SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2019
Rejet non spécialement motivé
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10903 F
Pourvoi n° J 18-18.273
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par M. R… Y…, domicilié […] ,
contre l’arrêt rendu le 12 avril 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l’opposant à la société Eridanis France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
défenderesse à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l’audience publique du 2 juillet 2019, où étaient présents : Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Ricour, conseiller, Mme Pontonnier, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. Y…, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Eridanis France ;
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l’article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l’encontre de la décision attaquée, n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. Y….
Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR dit que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail, dit le conseil de prud’hommes de Paris incompétent, D’AVOIR déclaré le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître du litige, et D’AVOIR renvoyé l’affaire devant cette juridiction pour qu’il soit statué sur le fond du litige ;
AUX MOTIFS PROPRES QU’Aux termes de l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce même code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu’ils emploient. Il règle les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti. Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination, lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution. L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur. L’existence d’un lien de subordination n’est pas incompatible avec une indépendance technique dans l’exécution de la prestation. Un mandat social n’est pas incompatible avec un contrat de travail. Toutefois, pour que le cumul soit possible, il faut que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif s’entendant de fonctions techniques distinctes de celles de direction, donnant lieu en principe à rémunération distincte, exercée dans le cadre d’un lien de subordination vis-à-vis de la société et dans des conditions exclusives de toute fraude à la loi. Ces règles sont applicables aux fonctions de dirigeant. Il appartient au dirigeant social qui se prévaut d’un contrat de travail d’en apporter la preuve, même en présence d’un contrat de travail écrit ou apparent. R… Y… invoque l’existence d’un contrat de travail apparent résultant de la remise de bulletins de salaire et fait valoir que : – son statut de directeur général était purement fictif, ces fonctions étant occupées en réalité par Z… A…, directeur des opérations France, engagé à compter du 24 septembre 2014 selon un contrat de travail à durée indéterminée – il est entré en fait en fonction le 1er octobre 2014, il exerçait des fonctions de directeur technique, il n’avait aucune autonomie, et ne prenait aucune décision administrative ou financière ou de gestion, il était placé dans un lien de subordination dès lors que des objectifs lui étaient fixés, il pilotait la direction technique de la société. La SAS Eridanis France conteste ces affirmations et soutient que R… Y… n’exerçait aucune fonction technique distincte de son mandat social. Elle souligne le fait que c’est lui qui présidait les réunions hebdomadaires avec l’équipe de la SAS Eridanis France, qu’il est présenté comme directeur général de la société et comme pilotant « également la direction technique du groupe ». Elle précise qu’il ne percevait pas de rémunération spécifique au titre de fonctions techniques et qu’en aucun cas il n’a été placé dans un lien de subordination. Selon son extrait Kbis, la SAS Eridanis a été constituée le 24 septembre 2014 puis immatriculée le 14 novembre 2014, avec comme président S… U… et comme directeur général R… Y…. Cette société a pour associé unique la SA Robinson Technologies. Aux termes d’un procès-verbal en date du 29 octobre 2014, cette société a pris la décision d’attribuer à R… Y… une rémunération à effet rétroactif au 1er octobre 2014 constituée d’une partie fixe d’un montant mensuel de 6 116,66 € et d’une partie variable d’un montant annuel brut de 15 000 E à objectifs atteints, et prévoyant le remboursement sur justificatif des frais de représentation et de déplacement, et d’une manière générale des dépenses engagées pour le compte et dans l’intérêt de la société. Il était également décidé en cette même occasion d’autoriser R… Y… à : « – négocier et signer tout type de contrats et tout document ayant trait aux affaires commerciales clans la limite de 800 000 euros ; – négocier et contracter tout contrat de partenariat et coopération dont le montant ne pourra être supérieur à 800 000 euros ; négocier et conclure les contrats annexes connexes dont les engagements n’excèdent pas 800 000 euros ». Il est en outre ajouté que R… Y… « aura la responsabilité de conclure tous les contrats de travail des salariés qui seront sous sa subordination, dans la limite de 60 000 euros bruts annuels par contrat de travail », au-delà, qu’il « devra obtenir l’autorisation de M. S… U…, Président » et « par exception » qu’il « ne pourra pas conclure de contrat de travail visant à embaucher du personnel de structure, sauf autorisation expresse de M. S… U…, Président ». Contrairement à ce que R… Y… affirme les courriels échangés le 16 février 2015 (pièce n°17 et 18) entre ce dernier, Z… A… et S… U… ayant pour objet le paiement de leur rémunération variable ne permettent pas de constater qu’Z… A… se comportait en directeur général à son égard, quand bien même il signait en tant que «CEO», T… I… attestant qu’il était effectivement « CEO d’Eridanis U.K ». Les comptes rendus de réunion sont tout aussi inopérants, l’intervention de R… Y… au regard des enjeux et des clients concernés (à titre d’exemple Areva ou Vinci) sont conformes aux missions qui lui ont été dévolues en sa qualité de directeur général, telles que rapportées ci-dessus. Si dans des documents destinés aux tiers, business plan 2015-2016 (pièce 14) et bulletin hebdomadaire du 15 février 2015 (pièce n°41) R… Y… est présenté comme «CTO» et s’il est mentionné dans la «Vie Des Entreprises» tout à la fois qu’il est co-fondateur de la SAS Eridanis dont il « pilote la direction technique », pour autant rien ne permet d’établir que : – il exerçait en plus de son mandat social des fonctions techniques distinctes dont il y a lieu au demeurant de relever qu’elles ne sont nullement décrites ni explicitées par l’intéressé dans ses conclusions, recevait des instructions, ordres ou de directives, – la SAS Eridanis usait de moyens de contrôle qui lui auraient permis d’en vérifier la bonne exécution et encore moins qu’elle a pu faire un quelconque usage de son pouvoir disciplinaire envers lui. Au contraire la SAS Eridanis produit de nombreuses pièces montrant que c’est bien en qualité de directeur général que : – il a conclu une convention de rupture conventionnelle avec Laurent M. ainsi qu’un contrat de travail à durée indéterminée en date du 16 février 2015, – il s’adresse à Laure-Anne U… le 14 novembre 2015 : » je rebondis sur la demande de M. J… pour te demander les pièces dans le cadre de l’augmentation du capital d’Eridanis France de la semaine prochaine », il a signé plusieurs accords de confidentialité en février 2015, il a conclu le bail commercial du 13 mai 2005 concernant des locaux situés à […]. La teneur des échanges entre les parties ne permet pas plus de caractériser un quelconque lien de subordination de R… Y… à l’égard de la SAS Eridanis et notamment d’Z… A…. Dans un courriel en date du 25 février 2016 ayant pour objet « KPI commerce Eridanis », R… Y… écrit : « Voici le tableau commercial que je veux voir vivre : […1 Z…/ N…, Je suis dispo pour affiner des points mais je pense que ce sont les bons KPI. », le ton utilisé montrant sans ambiguïté qu’il ne s’adressait pas comme il le prétend à un supérieur hiérarchique. Par ailleurs, N… B… atteste que le brevet co-déposé par GRTGAZ et la SAS Eridanis a fait l’objet d’un accord aux termes duquel R… Y… « directeur général de l’entreprise apparaîtrait en tant qu’inventeur comme mandataire de la société Eridanis pour les besoins administratifs ». Enfin la cour relève que R… Y… ne peut s’être mépris sur la nature de sa rémunération laquelle n’était pas soumise à cotisation sociale. Aucune des pièces produites n’établit que R… Y… exerçait des fonctions techniques distinctes de son mandat social de directeur général, La preuve de la réalité du lien de subordination alléguée n’est de plus pas rapportée. Le litige qui oppose les parties ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes. Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de dire que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail, de dire le conseil de prud’hommes de Paris incompétent, de dire le tribunal de commerce de Paris compétent et de renvoyer l’affaire devant cette juridiction pour qu’il soit statué sur le fond du litige.
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES QUE, à les supposer adoptés, Sur la nature de la relation de travail Attendu que l’article L 1411-1 du Code du Travail dispose que : « le Conseil de Prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux disposions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. II juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti » ; que le Conseil de prud’hommes n’est pas compétent s’agissant des litiges opposants un mandataire social à la société qu’il représente en l’absence de tout contrat de travail liant les parties ; que la preuve de l’existence d’un tel contrat de travail parallèlement au mandat social repose sur le demandeur qui doit démontrer qu’il exerçait également des fonctions techniques et bénéficiait à ce titre d’une rémunération distincte de celle perçue en sa qualité de mandataire social mais aussi l’existence d’un lien de subordination ; Attendu que Monsieur Y… n’apporte aucun élément permettant de constater l’existence de ces éléments constitutifs d’un contrat de travail, le Conseil n’est pas compétent ;
1°) ALORS QU’en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ; que la preuve du contrat de travail apparent peut être rapportée par tous moyens ; que la production de plusieurs bulletins de paye sur plusieurs années permet, notamment, de retenir l’existence d’un contrat de travail apparent ; qu’en l’espèce, M. Y… a produit une proposition d’embauche, 15 bulletins de paie d’octobre 2014 à décembre 2015, 21 notes de frais soumises à validation de son responsable hiérarchique, 4 comptes rendus de réunions de travail, 2 organigrammes de la société, des bulletins d’information internes, des extraits de presse spécialisée, des emails, une fiche d’aptitude de la médecine du travail, ainsi que 3 attestations de salariés démontrant qu’il occupait en réalité le poste de directeur technique salarié, placé sous la subordination de M. A…, exerçant de fait les fonctions de directeur général, et de M. U…, président directeur général de la société ; que M. Y… a, sur la base de ces éléments, fait valoir qu’il était titulaire d’un contrat de travail apparent (cf. conclusions d’appel du salarié p. 7 à 12) ; qu’en affirmant néanmoins qu’il appartient au dirigeant social qui se prévaut d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve, même en présence d’un contrat de travail écrit ou apparent (cf. arrêt attaqué p.3), la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du code civil, devenu l’article 1353 ;
2°) ALORS QUE selon l’article L.1221-1 du code du travail, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en l’espèce, M. Y… a produit des organigrammes, de nombreux mails et plusieurs attestations de témoins démontrant qu’il ne disposait d’aucune autonomie, que les décisions importantes étaient prises par M. A… (choix des locaux, création de la société, déménagement, embauches), que la direction lui avait toujours refusé l’accès aux comptes bancaires ainsi que la signature bancaire (cf. conclusions d’appel du salarié p. 7 à 12) ; qu’en affirmant néanmoins que la preuve de la réalité du lien de subordination n’était pas rapportée (cf. arrêt attaqué p. 5), après avoir relevé, de manière inopérante, que M. Y… avait signé une convention de rupture, des accords de confidentialité, un bail et un dépôt de brevet, tandis que ces éléments n’établissaient en rien que c’était M. Y… qui avait auparavant pris les décisions afférentes de manière autonome, ou en relevant qu’il s’était adressé, dans deux courriels à M. A… et Mme U…, sur un ton affirmé, quand le salarié avait produit de son côté une trentaine de courriel démontrant son absence d’autonomie, de sorte qu’il résultait des pièces produites que l’intéressé avait exercé ses fonctions de manière continue dans des conditions l’intégrant à un service organisé de la société Eridanis France, sous la direction et le contrôle de cette dernière, ce qui caractérisait l’existence d’un lien de subordination, la cour d’appel a violé l’article L.1221-1 du code du travail ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut modifier l’objet du litige ; qu’en l’espèce, pour juger qu’aucune des pièces produites n’établissait que M. Y… exerçait des fonctions techniques distinctes de son mandat social de directeur général et que la preuve de la réalité du lien de subordination n’était pas rapportée (cf. arrêt attaqué p. 5), la cour d’appel a relevé que M. Y… ne pouvait s’être « mépris sur la nature de sa rémunération laquelle n’était pas soumise à cotisation sociale » (cf. arrêt attaqué p. 4) ; qu’en statuant ainsi, tandis que la société Eridanis France faisait valoir dans ses écritures que « Monsieur R… Y… était affilié au régime général de la sécurité sociale et sa rémunération était donc soumise au paiement des cotisations sociales correspondantes ce qui oblige la société à l’établissement d’un bulletin de paie » (cf. conclusions d’appel de l’employeur p. 10), la cour d’appel a méconnu l’objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU’en outre, la requalification de la relation de travail en contrat de travail tend précisément à lui redonner sa véritable qualification dans une situation où le salarié, travaillant en réalité dans une situation subordonnée, n’a pas bénéficié d’un contrat de travail mais a été placé dans une situation aboutissant à éluder l’application du régime juridique du salariat, en particulier le paiement par l’employeur de cotisations sociales ; qu’en l’espèce, en relevant dès lors de manière radicalement inopérante que M. Y… ne pouvait pas s’être mépris sur la nature de sa rémunération qui n’était pas soumise à cotisation sociale, quand une telle circonstance, à la supposer même avérée, n’était pas de nature à écarter l’existence d’un lien de subordination, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs impropres à écarter l’existence d’un lien de subordination, et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 et suivants du code du travail ;
5°) ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que tel est le cas, lorsque l’employeur a le pouvoir de sanctionner, d’une manière ou d’une autre, la mauvaise exécution de la prestation du salarié en tirant les conséquences des manquements de ce dernier ; que les juges du fond doivent à cet égard rechercher si l’employeur a le pouvoir de sanctionner, et non pas seulement s’il a effectivement fait usage de ce pouvoir ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, pour exclure l’existence d’un contrat de travail, s’est bornée à relever que rien ne permettait d’établir que la société Eridanis France usait de moyens de contrôle qui lui auraient permis de vérifier la bonne exécution de ses instructions, ordres ou directives et encore moins qu’elle avait pu faire un quelconque usage de son pouvoir disciplinaire envers M. Y… (cf. arrêt attaqué p.4) ; qu’en se déterminant par des tels motifs, impropres à exclure tout pouvoir de sanction de la part de la société, et sans rechercher si celle-ci ne disposait pas de fait du pouvoir de le sanctionner par une rupture anticipée de la relation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail.