COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00452 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EXX4.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 18 Novembre 2020, enregistrée sous le n° F19/00539
ARRÊT DU 28 Février 2023
APPELANTE :
S.A.S. SOLWARE LIFE Société par Actions Simplifiée à associé unique, immatriculée le 25 janvier 2012 au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON (69000) sous le numéro 400 761 938, agissant poursuites et diligences de son réprésentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Maître Sophie DUFOURGBURG, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 20094 et par Maître GAZER, avocat plaidant au barreau de LYON
INTIME :
Monsieur [C] [J]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Elodie TONIAZZO de la SELARL TONIAZZO ELODIE, avocat postulant au barreau de NIMES et par Maître AHARFI, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Décembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 28 Février 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société Solware Santé devenue par la suite société par actions simplifiée Solware Life est spécialisée dans l’édition de logiciels applicatifs dans les établissements accueillant des personnes âgées ou handicapées. Elle emploie au moins onze salariés.
M. [C] [J] a été engagé par la société Solware Santé en qualité de formateur pour la région Pays de la Loire et Bretagne par contrat à durée déterminée avec effet du 8 décembre 2009. Puis la relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée conclu le 8 juin 2011avec reprise d’ancienneté au 8 décembre 2009. La convention nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec, était applicable à la relation de travail.
M. [J] a entendu prendre acte de la rupture de son contrat de travail le 5 avril 2019.
M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers le 1er juillet 2019 aux fins de voir produire à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir en conséquence les diverses indemnités et dommages et intérêts en résultant. Il sollicitait en outre la condamnation de la société Solware Life à lui payer des rappels de salaire au vu des fonctions exercées, de sa classification et des minima conventionnels garantis, outre des indemnités compensatrices de congés payés sur primes d’objectifs et des dommages et intérêts en raison de l’exécution déloyale du contrat de travail par son employeur. Il réclamait enfin la délivrance de bulletins de paie rectifiés ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Solware Life s’est opposée à ces prétentions en réclamant une indemnité au titre de ses frais irrépétibles.
Par jugement du 18 novembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Angers a :
– jugé que la rupture de son contrat de travail par M. [J] le 5 avril 2019 est intervenue aux torts exclusifs de la société Solware Life ;
– jugé que cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et par voie de conséquence condamné la société Solware Life à payer à M. [J] une indemnité compensatrice de préavis d’un montant brut de 7554 euros et l`indemnité compensatrice de congés payés y afférents soit la somme de 755 euros, une indemnité conventionnelle de licenciement d`un montant de 8608 euros, ainsi qu’à des dommages et intérêts dont le montant est fixé à la somme de 19 369 euros ;
– fait droit à la demande de M. [J] sur le rappel de salaire par défaut d’application de la convention collective et de la classification professionnelle cadre, et condamné la société Solware Life à lui payer à ce titre la somme de 8962 euros à laquelle s’ajoute l’indemnité compensatrice de congés payés d’un montant de 896 euros ;
– ordonné la remise par la société Solware Life à M. [J] de bulletins de paie conformes en application du jugement ;
– jugé qu’il n’y a pas lieu à paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés sur les primes d’objectifs versées ;
– jugé que le contrat de travail de M. [J] n’a pas été exécuté de bonne foi et condamné la société Solware Life à lui payer des dommages et intérêts d’un montant de 5000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– rappelé l’exécution provisoire de droit en application des articles R 1454-14 et 28 du code du travail, la moyenne des salaires des trois derniers mois étant fixée à la somme de 2518 euros ;
– ordonné le remboursement par la société Solware Life des indemnités versées le cas échéant à M. [J] par Pôle emploi, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans la limite d’un mois d’indemnité ;
– condamné la société Solware Life à verser la somme de 1500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La société Solware Life a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 18 décembre 2020, son appel portant sur l’ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration.
M. [J] a constitué avocat le 10 janvier 2021.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 1er décembre 2022.
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MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Solware Life, dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 10 septembre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris ;
– juger que la prise d’acte de rupture de M. [J] s’analyse en une démission ;
– débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes ;
– le condamner à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société Solware Life fait valoir en substance que les deux griefs articulés par M. [J] ne sauraient conduire à ce que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle soutient tout d’abord que le premier manquement reproché par M. [J] et résultant de l’intégration de sa rémunération variable contractuelle à sa rémunération fixe à compter de 2013, modification non défavorable opérée six ans avant la prise d’acte, n’était pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. Elle précise au surplus qu’elle s’était engagée à régulariser le versement du variable puisque de fait, elle admet que l’intégration au fixe avait été effectuée sans recueillir l’accord des salariés.
L’employeur prétend ensuite que le deuxième grief relatif à la classification de cadre revendiquée pour la première fois fin 2018, soit 7 ans après l’engagement de M. [J] qui s’en était manifestement accommodé, n’est pas davantage d’une gravité suffisante pour justifier la prise d’acte. Il considère au surplus que M. [J], classé en position Etam, ne justifie aucunement d’une qualité de cadre position 3.1 ni même 2.2 telle qu’alléguée. Il relève qu’en tout état de cause, le salarié bénéficiait d’une rémunération supérieure au minimum conventionnel applicable à un cadre 2.1.
La société Solware Life relève que l’explication du caractère tardif de ces demandes et de la prise d’acte de rupture réside dans une démarche de pure opportunité de M. [J] suite à une embauche concomitante chez un nouvel employeur l’ayant obligé à rompre sa relation de travail immédiatement et libre de tout engagement.
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Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 3 octobre 2022, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [J] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a retenu sa demande présentée à titre subsidiaire, au titre des salaires par défaut d’application de la convention collective et de la classification professionnelle cadre -statut cadre position 2.2- à hauteur de 8962 euros brut outre l’indemnité compensatrice de congés payés afférents de 896 euros brut ;
– débouter la société Solware Life de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner la société Solware Life aux frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens ;
Par conséquent, de statuer à nouveau et de :
– juger fondée la rupture du contrat de travail du 5 avril 2019 aux torts exclusifs de la société Solware Life au vu de l’existence de manquements graves à ses obligations contractuelles rendant manifestement impossible la poursuite du contrat de travail ;
– juger fondés les rappels de salaires au vu des fonctions exercées de manière effective, au vu de la classification conventionnelle professionnelle Syntec et des salaires minimums garantis par la convention collective applicable ;
– juger fondée l’exécution particulièrement déloyale du contrat de travail par la société Solware Life ;
– par conséquent, condamner la société Solware Life à lui verser les sommes suivantes :
– dommages et intérêts du fait de la requalification de la prise d’acte en date du 5 avril 2019 aux torts de l’employeur et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (7 mois de salaires) : 19 369 euros,
– indemnité conventionnelle de licenciement : 8 608 euros net outre les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes,
– indemnité compensatrice de préavis outre les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes : 7 554 euros brut outre les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes,
– indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 755 euros brut outre les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes,
– rappel de salaire ‘ Statut Cadre position 3.1 : 58 844 euros brut + indemnité compensatrice de congés payés afférents de 5985 euros brut outre les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes,
A titre subsidiaire : rappel de salaire ‘ statut cadre position 2.2 : 8 962 euros brut outre l’indemnité compensatrice de congés payés afférents de 896 euros et les intérêts de retard qui ont pu courir depuis la date de citation devant le conseil de prud’hommes,
– rappel d’indemnité compensatrice de congés payés sur primes d’objectifs 2016-2017-2018 versées : 849 euros brut ;
– dommages et intérêts en raison de l’exécution déloyale du contrat de travail : 5 000 euros ;
– article 700 du code de procédure civile : 4000 euros outre les dépens de l’instance;
– ordonner la remise de bulletins de paie conformes à compter du mois de juin 2016 et jusqu’à la date de rupture du contrat de travail.
M. [J] prétend en substance que sa prise d’acte repose sur deux griefs qui l’ont empêché de poursuivre la relation de travail.
Il précise que le premier manquement de l’employeur est constitué par le non-paiement de ses primes d’objectifs depuis l’année 2013 lesquelles représentaient 10% de sa rémunération annuelle ce, en contradiction avec les stipulations de son contrat de travail alors modifié unilatéralement par l’employeur.
Il soutient ensuite que la société Solware Life lui a appliqué une classification professionnelle -Etam position 2.1-ne correspondant ni à celle convenue au contrat de travail – de cadre- ni aux fonctions véritablement exercées ce, et alors qu’il était soumis à une convention de forfait en jours.
