Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRET DU 06 OCTOBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09134 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETOQ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 27 septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes de PARIS 10 – RG n° R 21/00689
APPELANTE
S.A.S. INEOX (nouvelle dénomination IODA GROUP)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
INTIMÉ
Monsieur [L] [G]
[Adresse 4],
[Localité 2]
Représenté par Me Raphaëlle RISCHMANN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0276
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 août 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre
Madame ALZEARI Marie-Paule, présidente
Madame LAGARDE Christine, conseillère
Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [L] [G] a été embauché par la société Ineox nouvellement dénommée Ioda Group (ci-après ‘la Société’) en qualité de ‘consultant CRP Senior’, en date du 4 juin 2014 pour une durée indéterminée. statut cadre position 2 3. coefficient 150.
Son contrat prévoyait une clause de non-concurrence.
La convention collective applicable est celle des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés en conseil (Syntec).
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception reçue le 29 novembre 2019, M. [G] a présenté sa démission.
Le contrat de travail a pris fin le 10 mars 2020, la Société réglant à compter de cette date chaque mois la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence.
Ayant appris que M. [G] occupait un nouvel emploi à compter du 1er juin 2020 au sein de la société Business & Décision en qualité d’expert technique, la Société a saisi la section des référés du conseil de prud’hommes de Paris par requête du 24 juin 2021, aux fins de voir condamner son ancien salarié à lui verser notamment les sommes suivantes :
– 4 894,03 euros en répétition de l’indû (correspondant au remboursement de la contribution financière qu’elle avait versée entre le mois de juin et le mois de septembre 2020 en exécution de la clause de non-concurrence) ;
– 38 000 euros à titre de provision sur l’indemnisation forfaitaire contractuelle prévue à l’article 16 du contrat de travail.
Par ordonnance de référé rendue le 27 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris :
« Dit n`y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS INEOX,
Dit n`y avoir lieu à référé sur les demandes de Monsieur [L] [G],
Laisse les dépens à la charge de la SAS INEOX ».
La Société a interjeté appel de la décision le 4 janvier 2021.
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 21 juin 2022, la Société demande à la cour de :
« – Déclarer l’appel de la Société INEOX recevable et bien fondé
Y faisant droit :
– Infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
– dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la SAS INEOX
– laissé les dépens à la charge de la SAS INEOX
En conséquence, statuant à nouveau,
– Déclarer les demandes de la Société Ineox bien fondées
– Débouter Monsieur [L] [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
– Condamner Monsieur [L] [G] dans les termes suivants :
. Répétition de l’indû (remboursement contrepartie financière clause de non-concurrence de juin à septembre 2020) : 4.894,03 €
. Provision sur indemnisation forfaitaire contractuelle (article 16 contrat de travail) : 38.000 €
. Article 700 CPC : 3.000 €
. Intérêts au taux légal
. Dépens éventuels, de première instance comme d’appel, étant précisé que ceux d’appel seront recouvrés par la SELARL LEXAVOUE PARIS VERSAILLES conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 29 juin 2022, M. [G] demande à la cour de :
« Vu les dispositions des articles R 1455-5 et R 1455-7 du Code du Travail,
– CONFIRMER dans toutes ses dispositions l’Ordonnance de référé rendue le 27 septembre 2021 par le Conseil de Prud’Hommes de PARIS,
– CONDAMNER la Société INEOX à verser à Monsieur [G] la somme de 5.000 € à titre provisionnel pour procédure abusive sur le fondement des articles 32-1 et 1240 du Code Civil
– CONDAMNER également la Société INEOX à verser à Monsieur [G] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre prendre à sa charge les entiers dépens de l’instance d’appel ».
La clôture a été prononcée le 1er juillet 2022.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L’appelante soutient que :
– M. [G] travaille au sein d’une entreprise concurrente exerçant une activité « similaire » ;
– l’application de la clause de non-concurrence poursuit un objectif proportionné par rapport au but recherché et n’empêche pas l’intimé d’exercer une quelconque activité professionnelle dans le domaine informatique qui est beaucoup plus large que les seules activités exercées au sein des sociétés concernées ;
– la violation de la clause de non-concurrence ne s’apprécie pas au regard des partenaires commerciaux du nouvel employeur mais uniquement au regard de la réalité de l’activité exercée ;
– M. [G] travaillait déjà depuis [Localité 5] avec la société Ineox qui y est implantée et en tout état de cause, la clause vise le territoire français et européen ;
– quand bien même l’intimé exercerait une activité différente au sein de la société Business & Décision, la violation de la clause serait caractérisée s’agissant d’une entreprise exerçant une activité similaire ;
– l’interdiction de non-concurrence vise en tout premier lieu toute entreprise exerçant une activité similaire indépendamment de l’activité réellement exercée par le salarié lui-même ; partant, dès lors que les sociétés exercent sur un secteur d’activité commun le principe de non-concurrence est caractérisé.
M. [G] fait valoir que :
– les demandes de la Société se heurtent à des contestations sérieuses, son ancien employeur étant défaillant à rapporter la preuve de la violation de son obligation de non-concurrence ;
– le simple fait qu’il ait été embauché par la société Business & Décision qui intervient dans un domaine « similaire » de celui de l’appelante, à savoir le domaine informatique, ne suffit pas à démontrer qu’il aurait violé la clause de non-concurrence ;
– la clause de non-concurrence ne peut pas être interprétée dans le sens souhaité par l’appelante, car cela reviendrait à le priver de pouvoir exercer une quelconque activité professionnelle dans une entreprise exerçant dans le domaine informatique dans lequel il est spécialisé depuis son entrée dans la vie active, et une telle interprétation devrait conduire à annuler la clause en la jugeant illicite ;
– les périmètres d’activité des deux sociétés sont très différents et ne couvrent pas les mêmes besoins clients et ne se trouvent donc pas dans le même secteur concurrentiel, alors que la société Ineox propose plutôt du conseil de gestion et la société Business & Décision du conseil aux logiciels informatiques ;
– il a été recruté auprès de la société Business & Décision pour effectuer des missions d’architecture technique directement en lien avec les technologies du ‘Cloud’ et a bénéficié de formations à ce titre s’agissant de ce domaine de compétence qui n’était pas exploité par son ancien employeur pendant la période où il a travaillé pour elle.
Sur ce,
Aux termes de l’article R. l455-7 du contrat de travail, « dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
S’agissant de la clause de non concurrence, elle doit être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise. Elle doit expressément faire référence à une limitation dans le temps et dans l’espace. Elle doit comporter une contrepartie financière.
Si le salarié manque, dès la rupture de son contrat de travail, même momentanément, à son obligation de non-concurrence, il perd son droit à indemnité qui est la contrepartie de l’obligation à laquelle il s’est soustrait. L’obligation de paiement de l’employeur est définitivement éteinte, même si le salarié cesse ensuite l’activité concurrente.
La clause de non-concurrence est libellée dans les termes suivants :
« Les parties ont convenu d’inclure dans le présent contrat de travail une clause de non-concurrence, étant précisé que la restriction de l’activité professionnelle de M. [L] [G] après la cessation de son emploi n’a pour but que de sauvegarder les intérêts légitimes de la Société et n’a pas pour résultat d’interdire l’exercice de l’activité professionnelle du salarié, ce qu’il reconnaît et accepte expressément.
En conséquence, en cas de cessation du présent contrat, de quelque manière et pour quelque raison que ce soit, le salarié s’interdit de s’intéresser, sous quelque forme que ce soit, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, à une activité dans le domaine d’activités couvert par la Société, susceptible de concurrencer la Société, ainsi que d’entrer au service, à quelque titre que ce soit, d’une entreprise exerçant une activité similaire. Cette interdiction est limitée à six mois à compter de la date de rupture du contrat de travail et sur le territoire français et européen.
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, pendant toute la durée de celle-ci, la Société versera mensuellement au salarié une indemnité brute égale à 30% de la moyenne mensuelle de la rémunération brute de base versée au salarié au cours de ses douze derniers mois de présence dans l’entreprise.
La Société se réserve le droit de dispenser M. [L] [G] d’exécuter cette clause.
Dans ce cas, elle devra en aviser le salarié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au plus tard dans les quinze jours suivants la date de la cessation de la rupture du contrat de travail.
En libérant le salarié de son obligation de non-concurrence, la Société sera déchargée du versement de l’indemnité prévue ci-dessus.
En cas de violation de la clause, M. [L] [G] sera automatiquement redevable d’une somme fixée forfaitairement et dès à présent à 38.000 Euros. La Société sera pour sa part libérée de son engagement de versement de la contrepartie financière.
Le paiement de cette somme n’est pas exclusif du droit que la Société se réserve de poursuivre M. [L] [G] en remboursement du préjudice effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle.
Le salarié s’engage à informer son nouvel employeur du contenu de la présente clause.
