Arrêt n° 23/00223
14 mars 2023
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N° RG 19/01950 –
N° Portalis DBVS-V-B7D-FCW6
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Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de METZ
28 juin 2019
15/01040
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Quatorze mars deux mille vingt trois
APPELANTE :
Mme [T] [I]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS :
Me [E] [S] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL LE JARDIN D'[V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Laure-Anne BAI-MATHIS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Céline VERDIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE NANCY prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Adrien PERROT, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [T] [I] a été embauchée par la Sarl Le Jardin d'[V] en exécution d’un premier contrat d’apprentissage du 22 août 2006 au 21 août 2008 en qualité d’apprentie vendeuse animalerie, suivi d’un deuxième contrat d’apprentissage du 31 août 2008 au 31 août 2010, date à laquelle les relations contractuelles ont pris fin. La convention collective applicable est celle des jardineries et graineteries.
Par requête enregistrée le 28 octobre 2011, Mme [T] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Metz aux fins d’obtenir le paiement de rappels de salaire résultant de l’application du taux horaire majoré issu de la convention collective et de paiement d’heures supplémentaires non rémunérées, outre l’octroi des dommages et intérêts pour travail dissimulé et en réparation de divers préjudices moraux.
L’instance prud’homale a été interrompue durant une procédure pénale engagée à l’encontre de la société Le Jardin d'[V], du gérant de la société M. [K] [J] et de la fille du gérant Mme [V] [J] qui était salariée et occupait le poste de directrice communication et marketing, jusqu’à l’issue de celle-ci par un jugement du tribunal correctionnel de Sarreguemines du 27 avril 2015, qui a prononcé une relaxe des trois prévenus du chef de travail dissimulé et qui a condamné M. [K] [J] et sa fille [V] [J] pour des faits de harcèlement moral, déclaré la constitution de partie civile de Mme [I] recevable et qui a condamné M. [J] [K] et Mme [J] [V], et la société Le Jardin d'[V] à lui payer la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral consécutif à des faits de harcèlement moral.
Par jugement contradictoire du 28 juin 2019 le conseil de prud’hommes de Metz statuant en formation de départage a statué comme suit :
»Met hors de cause Maître [C], précédemment désigné en qualité d’administrateur judiciaire de la Sarl Le Jardin d'[V] ;
Déclare irrecevable la demande de Mme [I] formée à titre de paiement d’heures supplémentaires et des congés payés y afférents ;
Déclare recevable le surplus des demandes présentées par Mme [I] ;
Déboute Mme [I] de l’ensemble de ses demandes ;
Déboute Me [S], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Le Jardin d'[V], de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne Mme [I] aux dépens ».
Mme [I] a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 4 juillet 2019 par déclaration transmise par voie électronique le 26 juillet 2019.
Par ses conclusions datées du 22 octobre 2021, Mme [T] [I] demande à la cour de statuer comme suit :
»Dire et juger l’appel de Mme [I] recevable et bien fondé.
En conséquence,
Réformer le jugement entrepris.
En conséquence,
Fixer la créance de Mme [T] [I] à la liquidation judiciaire de la Sarl Le Jardin d'[V] à l’enseigne Villa Verde aux sommes suivantes :
– 15 000 € net en réparation du préjudice causé à la salariée pour la violation par l’employeur notamment des dispositions de l’article 1152-4 du code du travail ;
– 8 742,26 € brut au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents,
Condamner Maître [S] à payer à Mme [T] [I] la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers frais et dépens. ».
Sur la violation de l’obligation de sécurité résultant notamment de l’article L. 1152-4 du code du travail, Mme [I] soutient que l’employeur n’a pas mis en ‘uvre les mesures pour faire cesser les agissements de harcèlement moral commis par l’une de ses salariés, soit en l’espèce Mme [V] [J].
Elle fait valoir que la méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail peut ouvrir droit à des réparations spécifiques lorsqu’elles entrainent des préjudices distincts.
Elle ajoute qu’elle subit un préjudice complémentaire en raison de l’inaction de l’employeur qui a manqué à ses obligations essentielles en matière de protection de la santé du salarié.
Sur les heures supplémentaires Mme [I] soutient que les règles de preuve en matière d’heures supplémentaires sont distinctes de celles relative à l’existence de travail dissimulé.
Mme [I] se prévaut d’un décompte journalier qu’elle estime être précis et conforme aux exigences de la jurisprudence.
Elle explique que le magasin ne disposait pas d’un système de pointeuse, que la société avait mis en place un système de distribution et de ramassage de badges pour comptabiliser les heures des salariés, mais que néanmoins, les badges étaient automatiquement récupérés à 17 heures alors même que les salariés travaillaient jusqu’à 19 heures.
Elle ajoute que l’employeur exigeait des salariés la signature d’heures effectuées, ne correspondant pas à la réalité du dépassement du temps de travail.
Maître [E] [S], en qualité mandataire judiciaire liquidateur de la société Le Jardin d'[V] a déposé des écritures datées du 27 octobre 2021, aux termes desquelles elle demande à la cour de statuer comme suit :
»Confirmer en toutes ses dispositions le jugement de départage du 28 juin 2019 ;
En conséquence :
A titre liminaire :
Déclarer irrecevables les demandes de rappel d’heures supplémentaires et d’indemnité de congés payés y afférentes formées par Mme [I] ;
Au fond
Débouter Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité de résultat ;
Condamner Mme [I] au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Mme [I] aux entiers dépens. ».
S’agissant des heures supplémentaires, Maître [S] soutient que la demande de Mme [I] est irrecevable en ce que le tribunal correctionnel de Sarreguemines a statué de manière définitive et non équivoque sur la question de la réalisation ou non d’heures supplémentaires de travail par les salariés de la société Le Jardin d'[V] ; le tribunal correctionnel de Sarreguemines a constaté l’absence d’éléments probants pour tous les salariés plaignants dont fait partie Mme [I].
Sur l’obligation de sécurité, le mandataire judiciaire considère que Mme [I] ne justifie pas par la production d’éléments probants de l’inaction de son employeur quant au harcèlement moral. Me [S] observe que Mme [I] se contente d’affirmer qu’elle a subi un préjudice distinct du préjudice consécutif au harcèlement moral dont elle a été indemnisée, sans toutefois le prouver, étant précisé que la relation de travail a pris fin le 31 août 2010 à l’échéance du contrat d’apprentissage et non pas à l’issue d’une convention de rupture conventionnelle comme l’a soutenu la salariée.
L’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy a transmis des conclusions datées du 28 janvier 2020, aux termes desquelles elle demande à la cour de statuer comme suit :
»A titre principal :
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
En conséquence,
Déclarer irrecevables les demandes présentées au titre des heures supplémentaires et congés payés y afférent,
Débouter Mme [I] du surplus de ses demandes.
A titre subsidiaire :
Débouter la partie appelante de ses demandes présentées au titre des heures supplémentaires et congés payés y afférent ;
Dire et juger que les sommes dues en application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas garanties par l’AGS ;
Dire et juger que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail ;
Dire et juger que l’AGS ne pourra être tenue que dans les limites de sa garantie fixées aux articles L.3253-6 du Code du travail ;
Dire et juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et suivants du code du travail ;
Dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance des créances garanties ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé établi par le mandataire judiciaire et justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains ;
Dire et juger qu’en application de l’article L 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l’ouverture de la procédure collective ;
Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS. ».
Sur les demandes d’indemnisation d’heures supplémentaires, l’AGS s’en remet aux arguments développés par le liquidateur concernant l’irrecevabilité, et subsidiairement soutient que l’appelante ne les justifie pas. Elle observe que Mme [I] n’a pas réclamé le paiement de ses heures à son employeur.
Sur le non-respect de l’obligation de sécurité, l’AGS note que Mme [I] n’explique pas en quoi le préjudice serait distinct de celui visé devant le juge pénal.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires
Il résulte de l’article L. 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié et que le juge doit se déterminer au vu de ces éléments et de ceux produits par le salarié.
Le salarié étant en demande, il lui appartient néanmoins de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, tant sur l’existence des heures dont il revendique le paiement que sur leur quantum, à charge pour l’employeur de les contester ensuite en produisant ses propres éléments.
Ces éléments doivent être suffisamment sérieux et précis quant aux heures effectivement réalisées pour permettre à l’employeur d’y répondre.
En l’espèce le premier juge a déclaré la demande de Mme [I] irrecevable en retenant la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée au regard du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Sarreguemines le 27 avril 2015 qui a relaxé M. [H] [J], Mme [V] [J] et la société Le Jardin d'[V] des chefs du délit de travail dissimulé résultant d’une absence de déclaration et de paiement d’heures supplémentaires, après avoir expressément relevé qu’aucun salarié n’apportait d’élément probant « quant à la réalité du temps de travail effectué ni quant à une discordance par rapport au nombre d’heure mentionné sur chaque fiche de paye », et que « si tous qualifient les heures effectuées à au moins 45 heures par semaine, il s agit d’évaluations personnelles qu’aucun élément objectif neutre ne vient corroborer».
Le juge pénal a également relevé que les fiches de paie produites comportaient des paiements d’heures supplémentaires, que « certains salariés confirment l’existence d’un système de récupération par jour de congés », et « qu’aucun salarié n’a pu expliquer de quelle manière concrète il avait été contraint par [V] [J] à signer les feuilles horaires prétendument falsifiées. ».
L’existence du délit de travail dissimulé n’est pas forcément liée à l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées, et la réalité d’heures supplémentaires impayées ne suffit pas à elle seule à caractériser le délit de travail dissimulé, qui suppose un élément intentionnel.
La cour rappelle toutefois que la chose jugée au pénal a autorité sur le civil, dont relève le contentieux prud’homal, et que ce principe impose au juge civil de se conformer aux constatations du juge répressif qui sont le soutien de sa décision.
La cour relève qu’en l’espèce Mme [I] fonde ses prétentions au titre des heures supplémentaires en reprenant les éléments de fait développés dans le jugement correctionnel à l’appui des qualifications pénales, éléments dont la pertinence et la valeur probante ont déjà été appréciés par le juge pénal et qui n’ont justement pas été retenus par le tribunal correctionnel dans la motivation de sa relaxe, reprise ci-avant.
Au surplus les éléments dont se prévaut la salariée dans le cadre de la procédure prud’homale au soutien de ses prétentions, consistent outre en un calendrier rempli par ses soins (du mardi 22 août au samedi 30 décembre 2006 et du mardi 2 janvier 2007 au mercredi 26 décembre 2007) en deux témoignages ‘ l’un d’un collègue de travail M. [N] qui évoque des faits non retenus par les juges correctionnels soit la signature forcée des feuilles mensuelles d’heures et l’autre de son ancien compagnon M. [P] qui évoque une amplitude horaire de la salariée en termes généraux -, ne sont pas de nature à remette pas en cause l’appréciation faite par les juges correctionnels de l’inexistence d’heures supplémentaires.
En conséquence les prétentions de Mme [I] seront déclarées irrecevables, et le jugement déféré sera confirmé en ce sens.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Mme [I] réclame une indemnité de 15 000 euros pour ce manquement de l’employeur en faisant valoir qu’elle a été indemnisée pour les faits de harcèlement moral commis par Mme [V] [J], mais qu’elle « est en droit de soutenir qu’elle subit un préjudice complémentaire en raison de l’inaction de l’employeur qui a manqué à ses obligations essentielles en matière de protection de la santé du salarié ».
Mme [I] indique que « le gérant de la société n’a pas été réactif si bien que pendant toute l’exécution du contrat de travail, Mme [V] [J], salariée, a pu continuer à agir sans aucun reproche ni mesures prises à son encontre à l’égard de la salariée qu’elle harcelait. ».
La cour relève que le tribunal correctionnel de Sarreguemines a retenu la culpabilité de Mme [V] [J] pour des faits de harcèlement moral sur Mme [T] [I], mais aussi la culpabilité de M. [K] [J], gérant de la société, pour des faits de harcèlement moral.
Aussi Mme [I] est tout aussi défaillante à démontrer en cause d’appel l’existence d’un préjudice au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité auquel est tenu l’employeur, distinct de celui consécutif au harcèlement moral dont elle a été victime de la part d’une autre salariée, Mme [M] [J], mais aussi de la part de son employeur M. [K] [J], et qui a d’ores et déjà été indemnisé dans le cadre de la procédure pénale.
En conséquence cette prétention sera également rejetée à hauteur de cour. Le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens seront confirmées.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel ; les demandes présentées à ce titre seront rejetées.
Mme [T] [I] qui succombe en son recours sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement de départage rendu le 28 juin 2019 par le conseil de prud’hommes de Metz dans toutes ses dispositions ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne Mme [T] [I] aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente