9 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/01180
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 FEVRIER 2023
N° RG 20/01180 –
N° Portalis DBV3-V-B7E-T4R7
AFFAIRE :
[E] [C]
C/
S.A.S. ALTEN SIR
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 avril 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/00461
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Saliha HARIR
Me Christophe DEBRAY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 02 février 2023 et prorogé au 09 février 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [E] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Saliha HARIR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1240
APPELANT
****************
S.A.S. ALTEN SIR
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentants : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Adeline LARVARON de la SELARL LUSIS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0081
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 01 décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN
Rappel des faits constants
Au sein du groupe Alten, la société Alten Sir (Systèmes d’Information et Réseaux), dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.
M. [E] [C], né le 8 septembre 1980, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 23 juin 2008, en qualité d’ingénieur d’études.
En dernier lieu, M. [C] occupait les fonctions de consultant expérimenté études et développement et était affecté sur des missions auprès de clients de la société Alten Sir avec des périodes d’inter-contrat.
Le 9 septembre 2016, à l’issue d’une mission auprès de la Société Générale, M. [C] a alterné périodes d’inter-contrat, de placement au sein du département D2A du groupe Alten, congés et arrêts maladie, outre une mission auprès d’un client.
Après un entretien préalable fixé au 14 décembre 2017, M. [C] s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier du 21 décembre 2017, pour avoir refusé de rejoindre la mission SFR sur laquelle il avait été affecté.
M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en contestation de son licenciement, par requête reçue au greffe le 9 avril 2018.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 9 avril 2020, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– dit et jugé que le licenciement de M. [C] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [C] de l’ensemble de ses demandes,
– laissé à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés pour leur défense,
– condamné M. [C] aux entiers dépens.
M. [C] avait présenté les demandes suivantes :
– dire et juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– juger que la société Alten Sir n’a pas exécuté de façon loyale le contrat de travail,
– condamner la société Alten Sir à lui verser la somme de 32 828,67 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Alten Sir à lui verser la somme de 10 942,89 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– remise de l’attestation Pôle emploi sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
– condamner la société Alten Sir à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– fixer son salaire mensuel à 3 647,63 euros bruts,
– ordonner l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile et la capitalisation des intérêts à compter de la date de réception par Alten Sir de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation.
La société Alten Sir avait quant à elle conclu au débouté du salarié et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure d’appel
M. [C] a interjeté appel du jugement par déclaration du 19 juin 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/01180.
Par ordonnance rendue le 21 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 1er décembre 2022.
Prétentions de M. [C], appelant
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 20 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [C] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il est venu juger que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par la société,
par conséquent,
– condamner la société au versement de la somme de 32 828,67 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société au versement de la somme de 10 942,89 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– ordonner à la société la remise des documents suivants sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de la décision à intervenir :
attestation d’employeur destinée au Pôle emploi conforme,
certificat de travail conforme,
bulletins de paie afférents aux condamnations,
– condamner la société au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– assortir l’ensemble des condamnations de l’intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,
– ordonner la capitalisation des intérêts.
Prétentions de la société Alten Sir, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 30 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Alten Sir demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [C] reposait sur une cause réelle et sérieuse et l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
en conséquence,
– débouter M. [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [C] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [C] aux éventuels dépens.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
M. [C] soutient que la société Alten a fait montre de déloyauté à son égard dans le cadre de la relation contractuelle, qu’après neuf ans passés au sein de l’entreprise sans aucune difficulté, il a vu du jour au lendemain ses conditions de travail se dégrader au simple prétexte qu’il n’acceptait pas de céder aux pressions de la société, qui souhaitait obtenir la rupture de son contrat de travail ou le pousser à commettre une faute.
Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
M. [C] fait état en premier lieu du fait que la société Alten lui a imposé la pose de RTT et de jours de congés payés quand elle lui refusait par ailleurs ses demandes de congés.
La société Alten Sir rappelle que l’organisation des congés payés relève du pouvoir de direction de l’employeur et admet, qu’au regard de la situation de M. [C], en l’absence de visibilité sur les projets à venir, elle lui a imposé, à titre exceptionnel, ses dates de congés payés.
