8 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/02896
N° RG 21/02896 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2SZ
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 08 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 15 Juin 2021
APPELANT :
Monsieur [D] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
présent
représenté par Me Jean-Yves PONCET de la SCP PONCET DEBOEUF BEIGNET, avocat au barreau de l’EURE
INTIMEE :
S.A.S. ARTELIA INDUSTRIE
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Xavier D’HALESCOURT de la SELARL XAVIER D’HALESCOURT, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 25 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 25 Avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 08 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [D] [N] a été engagé par la société Auxitec Industrie aux droits de laquelle se trouve la société Artelia Industrie en qualité de superviseur de travaux catégorie Etam position 3.3 coefficient 500 par contrat de travail à durée indéterminée du 6 août 2012.
Les relations contractuelles des parties sont soumises à la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs Conseils et Sociétés de Conseils, dite Syntec.
Par requête du 30 janvier 2020, M. [D] [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en paiement de rappels de salaire au titre de la classification de son emploi.
Par jugement du 15 juin 2021, le conseil de prud’hommes a dit que M. [D] [N] ne relève pas du statut encadrement position 3.2 coefficient 210, débouté M. [D] [N] de l’ensemble de ses demandes, condamné M. [D] [N] à verser à la société Artelia Industrie la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, laissé les entiers dépens à la charge de M. [D] [N].
M. [D] [N] a interjeté appel le 13 juillet 2021.
Par conclusions remises le 21 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [D] [N] demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement,
en conséquence,
– dire que depuis février 2017, date de son affectation sur le site du Havre, il occupe des fonctions d’encadrement au sien de la société Artelia Industrie,
– dire qu’au vu de la convention collective applicable à l’entreprise le coefficient applicable au contrat de travail est le coefficient 210 (position 3.2),
– fixer le salaire mensuel brut moyen à 4 290,30 euros,
– condamner la société Artelia Industrie à lui verser les sommes suivantes :
rappel de salaire, de février 2017 à juin 2020 : 17 569,10 euros,
rappel de prime 2017, 2018 et 2019 : 1 538,30 euros,
indemnité compensatrice de congés payés afférente : 1 910,74 euros,
– condamner la société Artelia Industrie à :
– régulariser la situation auprès de l’AGIRC et de l’ARRCO sous astreinte de 70 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision,
– lui remettre un bulletin de salaire rectificatif pour la période allant du 1er février 2017 au 30 mars 2020 sous astreinte de 70 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision,
– dire que toutes les condamnations à paiement de sommes d’argent porteront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil avec capitalisation des intérêts dus pour au moins une année sera prononcée,
– condamner la société Artelia Industrie à lui verser en remboursement de ses frais irrépétibles la somme de 4 500 euros et aux entiers dépens de l’instance et de ses suites,
– en tout état de cause, débouter la société Artelia Industrie de toutes ses demandes.
Par conclusions remises le 6 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Artelia Industrie demande à la cour de :
à titre principal,
– confirmer le jugement sur tous les points attaqués par M. [D] [N],
– y ajoutant, condamner M. [D] [N] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
à titre infiniment subsidiaire, en cas de reclassification,
– limiter la condamnation de l’entreprise au titre du rappel de salaire demandé :
rappel de salaire dû en cas de classification 170 : 3 870,92 euros,
rappel de congés payés : 387,09 euros,
rappel de treizième mois : 1 530,30 euros.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la classification professionnelle
La qualification professionnelle dépend des fonctions réellement exercées et il incombe à la partie qui invoque une qualification autre que celle appliquée d’apporter la preuve qu’il exerce les fonctions relevant de la classification revendiquée.
Expliquant qu’engagé le 6 août 2012 en qualité de superviseur de travaux catégorie professionnelle ‘superviseur 3 position 3.3 coefficient 500, détaché auprès de Lubrizol en 2015 sur un poste de coordinateur de travaux responsable de 5 superviseurs, puis en 2017, toujours pour Lubrizol sur le site du Havre, sur un poste de chef de projet, sa qualification et sa rémunération ne correspondent pas à ses fonctions effectives, considérant qu’il relève en réalité de la classification des ingénieurs et cadres position 3.1 coefficient 170 et non comme indiqué par erreur dans le dispositif de ses conclusions position 3.2 coefficient 210, comme exerçant des fonctions d’encadrement en qualité de chef de projet, étant présenté comme tel et ayant suivi une formation de donneur d’ordre.