Il ajoute que son autonomie était réelle et complète et sa polyvalence indéniable, précisant que plusieurs collaborateurs attestent tant de ses responsabilités que du traitement inégalitaire imposé par la société Solware Life. Il considère en conséquence qu’il aurait dû bénéficier du statut cadre position 3.1 ou à tout le moins 2.2.
Il rappelle encore avoir sollicité son employeur sur ces deux points plusieurs mois avant sa prise d’acte et non, ainsi que le prétend celui-ci, pour être libre de tout engagement au plus vite.
Il souligne au contraire la mauvaise foi avec laquelle l’employeur l’a privé d’une rémunération et d’un statut auxquels il pouvait prétendre.
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MOTIVATION
– Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail :
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
Les manquements invoqués par le salarié doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et il lui appartient d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
En l’espèce, par courrier du 5 avril 2019, M. [J] a entendu prendre acte de la rupture de son contrat de travail en ces termes :
‘ (…) Bien que je n’ai jamais souhaité en arriver là, je suis aujourd’hui contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail par ce courrier au vu des conséquences graves de la situation sur ma rémunération et sur mon avancement professionnel et notamment :
– non-application et non-respect de mon statut de cadre prévu expressément par mon contrat de travail du 8 juin 2011 ;
– non-respect des salaires minimums conventionnels liés à mon statut de cadre au forfait-jours prévu par la convention collective Syntec. Je perçois 2518 euros brut de salaire par mois alors que je suis cadre contractuel, diplômé ingénieur et au forfait-jours (a minima 680 euros de rémunération non versée par mois puisqu’un salarié au forfait cadre classé 2.2 Syntec doit être rémunéré minimum 3199 euros soit sur une seule année une perte de rémunération de 8 160 euros…) ;
– non-respect de ma véritable position au sein de la classification professionnelle Syntec ;
– non-fixation de mes objectifs de l’année 2013 pourtant prévue par mon contrat de travail et par conséquent non-versement de mes primes d’objectifs qui sont par année d’un montant de 10% de ma rémunération annuelle (environ 2500 euros en moyenne par an) selon mon contrat de travail et ce depuis 2013 ;
– inégalité de traitement puisque des salariés pour une ancienneté équivalente à diplôme équivalent ou inférieur et au même poste que moi sont bien cadres au sein de la société Solware.’
– Sur les manquements relatifs à la rémunération variable (non-fixation des objectifs et non-versement des primes d’objectifs) :
L’article 2 du contrat de travail de M. [J] stipule qu »en contrepartie de ses services, le salarié percevra une rémunération fixe brute mensuelle de 2000 euros, ainsi qu’une rémunération variable sur objectif de 10% du salaire brut annuel, versée en deux fois. En cas d’atteinte des objectifs semestriels fixés, cette rémunération variable sera versée le mois suivant la fin du semestre (soit en juillet et en janvier).’
Il est constant que M. [J] a perçu sa rémunération conformément à ces prévisions contractuelles en janvier 2013. A compter de cette date, l’employeur n’a plus fixé d’objectifs ni procédé au paiement d’une prime quelconque.
La société Solware Life indique que par la suite, la partie variable sur objectifs a été intégrée (10% de la rémunération annuelle) dans son fixe ce, sans prendre ‘la précaution de régulariser cette intégration de la prime d’objectifs dans le salaire fixe par voie d’avenant’, ainsi qu’elle l’admet elle-même.
Si les augmentations salariales semblent correspondre de fait à cette intégration, l’employeur ne justifie d’aucun accord préalable du salarié ni même de la moindre explication apportée au salarié, la société Solware Life, elle-même, ayant dû procéder à diverses recherches pour déterminer l’origine de cette évolution.
Or, la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l’employeur prétende que le nouveau mode serait plus avantageux (Soc., 18 mai 2011, n°09-69.175), ou que le nouveau mode de rémunération soit supérieur au salaire antérieur (Soc., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-21.352).
Le conseil de prud’hommes a parfaitement considéré que cette intégration résultant d’une décision unilatérale de l’employeur, alors que les primes d’objectifs avaient fait l’objet d’une stipulation contractuelle quant à leur calcul et leur périodicité de versement, constituait une modification unilatérale du contrat de travail, peu important qu’il s’agisse d’une mesure collective appliquée à plusieurs formateurs ou d’une décision favorable au salarié dès lors que la prime variable devenait acquise dans sa totalité indépendamment des objectifs. De même, c’est à raison qu’il a conclu que l’employeur aurait dû recueillir préalablement l’accord de M. [J] et régulariser la modification par un avenant signé par le salarié.
C’est en vain que la société Solware invoque l’absence de gravité de ce manquement au motif que d’une part, la modification était à l’avantage de M. [J], lequel s’en serait accommodé sur plusieurs années et que d’autre part, elle avait annoncé au salarié une régularisation par un paiement du solde de rémunération variable ce, par courrier du 2 avril 2019 soit antérieurement à la prise d’acte de la rupture.
Il doit être relevé que M. [J] s’est manifesté auprès de son employeur pour dénoncer ce manquement en décembre 2018, message réitéré le 1er février 2019 et non à la seule occasion de son courrier de notification de la prise d’acte. Ce n’est qu’à la suite de ces échanges et selon ses propres termes ‘devant la demande réitérée de M. [J]’, que la société Solware Life va décider ‘au regard de la jurisprudence précitée’, au demeurant constante depuis 1998, de régulariser la situation ainsi qu’elle l’annoncera dans son courrier du 2 avril 2019.
Or, la régularisation entreprise ne consistait pas seulement à soumettre un avenant au contrat de travail afin de recueillir la signature et donc l’accord du salarié, mais au paiement de rappels de primes d’objectifs -effectivement versés à l’occasion du solde de tout compte- à hauteur de 2507,6 euros pour 2016, 2989,46 euros pour 2017 et 2996,25 euros pour 2018, ce qui à l’évidence contredit le caractère ‘avantageux’ de décision unilatérale prise par l’employeur en 2013.
Ainsi que l’ont relevé avec justesse les premiers juges, M. [J] a été privé du paiement de ses primes d’objectifs et ce définitivement pour les années 2014 et 2015, la régularisation étant intervenue dans les limites de la prescription applicable.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments, que la décision de la société Solware Life de changer la structure de la rémunération de M. [J] en ne fixant plus d’objectifs annuels au salarié et en ne procédant plus au paiement de la prime d’objectifs selon les modalités stipulées contractuellement, est un manquement suffisamment grave de l’employeur justifiant à lui seul l’absence de poursuite de la relation de travail et la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société Solware Life.
– Sur la classification professionnelle et la qualification de non-cadre attribuée à M. [J] :
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
Le contrat de travail de M. [J] stipule en son article 1er que le salarié est engagé en qualité de formateur et que ‘compte-tenu des fonctions occupées, il sera classé dans la position 2.1 coefficient 275, statut Etam tel que prévu par la convention collective nationale Syntec. (…), étant précisé que ‘M. [J] devra assumer les tâches de formateur sous la responsabilité de M. [F] [T] ou de M. [M] [D] ou de toute autre personne désignée par lui’.
De manière contradictoire, l’article suivant relatif à ‘la rémunération et au temps de travail’ prévoit la soumission à un forfait-jour ‘en raison de l’autonomie du salarié dans l’exécution de son travail’ et ajoute que ‘la rémunération fixée au présent contrat a été convenue en tenant compte de la nature des fonctions, des responsabilités confiées et du statut de cadre octroyé à M. [J] à la fin de sa période d’essai’.
La société Solware Life allègue une erreur de plume s’agissant de la rédaction de l’article 2 précité du dit contrat de travail. De fait, les bulletins de paie et le compte-rendu de l’entretien annuel d’évaluation du salarié du 18 février 2016 font également état d’une qualification Etam de formateur conseil, ayant évolué à une position 3.1 et de l’application du forfait jour, et il n’est pas contesté que M. [J] a été rémunéré sur la base de cette qualification et considéré comme tel en conformité avec l’article 1er du contrat de travail précité. Dès lors, M. [J] ne peut valablement prétendre que le statut de cadre était prévu ‘sans la moindre ambiguïté’ par les stipulations de son contrat de travail au regard de la contradiction ainsi soulignée.
