4 mai 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/00115
COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00115 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYYA.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 21 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/00506
ARRÊT DU 04 Mai 2023
APPELANT :
Monsieur [F] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
comparant assisté de Maître Patrick BARRET de la SELARL BARRET PATRICK & ASSOCIES, avocat au barreau d’ANGERS substitué par Maître DONDANU, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 190171
INTIMEE :
S.A.S. EXPERIS FRANCE EXERCANT SOUS LE NOM COMMERCIAL EXP ERIS – PROSERVIA FIELD SERVICES Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat au barreau D’ANGERS (postulant) et par Maître MALLARD, avocat au barreau de PARIS (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La Sas Experis France (anciennement dénommée société Proservia) est une entreprise proposant aux entreprises la fourniture de solutions informatiques et la mise à disposition de personnel spécialisé en informatique. Elle applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec et emploie plus de onze salariés.
M. [F] [R] a été engagé par la société A2B dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée du 29 octobre 2004 au 29 décembre 2004, renouvelé jusqu’au 28 février 2005. À compter du 1er mars 2005, la relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, avec une reprise d’ancienneté au 29 octobre 2004. M. [R] occupait le poste de technicien de maintenance, ETAM, position 2.1, coefficient 275 de la convention collective précitée.
Le 1er octobre 2015, le contrat de travail de M. [R] a été transféré à la société Proservia suite au rachat de l’entreprise A2B.
M. [R] a d’abord bénéficié des dispositions de l’accord d’entreprise A2B applicable à la catégorie ‘modalité standard itinérant’, puis de l’accord d’entreprise Proservia relatif aux salariés itinérants conclu le 6 juin 2016.
Selon cet accord, ‘l’activité (de technicien itinérant) consiste à réaliser des interventions à la demande chez un client en tenant compte des délais d’intervention. Elle implique pour ce faire de planifier les interventions des salariés qui peuvent être amenés à se rendre sur plusieurs sites clients au cours d’une même journée.’
Du 1er au 31 décembre 2018, M. [R] a été affecté à une mission de technicien de proximité itinérant, intervenant dans un environnement multi-clients.
Le 26 novembre 2018, la société Proservia a indiqué à M. [R] qu’il était mis fin à sa mission d’itinérant. Dans les jours suivants, elle lui a proposé deux missions sédentaires, l’une au sein de la société Terrena et l’autre au sein de la société Valeo.
Par mail du 17 décembre 2018, M. [R] a refusé la proposition Terrena. Il indiquait par ailleurs que le poste chez le client Valeo lui convenait ‘tout à fait’ et qu’il souhaitait en discuter. Dans un mail ultérieur daté du même jour, il informait la direction qu’il n’apporterait une réponse définitive qu’à l’issue de son entretien avec M. [H], chargé des ressources humaines, fixé le 19 décembre suivant.
Lors de cet entretien, M. [R] a exprimé son souhait de conserver les avantages liés à ses missions d’itinérant. Par mail du 19 décembre 2018, M. [H] lui a indiqué que la société Proservia ne pouvait maintenir ces avantages (panier repas, véhicule de service, prime de gestion administrative) compte tenu de la sédentarité du poste, mais qu’il bénéficierait des compensations liées aux postes ‘hors itinérant’ (tickets restaurants, frais professionnels). Compte tenu du caractère urgent de la nouvelle mission devant commencer début janvier 2019, il lui demandait sa réponse au plus tard pour le vendredi 21 décembre 2018.
Par mail du 21 décembre 2018, M. [R] sollicitait de nouveau auprès de son employeur, le maintien de certains avantages en contrepartie de son accord pour la mission Valeo, à savoir la prise en charge complète de son panier-repas et de ses frais de route ainsi que le maintien de l’indemnité de gestion administrative.
Par courrier du même jour, M. [H] confirmait à M. [R] que ses demandes liées à l’itinérance ne pouvaient être accordées dans le cadre de cette mission, acceptait toutefois de lui maintenir le véhicule de service jusqu’au 30 mars 2019, et lui demandait une réponse impérative pour le soir-même.