S’agissant des congés payés d’abord, il est rappelé que leur organisation incombe à l’employeur et la détermination des dates de congés constitue une de ses prérogatives dans le cadre de son pouvoir de direction.
La société Alten Sir explique qu’au regard du nombre de salariés en situation d’inter-contrat de longue durée, elle a effectivement imposé la prise de congés payés à certains salariés, après information du comité d’entreprise des 14 avril et 19 mai 2016.
M. [C] justifie certes que M. [N], responsable du personnel a pris la décision de lui imposer des congés payés (pièce 27 du salarié) alors qu’il était au 5 janvier 2017 en situation d’inter-contrat depuis la fin de sa mission au sein du département D2A.
L’employeur démontre toutefois qu’il était en droit de le faire et que cette décision ne concernait pas uniquement M. [C] mais également d’autres salariés dans une situation similaire, après l’information et la consultation du comité d’entreprise, de sorte que ce fait ne peut lui être reproché.
S’agissant des RTT, la société Alten Sir explique qu’en son sein, les salariés, ayant le même statut que M. [C] bénéficient de 10 jours de RTT dont 4 jours de RTT « employeur », pour lesquels l’accord d’entreprise relatif à la réduction et à l’aménagement du temps de travail du 27 décembre 1999 prévoit qu’ils doivent être placés au cours des trois premiers trimestres de l’année civile, qu’à défaut, le salarié peut en disposer librement, à compter du 1er octobre.
Elle fait valoir qu’elle n’a pas placé ses RTT employeur au cours des trois premiers trimestres de l’année civile 2016, que M. [C] pouvait donc en disposer librement, ce qu’il n’a cependant pas fait, qu’elle a alors décidé de lui imposer de prendre la période du 27 au 30 décembre 2016, pour lui éviter de perdre le bénéfice de ces quatre jours, qui ne pouvaient être reportés sur l’année civile suivante.
Au regard des circonstances rappelées et démontrées notamment par la production de l’accord d’entreprise, du guide administratif de la société Alten Sir et des différents courriers adressés au salarié à ce sujet (pièces 27 du salarié), M. [C] n’est pas légitime de se plaindre à ce sujet.
M. [C] fait état en deuxième lieu du fait que la société Alten l’envoyait régulièrement en mission au sein de la société D2A pour y effectuer des tâches sous-qualifiées afin de le déstabiliser.
Il expose qu’en attendant de retrouver une mission correspondant à ses compétences, il était contraint d’accepter un ordre de mission au sein du département D2A, lui imposant de parcourir 180 km quotidiennement, que la société pensait ainsi lui porter un coup fatal en l’affectant sur des missions sous-qualifiées, qu’il s’agit d’une méthode de déstabilisation classique chez Alten, une mise au placard afin d’extorquer aux salariés les plus réticents une rupture du contrat de travail, et que les organisations syndicales ont dénoncé cette situation.
La société Alten Sir expose de son côté que le Département d’Aide aux Associations (D2A) a été créé en 2013 pour proposer gratuitement du matériel informatique et du développement d’outils à des associations caritatives ou d’intérêt général.
Elle indique que cette opération présente un double intérêt pour elle, d’une part, permettre de soutenir des organismes en optimisant ses ressources au titre du mécénat et valoriser les compétences de ses salariés sur des projets porteurs de sens et de valeurs, d’autre part, d’utiliser les moyens et ressources internes, principalement les ingénieurs et techniciens en période d’inter-contrat.
Elle indique encore que la création de ce département a été présentée aux représentants du personnel et que de nombreux salariés du groupe Alten ont été amenés à y réaliser une mission, que les retours des associations sur le partenariat avec le groupe est très positif.