A l’appui de ses allégations, il justifie que :
– il a suivi une formation ‘Donneur d’ordre’ avec pour objectif de donner aux donneurs d’ordre les outils nécessaires à la gestion de l’interface sociétés extérieur/Lubrizol le 17 mai 2017,
– il est qualifié de chef de projet dans le cadre de ses missions au sein de Lubrizol, notamment dans les demandes d’études en vue d’une D.I. et dans les comptes-rendus de réunion,
– sa feuille de route, telle que résultant d’un mail du 8 février 2017, pour décrire ses nouvelles missions sur Le Havre, mentionne qu’il reprend l’activité de [K] [P], lui même chef de projet, à savoir :
– projets Cat’C’ : environ 50 projets (dont 3 gros sur [Localité 4]) dont un bon nombre seront soldés au départ de [K],
– Projet DI sans DE (mise en forme des investissements pour le compte des demandeurs),
– projet de maintenance FR5750 (montage des DI, saisie SAP, AR approval, saisie des chiffrages MEGC/EI, réunion de suivi mensuelle).
– le 7 juillet 2017, il était destinataire d’un mail ayant pour objet ‘Annexe Chef de projets : réunion de chefs de projets rouennais du 6 juillet’, laquelle avait pour objet une présentation sur les rôles et responsabilités du chef de projets et des obligations administratives et il est communiqué un document établissant qu’en 2019, il a suivi des projets validés pour un montant total de 499 000 euros et dans le cadre de son entretien de progrès pour l’année 2017, sa fonction est mentionnée comme chargé d’affaires/chef de projet et au titre des commentaires, il est noté que le client est satisfait et que [D] est aujourd’hui positionné en chef de projet et le 20 octobre 2017, son responsable hiérarchique, [B] [M], écrivait que Lubrizol voudrait le positionner en chef de projet et que rendez-vous était pris avec le responsable de l’ingénierie pour en discuter.
Cette fonction de chef de projet est également attestée par M. [Z] [R], chef de projets en poste à Lubrizol en même temps que M. [D] [N], qui certifie qu’il a occupé le poste de chef de projets de la cellule projets dynamiques, qu’il a managé des projets en totalité et plusieurs simultanément, tant en demande d’étude qu’en demande d’investissement, qu’il participait aux réunions de phase de réflexion avant projet, aux réunions d’ingénierie, ainsi que par M. [C] [W], référent génie civil travaillant chez Lubrizol pour le compte d’une entreprise extérieure, qui indique que M. [D] [N] a succédé à M. [P] au poste de responsable de la cellule projets dynamiques de Lubrizol, qu’à ce titre, il a réalisé pour lui de nombreux chiffrages, certains pour des projets modestes, mais aussi pour des projets beaucoup plus importants comme la mise en place d’une nouvelle zone transfert de déchets et dernièrement, la mise en conformité du magasin matières premières
Il est également produit un mail du mardi 25 juin 2019 relatif à un changement de chef de projets et concernant [D], il est précisé qu’il garde l’ensemble des projets dynamiques avec son équipe.
Si dans le cadre de ses missions initiales au sein du la société cliente Lubrizol à compter de novembre 2015 au titre de la prestation d’assistance technique pour la coordination et la supervision des travaux, M. [D] [N] a été désigné sous la responsabilité entière et exclusive de M. [V] [L], responsable département Ingénierie Industrielle, néanmoins, les modifications survenues alors que le salarié a été affecté sur le site du Havre, se sont accompagnées d’un changement de fonction, dont tous les éléments permettent de retenir qu’il devenait alors chef de projet, peu important leur montant, et d’ailleurs, l’annexe 1 décrivant la prestation due au titre de l’assistance technique pour la coordination et la supervision des travaux corrobore cette analyse comme ne prévoyant pas de tâches en lien avec l’élaboration de projets comme cela résultait des nouvelles missions confiées dès lors que M. [D] [N] était affecté sur le site du Havre du même client, et dont la réalité résulte des différents éléments produits par le salarié, même si ces nouvelles attributions s’ajoutaient à celles initiales de coordinateur Etude-travaux, ainsi que cela se déduit du mail du 8 février 2017 décrivant sa feuille de route.
Il convient de rechercher si cette nouvelle fonction lui permettait de revendiquer le statut cadre -ingénieur position 3.1 coefficient 170.
Selon l’article 2 du titre 1 de la convention collective, sont considérés :
a) Comme ETAM, les salariés dont les fonctions d’employés, de techniciens ou d’agents de maîtrise sont définies en annexe par la classification correspondante.
b) Comme CE, les enquêteurs qui ont perçu d’une part, pendant deux années consécutives, une rémunération annuelle au moins égale au minimum annuel garanti définie à l’article 32 CE ci-après et, d’autre part, ayant fait la preuve de leur aptitude à effectuer de manière satisfaisante tous types d’enquêtes dans toutes les catégories de la population.
Les enquêteurs peuvent refuser le bénéfice de ce statut. L’employeur peut proposer ce statut même si ces conditions ne sont pas remplies.
« c) Comme IC, les ingénieurs et cadres diplômés ou praticiens dont les fonctions nécessitent la mise en oeuvre de connaissances acquises par une formation supérieure sanctionnée par un diplôme reconnu par la loi, par une formation professionnelle ou par une pratique professionnelle reconnue équivalente dans notre branche d’activité. »
Les fonctions d’ingénieurs ou cadres sont définies en annexe par la classification correspondante.