En outre, si l’accord relatif à la durée du travail du 22 juin 1999 (article 4.1) annexé à la convention collective applicable prévoit que les salariés soumis à un forfait en jours, ‘relèvent au minimum de la position 3 de la grille de classification des cadres de la convention collective nationale et bénéficient d’une rémunération annuelle supérieure à deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale ou sont mandataires sociaux’, il est de principe que l’impossibilité d’appliquer une convention de forfait en jours par l’employeur, ne saurait ouvrir le droit pour le salarié, soumis néanmoins à un tel forfait, de revendiquer l’application du statut cadre 3.1 et ses conséquences en termes de rémunération.
Il reste qu’en cas de différend sur la classification professionnelle qui doit être attribuée à un salarié, les juges doivent rechercher la nature de l’emploi effectivement occupé et la qualification qu’il requiert au regard de la convention collective applicable.
La classification de cadre position 3.1 est ainsi définie par l’annexe II de la convention Syntec:
‘ Ingénieurs ou cadres placés généralement sous les ordres d’un chef de service et qui exercent des fonctions dans lesquelles ils mettent en ‘uvre non seulement des connaissances équivalant à celles sanctionnées par un diplôme, mais aussi des connaissances pratiques étendues sans assurer, toutefois, dans leurs fonctions, une responsabilité complète et permanente qui revient en fait à leur chef. »
Pour une bonne compréhension du litige, il est à souligner que la position inférieure 2.3 concerne ‘les ingénieurs ou cadres ayant au moins six ans de pratique en cette qualité et étant en pleine possession de leur métier ; partant des directives données par leur supérieur, ils doivent avoir à prendre des initiatives et assumer des responsabilités pour diriger les employés, techniciens ou ingénieurs travaillant à la même tâche’.
Il est de principe que pour rechercher si un salarié relève de la position cadre 3.1, il n’y a pas lieu de se référer à des critères relatifs à d’autres niveaux de classification que celle correspondant à la catégorie 3.1, ni en d’autres termes de rechercher si le salarié a une position de commandement ou la responsabilité de coordonner le travail d’autres cadres tels qu’exigés pour la position ingénieur 2.3 (Soc., 15 mars 2017, n° 15-19.958).
Ainsi, la position 3.1 n’impose pas nécessairement de fonctions de commandement.
Le contrat de travail ne précise pas les fonctions exercées par M. [J] au-delà de leur intitulé et il n’est pas versé aux débats de fiche de poste correspondante.
Il n’est pas contesté que M. [J], ingénieur de formation depuis 1999, est diplômé d’un master ‘chef de projet ERP’ depuis novembre 2009, ce qui lui a permis d’être engagé en qualité de formateur pour exercer in fine les fonctions de formateur conseil.
Il est constant que celui-ci était chargé d’assurer des formations auprès des clients de la société Solware Life en se déplaçant au sein de leurs établissements médicaux-sociaux, de former et d’assister les utilisateurs (équipes soignantes dans les secteurs sanitaire et médico-social) sur deux progiciels commercialisés (PSI et Easy suite). Ses anciens collaborateurs soulignent l’autonomie de M. [J] nécessitant une gestion complète de ses déplacements, des formations et de leur contenu.
M. [J] communique trois attestations de salariés ayant aussi occupé le poste de formateur conseil témoignant du traitement inégalitaire des formateurs conseils au sein de la société, certains bénéficiant d’une annualisation du temps de travail et d’autres de l’application des dispositions relatives à la durée légale du travail ce, sans lien avec l’ancienneté. Il convient néanmoins de relever que certains de ces salariés, comme Mme [O], avaient été employés initialement par une autre société, la société ASC21 au sein de laquelle ils avaient évolué au statut de cadre ‘après trois ans d’ancienneté comme le stipulait [leur] contrat’ de sorte qu’à l’occasion du rachat de ladite société par Solware leur contrat ne pouvait être modifié en application de l’article L. 1224-1 du code du travail. M. [N] exerçant des fonctions de formateur au service de déploiement des logiciels de la société Solware Life depuis 2007, indique de la même manière être passé cadre en octobre 2010 trois ans après son embauche, ‘comme la plupart de ses collègues’. Il ne précise ni les termes de son contrat de travail ni les diplômes dont il était titulaire ni l’expérience professionnelle passée dont il bénéficiait. En revanche, M. [U], titulaire d’une maîtrise en psychologie, employé seulement depuis un an par la société ASC21, est resté en position Etam lors du transfert de son contrat de travail dont il ne détaille pas le contenu.
Il reste que même si la cour n’est pas en mesure de comparer avec précision les situations des salariés ainsi présentées par M. [J], la différence de statut -cadre ou Etam- appliqué aux salariés exerçant les mêmes fonctions au sein de la société Solware Life est avérée.
Pour se prévaloir du statut de cadre position 3.1, M. [J] met en avant sa polyvalence sur les deux logiciels commercialisés par la société Solware Life et l’évolution de ses missions vers ‘autre chose que la formation, avec des responsabilités directes sur des projets et la formation des autres salariés formateurs de la société.’ Il s’appuie sur le compte-rendu de son entretien professionnel du 18 février 2016, faisant état, d’une évolution de ses missions (‘déploiement d’Easy soins sur structures groupes ou individuelles, formateur et conseil sur l’accompagnement au changement, adaptation de l’outil pour le paramétrage au besoin du client’) vers une ‘prise en charge des structures individuelles’, et ‘l’accompagnement de nouveaux clients sur le handicap’, comme ‘la formation de nouveaux formateurs’.
Pour autant, il apparaît que ces actions se rattachent complètement à ses fonctions de formateur conseil, mettent en oeuvre les connaissances équivalant à celles sanctionnées par son diplôme de master ‘chef de projet ERP’ et ne sauraient à elles-seules ‘révéler des connaissances pratiques étendues sans assurer, toutefois, dans leurs fonctions, une responsabilité complète et permanente qui revient en fait à leur chef. ‘ tel qu’exigé par la convention pour bénéficier du statut de cadre position 3.1.
En revanche, les fonctions ainsi décrites, exercées par M. [J], relèvent à l’évidence de la classification cadre, position 2.2, laquelle s’applique à ceux qui ‘remplissent les conditions de la position 2.1 et en outre, partant d’instructions précises de leur supérieur, doivent prendre des initiatives et assumer des responsabilités que nécessite la réalisation de ces instructions, qui étudient des projets courants et peuvent participer à leur exécution. Ingénieurs d’études ou de recherches mais sans fonctions de commandement.’
Il sera indiqué que la position de cadre 2.1 s’applique ‘aux ingénieurs ou cadres ayant au moins deux ans de pratique de la profession, qualités intellectuelles et humaines leur permettant de se mettre rapidement au courant des travaux d’études et qui coordonnent éventuellement des travaux de techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs ou employés travaillant aux mêmes tâches qu’eux dans les corps d’état étudiés par le bureau d’études’.
L’employeur soutient que M. [J] n’est pas en mesure de justifier de l’exercice de fonctions de coordination, mais la définition précitée ne conditionne pas l’application de la position cadre 2.1 à l’accomplissement de telles fonctions, lesquelles sont seulement énoncées à titre éventuel.
En conséquence, M. [J] aurait dû se voir appliquer le statut de cadre position 2.2. Par suite, le non-respect par l’employeur de la classification conventionnelle applicable ce, sur plusieurs années, constitue, ainsi que l’a aussi considéré avec raison le conseil de prud’hommes, un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite de la relation de travail au regard de l’absence de toute suite donnée au salarié à ses demandes réitérées.
En conséquence, M. [J] rapportant la preuve des manquements reprochés à la société Solware Life et de leur gravité, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur les conséquences financières de la rupture :
Selon l’article L. 1235-3 du code du travail, en cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, le salarié peut prétendre, pour une ancienneté de 9 ans, à une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et à une indemnité maximale de 9 mois de salaire brut.
Le préjudice subi par M. [J] du fait de son licenciement, compte tenu de son âge au moment de la rupture (44 ans), de son ancienneté et du fait qu’il a pu retrouver rapidement un emploi, sera réparé par l’allocation d’une somme que la cour est en mesure de fixer à un montant de 19 369 euros, tel qu’évalué justement par les premiers juges.
En outre, en application de la convention collective prévoyant un préavis de trois mois en cas de licenciement d’un ingénieur et cadre, sur la base d’un salaire mensuel de 2518 euros, et dans les limites de la demande, il conviendra de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Solware Life à payer à M. [J] la somme non contestée subsidiairement de 7 554 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 755 euros brut de congés payés afférents ce, dans les limites de la demande.