Au delà de la discussion entre la direction et les organisations syndicales sur la pertinence de l’existence et du fonctionnement de ce département, M. [C] n’apporte aucun élément permettant de caractériser une déloyauté de l’employeur à son égard en raison de son affectation au sein de cette entité. Il ne démontre notamment pas avoir fait l’objet d’une affectation qui ne serait pas temporaire, ni que ses missions n’entreraient pas dans l’objet assigné au département, même s’il les considère comme dévalorisantes.
Cet argument sera en conséquence rejeté.
M. [C] fait valoir en troisième lieu que la société Alten lui proposait uniquement des missions ne correspondant pas à ses compétences.
Pour justifier de son allégation, il vise un échange de courriels intervenu avec Mme [S], responsable RH, au mois de novembre 2017 (sa pièce 12).
Aux termes d’un long courriel dans lequel il rappelle le déroulement des relations contractuelles, M. [C] indique que la dernière mission ayant un rapport avec ses compétences (PMO/coordinateur de projet) était une mission chez EDF réalisée entre janvier et septembre 2015, que de septembre 2015 à janvier 2016, il est resté en inter-contrat sans mission, qu’en janvier 2016, il s’est vu proposer un bilan de repositionnement qu’il a accepté et qui a été réalisé de janvier à mars 2016 avec la société G’TM, que les deux formations suggérées à l’issue du bilan ne lui ont pas été proposées, qu’en mai 2016, il a intégré D2A pour faire de la remastérisation, qui est selon lui « hors scope » de son domaine de compétence même s’il s’agit d’aider des associations, que de juin à septembre 2016, il a accepté une mission en interne de développement VBA, bien qu’elle ne soit plus en adéquation avec son profil et ses aspirations d’évolution professionnelle, que depuis septembre 2016, il est en inter-contrat, qu’il a obtenu en novembre 2016, tant bien que mal, une formation courte en gestion de projet dans le but que celle-ci soit valorisée par une expérience de terrain, ce qui n’a pas été le cas, qu’il a ensuite alterné arrêt pour maladie et mission au sein de D2A.
M. [C] ne s’explique toutefois pas clairement sur le reproche qu’il formule à l’encontre de son employeur. Il n’explicite pas en quoi les missions SFR ne correspondaient pas à ses compétences, étant précisé que seule peut être prise en compte à ce sujet une absence de compétences techniques et non le non-respect de ses aspirations en lien avec les objectifs de carrière qu’il s’est fixé.
Aux termes du contrat de travail, M. [C] a été engagé en qualité d’ingénieur d’études, sans spécificités particulières et, selon son dossier technique (pièce 9 de l’employeur), il disposait des compétences suivantes :
exploitation et production,
planification,
test et qualification,
support,
conception,
AMOA,
développement,
essais et test performances,
gestion de projet, contrôle des coûts.
Comme le souligne avec pertinence l’employeur, celui-ci s’est engagé lors de la conclusion du contrat de travail à proposer à M. [C] des missions en adéquation avec ses compétences techniques et son expérience professionnelle, en contrepartie, M. [C] se devait d’accepter les missions qui lui seraient proposées dès lors qu’elles correspondaient à ses compétences professionnelles.
La société Alten Sir explique que, si le projet professionnel du consultant est un élément qu’elle prend en considération dans la recherche de mission, celui-ci n’est pas le critère principal, la mission proposée doit avant tout être en adéquation avec les compétences techniques et l’expérience professionnelle du consultant.
Elle indique à juste titre que la fourniture de travail est la contrepartie attendue légitime du salaire versé, de sorte que le consultant ne peut être indéfiniment maintenu en situation d’inter-contrat et rémunéré dans l’attente qu’une mission proposée lui convienne et corresponde à son projet professionnel.
M. [C] ne peut dans ces conditions reprocher à son employeur de lui avoir proposé uniquement des missions ne correspondant pas à ses compétences, ce fait n’étant pas établi.
M. [C] fait valoir en quatrième lieu que la société Alten lui a proposé, à plusieurs reprises et sous plusieurs formes, de rompre son contrat de travail.
Il prétend que la société a essayé de lui extorquer la rupture de son contrat de travail en le convoquant à plusieurs reprises, lui proposant le 18 avril 2017, une contrepartie de 10 000 euros intégrant son solde de tout compte, pour finalement lui proposer 15 000 euros en décembre 2016, envisageant, à compter de novembre 2017, une rupture conventionnelle, au cours de trois rendez-vous successifs et allant même jusqu’à envisager le financement de formations après la rupture du contrat. Il indique qu’à bout de nerfs, il a accepté la rupture conventionnelle par courriel du 22 novembre 2017, que toutefois, la société n’assumant pas ses pratiques a botté en touche, prétendant qu’elle n’avait jamais fait une telle proposition et que seul le salarié avait mentionné sa volonté de quitter l’entreprise.
La société Alten Sir oppose que, contrairement aux affirmations de M. [C], ce n’est pas elle qui a envisagé une rupture conventionnelle mais lui-même, qu’il a en fait tenté de constituer un dossier en vue de la saisine du conseil de prud’hommes en tentant grossièrement d’imputer cette initiative à l’employeur et qu’elle n’a jamais tenté de lui imposer une rupture conventionnelle.
M. [C] ne rapporte pas la preuve des deux premières propositions de rupture conventionnelle qu’il prétend avoir reçues en décembre 2016 et le 18 avril 2017 et la société Alten Sir les conteste.
Concernant la troisième proposition, elle résulte d’un échange entre le salarié et Mme [S], responsable RH, en date du 22 novembre 2017 dans les termes suivants :
M. [C] : « Suite à la demande en date du 20 novembre 2017, je vous confirme mon accord afin d’effectuer une rupture conventionnelle. »
Mme [S] : « Bonjour [E],
Suite à certains motifs d’insatisfaction de ta part, nous nous sommes effectivement rencontrés pour évoquer ta situation professionnelle.
Au cours de cette rencontre, je t’ai indiqué :
– que nous avions une mission à te proposer,
– qu’en tout état de cause, nous souhaitions te faire suivre une formation pour te rendre opérationnel le plus rapidement possible.
A ces propositions constructives, tu as opposé une dénégation formelle en m’indiquant que tu préférais sortir de l’entreprise par le biais d’une rupture conventionnelle.
Je t’ai donc demandé, de manière tout à fait légitime et transparente, de formaliser par écrit ta demande.
Or, à la lecture de ton e-mail, sauf erreur d’interprétation de ma part, tu sembles indiquer que c’est nous qui sommes à l’origine de la demande de RUC (sic) ce qui n’est absolument pas le cas.
Tu comprendras, dans ce contexte, qu’une RUC ne pourra pas être sérieusement envisagée que dans la mesure où il est clair qu’elle correspond à ton souhait personnel et réel de cesser ta collaboration avec Alten via cette procédure.
Bien à toi. » (pièce 11 de la société).
Ainsi, au delà de la question de l’initiative de la démarche, il ne résulte pas des éléments en présence que la société aurait négocié de façon déloyale une rupture conventionnelle avec M. [C].
M. [C] fait valoir en dernier lieu que la société Alten l’a sollicité à de nombreuses reprises, alors qu’il se trouvait en arrêt maladie.
L’entreprise elle-même fait état à ce sujet d’un courriel de M. [R] du 14 mars 2017 à 16h05, en ces termes : « Bonjour [E], ci-joint l’invitation pour notre point le mardi 21 à 17h. Merci de ta disponibilité. Bonne journée. [G] [R] » auquel il a répondu le jour même à 16H58 en ces termes : « Bonjour [G], comme je l’avais indiqué dans un mail précédent (où je t’avais mis en copie), je suis actuellement en congés imposés par Alten (du 13/03/2017 au 24/03/2017 inclus). Cordialement, [E] [C]. » (pièce 28 du salarié).
Cet échange, intervenu par courriels alors que le salarié n’avait pas l’obligation de consulter sa messagerie professionnelle, est insuffisant à caractériser une déloyauté de l’employeur, d’autant plus que M. [C] a indiqué de son côté dans plusieurs courriels qu’il était en congés mais qu’il restait en tous cas à la disposition de son interlocuteur ou encore qu’il essaierait de consulter ses e-mails pendant son absence (pièce 72 du salarié).
Les autres courriels dont le salarié fait état concernent l’organisation de sa reprise du travail, ce qui ne peut être reproché à l’employeur.
M. [C] ne démontre pas avoir été sollicité pendant ses arrêts maladie ou ses congés payés.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, M. [C] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le licenciement
L’article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.
L’article L. 1235-1 du même code dispose qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
M. [C] s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse, par courrier du 21 décembre 2017, dans les termes suivants :
« (‘) Embauché depuis le 23 juin 2008 au sein de notre société, vous occupez les fonctions de consultant expérimenté/études et développement, statut cadre. La convention collective applicable au contrat de travail est la convention dite Syntec (Bureaux techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils, société de conseil).
Vous avez connu plusieurs périodes d’inter-contrat depuis le 1er octobre 2015.
Durant les périodes d’inter-contrat de nos consultants, notre société a la possibilité de faire intervenir ses consultants disponibles auprès du département d’aide aux associations (D2A), et ce de manière temporaire, sur des activités à but caritatif. Cela permet, d’une part, de mener à bien la mission associative que la société s’est fixée dans le cadre de la création de ce département, et d’autre part, de maintenir nos consultants en activité au quotidien, en évitant l’isolement que peut parfois induire les périodes d’inter-contrat.
Votre responsable, M. [G] [R], vous a demandé d’intervenir temporairement au sein de notre département d’aide aux associations (D2A) à compter du 19 avril 2016.
Du 14 juin 2016 au 9 septembre 2016, vous avez effectué une mission de courte durée chez notre client Société Générale. A son issue, votre responsable vous a demandé à nouveau d’intervenir temporairement au sein de notre département D2A.
Afin de préserver votre employabilité, [L] [H], responsable commercial, vous propose le 24 octobre 2017, une mission chez notre client SFR intégrant, le 30 octobre 2017, le centre de service à [Localité 5]. Vous avez refusé la mission arguant qu’elle ne correspondait pas à votre profil de gestion de projet.
Pour appuyer votre refus, vous avez évoqué dans votre courriel de réponse du 25 octobre, que lors de votre tour des bureaux le 19 octobre dernier, plusieurs managers avaient été intéressés par votre profil et que vous préfériez attendre leurs propositions.
[L] [H] vous a demandé de reconsidérer votre position, car la mission proposée avait pour but de vous positionner sur une mission autour des technologies réseaux fixes et plus particulièrement autour de l’IP et de l’accès, deux sujets porteurs chez Alten.
Afin d’assurer votre montée en compétence, nous vous proposions également d’être accompagné par nos experts IP et de suivre une formation et passer la certification CCNA sur le routing et le switching IP.
De plus, nous vous avions certifié que pendant cette mission, si une opportunité de mission plus conforme à votre choix de carrière, venait à se présenter à vous, nous y donnerions bien évidemment priorité.
Malgré notre volonté de vous positionner sur des technologies porteuses, notre décision de vous faire accompagner par des experts, notre engagement à vous faire passer une certification et notre promesse de ne pas vous freiner sur d’éventuelles opportunités, vous avez refusé cette mission arguant qu’elle ne faisait pas partie de votre choix d’orientation de carrière.
Ce refus est inacceptable d’autant plus que nous avons déjà été confronté à ce type de situation, puisque le 4 août dernier, vous aviez déjà refusé par courriel une mission chez notre client SFR. Alors que votre directeur de département, M. [V] [Z] vous demandait de vous rendre sur la mission dès le 7 août au matin, vous ne vous y êtes pas rendu et nous avez fourni un arrêt de travail à compter du 8 août 2017.
Vous conviendrez que nous ne pouvons tolérer que nos collaborateurs, au prétexte que leurs missions ne leur conviennent pas, puissent décider d’eux-mêmes d’accepter ou non les missions que nous leur confions.
Lors de l’embauche de nos collaborateurs, nous les sensibilisons au fait que leur acceptation de travailler dans une société de services, donc sur des projets différents, pour des durées différentes et chez des clients qui sont répartis dans différentes régions, implique de leur part souplesse, réactivité, professionnalisme et esprit collaboratif.
Nous vous rappelons par ailleurs que le contrat de travail que vous avez signé précise dans son article 8 que « vous vous engagez à effectuer les travaux et missions qui vous seront confiés par votre hiérarchie ».
Nous vous rappelons également que si l’employeur a l’obligation de vous fournir un travail et le devoir de vous verser un salaire, vous devez, en contrepartie, fournir le travail qui est attendu de vous, à savoir la réalisation des missions confiées, et exécuter celles-ci avec sérieux, implication et professionnalisme.
Dès lors, votre refus catégorique de mission n’est pas légitime et constitue un grave manquement à vos engagements contractuels.
Votre attitude est inacceptable. Elle dénote, a minima, une grave désinvolture, mais surtout de votre totale incompréhension des impératifs qui s’imposent à des collaborateurs travaillant dans une société de services. Elle traduit à l’évidence votre mépris des obligations légales et conventionnelles qui lient un salarié à son employeur. Ainsi, malgré les demandes de votre hiérarchie de vous rendre sur la mission, vous avez persisté dans votre refus.
Au regard de la persistance de votre refus malgré la volonté d’Alten Sir de vous former sur de nouvelles technologies tout en priorisant les éventuelles réunions techniques plus dans votre choix de carrière, vous avez été reçu par le responsable de la gestion du personnel [M] [S].
Alors que notre volonté était bien évidemment de vous garder dans nos effectifs et de vous positionner sur la mission SFR, vous lui avez fait part de votre souhait de quitter la société. Elle vous a donc informé des deux possibilités légales s’offrant à vous pour rompre votre contrat avec Alten Sir : soit vous décidiez de démissionner, soit vous décidiez de faire une demande de rupture conventionnelle. Curieusement, au lieu de confirmer votre souhait de bénéficier d’une rupture conventionnelle, vous nous avez indiqué accepter notre proposition de rupture, alors même que nous n’en étions nullement les initiateurs ; nous en sommes donc resté là.
Au regard de tous ces éléments, il nous paraît impossible de lutter contre votre volonté manifeste de ne pas remplir vos obligations contractuelles voire de vous maintenir en situation d’inter-contrat. En effet, vous refusez de suivre les demandes de votre hiérarchie et d’exécuter les obligations de votre contrat de travail.
La chronologie des faits détaillés ci-dessus démontre parfaitement l’impossibilité de poursuivre notre collaboration, votre comportement d’obstruction, parfaitement assumé par vous, présentant un caractère d’autant plus inapproprié qu’il est en totale inadéquation avec votre fonction et notre métier de prestataire de services.
C’est pourquoi, nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse (‘) ».
Au vu de cette lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, M. [C] se voit reprocher d’avoir le 24 octobre 2017 refusé abusivement une mission SFR sur laquelle il avait été affecté, alors qu’il avait déjà refusé une précédente mission en août 2017.
S’agissant du refus de la mission SFR du 24 octobre 2017
M. [C] reconnaît l’avoir refusée mais soutient que son refus n’était pas fautif car la mission était en totale inadéquation avec ses compétences.
Le salarié fait valoir que la proposition de la société Alten, conformément à ses pratiques, avait pour unique but de provoquer un refus pour tenter de créer, de toutes pièces, un motif de licenciement, qu’en lui proposant une mission sans aucun lien avec ses compétences et ses projets professionnels, son employeur a tenté de le pousser à commettre ce qu’il qualifierait ensuite abusivement de faute, qu’il ne pouvait ignorer que cette mission n’était en adéquation ni avec son profil ni avec ses souhaits.
Pour refuser la mission, M. [C] a indiqué que celle-ci n’avait aucun rapport avec son domaine de compétence et son souhait d’évolution.
