Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 25 MAI 2022
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03116 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OOO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F16/12403
APPELANTE
Madame [S] [G] épouse [H]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jessica CHUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0595
INTIMÉE
SOCIÉTÉ INVESTANCE PARTNERS venant aux droits de la SOCIÉTÉ INVESTANCE SOLUTIONS
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Xavier CHILOUX de la SELEURL XAVIER CHILOUX AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P051
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat du 15 novembre 2010, la société Investance Solutions a engagé Mme [G] épouse [H] en qualité de ‘Business Developper’ en conseil et en ingénierie. La salariée était soumise à un forfait de 218 jours de travail par an.
La société emploie plus de onze salariés et applique la convention collective du personnel des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite convention Syntec, du 15 décembre 1987.
La salariée a été élue déléguée du personnel suppléante le 13 mars 2015. Par lettre du 10 décembre 2015, dont l’authenticité est contestée, la salariée, en congé maternité à compter du 18 décembre 2015, a démissionné de son mandat. Les parties ont signé le 19 mai 2016 une convention de rupture conventionnelle et le contrat de travail a pris fin le 28 juin 2016.
Soutenant que cette convention serait nulle et estimant ne pas être remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud’homale le 14 décembre 2016.
Par jugement du 31 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et a rejeté celle de l’employeur au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 1er mars 2019, la salariée a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 12 février.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 février 2022, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
– juger que la société Investance Partners, venant aux droits de la société Investance Solutions, a commis des manquements graves pendant l’exécution du contrat de travail,
– juger nulle la rupture conventionnelle et requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement nul pour violation du statut protecteur de la salariée,
– subsidiairement, juger que la nullité de la rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société au paiement des sommes de :
-10 000 euros de dommages-intérêts pour manquements fautifs de l’employeur au titre de l’exécution du contrat de travail,
– 47 125 euros d’indemnité pour violation du statut protecteur si la cour retenait un licenciement nul,
– 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
– 7 041 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 9 750 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 975 euros au titre des congés payés afférents,
– ordonner la compensation entre ces créances et le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle reçue par la salariée,
– ordonner la remise d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle Emploi et des bulletins de paie rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par infraction, passé un délai de 15 jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,
– condamner la société à lui verser 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions transmises le 19 juillet 2019, l’intimée sollicite la confirmation du jugement et le versement à son profit de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
La clôture de l’instruction est intervenue le 8 mars 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 mars.
MOTIFS
Sur la demande de nullité du licenciement
La salariée soutient que l’employeur aurait commis une fraude en antidatant sa lettre de démission de son mandat de délégué du personnel suppléant, ce que conteste l’intéressé.
La bonne foi étant présumée, il appartient à la salariée de démontrer la fraude alléguée.
Au soutien de son allégation selon laquelle l’employeur aurait exigé en contrepartie de la signature de la rupture conventionnelle qu’elle lui remette deux lettres antidatées, l’une dans laquelle elle indiquait démissionner de son mandat à la date du 10 décembre 2015, et l’autre selon laquelle elle serait à l’initiative de la rupture conventionnelle, la salariée verse aux débats une copie de sa lettre de démission et un procès-verbal de constat d’huissier du 30 mai 2016, dans lequel cet officier ministériel constate que la salariée lui ‘présente un document manuscrit original indiquant une date de remise du 10 décembre 2015. Je constate que la lettre est rédigée à la main et à l’encre bleue. Je procède à une copie de celle-ci en noir et blanc.’
Les constatations opérées par l’officier ministériel valent jusqu’à inscription de faux. Dès lors, la cour retient que la salariée lui a présenté l’original de sa lettre de démission, qui a été remise ensuite à l’employeur. Ce dernier ne produit que des photocopies de la lettre de démission et la cour constate de surcroît que les ratures ou corrections sont identiques sur chacun des exemplaires produits par les parties.
Enfin, l’employeur ne critique pas les échanges de ‘sms’ versés aux débats par la salariée relativement au fait que ‘mon mari repasse mardi pour récup ma RC’.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que la salariée établit la fraude de l’employeur et que la rupture conventionnelle, signée sans autorisation préalable de l’inspecteur du travail, en violation des dispositions d’ordre public de l’article L.1237-15 du code du travail, est nulle et produit les effets d’un licenciement nul. La cour infirme le jugement sur ce point.
Sur les conséquences financières de la nullité de la rupture
Le salarié protégé dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé sans autorisation administrative et qui ne demande pas sa réintégration a droit aux indemnités de rupture, à une indemnité pour rupture illicite et à une indemnité pour violation du statut protecteur.
Le délégué du personnel a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu’il aurait perçue depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection, dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois.
La salariée, élue le 13 mars 2015, a donc droit à une indemnité correspondant à la rémunération qu’elle aurait perçue du 29 juin 2016, date de son éviction, jusqu’au 13 septembre 2017.
Elle percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 3 000 euros, outre un treizième mois. La cour condamne en conséquence l’employeur au paiement des sommes suivantes :
– 47 125 euros d’indemnité pour violation de son statut protecteur,
– 9 750 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 975 euros au titre des congés payés afférents,
– 7 041 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, la salariée peut en outre prétendre au paiement d’une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de sa demande, la cour lui alloue 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquements de l’employeur pendant l’exécution du contrat de travail
La salariée soutient avoir subi des agissements violents de ses managers en 2013, puis à son retour de congé maternité en 2016. Elle reproche également à son employeur un non-respect des obligations légales relatives au forfait-jours, et plus particulièrement, de ne pas avoir surveillé sa charge de travail.
Elle ne caractérise toutefois pas le préjudice résultant de cette carence de l’employeur, la cour constatant au demeurant qu’elle n’est pas saisie d’une demande de paiement d’heures supplémentaires.
S’agissant du premier point, la salariée verse aux débats un mail d’alerte du 13 janvier 2014 relevant des crises de larmes de la salariée et d’une autre personne et précisant ‘les deux personnes dénoncent une situation de stress difficile dans leur bureau au 2ème étage (bureaux des commerciaux)’, des mails ultérieurs sortis de leur contexte et enfin un mail du 12 mai 2016 dans lequel elle indique ‘j’étais plus ou moins sortie, après novembre 2014, des années de terreur passées avec deux responsables’, sans autre précision ni production d’éléments objectifs appuyant ses propres déclarations. Ce manquement de l’employeur n’est pas établi.
Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur les autres demandes
Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt.
La compensation entre ces créances et les sommes perçues en exécution de la convention de rupture conventionnelle sera ordonnée.
Il y a lieu d’enjoindre à l’employeur de remettre à la salariée une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif rectifiés, sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.
L’équité commande d’allouer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur au titre de l’exécution du contrat de travail ;
– L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Prononce la nullité de la rupture conventionnelle signée le 19 mai 2016 et dit qu’elle produit les effets d’un licenciement nul ;
– Condamne la société Investance Partners venant aux droits de la société Investance Solutions à payer à Mme [H] les sommes de :
– 47 125 euros d’indemnité pour violation de son statut protecteur ;
– 9 750 euros d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 975 euros au titre des congés payés affférents ;
– 7 041 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Investance Partners venant aux droits de la société Investance Solutions, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt ;
– Ordonne la compensation entre ces sommes et celles perçues en exécution de la convention de rupture annulée ;
– Enjoint à la société Investance Partners de remettre à Mme [H] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt ;
– Rejette la demande d’astreinte ;
– Condamne la société Investance Partners à verser à Mme [H] 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la société Investance Partners aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE