalisées», précisant que ses tarifs étaient « très compétitifs ».
Les courriels versés aux débats démontrent que Mme [F] a également démarché la société FCN, autre client de la société Francis Lefebvre Formation, et elle lui a adressé dès le mois d’avril 2016 un devis pour une formation sur l’environnement juridique et fiscal belge, en lui indiquant : « Par ailleurs, si vous souhaitez que je vous fasse des devis sur les autres thématiques pour lesquels vous avez consulté d’autres organismes, n’hésitez pas à m’en faire part ».
Mme [F] procède de la même façon avec le client Natixis, auquel elle propose, dans un courriel du 14 décembre 2016, de comparer les tarifs qu’elle propose « avec les offres des organismes référencés ».
Ces éléments permettent de retenir le détournement déloyal de clientèle par les intimées, en usant d’informations détenues illégitimement.
La société Lefebvre Dalloz Compétences se prévaut encore d’un détournement des intervenants et des formations
Il a été précédemment constaté que Mme [F] avait conservé le fichier des intervenants référencés par la société Francis Lefebvre Formation et qu’après son départ, elle en avait sollicité un certain nombre, dans le cadre de manoeuvres déloyales, comme elle l’a fait avec Mme [J] pour une formation destinée à la société Sofrapar. L’indépendance avec laquelle travaillent ces formateurs ne remet d’ailleurs pas en cause le caractère déloyal du comportement de Mme [F].
Si du fait de ses activités au sein de la société Francis Lefebvre Formation, Mme [F] connaissait ces intervenants, cela n’impliquait pas pour elle d’exploiter, après son départ de la société, les informations détaillées les concernant pour développer une activité concurrentielle. Or, les pièces versées aux débats par la société Lefebvre Dalloz Compétences établissent que la société ALC Formation a très rapidement été en mesure d’adresser à ses prospects des propositions précises de formations mentionnant le nom de l’intervenant référencé chez Francis Lefebvre Formation.
S’agissant en revanche des formations proposées, et même si le catalogue de la société ALC Formation a été très vite constitué, il doit être tenu compte de l’expérience de Mme [F] dans ce domaine, sachant par ailleurs que les programmes de formation sont disponibles sur le site de la société Francis Lefebvre Formation. Ce fait ne sera pas retenu au titre des actes de concurrence déloyale.
Enfin, concernant le parasitisme dont se prévaut la société société Lefebvre Dalloz Compétences, il doit être rappelé qu’il consiste à profiter, de manière volontaire et déloyale, sans bourse délier, des investissements, d’un savoir-faire ou du travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.
Toutefois, la société Lefebvre Dalloz Compétences ne communique aucun élément, ni même aucune précision concernant ses investissements, son savoir-faire ou le travail intellectuel dont les intimées auraient profité. Dans ces conditions, le parasitisme n’apparaît pas établi.
Il n’en demeure pas moins qu’ont été précédemment caractérisés des faits de concurrence déloyale qui engagent la responsabilité de Mme [F] et de la société ALC Formation en application des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil.
Sur l’indemnisation des préjudices
La société Lefebvre Dalloz Compétences invoque une « perte sèche » de clientèle s’inscrivant dans la durée mais également une perte de gains dont elle aurait pu bénéficier si ses clients historiques n’avaient pas été déloyalement démarchés. Elle prétend qu’en s’appropriant frauduleusement les fichiers clients et la base de données de la société Francis Lefebvre Formation, les intimées lui ont fait subir une perte de valeur incorporelle du fonds de commerce qu’elle avait développé durant 42 ans de travail dans ce secteur et dont la société ALC Formation a bénéficié sans avoir à investir. Elle valorise à 150.000 € le préjudice en résultant. Elle indique ensuite avoir subi sur les années 2016 et 2017 une perte de chiffre d’affaires globale de 203.509 €, soit une perte de marge bénéficiaire de 112.540 €, en suite des agissements de Mme [F], qui ont entraîné la perte de clients historiques et habituels. Elle précise néanmoins que cette évaluation est sous-estimée dès lors qu’elle ne tient pas compte de la désorganisation dont elle a souffert et qu’elle ne ne comptabilise aucunement la perte consécutive au vol des fichiers clients et documentations commerciales par Mme [F] qui a empêché la société d’être compétitive d’un point de vue tarifaire, qui lui a imposé de revoir l’ensemble de ses politiques commerciales et stratégiques envers sa clientèle et qui lui a fait perdre des clients qui ne reviendront peut-être jamais au sein de sa structure, malgré les nombreuses années passées à les prospecter. Elle sollicite en conséquence le versement d’une somme de 450.000 € au titre de son préjudice global.
Les intimées considèrent que l’appelante est mal fondée en ses demandes indemnitaires et qu’elle ne rapporte pas la preuve de la réalité des préjudices qu’elle prétend avoir subi ; que l’absence d’utilisation du fichier clients atténue considérablement la perte de la prétendue valeur de ce fichier ; qu’elles ne sont aucunement à l’origine de la baisse alléguée du chiffre d’affaires de la société Francis Lefebvre Formation, qui est au contraire en pleine croissance ; qu’au surplus, le montant réclamé est totalement disproportionné à la réalité du présent litige et notamment à la taille de la société ALC Formation qui a réalisé un chiffre d’affaires total de 185.000 € pour l’exercice 2016-2017 et de 298.000 € pour l’exercice 2018. Elles soulignent que les deux sociétés relèvent de catégories différentes puisque la société Francis Lefebvre Formation appartient à un groupe très important tandis que la société ALC Formation est une TPE, dont Mme [F] est l’unique salariée ; qu’en outre, le nombre de clients et le chiffre d’affaires de la société ALC Formation n’a cessé de diminuer entre 2016 et 2020, le chiffre d’affaires réalisé avec d’anciens clients de la société FLF ne dépassant pas les 25% de son chiffre d’affaires total et ne concernant plus que deux clients de la société Francis Lefebvre Formation pour l’année 2019 puis aucun pour l’année 2020.
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L’appelante fait état, pour les clients détournés, d’un chiffre d’affaires en diminution de 18,6 % entre 2015 et 2016, passant de 326.829 € à 265.721 €, consécutivement au départ de Mme [F]. Elle indique que l’année suivante, en 2017, le chiffre d’affaires réalisé par la société Francis Lefebvre Formation pour ces mêmes clients a continué de s’effondrer en passant à 217.616 €, soit une baisse de 33,4 % par rapport à 2015.
Le tableau figurant dans ses conclusions retrace la perte de chiffre d’affaires par client entre 2015 et 2017. Il en ressort que s’agissant des clients Sofrapar, FCN et Louvre Hôtels, le chiffre d’affaires 2017 est devenu nul et que s’agissant des clients Groupe Alpha, Matmut, Natixis, Prysmian, CFAO et Ricoh, le chiffre d’affaires a sensiblement diminué.
La société Lefebvre Dalloz Compétences communique une attestation du commissaire aux comptes de la société Francis Lefebvre Formation relative à la marge sur coûts variables pour l’exercice clos le 31 décembre 2015. Il y est mentionné que le taux de marge sur coût variable s’établit à cette date à 55,3 % et que les méthodes et principales hypothèses utilisées pour calculer ce taux sont précisées dans un document joint qui n’est toutefois pas versé aux débats. Or, c’est ce taux qui a servi de base de calcul à l’appelante pour déterminer la perte de marge bénéficiaire. En outre, celle-ci ne communique aucun élément comptable pour corroborer les données contenues dans le tableau évoqué ci-dessus.
S’agissant du préjudice résultant de la détention des fichiers clients, la société Lefebvre Dalloz Compétences se livre à une appréciation qui n’est étayée par aucun élément tangible.
Le préjudice subi par l’appelante ne peut ainsi être constitué que d’une perte de chance de maintenir le chiffre d’affaires qu’elle réalisait avec les clients concernés.
Au vu de ces éléments et au regard des actes de concurrence déloyale précédemment caractérisés ainsi que de l’ampleur du détournement qui ont permis à la société ALC Formation de réaliser, dès ses deux premières années d’exercice un chiffre d’affaires conséquent (185.000 € pour l’exercice 2016-2017 et de 298.000 € pour l’exercice 2018 selon les propres déclarations des intimées), la cour évalue le préjudice subi par la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de la société Francis Lefebvre Formation, à la somme de 30.000 €, que Mme [F] et la société ALC Formation seront condamnées, in solidum, à lui payer à titre de dommages et intérêts, par infirmation du jugement déféré.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Au titre d’un appel incident, les intimées sollicitent la condamnation de la société Lefebvre Dalloz Compétences à leur verser la somme de 20.000 € pour Mme [F] et la somme de 30.000 € pour la société ALC Formation, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Elles considèrent que l’action engagée par la société Francis Lefebvre Formation a pour unique but de leur nuire, en particulier à Mme [F] ; que la société Francis Lefebvre Formation, qui les a fait assigner très tardivement à la suite des mesures in futurum, a sciemment fait s’éterniser le litige, ce qui a impacté de manière conséquente l’activité et l’état psychologique de Mme [F] ; qu’elle a en outre laissé perduré les faits litigieux pour gonfler artificiellement son prétendu préjudice afin de provoquer la disparition de la société ALC Formation du marché et démotiver Mme [F] de son projet d’entreprendre. Elles prétendent que la société Francis Lefebvre Formation a entretenu à l’égard de Mme [F] une animosité particulièrement importante.
La société Lefebvre Dalloz Compétences répond que son action est légitime et que les intimées ne démontrent aucune faute de la part de la société Francis Lefebvre Formation, ni aucune intention de nuire ou acte de malveillance.
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Le droit d’agir en justice ne dégénère en abus qu’en cas de faute équipollente au dol qui n’est pas caractérisé en l’espèce à l’égard de la société Lefebvre Dalloz Compétences, ce d’autant que des actes de concurrence déloyale sont caractérisés et justifient l’indemnisation de l’appelante. En conséquence, Mme [F] et la société ALC Formation doivent être déboutées de leur demande indemnitaire au titre de la procédure abusive, par infirmation du jugement déféré.
Sur les autres demandes
La société Lefebvre Dalloz Compétences demande à la cour de faire interdiction à la société ALC Formation et à Mme [F] d’utiliser son fichier clients, sous astreinte de 1.500 € par infraction constatée, et d’ordonner, sous astreinte également, la publication de la décision à intervenir sur le site internet de la société ALC Formation, pendant une durée de quinze jours.
Or, l’appelante n’apporte aucun argument à l’appui de ces demandes, étant rappelé que selon l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il n’y sera donc pas fait droit, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront infirmées.
Mme [F] et la société ALC Formation, qui succombent, supporteront les dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de constat ordonnés par le président du tribunal de commerce. Elles seront en outre condamnées in solidum à verser à la société Lefebvre Dalloz Compétences la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement rendu le 19 mai 2021 par le tribunal de commerce de Pontoise sauf en ce qu’il a débouté la société Francis Lefebvre Formation de ses demandes relatives à l’interdiction d’utilisation de son fichier clients et à la publication de la décision ainsi que de ses demandes d’astreintes associées ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE in solidum Mme [L] [P] épouse [F] [N] et la société ALC Formation à payer à la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de la société Francis Lefebvre Formation, la somme de 30.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif aux actes de concurrence déloyale ;
DÉBOUTE Mme [L] [P] épouse [F] [N] et la société ALC Formation de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE in solidum Mme [L] [P] épouse [F] [N] et la société ALC Formation aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de constat ordonnés par le président du tribunal de commerce ;
CONDAMNE in solidum Mme [L] [P] épouse [F] [N] et la société ALC Formation à payer à la société Lefebvre Dalloz Compétences, venant aux droits de la société Francis Lefebvre Formation, la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE Mme [L] [P] épouse [F] [N] et la société ALC Formation de leur demande de ce chef.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,