Enfin, l’article 19 de la convention Syntec prévoit pour les ingénieurs et cadres que ‘l’indemnité de licenciement se calcule en mois de rémunération selon les bases suivantes: après deux ans d’ancienneté, 1/3 de mois par année de présence de l’ingénieur ou du cadre, sans pouvoir excéder un plafond de 12 mois’. Ces dispositions sont plus favorables que celles résultant des articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail. Sur la base d’un salaire mensuel de 2767 euros prenant en compte la prime d’objectif proratisée, le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué à M. [J] une indemnité conventionnelle de 8608 euros dont le montant n’a pas été critiqué subsidiairement par l’employeur.
– Sur le rappel de salaires :
Compte tenu de la classification de cadre 2.2 dont devait relever M. [J], celui-ci est fondé à prétendre à un rappel de salaire calculé sur la base du salaire minimum conventionnel applicable pour cette position et ce, pour les trois années ayant précédé la rupture du contrat de travail du 5 avril 2019. M. [J] sollicite un tel rappel au titre de la période comprise entre le mois de juin 2016 inclus et le mois de mars 2019 inclus.
Dans les limites de la demande présentée par le salarié, et en l’absence de toute critique formulée à titre subsidiaire sur le montant réclamé, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Solware Life à payer au salarié une somme de 8962 euros brute à titre de rappel de salaire pour la période comprise entre le mois de juin 2016 inclus et le mois de mars 2019 inclus, outre la somme de 896 euros brut de congés payés afférents.
– Sur le rappel d’indemnité compensatrice de congés payés sur les primes d’objectifs 2016, 2017 et 2018 :
C’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a rejeté la demande présentée par M. [J] au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur les primes d’objectifs 2016, 2017 et 2018 versées par l’employeur à titre de régularisation ensuite de la rupture du contrat de travail, dès lors que celles-ci avaient été calculées en application du contrat sur la base d’un salaire brut incluant déjà, de fait, les indemnités de congés payés pour les années correspondantes.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
– Sur la remise des bulletins de paie rectifiés :
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné à la société Solware Life de remettre à M. [J] les bulletins de paie conformes à cette décision confirmée par la présente cour pour les salaires versés au titre de la période comprise entre les mois de juin 2016 et jusqu’à la rupture du contrat de travail du 5 avril 2019.
– Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Le conseil de prud’hommes a relevé avec raison qu’en particulier, la société Solware Life avait attribué à M. [J] durant plusieurs années un salaire inférieur au minimum conventionnel et privé le salarié du statut de cadre et des avantages qui y sont attachés (retraite et prévoyance) ce, alors que celui-ci avait interpellé son employeur sur ses droits plusieurs mois avant qu’il prenne acte de son contrat de travail. Il en a déduit avec raison que la société Solware Life n’avait pas exécuté le contrat de travail de bonne foi.
Toutefois, la cour estime être en mesure de fixer à la somme de 2000 euros le montant des dommages intérêts à allouer au salarié en réparation du préjudice subi. Le jugement sera infirmé sur ce point.
– Sur les intérêts :
Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes, soit le 4 juillet 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.
– Sur le remboursement des indemnités de chômage :
Une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse entre dans les prévisions de l’article L. 1235-3 du code du travail auquel renvoie l’article L. 1235-4 du même code. Les conditions d’application de cet article étant réunies, il sera ordonné le remboursement par la société Solware Life à Pôle emploi des indemnités de chômage qui, le cas échéant, auraient effectivement été versées à M. [J] par suite de la rupture du contrat de travail et ce dans la limite d’un mois d’indemnité.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement est confirmé s’agissant des dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable d’allouer à M. [J] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 1 500 euros pour ses frais irrépétibles exposés en appel.
La société Solware Life, partie qui succombe, sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement et condamnée aux entiers dépens de la procédure d’appel.
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PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 18 novembre 2020 sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à M. [C] [J] au titre de l’exécution déloyale ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE la société Solware Life verser à M. [C] [J] la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
DIT que conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes, soit le 4 juillet 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.
CONDAMNE la société Solware Life à verser à M. [C] [J] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel ;
DÉBOUTE la société Solware Life de sa demande présentée sur le même fondement au titre de ses frais irrépétibles d’appel ;
CONDAMNE la société Solware Life au paiement des dépens de la procédure d’appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,
Viviane BODIN M-C. DELAUBIER