Cette clause est applicable dès l’embauche de M. [L] [G] ».
M. [G] occupait au sein de la Société un emploi de ‘consultant CRP Senior’ statut cadre position 2 3. coefficient 150.
Le contrat conclu avec son nouvel employeur fait état de fonction exercée ‘d’expert technique’ statut cadre position 2 3. coefficient 150.
Dans les deux cas la convention collective Syntec est applicable.
L’extrait K bis de la Société mentionne les activités principales suivantes :
« le conseil dans le domaine de la relation client en France et à l’international et plus généralement la prestation de services dans le domaine du conseil, de la formation, de la gestion de projet, de la recherche, de l’organisation, des processus du management, de la performance commerciale, de la conduite, du changement, du développement, de sites Internet, de vente de logiciels et matériels associés ».
L’extrait du site société.com renseigne s’agissant de la présentation de la société Ineox : « active depuis 7 ans. Implantée à [Localité 6], elle est spécialisée dans le secteur d’activité du conseil pour les affaires et autres conseils de gestion (…) ».
Les activités principales décrites à l’extrait K bis de la société Business & Décision sont les suivantes :
« informatique et notamment recherche, création, développement, diffusion, formation, initiation, application, exploitation et commercialisation de toute méthode ou logiciel ainsi que les activités de conseil de services et de développement appliqués aux grands systèmes et notamment aux réseaux Internet/Web et CRM ».
L’extrait du site société.com renseigne s’agissant de la présentation de la société Business & Décision : « elle est spécialisée dans le secteur d’activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques (…) ».
Il résulte de la comparaison des périmètres d’activité des deux sociétés en litige, rappelés ci-dessus, que la demande de la Société se heurte à l’évidence à une contestation sérieuse qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher, alors qu’il n’est pas établi avec l’évidence qui s’impose en matière de référé que l’intimé est entré au service d’une entreprise exerçant une activité similaire, la société Ineox proposant plutôt du conseil en organisation et en gestion alors que la société Business & Décision est davantage spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques.
L’ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par M. [G]
M. [G] qui sollicite des dommages et intérêts sur le fondement des articles 32-1 et 1240 du code civil soutient que :
– alors qu’une instance est pendante devant le conseil de prud’hommes, la Société a interjeté appel de l’ordonnance de référé alors qu’elle pouvait accepter la décision sans que cela ne lui porte de préjudice dans le cadre de la procédure au fond ;
– la Société ne démontre à aucun moment un trouble manifestement illicite alors qu’elle a intenté une procédure d’urgence injustifiée sans demander qu’il soit condamné à cesser son emploi, ce qui ne fait qu’encombrer la juridiction au lieu de faire valoir ses droits devant le bureau de jugement ;
– ces procédures lui occasionnent un stress important.
La Société fait valoir que :
– par cette demande, M. [G] cherche à impressionner la cour alors qu’elle est légitime à exercer sa voie de recours ;
– la procédure de référé n’est pas exclusivement réservée aux situations d’urgence mais aussi à celles d’absence de toute contestation sérieuse et de trouble manifestement illicite, cas qui sont caractérisés en l’espèce.
Sur ce,
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés ».
La cour ne peut que rappeler qu’il n’appartient pas à une partie de solliciter le prononcé d’une amende civile, lequel relève du pouvoir discrétionnaire du juge.
S’agissant de la demande fondée sur l’article 1240 du code civil qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », force est de constater qu’il appartient à l’intimé de prouver à l’égard de la Société une faute, un préjudice certain, né et actuel et le lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice.
La bonne foi procédurale étant toujours présumée, il appartient à M. [G] qui allègue un abus de procédure de la part de la Société d’apporter la preuve de cette mauvaise foi. Or, non seulement il échoue à rapporter cette preuve, mais surtout il ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui résultant de la nécessité d’assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de la présente instance devant la cour d’appel, lequel sera réparé par la prise en charge des dépens et l’indemnité allouée au titre des frais irrépétibles à hauteur de la somme qu’il a sollicitée, l’attestation de son épouse étant insuffisante pour ce faire.
Il sera débouté de sa demande.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La Société qui succombe, supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à l’intimé la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme l’ordonnance de référé en date du 27 septembre 2021du conseil de prud’hommes de Paris, en toutes ses dispositions ;
Et ajoutant,
Déboute M. [L] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Ioda Group aux dépens ;
Condamne la société Ioda Group à payer à M. [L] [G] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre.
La Greffière, Le Président,