COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 FEVRIER 2023
N° RG 20/02470 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UEJA
AFFAIRE :
S.A. ALTRAN TECHNOLOGIES
C/
[Z] [H]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 17/00765
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Gilles SOREL
la SELARL LEPANY & ASSOCIES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 15 décembre 2022, puis prorogé au 12 janvier 2023, puis prorogé au 09 février 2023, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
S.A. ALTRAN TECHNOLOGIES
N° SIRET : 702 012 956
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Frédéric AKNIN de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020 substitué par Me Julien BRU, avocat au barreau de PARIS – Représentant : Me Gilles SOREL, Constitué, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 137
APPELANT
****************
Madame [Z] [H]
née le 05 Mars 1984 à [Localité 5] (ALGÉRIE)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Jonathan CADOT et Me Marie BOURGAULT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R222
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY,
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [Z] [H] a été engagée par la société Altran Technologies à compter du 18 février 2013 par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de consultant junior. En dernier lieu, elle exerçait les fonctions de consultant ingénieur. Son contrat de travail a pris fin le 22 septembre 2017, suite à son licenciement.
La convention collective applicable est celle des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils, dite Syntec.
Estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre, par requête reçue au greffe le 28 mars 2017, afin d’obtenir la condamnation de la société Altran Technologies au paiement de diverses sommes.
Par jugement de départage du 2 octobre 2020, auquel la cour renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– déclaré inopposable la clause de convention de forfait prévue au contrat de travail de Mme [H] ;
– condamné la société Altran Technologies à payer à Mme [H] les sommes suivantes :
*13 230,82 euros au titre des heures supplémentaires,
*1 323,08 euros au titre des congés payés afférents,
*132,30 euros au titre de la prime de vacances afférente,
avec intérêts aux taux légal à compter du 29 mars 2017 ;
– ordonné la capitalisation des intérêts échus ;
– ordonné à la société Altran Technologies de remettre à Mme [H] des bulletins de salaire rectifiés conformément à la décision et de payer aux organismes sociaux des cotisations sociales sur les sommes rectifiées ;
– condamné Mme [H] à payer à la société Altran Technologies la somme de 2 400,25 euros au titre des jours de récupération du temps de travail indûment perçus ;
– ordonné la compensation des sommes dues au terme des condamnations prononcées par le jugement en application de l’article 1347 du code civil ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– ordonné l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;
– condamné la société Altran Technologies à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Altran Technologies aux entiers depens.
La société Altran technologies a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 novembre 2020.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Altran Technologies demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à payer à la salariée des rappels de salaire à titre d’heures supplémentaires, des congés payés et primes de vacances et des dommages-intérêts pour clause de loyauté illicite et de le confirmer pour le surplus, et en conséquence :
– à titre principal, de débouter la salariée de sa demande en paiement des heures supplémentaires revendiquées, les heures comprises entre 35 heures et jusqu’à 38,5 heures par semaine ayant d’ores et déjà été rémunérées ou, subsidiairement, de limiter une éventuelle condamnation aux seules majorations pour heures supplémentaires ;
– à titre subsidiaire, de débouter la salariée de sa demande dès lors qu’elle ne prouve pas l’existence et/ou le nombre d’heures de travail qu’elle prétend avoir réalisées et qu’en tout état de cause, la valorisation faite est erronée ;
– à titre infiniment subsidiaire, de limiter le chiffrage des heures supplémentaires à la somme de 8 869,01 euros bruts ;
– en tout état de cause :
*d’ordonner à la salariée de lui rembourser les avantages indûment perçus pour un montant de 2 400,25 euros bruts ;
*de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires pour travail dissimulé et pour exécution déloyale du contrat de travail ;
*de débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions :
*de condamner la salariée à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [H] demande à la cour de déclarer la société Altran Technologies mal-fondée en son appel, de la déclarer quant à elle recevable et bien-fondé en son appel incident, et en conséquence :
¿ de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré inopposable la clause de convention de forfait prévue à son contrat de travail ;
– condamné la société Altran Technologies à lui payer les sommes de :
*13 230,82euros au titre des heures supplémentaires,
* 1 323,08 euros au titre des congés payés afférents,
* 132,30 euros au titre de la prime de vacances afférente,
avec intérêts aux taux légal à compter du 29 mars 2017,
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
¿ d’infirmer le jugement entrepris pour le surplus, et, statuant à nouveau, de :
– déclarer que la convention de forfait en heures lui est inopposable,
– débouter la société Altran Technologies de l’ensemble de ses demandes,
– à titre principal sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées :
*à titre principal : 13 230,82 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires sur la période de mars 2014 à septembre 2017, 1 323,08 euros au titre des congés payés afférents et – 132,30 euros à titre de rappel de prime de vacances ;
*à titre subsidiaire : 9 204,65 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires effectuées sur la période de mars 2014 à septembre 2017, 920,46 euros au titre des congés payés afférents et 92,04 euros à titre de rappel de prime de vacances ;
*à titre infiniment subsidiaire : 9 058,43 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires effectuées sur la période de mars 2014 à septembre 2017, 905,84 euros au titre des congés payés afférents et 90,58 euros à titre de rappel de prime de vacances ;
– à titre subsidiaire sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées, si par d’extraordinaire la cour venait à considérer que seules les majorations de salaire afférentes aux heures supplémentaires devaient lui être octroyées,
*à titre principal : 2 488,89 euros à titre de rappel de salaire sur majoration des heures supplémentaires, 248,88 euros au titre des congés payés afférents, 24, 88 euros au titre de rappel de la prime de vacances :
*à titre subsidiaire : 1 856,36 euros bruts de rappel de salaire sur majoration d’heures supplémentaires sur la période de mars 2014 à septembre 2017, 185,63 euros au titre des congés payés afférents et 18,56 euros à titre de rappel de prime de vacances ;
*à titre infiniment subsidiaire : 1 827,11 euros bruts de rappel de salaire sur majoration d’heures supplémentaires sur la période de mars 2014 à septembre 2017, 182,71 euros au titre des congés payés afférents et 18,27 euros à titre de rappel de prime de vacances ;
– en tout état de cause, de condamner la société Altran Technologies à lui verser :
*à titre d’indemnité pour travail dissimulé : 16 902 euros nets,
*à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et non-respect des dispositions de la convention collective Syntec : 5 000 euros nets,
*en application de l’article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros pour la procédure d’appel en sus de l’indemnité de 1 000 euros octroyée par le conseil de prud’hommes de Nanterre pour la première instance,
– d’ordonner la remise des bulletins de paie de conformes au jugement à intervenir, ce sous astreinte de 15 euros par jour de retard et par bulletins de paie,
– de se réserver la liquidation des astreintes,
– d’assortir la condamnation des intérêts au taux légal avec capitalisation,
– de condamner la société Altran aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 28 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les heures supplémentaires
L’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail, conclu en application de la loi du 13 juin 1998, annexé à la convention collective nationale Syntec, et entré en vigueur le 1er janvier 2000 :
– fixe en son chapitre I, article 2, la durée hebdomadaire conventionnelle du travail effectif à 35 heures ;
– prévoit en son chapitre II, article 1er que tous les salariés qui relèvent de son champ d’application voient leur durée hebdomadaire de travail réduite selon les modalités définies ci-après ; que les réductions des horaires seront obtenues notamment en réduisant l’horaire hebdomadaire puis en réduisant le nombre de jours travaillés dans l’année par l’octroi de jours disponibles pris de façon individuelle ou collective ; que trois types de gestion des horaires sont a priori distingués à l’initiative de l’entreprise: modalités standard, dites modalités 1, modalités de réalisation de missions, dites modalités 2, et modalités de réalisation de missions avec autonomie complète, dites modalités 3 ;
– prévoit en son chapitre II, article 2, relatif aux modalités standard (modalités 1) que sauf dispositions particulières négociées par accord d’entreprise, les salariés concernés par les modalités standard ont une durée hebdomadaire de travail de 35 heures, compte-tenu des modalités d’aménagement du temps de travail évoquées précédemment ; que la réduction de l’horaire de travail effectif doit être telle que leur horaire annuel ne puisse dépasser l’horaire annuel normal; que ce dernier ressort à 1 610 heures pour un salarié à temps plein sur toute la période de douze mois (non compris les heures supplémentaires visées aux chapitres III et IV) ; qu’un accord d’entreprise peut par ailleurs prévoir une durée annuelle inférieure à 1610 heures ; que ces modalités concernent les ETAM et que les ingénieurs et cadres peuvent également relever de ces modalités standard; que compte-tenu de l’organisation du temps de travail sur l’année (modulation annuelle présentée au chapitre III), la rémunération de ces collaborateurs ne peut être inférieure au salaire brut de base correspondant à un horaire hebdomadaire de 39 heures ou à l’horaire hebdomadaire inférieur effectivement pratiqué à la date de sa signature ;
– institue en son chapitre II, article 4, relatif aux modalités de réalisation de missions avec autonomie complète (modalités 3), applicables aux collaborateurs qui disposent d’une grande latitude dans leur organisation de travail et la gestion de leur temps et bénéficient de la position 3 de la convention collective ou d’une rémunération annuelle supérieure à 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale, ou d’un mandat social, un forfait en jours ;
– institue en son chapitre II, article 3, relatif aux modalités de réalisation de missions (modalités 2), applicables aux salariés non concernés par les modalités standards ou les réalisations de missions avec autonomie complète, tous les ingénieurs et cadres étant a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale, d’une part une convention horaire sur une base hebdomadaire de 38h30, soit une variation de + 10% par rapport à l’horaire de 35 heures, avec une rémunération forfaitaire au moins égale à 115% du salaire minimum conventionnel, d’autre part un nombre maximum de 219 jours travaillés dans l’année (220 jours après l’instauration, par la loi n°2004-626 du 30 juin 2004, de la journée de solidarité).
Le contrat de travail de Mme [H] stipule :
– en son article 4, durée du travail :
‘Compte tenu de la nature des fonctions du salarié et de l’autonomie dont il dispose dans l’organisation de son temps de travail, les parties conviennent que Mme [H] ne peut suivre strictement un horaire prédéfini.
Mme [H] est cadre au forfait tel que défini ci-dessous :
De convention expresse entre les parties, le décompte de temps de travail effectif de Mme [H] est prévu en jours, dans la limite de 218 jours par an, journée de solidarité incluse, en englobant les variations éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10% pour un horaire hebdomadaire de 35 heures.
Le décompte de temps est auto déclaratif et s’effectue dans le respect des procédures en vigueur dans l’entreprise.’
– en son article 5, rémunération :
‘Mme [H] percevra un salaire forfaitaire annuel brut de 32 004 € en contrepartie de l’exercice de ses fonctions dans le cadre du forfait tel que défini sous l’article 4 (journée de solidarité exclue).
Cette rémunération annuelle forfaitaire englobe les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10% pour un horaire hebdomadaire de 35 heures sur 217 jours travaillés sur l’année civile.
La rémunération annuelle lissée sur 12 mois de l’année ne sera pas affectée par ces variations et correspondra à une rémunération mensuelle brute de 2 667 €.’
Les stipulations du contrat de travail de Mme [H], qui s’analysent en une convention horaire sur une base hebdomadaire de 38h30, représentant une variation de + 10% par rapport à l’horaire de 35 heures, avec une rémunération forfaitaire au moins égale à 115% du salaire minimum conventionnel, et un nombre de 218 jours travaillés dans l’année, s’inscrivent dès lors parfaitement dans le cadre des modalités 2 de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail, prévoyant un forfait en heures assorti d’un nombre de jours travaillés dans l’année, dans la limite d’un nombre maximal de 219 jours de travail par an, porté à 220 jours à compter de l’entrée en vigueur de la loi n°2004-626 du 30 juin 2004 instaurant la journée de solidarité, et ne constituent pas, comme le prétend l’employeur, une simple convention de forfait hebdomadaire en heures telle que prévue par l’article L. 3121-38 du code du travail.
Les bulletins de paie délivrés à la salariée de janvier 2014 à décembre 2016 versés aux débats, qui mentionnent expressément comme modalité ‘ 2A-Cadre 38h30 218j’ à partir du mois de juillet 2013 et indiquent l’acquisition et la prise de JRTT, confirment qu’ainsi qu’elle le soutient, l’employeur lui appliquait effectivement durant cette période les modalités 2, réalisation de missions, de la convention collective Syntec.
L’application des modalités 2 étant subordonnée par l’article 3 du chapitre II de l’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail à la condition que la rémunération du salarié soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale, ce qui n’était pas le cas de Mme [H], cette dernière n’était pas éligible à ces modalités.
La clause du contrat de travail prévoyant un forfait en heures assorti d’un nombre de jours travaillés dans l’année est dès lors inopposable à Mme [H]. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
Mme [H] revendique l’allocation d’un rappel d’heures supplémentaires représentant le paiement au taux majoré de 25% des 3,5 heures supplémentaires de travail qu’elle prétend avoir effectuées chaque semaine au-delà de 35 heures jusqu’à 38h30 sans en avoir reçu paiement.
La société Altran Technologies demande à la cour, à titre principal, de débouter Mme [H] de l’intégralité de cette demande, à titre subsidiaire de limiter une éventuelle condamnation aux seules majorations pour heures supplémentaires, à titre encore plus subsidiaire de considérer que la salariée ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires effectuées, à titre infiniment subsidiaire, si elle retenait l’existence des heures supplémentaires revendiquées et de leur absence de paiement, de limiter le chiffrage des heures supplémentaires à la somme de 8 869,01 euros bruts.
Aucune convention de forfait ne lui étant opposable, la salariée est bien fondée à revendiquer le paiement, avec majoration de 25%, des heures supplémentaires qu’elle a accomplies, à la demande de son employeur, décomptées selon le droit commun.
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En alléguant qu’elle travaillait 38,5 heures par semaine, comme mentionné sur ses bulletins de paie jusqu’en décembre 2015, Mme [H] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies. L’employeur, tenu d’assurer le contrôle des heures de travail effectuées, s’est abstenu, en violation de l’obligation qui lui était faite, de procéder à l’enregistrement de l’horaire accompli par la salariée et ne verse aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par celle-ci, ni même à remettre en cause son respect de l’horaire de 38,5 heures par semaine mis en place dans l’entreprise. Cette justification ne peut résulter de la mention ‘1N-cadre 35 heures’ portée, pour une rémunération identique, sur les bulletins de la salariée à compter de janvier 2016, ces derniers étant établis unilatéralement par l’employeur. La preuve de l’accomplissement par Mme [H] d’heures supplémentaires est dès lors rapportée, dont il appartient à la cour d’évaluer l’importance.
La cour constate que la salariée était rémunérée sur la base d’un temps de travail de 35 heures par semaine en moyenne sur l’année, à raison de 38,5 heures de travail par semaine dans la limite de 218 jours de travail par an, de sorte qu’elle bénéficiait pour une année complète, sur une base annuelle de 47 semaines travaillées compte-tenu d’un droit à congés payés de 5 semaines, pour un nombre de jours travaillés réduit à 218 jours par an, de jours de repos accordés au titre de la réduction du temps de travail (RTT), dont le nombre exact variait en fonction du nombre de jours chômés dans l’année. Contrairemen à ce que soutient l’employeur les heures supplémentaires effectuées au-delà de 35 heures jusqu’à 38,5 heures par semaine n’étaient pas incluses dans la rémunération mensuelle de base lissée sur l’année qui était versée à l’intéressée, mais avaient pour contrepartie l’attribution de jours de RTT.
La salariée a droit dès lors au paiement d’un rappel de salaire pour les heures non payées accomplies au-delà de 35 heures par semaine, avec la majoration légale de 25% pour celles constituant des heures supplémentaires.
Selon l’article L. 3121-22 du code du travail, constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l’article L. 3121-10 du code du travail ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s’entend des heures de travail effectif et des temps assimilés. Les jours fériés et les jours d’arrêt maladie, même s’ils donnent lieu au maintien du salaire à 100%, ne peuvent, en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, être assimilées à du temps de travail effectif, de sorte qu’ils ne sauraient être pris en compte dans la détermination de l’assiette de calcul des droits à majoration pour heures supplémentaires. En revanche, les congés payés doivent être inclus dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires au regard de l’interprétation qui doit être faite de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, lu à la lumière de l’article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Mme [H] ne pouvant cumuler l’indemnité égale au dixième de la rémunération brute totale perçue au cours de la période de référence et le montant de la rémunération qu’elle aurait perçue pendant la période de congé si elle avait continué à travailler, mais seulement prétendre à celle qui lui est la plus favorable, les jours de congés payés ne donneront pas eux-même droit à rappel de salaire mais seront pris en compte au titre des congés payés afférents.
La salariée est bien fondée à prétendre, en application de l’article 31 de la convention collective à un rappel de prime de vacances calculé sur la base de 1% du rappel d’indemnité de congé payés.
L’absence de la salariée au cours d’une seule journée dans la semaine, sauf s’il s’agissait d’une journée de congés payés, avait pour effet que son temps de travail de la semaine ne dépassait pas 35 heures, de sorte qu’il n’ouvrait pas droit à majoration pour heures supplémentaires.
La salariée sera entièrement remplie de ses droits par la somme de 9 204,65 euros, justifiée au vu des pièces produites. Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Altran Technologies à payer à Mme [H] la somme de 9 204,65 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, la somme de 920,46 euros brut au titre des congés payés afférents ainsi que la somme de 92,04 euros au titre de la prime de vacances afférente.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite ou inopposable au salarié.
Le fait pour la société Altran Technologies de mentionner sur les bulletins de paie de Mme [H] un forfait horaire sur une base hebdomadaire de 38h30 avec un nombre de 218 jours travaillés dans l’année alors que la convention de forfait lui était inopposable, ne caractérise pas l’intention frauduleuse de l’employeur de dissimuler le nombre d’heures de travail accomplies. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et non-respect des dispositions de la convention collective Syntec
Si aux termes de l’article 1153, alinéa 4 du code civil, devenu l’article 1231-6, alinéa 3 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l’intérêt moratoire, la salariée ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par la société et causé par la mauvaise foi de celle-ci.
Il appartient à la salariée qui sollicite des dommages-intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles de caractériser l’existence, pour elle, d’un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par l’employeur et causé par sa mauvaise foi.
Si les salariés qui ne bénéficient pas d’une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale ne peuvent valablement être soumis aux modalités de rémunération de missions (modalités 2), l’accord de branche du 22 juin 1999 ne fait pas obligation à l’employeur d’assurer à ces salariés un tel niveau de rémunération. Mme [H] est donc mal fondée à prétendre avoir subi un préjudice financier du fait du non-respect des dispositions conventionnelles.
La preuve d’une perte de chance d’obtenir une rémunération supérieure qu’invoque également la salariée n’est pas non plus rapportée, en l’absence de preuve de la perte, par une faute de l’employeur, d’une telle éventualité favorable.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris ayant débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et non-respect des dispositions de la convention collective Syntec.
Sur les RTT
La société Altran Technologies n’ayant pas modifié ses prétentions au cours du débat judiciaire mais formé une demande reconventionnelle provoquée par la demande de Mme [H], n’a pas manqué à la loyauté procédurale. La salariée est en conséquence mal fondée à lui reprocher de s’être contredite aux détriment d’autrui.
La salariée est également mal fondée à invoquer le principe nemo auditur.
La convention de forfait étant inopposable au salarié et la preuve d’une intention libérale de l’employeur n’étant pas rapportée, le paiement des jours de RTT est indu et doit en conséquence être restitué. Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Mme [H] à payer à la société Altran Technologies la somme de 2 400,25 euros à ce titre, qui se compensera avec les créances reconnues à la salariée par le présent arrêt.
Sur la remise de documents sociaux rectifiés
La délivrance d’un bulletin de paie récapitulatif satisfait aux exigences légales. Il convient en conséquence d’ordonner à la société Altran Technologies de remettre à Mme [H] un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt. Le prononcé d’une astreinte n’est pas nécessaire.
Sur les intérêts
Les créances salariales produisent de plein droit intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit en l’espèce à compter du 29 mars 2017 ou à compter de la date de la demande qui en a été faite pour celles échues postérieurement. Il n’y a pas lieu de fixer le point de départ des intérêts de ces créances à une date antérieure.
Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
La société Altran Technologies, qui succombe partiellement à l’instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de ses demandes d’indemnités fondées sur l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée à payer à Mme [H] la somme de 2 000 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles que celle-ci a exposé en cause d’appel, en sus de la somme de 1 000 euros allouée à celle-ci par le conseil de prud’hommes pour les frais exposés en première instance.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 2 octobre 2020 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
Condamne la société Altran Technologies à payer à Mme [Z] [H] les sommes suivantes :
*9 204,65 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
*920,46 euros brut au titre des congés payés afférents ;
*92,04 euros brut au titre de la prime de vacances afférente ;
Dit que ces sommes produisent intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2017 ou à compter de la date de la demande qui en a été faite pour celles échues postérieurement ;
Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;
Ordonne à la société Altran Technologies de remettre à Mme [H] un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu de prononcer une astreinte ;
Confirme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;
Y ajoutant :
Condamne la société Altran Technologies à payer à Mme [Z] [H] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés par celle-ci en cause d’appel ;
Déboute la société Altran Technologies de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu’elle a exposés en cause d’appel ;
Condamne la société Altran Technologies aux dépens d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, présidente et par Madame Sophie RIVIERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,