Il a cependant été retenu précédemment que M. [C] ne pouvait valablement refuser cette mission alors qu’il ne démontre pas en quoi elle serait en inadéquation avec ses compétences techniques et son expérience.
Il résulte toutefois des explications de M. [C] qu’en réalité, il a refusé cette mission parce-qu’elle ne correspondait pas à ses aspirations et à son projet professionnel, ce motif ne pouvant toutefois pas être opposé légitimement à l’employeur qui n’était pas tenu contractuellement de respecter ce critère.
Le salarié soutient encore que la société, en lui proposant l’accompagnement par des experts ainsi qu’une formation dans le but de passer une certification, n’avait d’autre but que d’obtenir la rupture de son contrat de travail, en démontrant qu’il n’avait pas la volonté de s’orienter vers des technologies réseaux fixes mais qu’il souhaitait poursuivre en tant que consultant PMO/coordonnateur de projet.
Or, la société Alten Sir indique, sans être démentie, que suite à l’entretien annuel d’évaluation de M. [C] réalisé en décembre 2015, elle a souhaité que celui-ci bénéficie d’un bilan de positionnement, lequel s’est déroulé entre décembre 2015 et mars 2016, qu’au terme de ce bilan, deux pistes d’évolution ont été envisagées, à savoir se professionnaliser dans la conduite de projet et passer du poste de PMO à celui de chef de projet et rentrer dans les métiers de l’aide à la décision, puis évoluer vers le métier de Business Analyst et qu’en conséquence de ce bilan, il a suivi deux formations, en novembre et en décembre 2016.
Ces seules circonstances ne permettent pas de retenir une intention déloyale de l’employeur, qui pouvait légitimement souhaiter réorienter le salarié sur des secteurs d’activité plus porteurs.
S’agissant du refus de la mission SFR en août 2017
La société Alten fait grief à M. [C] d’avoir déjà refusé une mission, ce qui constituerait un précédent.
M. [C] reconnaît avoir refusé cette mission mais soutient, sans pouvoir être suivi sur ce point, qu’elle ne correspondait pas à ses compétences.
Même si M. [C] souligne qu’il a en revanche accepté les missions au sein de D2A où il a passé 5 mois et 3 semaines au total, il est constant que l’employeur est fondé à se prévaloir au soutien d’un licenciement pour motif disciplinaire de griefs, même prescrits à la date de l’engagement de la procédure, s’ils procèdent du même comportement fautif que les griefs invoqués dans la lettre de licenciement.
S’agissant des véritables motifs de son licenciement
Selon M. [C], celui-ci prétend que, conformément aux méthodes en vigueur au sein de la société, celle-ci avait pris la décision de rompre son contrat de travail depuis déjà de longs mois, que prête à tout, la société n’a pas hésité à provoquer son comportement, prétendument fautif, en s’ingéniant à ne lui proposer que des missions ne correspondant pas à ses compétences, qu’après sept ans de travail au sein de la société, alors qu’il se trouvait en inter-contrat, la société a décidé de l’empêcher de retrouver une mission.
Les éléments de la cause, tels qu’ils ont été développés précédemment, ne permettent cependant pas de retenir que la société Alten Sir a agi par provocation à l’égard de M. [C] dans le but de pouvoir ensuite le licencier.
M. [C] n’établit pas que son licenciement aurait une autre cause que celle invoquée dans la lettre de licenciement.
En définitive, le licenciement M. [C] repose sur une cause dont la matérialité est démontrée et apparaît constituer une sanction proportionnée au regard des manquements visés.
Le licenciement étant bien fondé, M. [C] sera débouté de toutes ses demandes contraires, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
La teneur de la décision rendue conduit à confirmer le jugement de première instance concernant les dépens et les frais irrépétibles.
M. [C], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Il sera en outre condamné à payer à la société Alten Sir une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros.
M. [C] sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 9 avril 2020,
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [E] [C] au paiement des entiers dépens,
CONDAMNE M. [E] [C] à payer à la SAS Alten Sir une somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [E] [C] de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER en pré-affectation, LE PRÉSIDENT,