En l’absence de réponse de M. [R], par mail du 26 décembre 2018, la société Proservia a pris acte de son refus d’intégrer la mission Valeo. Puis, par courrier du 3 janvier 2019, elle l’a convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 14 janvier 2019.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 janvier 2018, la société Proservia a notifié à M. [R] son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui reprochant son refus d’honorer ses obligations contractuelles alors que les missions Terrena puis Valeo correspondaient à son intitulé de poste et étaient conformes à ses souhaits de se sédentariser.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers le 29 juillet 2019 pour obtenir la condamnation de la société Proservia à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Proservia s’est opposée aux prétentions de M. [R] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le licenciement de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– débouté M. [R] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné M. [R] aux entiers dépens.
M. [R] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 16 février 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’il énonce dans sa déclaration.
La société Sas Experis France anciennement dénommée Proservia a constitué avocat en qualité d’intimée le 10 mars 2021.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur du 7 février 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [R], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 11 mai 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
– le déclarer recevable et fondé en son appel ;
– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
– dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– en conséquence, condamner la société Experis France à lui verser la somme de 52 011,32 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la société Experis France à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Experis France aux dépens de l’instance.
M. [R] fait valoir que le poste qu’il occupait jusqu’au 31 décembre 2018 a été supprimé suite à une baisse d’activité de la société et des pertes financières. C’est dans ce cadre que lui ont été proposées les deux missions Terrena et Valeo, lesquelles caractérisaient une modification de son contrat de travail en ce qu’elles entraînaient la suppression des avantages dont il bénéficiait du fait de son activité itinérante. Il précise à cet égard que le caractère itinérant de son contrat de travail était contractualisé. Il assure alors qu’il était en droit de les refuser, et que son refus ne peut suffire à fonder son licenciement de sorte que celui-ci est dénué de cause réelle et sérieuse.
À titre subsidiaire, M. [R] soutient que la faute qui lui est reprochée ne revêt pas un caractère suffisamment sérieux pour justifier la rupture de son contrat de travail. Il souligne la précipitation de son employeur, affirmant qu’il n’a eu que deux jours pour donner sa réponse aux propositions qui lui ont été faites, de surcroît à la veille de ses congés, soulignant que son employeur a pris acte de son refus lors de ceux-ci. Il prétend que la société Proservia a souhaité éluder le véritable motif de son licenciement, lequel était économique.
*
La société Sas Experis France, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 30 juillet 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
– déclarer M. [R] irrecevable en son appel et en tout cas non fondé en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, l’en débouter ;
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers en toutes ses dispositions ;
Ce faisant :
– juger le licenciement de M. [R] bien-fondé ;
En conséquence :
– débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner M. [R] aux entiers dépens avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
La société Experis France rappelle qu’en raison de son statut de technicien de maintenance, M. [R] était amené à changer de mission pour effectuer les travaux qui lui étaient confiés. Elle affirme que ces missions étaient toujours en adéquation avec ses compétences techniques et son expérience professionnelle, et que la clause de mobilité insérée à son contrat de travail prévoyait un périmètre d’intervention sur toute la France.
Elle soutient ensuite que M. [R] a refusé de manière injustifiée deux missions conformes à ses compétences professionnelles et à ses aspirations personnelles, soulignant qu’il avait manifesté son souhait de réaliser des missions sédentaires. A cet égard, elle affirme que la suppression des éléments évoqués par le salarié (frais professionnels, compensation de sujétions liées au statut d’itinérant) ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors que ceux-ci n’étaient pas contractuellement prévus mais liés à l’accord d’entreprise relatif aux salariés itinérants dont il ne pouvait plus bénéficier au regard de la nature des missions proposées.
Elle assure également que le refus du salarié a impacté ses relations avec ses clients, notamment la société Valeo, laquelle a été informée seulement quelques jours avant le démarrage de la mission de l’impossibilité d’y positionner M. [R].
La société Experis France prétend enfin qu’aucun motif économique ne sous-tend le licenciement de M. [R], affirmant que son poste n’a été ni supprimé, ni modifié.
MOTIVATION
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 18 janvier 2019 qui fixe les limites du litige, est rédigée sur quatre pages et est motivée ainsi :
‘(…) De fait, votre premier refus de mission pour notre client Terrena, ainsi que l’absence de réponse de votre part pour la mission Valeo qui devait démarrer dès votre retour de congés, que nous assimilons ni plus ni moins à un refus, ont nuit à l’image de notre entreprise vis-à-vis de nos clients et ont fortement perturbé notre activité, en particulier celle de notre équipe intervenant sur le site Valeo à [Localité 6] qui subit encore les conséquences de votre absence.
Lors de notre entretien du lundi 14 janvier 2019 à 15h30, vous avez reconnu avoir refusé la mission pour notre client, la société Terrena, mais n’avez pas voulu reconnaître votre absence de réponse positive pour commencer la mission pour notre client Valeo, et vous nous avez rappelé être disposé à accepter celle-ci dès lors que nous répondrons favorablement à vos exigences salariales, démontrant votre état d’esprit délétère.
Ainsi, votre manque de discernement, vos manquements à vos obligations contractuelles ainsi que votre volonté délibérée de ne pas respecter les règles de l’entreprise sont intolérables et inadmissibles.
Nous constatons que vous avez délibérément refusé de démarrer une nouvelle mission dans notre entreprise, bien que celles-ci correspondaient parfaitement à votre intitulé de poste contractuel de ‘technicien de maintenance’ et répondaient parfaitement (aux) souhaits professionnels et personnels que vous aviez exprimés dans vos deux derniers entretiens de carrière, quitte à porter atteinte à la bonne marche de l’entreprise.
Comme cela a été dit lors de cet échange, nous ne pouvons tolérer que l’un de nos collaborateurs agisse de la sorte et enfreigne les règles d’entreprise pourtant indispensables à notre bon fonctionnement. De plus, votre absence de remise en question et votre persistance à refuser d’honorer votre contrat de travail démontrent votre insubordination persistante. Nous tenons à vous rappeler que les changements de mission font pleinement partie de notre activité en tant que prestataire de service informatique.
Force est de constater que votre volonté d’outrepasser les règles de l’entreprise s’est associée à un manque de respect vis-à-vis des personnes de l’entreprise qui se sont investies afin de vous trouver une nouvelle mission. (Pour preuve, l’absence de réponse au courriel de M. [K], service delivery manager, du 17 décembre 2018.) (…)’
M. [R] prétend que son statut d’itinérant était contractualisé, qu’il bénéficiait de ce fait d’avantages tels qu’une indemnité de gestion administrative, une indemnité de repas, la mise à disposition d’un véhicule, d’une tablette avec connexion Data, d’un smartphone, d’un kit boîte à outils, d’une clé USB et d’une douchette USB, que les postes proposés au sein des sociétés Terrena et Valeo entraînaient la suppression de ces avantages, et partant, une modification de son contrat de travail qu’il était en droit de refuser. Il en déduit que son licenciement fondé sur ce seul refus est sans cause réelle et sérieuse.
La société Experis France affirme que ni le statut d’itinérant ni les compensations liées aux contraintes de ce statut n’étaient contractualisés, que ces dernières résultent d’un accord d’entreprise applicable aux seuls salariés itinérants, et que partant, les postes sédentaires proposés au sein des sociétés Terrena et Valeo, lesquels étaient conformes aux attributions et aux compétences professionnelles de M. [R] de même qu’à ses aspirations personnelles, constituaient un changement de ses conditions de travail qu’il n’était pas en droit de refuser. Elle en déduit que le licenciement de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse.
1. Sur la modification du contrat de travail
L’article L.1221-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter.
L’article L.1222-1 du code du travail précise que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La modification du contrat de travail, en ce qu’elle porte sur l’un des éléments essentiels du contrat tels que notamment la qualification, la rémunération ou la durée du travail du salarié, se distingue d’un simple changement dans les conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et, dès lors, ne peut être imposée au salarié sans son accord.
En l’espèce, le contrat de travail régularisé par la société A2B et M. [R] le 1er mars 2015 mentionne en en-tête ‘ETAM Standard itinérant’.
Par ailleurs, le premier alinéa de l’article 3 de ce contrat intitulé ‘durée du travail et horaires de travail’ est libellé ainsi : ‘eu égard aux dispositions de votre contrat de travail, vous relèverez, en application des dispositions de l’accord relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail, de la catégorie ‘modalité standard itinérant’.’
Il s’en déduit que le statut d’itinérant a été contractualisé par les parties.
M. [R] affirme sans être valablement contredit avoir bénéficié de ce statut
pendant toute la durée de son contrat de travail. Il en justifie à tout le moins pour la période du 1er au 31 décembre 2018 en communiquant l’ordre de mission correspondant qui mentionne expressément son affectation à une ‘mission de technicien proximité itinérant’.
L’accord d’entreprise Proservia relatif aux salariés itinérants signé le 6 juin 2016 qui a mis fin à l’accord d’entreprise A2B visé par le contrat de travail de M. [R] et s’est substitué à lui, prévoit notamment, l’octroi d’une prime mensuelle de 60 euros qualifiée d’indemnité de gestion administrative, une indemnité de repas de la mi-journée forfaitaire et sans justificatif de 13 euros, la mise à disposition d’un véhicule utilitaire avec prise en charge des frais liés aux déplacements réalisés avec ce véhicule, ainsi que du matériel tel qu’une tablette avec connexion Data, un smartphone, un kit boîte à outils, une clé USB et une douchette USB.
Il est acquis aux débats que les missions Terrena et Valeo sont des missions sédentaires entraînant la suppression des avantages précités, notamment l’indemnité de gestion administrative, l’indemnité de repas de la mi-journée forfaitaire et sans justificatif, et les frais de déplacement dont les frais de route domicile/travail aller et retour dans la mesure où ce véhicule était à la disposition permanente des salariés itinérants.
Par mail du 21 décembre 2018, M. [R] a indiqué qu’il ne pouvait voir supprimer la ‘prime administrative’, qu’il souhaitait que le reste à charge du ‘panier repas’ après prise en charge du ticket restaurant de 8,50 euros soit nul pour lui, et que l’achat et l’entretien d’un véhicule personnel constituaient une charge trop importante, étant précisé que selon la société Experis France, le site Terrena était situé à ‘moins de 26 kilomètres’ de chez lui, et le site Valeo à 25 kilomètres.
M. [R] percevait un salaire mensuel moyen de 2 167,14 euros brut, prime de gestion incluse, laquelle avait la nature de salaire en ce qu’elle était soumise à cotisations.
Il s’en suit que l’affectation de M. [R] sur le site Terrena ou sur le site Valeo emportant la suppression du statut d’itinérant dont il avait au demeurant accepté les contraintes, aurait généré des pertes financières conséquentes pour le salarié et des incidences significatives sur son budget.
Partant, les propositions d’affectation de M. [R] sur chacun de ces sites s’analysent en une modification de son contrat de travail nécessitant son accord.
2. Sur le bien-fondé du licenciement
Lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail, l’employeur doit, soit renoncer à la modification envisagée, soit engager la procédure de licenciement.
Si un salarié est toujours en droit de refuser la modification de son contrat de travail, et si l’employeur qui entend maintenir cette modification est alors tenu de le licencier, le licenciement qui est prononcé n’est pas en soi dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le seul refus par un salarié d’une modification de son contrat de travail ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il est de principe que la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne constitue un licenciement pour motif économique.
En application de l’article L.1235-5 du code du travail, il appartient au juge d’examiner le motif qui a conduit l’employeur à proposer la modification du contrat de travail refusée.
Il est avéré que M. [R] a refusé la proposition d’affectation sur le site Terrena. Son silence sur la proposition d’affectation sur le site Valeo ne peut valoir acceptation laquelle devait être expressément affirmée. C’est donc à bon droit que l’employeur a considéré que cette absence de réponse valait refus.
Lors de la réunion des délégués du personnel du 13 décembre 2018, la société Proservia a informé ces derniers de ce que, dans le cadre d’une baisse d’activité, des techniciens en mission au sein du service itinérant multi-clients faisaient l’objet de repositionnements sur d’autres missions dans l’entreprise. La société Proservia ajoutait que la situation financière du service itinérant allait connaître une perte financière en 2018.
Au surplus, dans son mail du 19 décembre 2018, M. [H] indique à M. [R] qu »au regard de la situation actuelle (manque de travail et pertes financières du Field (service multiclients)), nous devons te repositionner sur une autre mission client du fait de la suppression de ton poste sur [Localité 5].’ Il précise dans son mail du 21 décembre 2018, que ‘du fait de l’absence d’activité sur le bassin d'[Localité 5] associé aux pertes financières du service Field-multiclients, c’est bien le poste en lui-même qui est supprimé sur le bassin d'[Localité 5]’.
Il s’en suit que le motif qui a conduit la société Proservia à proposer les modifications du contrat de travail refusées résulte des pertes financières du service multiclients et de la suppression du poste du salarié au sein de ce service, de sorte que ce motif est non inhérent à la personne de M.[R].
L’examen de la lettre de licenciement révèle que l’employeur n’a pas invoqué d’autres motifs inhérents à la personne de M. [R] que son refus d’acceptation de ces deux propositions et les conséquences qui en ont, selon lui, résulté.
Partant, le refus du salarié d’une modification de son contrat de travail ne peut être considéré comme fautif.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige démontre que l’employeur s’est placé sur le terrain disciplinaire et non sur le terrain économique.
En conséquence, le licenciement de M. [R] est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Les dispositions de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct entre particuliers de sorte que leur invocation devant le juge, dans le cadre de la contestation d’un licenciement, ne peut pas conduire à écarter l’application du barème prévu par les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, étant par ailleurs acquis que ces dernières sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
Il appartient seulement au juge d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L.1235-3 du code du travail, lesquels sont compris, au vu de son ancienneté, entre 3 mois et 12 mois de salaire.
M. [R] avait 14 ans d’ancienneté et il était âgé de 56 ans au moment du licenciement. Il allègue d’un préjudice constitué par les difficultés pour retrouver un emploi au vu de son âge, et d’une dégradation de son état de santé consécutive à son licenciement. Pour autant, s’il justifie avoir perçu les allocations chômage jusqu’au 30 septembre 2019, il ne donne aucun élément sur sa situation postérieure. Par ailleurs, il ne justifie pas de la dégradation de son état de santé.
Par conséquent, le préjudice subi par M.[R] du fait de son licenciement sera réparé par l’allocation d’une somme que la cour est en mesure de fixer à 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
Selon l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles qu’il énonce, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés, de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Les conditions d’application de cet article étant réunies, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Experis France à Pôle emploi des indemnités de chômage effectivement versées à M. [R] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [R] et de condamner la société Experis France à lui verser la somme de 3 000 euros à ce titre qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
La société Experis France qui succombe à l’instance doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, publiquement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 21 janvier 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :
DIT que le licenciement de M. [F] [R] est sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la Sas Experis France à payer à M. [F] [R] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la Sas Experis France à payer à M. [F] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
ORDONNE à la Sas Experis France de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à M. [F] [R] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités ;
DEBOUTE la Sas Experis France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE la Sas Experis France aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ,
Viviane BODIN Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS