Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 18 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/05466 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OJAI
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 01 JUILLET 2019 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE MONTPELLIER – N° RG F17/01329
APPELANTE :
Madame [F] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Philippe BEZ et par Me DELOUP de la SCP BEZ, DURAND, DELOUP, GAYET, avocat au barreau de MONTPELLIER,
INTIMEE :
SAS KAWNEER FRANCE représentée par son mandataire social en exercice;
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Marie BARDEAU FRAPPA de la SELARL BLG AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 26 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 NOVEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre
Mme Caroline CHICLET, Conseiller
Mme Florence FERRANET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
[F] [S] a été embauchée par la société KAWNEER FRANCE à compter 24 juillet 2007. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable administrative avec un salaire mensuel brut hors prime de 3 400€.
Elle a été en arrêt de travail pour maladie du 14 novembre au 25 décembre 2016 puis, de manière continue, à compter du 13 janvier 2017.
Le 12 septembre 2017, elle a été déclarée par le médecin du travail ‘inapte à tous les postes… inaptitude en référence à l’article R. 4624-42 du code du travail, l’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’.
Elle a été licenciée par lettre du 4 octobre 2017 pour inaptitude définitive à tous les postes de l’entreprise.
Estimant que son licenciement était injustifié, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 1er juillet 2019, l’a déboutée de ses demandes.
[F] [S] a interjeté appel. Elle conclut à l’infirmation, à l’octroi de :
– la somme de 30 000€ à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de prévention du harcèlement moral,
– la somme de 30 000€ à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation d’interdiction des actes de harcèlement moral,
– la somme de 2 888,16€à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,
– la somme de 100 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (ou, à titre subsidiaire, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse),
– la somme de 12 793,32€ à titre de rappel d’indemnité compensatrice de préavis,
– la somme de 1 273,33€ à titre de congés payés sur rappel d’indemnité compensatrice de préavis,
– la somme de 2 447,85€ à titre de rappel d’indemnité de licenciement,
– la somme de 1 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
et à la condamnation sous astreinte de la SAS KAWNEER FRANCE à lui remettre des bulletins de paie et une attestation destinée à pôle emploi rectifiés ainsi qu’à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux compétents.
La SAS KAWNEER FRANCE demande de confirmer le jugement et de lui allouer la somme de 1 500,00€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral :
Attendu qu’il résulte des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient donc à la cour :
1) d’examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits,
2) d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail,
3) dans l’affirmative, d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
1- Attendu qu’en l’espèce, [F] [S] expose :
– qu’entre les mois d’octobre 2007 et de mars 2008, elle a été victime d’agissements de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique qui l’avait déchargée d’une partie de ses responsabilités et lui faisait subir des remarques dévalorisantes et menaçantes ;
– qu’à partir du 4 janvier 2017 :
– il lui a été retiré deux dossiers importants qui lui avaient été personnellement confiés ;
– elle a été tenue à l’écart d’une réunion où elle devait être présente ;
– la réunion qu’elle tenait tous les lundis avec sa collaboratrice a été supprimée sans qu’elle en soit informée ;
– sa supérieure a tenté d’obtenir l’autorisation d’accéder à sa messagerie personnelle alors qu’elle était présente dans l’entreprise ;
– il lui a été proposé de conclure une rupture conventionnelle de son contrat de travail ;
– elle a été conviée ‘tout au long des jours suivants’ à des réunions où elle a dû fournir toutes les informations dont elle disposait sur les dossiers qu’elle traitait ;
– elle a appris qu’il avait été demandé de manière ‘inhumaine’ à sa soeur de calculer le montant de son indemnité de licenciement ;
– cette situation a dégénéré en un ‘syndrome anxiodépressif… ne lui permettant pas de reprendre une activité professionnelle’ ;
– elle a disparu de l’organigramme de la société le 29 septembre 2017 ;
2- Attendu que l’action au titre du harcèlement moral, engagée peu après le licenciement, n’est pas prescrite, en sorte qu’il convient d’analyser l’ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission ;
Attendu qu’aucun élément du dossier n’établit les agissements de harcèlement moral dont [F] [S] aurait été victime de la part de sa supérieure hiérarchique en 2007 et 2008 ;
Qu’en outre, afin de couper court à toute difficulté relationnelle entre elle et sa supérieure directe, son poste de travail a été très rapidement redéfini ;
Qu’elle a également accédé au statut de cadre en 2011, avec une fonction de responsable administrative, puis a bénéficié aux mois d’avril et de juillet 2016 de deux augmentations importantes de rémunération, d’un montant total de 950€, ce qui établit toute l’estime dans laquelle elle était tenue par le président de la société ;
Attendu, de même, concernant la période postérieure au 4 janvier 2017, que [F] [S] n’apporte aucun élément susceptible d’apporter la preuve que sa supérieure aurait souhaité accéder à sa messagerie personnelle alors qu’elle était présente sur son lieu de travail :
Qu’elle ne démontre pas davantage qu’elle aurait été conviée ‘tout au long des jours suivants’ à de plusieurs réunions où elle aurait dû fournir toutes les informations utiles sur les dossiers qu’elle traitait ;
Attendu qu’en revanche, elle établit matériellement les autres faits qu’elle invoque par les divers messages électroniques et certificats médicaux qu’elle fournit, faisant ainsi ressortir que sa demande est fondée sur des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ;
3- Attendu qu’en réponse, la SAS KAWNEER FRANCE expose :
– que pendant l’absence pour maladie de [F] [S], du 14 novembre au 25 décembre 2016, d’autres salariés de l’entreprise ont été chargés des deux dossiers qu’elle invoque, qui ont constaté diverses irrégularités ;
– qu’à son retour, il a donc été décidé de redistribuer ces dossiers, sans, pour autant, que les primes correspondantes lui soient retirées ;
– qu’au mois de novembre 2016, soit moins de deux mois avant les agissements invoqués, il lui a été accordé une prime d’objectif de 100%, soit le montant maximum possible ;
– que dans son message du 10 janvier 2017, sa collaboratrice (non exclusive) lui a demandé de lui proposer un ‘nouveau créneau horaire’ à la place de la réunion hebdomadaire annulée ;
– qu’une proposition de rupture conventionnelle ne s’analyse pas en un comportement de harcèlement moral ;
– que le calcul des indemnités de rupture revenant aux salariés de son service entrait dans les attributions de sa soeur et ne présente en lui-même aucun caractère vexatoire ;
– qu’il n’est pas illogique que, compte tenu de son absence pour maladie depuis plusieurs mois, elle n’ait pas figuré sur l’organigramme de la société mis à jour le 29 septembre 2017 ;
– que le 6 janvier 2017, soit une semaine seulement avant son arrêt de travail définitif, elle avait été déclarée apte à son poste par le médecin du travail ;
Attendu que l’usage par l’employeur de son pouvoir de direction comporte l’affectation des dossiers à traiter ;
Que, non seulement, les primes affectées aux deux dossiers en cause ont été maintenues à [F] [S] mais qu’il lui avait été accordé, moins de deux mois avant son arrêt de travail du 13 janvier 2017, la prime maximale à laquelle elle pouvait prétendre ;
Que sa collaboratrice ne lui avait pas davantage été retirée, leur entretien hebdomadaire ayant été seulement décalé ;
Qu’enfin, les autres agissements qu’elle invoque ne constituent pas des agissements de harcèlement moral, étant observé que le salarié peut toujours refuser de signer une convention de rupture conventionnelle ;
Attendu qu’il en résulte que, même pris dans leur ensemble, les faits matériellement établis dénoncés par la salariée ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que les décisions de l’employeur sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que les demandes à ce titre seront donc rejetées ;
Sur le licenciement :
1- Attendu que lorsque le médecin du travail déclare inapte un salarié et mentionne expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi est gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, ce qui est le cas, l’employeur peut mettre fin au contrat de travail sans être tenu au préalable de rechercher un reclassement, ni de consulter les représentants du personnel;
Attendu qu’ainsi, licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
2- Attendu que, selon l’article R. 1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, le tiers des trois derniers mois, étant entendu que, dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, qui aura été versée au salarié pendant cette période, ne sera prise en compte que dans la limite d’un montant calculé prorata temporis ;
Qu’il n’est pas démontré d’usage d’entreprise inverse, en sorte que l’employeur a exactement calculé l’indemnité de licenciement revenant à la salariée ;
Attendu qu’il y a donc lieu de rejeter la demande ;
3- Attendu que l’inexécution du préavis n’étant pas imputable à l’employeur mais à la maladie de la salariée, l’indemnité compensatrice de préavis n’est pas due ;
* * *
Attendu qu’enfin, l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne [F] [S] aux dépens.
La Greffière Le Président