C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S
CHAMBRE SOCIALE – A –
Section 1
PRUD’HOMMES
Exp +GROSSES le 29 NOVEMBRE 2022 à
la SELARL 2BMP
la SELARL CONVERGENS
ARRÊT du : 29 NOVEMBRE 2022
MINUTE N° : – 22
N° RG 20/01920 – N° Portalis DBVN-V-B7E-GGYP
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE TOURS en date du 24 Septembre 2020 – Section : ACTIVITÉS DIVERSES
APPELANTE :
Madame [L] [O]
née le 27 Mars 1993 à [Localité 10]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Louis PALHETA de la SELARL 2BMP, avocat au barreau de TOURS
ET
INTIMÉS :
Maître [P] [C] agissant es qualité de mandataire judiciaire au Redressement
Judiciaire de la SAS FRANCECOL TECHNOLOGY
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Emilie GUERET de la SELARL CONVERGENS, avocat au barreau de TOURS
S.A.S. FRANCECOL TECHNOLOGY Prise en la personne de son représentant légal, son Président en exercice, domicilié es qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 5]
représentée par Me Emilie GUERET de la SELARL CONVERGENS, avocat au barreau de TOURS
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 4] représentée par sa Directrice nationale, Madame [B] [X], domiciliée au CGEA DE [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Alexis LEPAGE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
Ordonnance de clôture : 26 juillet 2022
Audience publique du 13 Septembre 2022 tenue par Mme Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller, et ce, en l’absence d’opposition des parties, assisté/e lors des débats de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier,
Après délibéré au cours duquel Mme Florence CHOUVIN-GALLIARD, Conseiller a rendu compte des débats à la Cour composée de :
Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,
Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,
Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller.
Puis le 29 Novembre 2022, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, président de la collégialité, assisté de Mme Fanny ANDREJEWSKI-PICARD, Greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant contrat de professionnalisation du 3 décembre 2015, la S.A.S Francecol Technology a engagé Mme [L] [O] en qualité de secrétaire administrative. La relation travail s’est ensuite poursuivie selon contrat de travail à durée indéterminée.
Par courrier du 27 avril 2018, Mme [L] [O] a informé la S.A.S Francecol Technology qu’elle envisageait de quitter les fonctions qu’elle exerçait pour se consacrer à de nouveaux projets professionnels. Les parties ont conclu une convention de rupture conventionnelle. La relation de travail a pris fin le 26 juillet 2018 à la suite de l’homologation tacite de la convention par la DIRECCTE.
Le 5 septembre 2018, Mme [L] [O] s’est plainte à son employeur de ce que la rupture conventionnelle lui aurait été imposée lui faisant perdre le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle. Elle lui a demandé de lui adresser son bulletin de paie du mois de juillet 2017, la photocopie de son contrat de travail, l’attestation employeur, le certificat de travail, le reçu de solde de tout compte ainsi que son bulletin de paie du mois de juillet 2018 outre six tickets restaurant du mois de mai 2018.
Le 11 juillet 2019, Mme [L] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Tours aux fins de voir juger qu’elle avait signé une rupture conventionnelle alors qu’il lui avait été dans un premier temps indiqué qu’elle ferait l’objet d’un licenciement pour motif économique et que la procédure de rupture conventionnelle n’était pas régulière. Elle a demandé la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes.
La S.A.S Francecol Technology a demandé au conseil de prud’hommes de débouter Mme [L] [O] de ses demandes et de le condamner aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 17 septembre 2019, la S.A.S Francecol Technology a été placée en redressement judiciaire, Maître [P] [C] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire. Un jugement homologuant le plan de redressement a été prononcé par le tribunal de commerce de Tours le 20 avril 2021, mettant fin à la mission du mandataire judiciaire.
Par jugement du 24 septembre 2020, auquel il est renvoyé pour un ample exposé du litige, le conseil de prud’hommes de Tours a :
– jugé la rupture conventionnelle conforme à la loi,
– débouté Mme [L] [O] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [L] [O] à payer à la S.A.S Francecol Technology la somme de 500 au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [L] [O] aux dépens.
Par déclaration adressée par voie électronique au greffe de la cour en date du 2 octobre 2020, Mme [L] [O] a relevé appel de cette décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 4 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l’article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles Mme [L] [O] demande à la cour de:
Dire et juger Mme [L] [O] tant recevable que bien fondée en son appel et en ses demandes.
En conséquence, réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, il plaira à la cour de prononcer la nullité de la rupture conventionnelle datée du 5 juin 2018, et dire et juger en conséquence la rupture du contrat de travail intervenue, nulle ou à défaut dépourvue de cause réelle et sérieuse, et condamner dès lors la S.A.S Francecol Technology à devoir régler à Mme [L] [O] les sommes suivantes :
– Indemnité de préavis 3 505,20 €
– Congés payés afférents 350,52 €
– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 12 000 €
Ordonner à Maître [P] [C], ès qualités de mandataire judiciaire au redressement de la S.A.S Francecol Technology d’avoir à inscrire au passif de ladite société les condamnations prononcées.
Déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA gestionnaire de l’AGS, qui devra sa garantie dans les limites fixées par la loi.
Condamner la S.A.S Francecol Technology aux entiers dépens qui comprendront les frais éventuels d’exécution et au paiement d’une somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 1er juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l’article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles la S.A.S Francecol Technology et Maître [P] [C], ès qualités de mandataire judiciaire au redressement de la S.A.S Francecol Technology , formant appel incident, demandent à la cour de:
Mettre hors de cause Maître [P] [C], ès qualités de mandataire judiciaire au redressement de la S.A.S Francecol Technology , son mandat ayant pris fin le 21 avril 2021,
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Tours en date du 24 septembre 2020 dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamner Mme [L] [O] à verser à la S.A.S Francecol Technology une somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamner Mme [L] [O] à verser à la S.A.S Francecol Technology une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le 4 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en application de l’article 455 du code de procédure civile, aux termes desquelles l’AGS intervenant par l’UNEDIC- C.G.E.A de [Localité 4] demande à la cour de :
Prononcer la mise hors de cause pure et simple de l’AGS, notamment au regard du jugement d’homologation de plan en date du 20 avril 2021.
En toute hypothèse,
Confirmer en tout point la décision entreprise.
S’entendre Mme [L] [O] déboutée de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
A titre subsidiaire,
Dire et juger que les éventuels dommages et intérêts auxquels pourrait prétendre l’intéressée, seront nécessairement plafonnés selon les dispositions nouvelles de l’article L. 1235-3 code du travail.
Fixer les dommages et intérêts dans la limite de ce plafond.
En toute hypothèse,
Déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA en qualité de gestionnaire de l’AGS, dans les limites prévues aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail.
La garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D. 3253-5 du code du travail. En l’espèce, le plafond applicable est le plafond 6.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 juillet 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de mise hors de cause du mandataire judiciaire et de l’AGS
Par jugement du 20 avril 2021, le tribunal de commerce de Tours a homologué le plan de redressement de la S.A.S Francecol Technology et a mis fin à la mission du mandataire judiciaire.
Par ordonnance du 10 novembre 2021, le président du tribunal de commerce de Tours a prononcé la clôture de la procédure de redressement judiciaire de la S.A.S Francecol Technology.
Celle-ci étant redevenue in bonis, il y a lieu de prononcer la mise hors de cause de Maître [P] [C] ès qualités et de l’UNEDIC – Délégation AGS C.G.E.A de [Localité 4].
Sur la rupture du contrat de travail
A titre liminaire, il y a lieu de relever que si, dans son courrier du 5 septembre 2018, Mme [L] [O] se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un licenciement économique, elle n’allègue pas que la procédure de rupture conventionnelle serait nulle en raison d’une fraude sur les délais ou d’une absence d’entretien. Elle n’expose pas avoir été obligée de signer un document antidaté. Ce n’est que plusieurs mois après ce courrier qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes pour voir juger qu’il existait une fraude justifiant l’annulation de la rupture.
Sur l’existence d’une fraude en raison d’un document antidaté
En application de l’article L.1237-13 du code du travail, une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l’homologation de cette convention à l’autorité administrative avant l’expiration du délai de rétractation de quinze jours calendaires.
En l’espèce, le formulaire Cerfa de rupture conventionnelle mentionne un premier entretien le 28 mai 2018 puis un autre le 5 juin 2018 avec une date de signature : « 05/06/2018 » sous laquelle figure la signature de la salariée avec la mention manuscrite « lu et approuvé ».
Au soutien de son argumentation selon laquelle le document serait antidaté, Mme [L] [O] produit l’attestation de Mme [G] [U], étudiante, qui indique que lors de son stage au sein de la S.A.S Francecol Technology du 21 mai au 7 juillet 2018, concernant la rupture conventionnelle signée par Mme [L] [O], selon ses termes exacts : « Monsieur [V] m’a chargé de transmettre tous les document et à les faire signer par Madame [O] le lundi 18 juin. Elle est venu les signés [sic] le lendemain soit le 19 juin 2018 ». Elle ajoute également qu’il n’y aurait eu aucun entretien.
Cette attestation n’emporte pas la conviction de la cour dans la mesure où Mme [U] n’étaye pas son affirmation selon laquelle il n’y aurait eu aucun entretien. Cette attestation est contredite par l’ensemble des pièces versées aux débats par la salariée elle-même (convocation, récépissé d’information, Cerfa de rupture conventionnelle, protocole de rupture), toutes datées et signées par la salariée et par le courriel qu’elle a adressé au comptable le 29 mai 2018 dans laquelle elle écrit : « J’ai pu échanger sur les modalités de rupture conventionnelle avec M. [K]. Tout d’abord, veuillez trouver ci-joint les documents suivants dûment signés :
‘ ma lettre de demande de rupture conventionnelle datée du 27/04/2018
‘ votre coupon-réponse du 24/05/2018
‘ et votre fiche informative du 15/05/2018. ».
Ce courriel confirme bien qu’il a eu un entretien antérieur au 29 mai 2018, soit comme indiqué dans les documents de rupture le 28 mai 2018, que les documents cités lui ont été remis et qu’ils n’ont donc pas été remis par Mme [U] comme celle-ci l’atteste.
Les courriels ultérieurs produit par la S.A.S Francecol Technology entre elle-même et son comptable – tels que le courriel adressé par l’employeur à la salariée le 4 juin 2018 indiquant qu’il « transmet la convention de rupture demain », soit la veille du jour du second entretien au cours duquel la rupture conventionnelle a été signée – prouvent que le 5 juin 2018 la procédure était finalisée et conduite conformément aux textes légaux.
Mme [L] [O] est déboutée de sa demande de voir prononcer la nullité de la rupture conventionnelle et de voir dire que cette rupture produit les effets d’un licenciement nul.
Sur l’existence d’un vice du consentement
L’article L. 1237-11 du code du travail dispose que l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties.
Il n’est aucunement établi que la rupture conventionnelle aurait été imposée à Mme [L] [O] par l’employeur afin de faire des économies en évitant un licenciement pour motif économique. C’est d’ailleurs la salariée qui a pris l’initiative de solliciter de son employeur une rupture conventionnelle dans un courrier du 27 avril 2018, indiquant souhaiter se consacrer à d’autres projets professionnels. Il n’est aucunement démontré que ce courrier aurait été écrit à la demande de l’employeur. Il n’est produit aucune pièce de nature à démontrer qu’il aurait été envisagé son licenciement économique.
À titre surabondant, l’employeur justifie en produisant la liasse fiscale et les comptes annuels pour l’exercice clos au 31 décembre 2017 qu’aucune difficulté au premier semestre 2018 ne justifiait un licenciement pour motif économique contrairement à ce que soutient la salariée.
Au vu de l’ensemble des documents produits tant par l’employeur que par la salariée elle-même, il en ressort que la procédure de rupture conventionnelle a été respectée et que la convention n’est affectée d’aucun vice du consentement.
La demande tendant à voir dire que la rupture produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse est rejetée.
Le jugement du conseil de prud’hommes de Tours est confirmé en ce qu’il a débouté Mme [L] [O] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.
Bien qu’il n’ait pas été fait droit aux demandes de la salariée, son action ne présente pas de caractère abusif.
Il y a lieu de débouter l’employeur de ce chef de demande.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge de la salariée, partie succombante.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à l’employeur la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l’employeur l’intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé entre les parties le 24 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Tours ;
Y ajoutant :
Met hors de cause Maître [P] [C] ès qualités et l’UNEDIC – Délégation AGS C.G.E.A de [Localité 4] ;
Déboute la S.A.S Francecol Technology de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne Mme [L] [O] à payer à la S.A.S Francecol Technology la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre ;
Condamne Mme [L] [O] aux dépens d’appel.
Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre, président de la collégialité, et par le greffier
Fanny ANDREJEWSKI-PICARD Alexandre DAVID