Ne relèvent pas de la classification ingénieurs ou cadres, ni des dispositions conventionnelles spécifiques à ces derniers, mais relèvent de la classification ETAM, les titulaires des diplômes ou les possesseurs d’une des formations précisées ci-dessus, lorsqu’ils n’occupent pas aux termes de leur contrat de travail des postes nécessitant la mise en oeuvre des connaissances correspondant aux diplômes dont ils sont titulaires.
Ne relèvent pas non plus de la classification ingénieurs ou cadres, mais relèvent de la classification ETAM, les employés, techniciens ou agents de maîtrise cotisant à une caisse des cadres au titre des articles IV bis et 36 de la convention collective de retraite des cadres du 14 mars 1947.
M. [D] [N] bénéficiait de la classification Etam position 3.3 de la convention collective laquelle implique des facultés d’adaptation à des problèmes présentant un caractère de nouveauté sur le plan technique. Le niveau 3 s’applique à des fonctions de conception ou gestion élargie. Le salarié prend en charge des problèmes complets. Il a généralement une responsabilité technique ou de gestion vis-à-vis du personnel de qualification moindre et a un niveau III de l’enseignement national (BTS,DUT….).
La position 3.3 coefficient 500 est la plus élevée pour la catégorie Etam.
La classification cadre-ingénieur position 3.1 coefficient 170 s’applique aux ingénieurs et cadres placés généralement sous les ordres d’un chef de service et qui exercent des fonctions dans lesquelles ils mettent en oeuvre non seulement des connaissances équivalant à celles sanctionnées par un diplôme, mais aussi des connaissances pratiques étendues sans assurer, toutefois, dans leurs fonctions, une responsabilité complète et permanente qui revient en fait à leur chef.
Les ingénieurs et cadres relevant de la position 2.3 ont au moins 6 ans de pratique en cette qualité et en pleine possession de leur métier ; partant des directives données par leur supérieur, ils doivent avoir à prendre des initiatives et assumer des responsabilités pour diriger les employés, techniciens ou ingénieurs travaillant à la même tâche.
En l’espèce, il n’est pas discuté que M. [D] [N] n’est pas titulaire d’un diplôme d’ingénieur puisque son diplôme le plus élevé est un Bac F1 construction mécanique obtenu en 1978. Aussi, il ne peut mettre en oeuvre des connaissances équivalant à celles sanctionnées par un diplôme de niveau équivalent à celui d’un ingénieur. S’il a une longue expérience comme chargé d’affaires en industrie, et selon son curriculum vitae, a géré des projets complets, ses connaissances pratiques sont restées essentiellement dans le domaine industriel.
Si de nouvelles responsabilités lui ont été confiées en qualité de chef de projet, néanmoins, les projets dont il est justifié n’impliquaient pas des connaissances étendues au sens de la position 3.1 de la classification des cadres, puisque les éléments produits permettent d’établir qu’il a suivi les projets suivants :
– installation d’un bungalow pour les sections syndicales,
– réorganisation du magasin matières premières pour lequel il a eu recours à des interlocuteurs pour proposer des actions préventives compte tenu des résultats d’une expertise mettant en lumière que la stabilité du bâtiment était menacée, sans être force de proposition,
– pose de film UV au laboratoire, lançant à ce titre une consultation,
– installation d’un fumoir,
– repérage de tuyauterie lors de la pose d’une clôture,
autant de projets ne nécessitant pas de connaissances pratiques particulièrement étendues, et pour lesquels il est établi que le salarié avait recours à des techniciens mieux à même d’apporter les propositions techniques.
Aussi, alors qu’il percevait un salaire de 2 970 euros, puis de 3 040 euros à compter de janvier 2018 et de 3 110 euros à compter de mai 2019, alors qu’il ne peut prétendre au statut cadre position 3.1, même à supposer qu’il ait pu prétendre au statut de cadre ingénieur, mais sur une position nécessairement moindre, et ne pouvant prétendre davantage à la position 2.3 qui suppose d’avoir au moins 6 ans d’ancienneté en la qualité de cadre ou ingénieur, condition qu’il ne remplissait pas, sa rémunération a toujours été au moins égale au minimum conventionnel de la position 2.2 du statut cadre et ingénieur.
Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande de rappel de salaire au titre de la classification de son emploi et les demandes subséquentes.
Il est également débouté de sa demande au titre de la régularisation auprès des organismes sociaux dès lors que l’examen de ses bulletins de paie permet de constater que le salarié cotise déjà à la caisse des cadres au titre de l’article 4 bis de la convention Agirc compte tenu de son coefficient en qualité de technicien.
III – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, M. [D] [N] est condamné aux entiers dépens et débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Pour le même motif, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné le salarié au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 de code de procédure civile.
En revanche, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de les frais générés par l’instance d’appel et non compris dans les dépens en considération de la situation économique respective des parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Condamne M. [D] [N] aux entiers dépens d’appel ;
Déboute les parties de leur demande respective fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente