ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 175/23
N° RG 20/02338 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TKAA
VC/VDO
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de [Localité 3]
en date du
05 Novembre 2020
(RG 19/00016 -section 4)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [F] [T]
[Adresse 2]
représenté par Me Audrey SART, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER
INTIMÉE :
S.A.S.U. QUALICONSULT
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI,
assistée par Me Franck JANIN, avocat au barreau de LYON
DÉBATS : à l’audience publique du 10 Novembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaetan DELETTREZ
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
Le prononcé de l’arrêt est prorogé du 16 décembre 2022 au 27 janvier 2023 pour plus ample délibéré
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 octobre 2023
EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
La société QUALICONSULT a engagé M. [F] [T] par contrat de travail à durée indéterminée du 18 décembre 2006, ce en qualité d’ingénieur généraliste chef de groupe position 232 coefficient 160 statut cadre, le contrat prenant effet à compter du 16 avril 2007.
Ce contrat de travail était soumis à la convention collective nationale SYNTEC.
Le 31 mai 2018, M. [F] [T] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable prévu le 12 juin 2018. Il a été licencié, par lettre recommandée en date du 18 juin 2018, pour faute grave pour avoir refusé une mutation à [Localité 5], pour avoir continué à agir dans des dossiers et chantiers au nom et pour le compte de l’employeur alors qu’ils ne lui étaient plus attribués et lui avaient été retirés, et pour avoir refusé l’ensemble des rendez-vous qui avaient été fixés par ses supérieurs hiérarchiques.
La lettre de licenciement se trouvait libellée dans les termes suivants :
« Je fais suite à l’entretien préalable, qui, sur la convocation qui vous a été adressée le 31 mai dernier, s’est déroulé le 12 juin suivant sur des faits que nous avions à vous reprocher. Vous étiez assisté de Monsieur [P] [Y] (Direction Régionale des Entreprises). Vos explications, n’ont pu nous convaincre de l’absence du caractère gravement fautif des faits que nous avions à vous reprocher.
Aussi, je suis réellement au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave, lequel sera effectif à la première présentation de cette lettre recommandée. Les fautes que nous vous reprochons nous interdisent de vous maintenir à votre poste pendant un préavis. En outre, nous vous confirmons la mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée. Les motifs de votre licenciement pour faute grave sont les suivants :
Votre contrat de travail contient un article 4 titré ‘lieu de travail’ qui stipule :
« M. [F] [T] est affecté dans un premier temps à l’établissement de [Localité 3], mais pourra être affecté en fonction des nécessités de l’organisation de la société à tout autre établissement situé en France Métropolitaine. »
En suite d’un entretien que vous aviez pu avoir le 2 février précédent et par lettre du 22 février 2018, je vous ai fait part de votre mutation sur l’agence de rattachement de [Localité 5] intervenue dans le cadre de l’organisation de la Région Nord et Normandie. Cette mutation devait prendre effet au 2 avril suivant. S’en est suivi de votre part l’envoi d’un certain nombre de courriers par lesquels vous contestiez cette mutation et faisiez valoir les désagréments que cette dernière était susceptible d’engendrer.
Vous avez été mis en arrêt maladie par votre médecin traitant. A votre retour le 2 mai suivant, vous vous êtes présenté à l’agence de [Localité 3], « comme si de rien n’était ». Nous aurions pu tirer à cette date les conséquences de ce refus. A l’inverse, nous avons tenté d’instaurer un dialogue avec vous, d’une part pour vous préciser les causes de cette mutation, et faire en sorte de réduire les désagréments provoqués par cette mutation. Nous avions en effet conscience que ces derniers ont été insuffisamment discutés entre nous. Néanmoins, vous aviez adopté, dès le début, le parti pris de refuser le principe même de cette mutation quelles qu’en soient les conditions compensatrices. Cette position qui fut la vôtre a totalement entravé nos contacts et nos nécessaires discussions à mener de bonne foi.
Par notre lettre datée du 2 mai mais postée le 7 mai suivant, nous avions décidé :
-de ne tenir aucun compte de votre insubordination ;
-de repousser la date effective de votre mutation au 14 mai suivant.
Je vous ai demandé de bien vouloir vous présenter à mon bureau le même jour, aux fins que vous puissiez discuter de cette mutation ; et que vous m’éclairiez sur votre situation familiale. Ainsi, nous aurions pu adapter les conditions de cette mutation, au mieux et dans les limites du possible. Cette lettre contenait déjà les propositions suivantes :
« A titre d’exemple, pourraient être mise en oeuvre jusqu’aux vacances la prise en charge de votre hébergement en semaine sur [Localité 5] ; la prise en charge des frais de déménagement sur [Localité 5] si vous décidiez de changer de résidence principale, l’engagement de vous proposer un poste qui viendrait à se créer sur [Localité 3] et correspondant à votre profil,etc., etc. . Bien entendu les frais de transports sont à notre charge. »
Votre médecin traitant vous a alors prescrit un nouvel arrêt de travail ; à l’expiration de ce dernier, le 26 mai dernier, vous vous êtes présenté à des rendez-vous de chantiers que vous suiviez initialement sur [Localité 3] et qui avait été attribués à vos collègues. Comme par exemple sur le chantier de la Halte-Garderie de [Localité 4] ; votre collègue M. [A] [U] a ainsi jugé opportun de s’éclipser discrètement aux fins de ne pas attirer l’attention des clients sur la situation particulièrement fautive que vous veniez de créer en persistant à intervenir sur ce chantier, sans habilitation. Et cette situation extravagante et terriblement fautive a perdure.
Et comme auparavant, vous avez refusé de rencontrer tant M. [J], directeur de l’agence de [Localité 5] que moi-même. Vous vous êtes ainsi obstiné dans votre refus absolu de discuter des conditions de votre mutation, ce qui aurait été de nature à en réduire les désagréments. Cette situation que vous avez engendrée, par vos attitudes, ne peut évidemment plus durer et ne saurait être maintenue le temps de l’exécution de votre préavis.
Avec regret, nous ne pouvons que prendre acte de votre refus de cette mutation. En outre, vous avez entendu, dans notre activité particulièrement réglementée, agir dans des dossiers et chantiers, au nom et pour le compte de votre employeur, qui ne vous étaient plus attribués et qui vous avaient été retirés par ce dernier. Soit une faute qui s’avère distincte de votre refus de la mutation, et qui revêt bien entendu une particulière gravité. De surcroît vous avez refusé, avec obstination, l’ensemble des rendez-vous qui vous avaient été fixés par vos supérieurs hiérarchiques. Nous sommes contraints de devoir procéder ainsi à votre licenciement pour faute grave lequel sera effectif à la première présentation de la présente. (‘)’»
Contestant la légitimité de son licenciement pour faute grave, sollicitant la remise en cause du forfait jours, et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, M. [F] [T] a saisi le 1er février 2019 le conseil de prud’hommes de [Localité 3] qui, par jugement du 5 novembre 2020, a rendu la décision suivante :
-Déboute M. [T] de ses demandes au titre du rappel de salaire d’heures supplémentaires pour les années 2015 et 2018 ;
-Déboute M. [T] de ses demandes au titre de la violation de sa vie personnelle ;
-Dit que le licenciement de M. [F] [T] repose sur une faute grave ;
En conséquence,
-Déboute M. [F] [T] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ;
-Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code
de Procédure civile ;
-Laisse aux parties la charge de leurs propres dépens.
M. [F] [T] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 4 décembre 2020.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 février 2021 au terme desquelles M. [F] [T] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :
-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Sur-Mer le 5 novembre 2020 en ce qu’il a débouté M. [F] [T] de ses demandes au titre du rappel d’heures supplémentaires pour les années 2015 et 2018, et les congés payés afférents
-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Sur-Mer le 5 novembre 2020 en ce qu’il a débouté M. [F] [T] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de sa vie personnelle,
-INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Sur-Mer le 5 novembre 2020 en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une faute grave et en conséquence l’a débouté de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
STATUER à nouveau
– A PROPOS DE L’EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
-CONSTATER que la Société QUALICONSULT n’a mis en oeuvre aucun dispositif de contrôle du
temps de travail, constater la violation de l’article 3 de l’accord de branche SYNTEC dire nulle la
convention de forfait appliquée à M. [F] [T]
-CONSTATER l’atteinte au respect de la vie personnelle et familiale du salarié,
En conséquence, condamner la société QUALICONSULT à verser à M. [F] [T]
– Heures supplémentaires année 2018 …………………………… 2180,74 euros bruts
– Incidence en congés payés…………………………………………… 218,07 euros bruts
– Heures supplémentaires juin à décembre 2015……………….5417,98 euros bruts
– Incidence en congés payés…………………………………………. 541,18 euros bruts
– Dommages et intérêts article 9 code civil- Article 4.8.1CCN SYNTEC 40 000,00 euros nets
-A PROPOS DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
-A TITRE PRINCIPAL DIRE le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, En conséquence,
condamner la société QUALICONSULT à verser à M. [F] [T]
– Indemnité compensatrice de préavis (3 mois)……..13 460,25 euros bruts
– Incidence en congés payés……………………………….. 1 346,02 euros bruts
– Indemnité légale de licenciement ……………………17 062,70 euros
– Mise à pied conservatoire ………………………….. …… 2 466,10 euros bruts
– Incidence en congés payés………………………….. ……….246,61 euros bruts
– Dommages et intérêts (10 mois) ………………………44 867,50 euros
SUBSIDIAIREMENT CONSTATER l’absence de faute grave En conséquence, condamner la société QUALICONSULT à verser à M. [F] [T]
– Indemnité compensatrice de préavis ……………….. 13 460,25 euros bruts
– Incidence en congés payés……………………………….. 1 346,02 euros bruts
– Indemnité légale de licenciement……………………..17 062,70 euros
– Mise à pied conservatoire ………………………………. . 2 466,10 euros bruts
– Incidence en congés payés………………………………….. 246,61 euros bruts
EN TOUT ETAT DE CAUSE CONDAMNER la Société QUALICONSULT sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir à remettre à M. [F] [T] une attestation pôle emploi rectifiée
EN TOUT ETAT DE CAUSE CONDAMNER la Société QUALICONSULT au paiement
– Article 700 CPC …………………………………………………….. 4000,00 euros
– entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [F] [T] expose que :
– Concernant les heures supplémentaires, l’organisation de son temps de travail dans le cadre d’une convention de forfait ne respectait pas les conditions posées par l’accord du 22 juin 1999 annexé à la convention collective SYNTEC, en ce que le contrat de travail ne précisait pas les modalités de gestion des horaires qui lui étaient appliquées, que le renvoi à l’article 3 de ladite convention correspond à un forfait en heures et que la société QUALICONSULT n’a mis en place aucun dispositif fiable de contrôle et d’enregistrement du temps de travail ni aucun entretien annuel portant sur la charge de travail. La convention de forfait doit, ainsi, être privée d’effet.
– En outre, il était soumis à une surcharge de travail importante et récurrente, le contraignant à la réalisation d’un nombre important d’heures supplémentaires excédant les 38,5 heures maximales prévues par la convention collective, ce conformément aux agendas et pièces produits qui étayent cette demande.
– Les demandes en paiement d’heures supplémentaires formées sont recevables et non prescrites sur la période de juin 2015 au 18 juin 2018, compte tenu de la rupture du contrat de travail le 18 juin 2018, ce d’autant que l’absence d’autorisation préalable de l’employeur n’exclut pas en soi un accord tacite de ce dernier quant à l’accomplissement d’heures supplémentaires, ce qui résultait également de son statut et de ses fonctions.
– La société QUALICONSULT a également violé le droit à la déconnexion prévu à l’article 4.8.1 de la convention SYNTEC, au repos et à la vie privée, en ne respectant pas les repos quotidiens et hebdomadaires, le salarié étant contraint de travailler chez lui les soirs et week-ends ainsi que pendant ses arrêts maladie, afin de pourvoir à la charge de travail imposée par son employeur.
-Par ailleurs, le licenciement pour faute grave dont il a fait l’objet est dénué de cause réelle et sérieuse, en ce que la clause de mobilité n’a pas été mise en oeuvre dans l’intérêt de l’entreprise, qu’un poste identique a été diffusé par l’employeur concernant l’agence de [Localité 3], en parallèle de sa mutation, que cette mutation était incompatible avec ses obligations familiales et que, malgré l’argument avancé par la société QUALICONSULT de la nécessité d’embaucher un ingénieur confirmé sur l’agence de [Localité 5], un ingénieur débutant a finalement été embauché.
– Il ne peut pas non plus se voir reprocher d’avoir continué à suivre ses chantiers jusqu’à sa mise à pied conservatoire, notamment tant que les modalités de sa prise de fonction à [Localité 5] n’étaient pas fixées.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 mai 2021, dans lesquelles la société QUALICONSULT, intimée, demande à la cour de:
Sur l’exécution du contrat de travail de M. [T]
– CONFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Calais en ce qu’il a :
– débouté M. [F] [T] de ses demandes au titre du rappel de salaire d’heures pour les années 2015 et 2018 ;
– débouté M. [T] de ses demandes au titre de la violation de sa vie personnelle ;
Sur le licenciement de M. [T]
A titre principal,
– CONFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Calais en ce qu’il a :
– dit que le licenciement de M. [F] [T] repose sur une faute grave ;
– En conséquence, débouté M. [F] [T] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ;
– CONDAMNER M. [T] à la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700.
A titre subsidiaire si par extraordinaire la Cour venait à juger que le licenciement ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau
– DIRE ET JUGER que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse
– LIMITER les sommes allouées à M. [T] aux sommes suivantes :
– 12 586,35 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 125,86 € de congés payés afférent au préavis
– 17 062,70 € au titre de l »indemnité de licenciement
-CONDAMNER M. [T] à la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700.
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
-DIRE ET JUGER que le licenciement de M. [T] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse
-LIMITER les sommes allouées à M. [T] aux sommes suivantes :
– 12 586,35 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 125,86 € de congés payés afférent au préavis
– 17 062,70 € au titre de l »indemnité de licenciement
– 13 458,75€ au titre des dommages et intérêts, soit trois mois de salaire.
A l’appui de ses prétentions, la société QUALICONSULT soutient que :
– Concernant la demande en paiement d’heures supplémentaires, les sommes réclamées sont prescrites pour la période antérieure au 1er février 2016 compte tenu de la saisine de la juridiction prud’homale le 1er février 2019.
– Surtout, M. [T] se contente de produire ses agendas professionnels des années 2015 et 2018, lesquels sont insuffisants à étayer la demande et comportent de nombreuses fausses déclarations, ne prenant pas en compte ses pauses-déjeuner, arrêts maladie, RTT, séances de kinésithérapie et comportant des incohérences, l’intéressé ne justifiant, par ailleurs, nullement de l’activité effectuée dans les plages horaires intitulées «’bureau’». Aucun rendez vous n’était également fixé avant 8 heures le matin et après 16/17 heures et les mails produits ne sont pas probants.
– En outre, le contrat de travail de M. [F] [T] prévoyait une rémunération forfaitaire englobant des variations d’heures jusqu’à 38h30 et supérieure à 115% du salaire minimum conventionnel. Or, l’intéressé ne réalisait pas plus de 36,86 heures de travail par semaine, de sorte que la demande doit être rejetée, ou, à titre infiniment subsidiaire, réduite de 3,5 heures supplémentaires par semaine pour la période non prescrite.
– Concernant les dommages et intérêts pour privation des repos quotidiens et hebdomadaires et atteinte à sa vie privée, les mails produits ne sont pas probants et s’avèrent illisibles et M. [T] ne démontre pas que son employeur lui aurait demandé de travailler au-delà de ses horaires habituels et qu’une réponse était attendue en dehors des heures de travail de l’intéressé, ce d’autant que les tâches concernées étaient purement administratives.
– M. [T] ne justifie pas non plus du préjudice subi.
– Concernant le licenciement pour faute grave, celui-ci se trouve fondé sur le refus réitéré d’appliquer la clause de mobilité qu’il avait pourtant acceptée, M. [T] ne rapportant pas la preuve de la mise en oeuvre de ladite clause par l’employeur de façon abusive ou de mauvaise foi.
– La société avait un motif légitime de mutation, lié à une hausse d’activité très importante au sein de l’agence de [Localité 5], alors que l’activité de l’agence de [Localité 3] déclinait, ce d’autant que le salarié n’a jamais justifié d’une quelconque contrainte familiale.
– Par ailleurs, le salarié a fait preuve d’une insubordination manifeste à l’égard de sa hiérarchie en ne se présentant pas et ne répondant pas aux convocations de son supérieur hiérarchique afin d’adapter les conditions de mise en oeuvre de sa clause de mobilité, en continuant à se présenter sur les chantiers attribués à l’agence de [Localité 3] sur lesquels il n’était pas habilité, ce en présence des clients de l’entreprise.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 20 octobre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la durée du travail, la convention de forfait et les demandes formées au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents :
– Sur la durée du travail applicable à M. [F] [T] et le forfait :
Le contrat de travail conclu le 18 décembre 2006 ne comporte pas de disposition expresse concernant la durée du travail de M. [F] [T].
Il est, néanmoins, fait état à l’article 6 sur la rémunération que «M. [F] [T] disposant dans l’organisation de ses missions de la plus grande liberté et passant à l’extérieur de l’entreprise une part significative de son temps, la rémunération contractuelle rentre strictement dans le cadre de l’accord de branche SYNTEC du 22 juin 1999 étendu par arrêté du 10 novembre 2000 -article 3. En contrepartie, il est versé à M. [F] [T] la rémunération forfaitaire suivante (‘)’».
L’accord de branche SYNTEC du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail prévoit, ainsi, en son article 3 une modalité de gestion des horaires dite «’modalité de réalisation de missions’» laquelle établit un forfait hebdomadaire de 35 heures, lequel peut être augmenté de 10% (soit jusqu’à 38h30), avec un plafond de 219 jours travaillés par an et une rémunération annuelle au moins égale à 115% du minimum conventionnel de sa catégorie ou au plafond de la sécurité sociale.
Cet article 3 concerne, ainsi, le personnel qui, au regard de la nature des tâches accomplies et tout en disposant d’une autonomie moindre par rapport aux collaborateurs définis à l’article suivant ne peut suivre strictement un horaire prédéfini. Ces dispositions prévoient également que «’la comptabilisation du temps de travail de ces collaborateurs dans le respect des dispositions légales se fera également en jours avec un contrôle du temps de travail opéré annuellement’». Il est également prévu l’enregistrement des sur-activités et sous-activités dans le cadre d’un «’compte de temps disponible’».
Ainsi, conformément aux dispositions précitées mais également aux articles D3171-8 et -9 du code du travail, il appartient à l’employeur de mettre en oeuvre un dispositif d’enregistrement de la durée quotidienne et hebdomadaire de travail ainsi qu’un système de décompte des jours travaillés mais également d’organiser un contrôle annuel par le biais d’un entretien avec chaque salarié relevant de ce mode de gestion du temps de travail.
Or, nonobstant ces dispositions et alors que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, la société QUALICONSULT ne justifie pas avoir mis en place de tels dispositifs, pourtant destinés à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé de ce dernier.
Dans ces conditions, au regard de l’absence de mise en oeuvre par la société QUALICONSULT des stipulations conventionnelles et des dispositions supplétives du Code du travail, le forfait appliqué à M. [F] [T] se trouve privé d’effet.
Par conséquent, les dispositions de l’article 3 de l’accord du 22 juin 1999 étant privées d’effet, le salarié est fondé à solliciter le paiement d’heures supplémentaires, au-delà de la durée légale du travail fixée à 35 heures.
– Sur la prescription des demandes de rappel d’heures supplémentaires :
Conformément aux dispositions de l’article L3245-1 du code du travail , «’L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat’».
Ainsi, en l’espèce, compte tenu de la rupture du contrat de travail en date du 12 juin 2018, M. [F] [T] est recevable à solliciter un rappel de salaires au titre de la période couvrant les trois années précédant cette rupture soit sur les sommes et salaires exigibles à compter du mois de juin 2015.
Par conséquent, les demandes formulées par le salarié qui portent exclusivement sur la période de juin à décembre 2015 et au cours de l’année 2018, sont recevables et non atteintes par la prescription.
– Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires et les congés payés y afférents :
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, M. [F] [T] verse aux débats :
– ses agendas des années 2015 et 2018 au sein desquels sont mentionnés pour chaque jour ses rendez vous extérieurs et leur horaire, les heures de travail au bureau, la durée totale journalière de travail, les congés, RTT…,
– deux décomptes distincts relatifs aux heures supplémentaires réclamées pour la période de juin à décembre 2015 et pour l’année 2018 et mentionnant pour les semaines de dépassement concernées (6 en 2018 et 11 en 2015), le nombre d’heures réalisées, le nombre d’heures supplémentaires et le montant dû incluant des majorations à 25 ou 50% le cas échéant,
– une attestation de M. [G] [I], expert construction et ancien collègue de travail entre 2006 et 2012 puis 2013 et 2014, lequel indique qu’à son arrivée le matin au bureau, il était «’en mesure de constater quasi systématiquement la présence de M. [F] [T] qui a la réputation d’être matinal. Ses seules absences matinales se présentaient lorsqu’il avait une réunion programmée relativement tôt et éloignée de son domicile ou de l’agence’»,
– de nombreux mails adressés par M. [F] [T] à des clients ou d’autres salariés de la société QUALICONSULT, tard le soir (ex : le 11 août 2015 à 21h13/25 août 2015 à 21h43/ 19 novembre 2015 à 22h44/23 août 2016 à 23h33/ 18 juillet 2016 à 22h33/ 9 janvier 2018 à 23h03…) ou tôt le matin (ex : 2 mars 2016 à 7h37/8 mars 2016 à 7h28/ 8 avril 2016 : 6h47…) ou pendant un arrêt de travail (septembre 2015),
– des captures d’écran du logiciel Gaïa relatif au suivi complet d’affaires reprenant l’historique et les horaires d’intervention, tôt le matin, tard le soir, certains week ends.
La cour constate, par suite, que l’appelant fournit des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre utilement à la demande dirigée contre lui.
De son côté, la société QUALICONSULT qui n’avait mis en place aucun système de contrôle des horaires de travail de ses salariés, produit un listing de frais professionnels entre janvier et décembre 2015 et 5 tickets de caisse de restauration entre octobre 2015 et février 2018 qu’elle attribue à M. [F] [T].
Néanmoins, ces documents ne supportent en aucune façon l’identité de l’intéressé et ne permettent pas de conclure à des erreurs avérées à cet égard dans le décompte réalisé par le salarié.
Par ailleurs, si la société QUALICONSULT se prévaut de son absence d’accord à la réalisation d’heures supplémentaires, il résulte des mails tardifs ou précoces adressés par M. [F] [T] à son supérieur, parfois quotidiennement, que l’employeur avait connaissance de ce travail en dehors des horaires habituels, d’ailleurs facilité par la mise en place d’un VPN permettant la réalisation de travail dit administratif à domicile (compte rendus de chantier,rapport final de contrôle technique, chiffrage de prix, attestations diverses…) , et trouvant son origine dans la charge de travail importante de l’intéressé, conséquence directe des rendez vous de chantier réalisés dans la journée, que l’employeur avait, ainsi, donné son accord au moins implicite à leur réalisation.
De la même façon, il ne peut être contesté par l’employeur que le travail confié à M. [F] [T] impliquait non seulement de nombreux déplacements mais également un travail dit de bureau, ce qui résulte d’ailleurs de son contrat de travail, le salarié n’ayant pas à justifier, pour légitimer sa demande d’heures supplémentaires, de l’activité réalisée lors de ces horaires «’dits de bureau’» laquelle résulte, par ailleurs, des mails produits et consistait en des rapports, chiffrage, compte rendus.
Néanmoins, conformément aux allégations de l’employeur, il est relevé que certains jours, le décompte de M. [F] [T] ne déduit pas la pause déjeuner ou encore le temps consacré à des rendez vous personnels (médecin, kinésithérapeute, garage) et, à une reprise, des heures d’absence pour arrêt maladie en octobre 2015. Il est également noté quelques rares erreurs de calcul dans le décompte journalier.
Enfin, les modalités contractuelles forfaitaires du temps de travail de l’appelant sont privées d’effet à son égard, de sorte qu’il n’y a pas lieu de déduire 3h30 hebdomadaires des heures supplémentaires réclamées, la durée hebdomadaire de travail de M. [F] [T] étant de 35 h et non de 38h30.
Par suite, la cour considère qu’au regard des éléments produits aux débats, des moyens soutenus et débattus, de l’examen attentif des pièces et des quelques omissions reprises ci-dessus, le montant du rappel de salaire lié aux heures supplémentaires non payées et dues à M. [F] [T] est fixé à :
– 1635,55 euros bruts au titre des heures supplémentaires concernant l’année 2018, outre 163,55 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 4063,48 euros bruts au titre des heures supplémentaires dues concernant la période de juin à décembre 2015, outre 406,34 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [F] [T] de sa demande au titre du rappel d’heures supplémentaires et de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférente.
Sur l’atteinte au respect de la vie personnelle et familiale du salarié, du droit au repos, du droit à la déconnexion et la demande de dommages et intérêts y afférente :
Conformément aux dispositions de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Chaque salarié doit, en outre, bénéficier d’un repos quotidien d’au moins 11 heures et d’un repos hebdomadaire d’au moins 35 heures.
Il résulte, par ailleurs, de l’article 4.8.1 de l’avenant du 1er avril 2014 que la convention collective nationale SYNTEC a consacré une obligation de déconnexion en prévoyant que «L’effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance. L’employeur veillera à mettre en place un outil de suivi pour assurer le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire du salarié.
Il s’assurera des dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition(…)».
Il ressort des pièces versées aux débats ainsi que des développements repris ci-dessus que M. [T] a été amené à dépasser les durées hebdomadaires maximales de travail en travaillant à plusieurs reprises au-delà de 48 heures par semaine et jusqu’à 54 heures.
Il ne ressort d’aucune pièce que l’employeur se soit assuré du respect de ses obligations en la matière.
Par ailleurs, il appartenait à la société QUALICONSULT de mettre en place un outil de suivi de l’obligation de déconnexion de ses salariés, ce dont elle ne justifie pas, alors même que certains mails produits démontrent que l’appelant était sollicité par son supérieur, notamment M. [H], tard le soir ou encore durant les week ends et que sa charge de travail le conduisait à travailler tôt le matin, tard le soir mais également pendant un arrêt maladie.
La société intimée a, par suite, méconnu ses obligations, causant à M. [F] [T] un préjudice lié au fait de travailler au-delà de la durée hebdomadaire de travail mais également de l’avoir laissé travailler pendant une période de suspension de son contrat de travail conduisant à un déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
La cour fixe, par suite, à 1500 euros le montant des dommages et intérêts dus par la société QUALICONSULT à M. [F] [T].
Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Sur le licenciement pour faute grave :
Il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
La faute grave est, par ailleurs, entendue comme la faute résultant d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent, ainsi, caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l’entreprise. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre des parties, il revient en revanche à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.
En l’espèce, il résulte de la lettre de licenciement du 18 juin 2018 que M. [F] [T] a été licencié pour avoir refusé une mutation à [Localité 5], avoir continué à agir dans des dossiers et chantiers au nom et pour le compte de l’employeur alors qu’ils ne lui étaient plus attribués et lui avaient été retirés, et avoir refusé l’ensemble des rendez-vous qui avaient été fixés par ses supérieurs hiérarchiques, les deux derniers griefs étant, en réalité,la conséquence du refus par le salarié d’accepter cette mutation, celui-ci ayant poursuivi les missions confiées jusqu’alors au sein de l’agence de [Localité 3] et ne s’étant pas rendu aux rendez vous de prise de fonction fixés à [Localité 5].
En premier lieu, le contrat de travail de M. [F] [T] comportait une clause de mobilité géographique en son article 4 en vertu duquel il était prévu «M. [F] [T] est affecté dans un premier temps à l’établissement de [Localité 3] mais pourra être affecté en fonction des nécessités de l’organisation de la société à tout autre établissement situé en France Métropolitaine’».
La société QUALICONSULT a, par suite, fait jouer cette clause de mobilité dont la validité n’est pas contestée, ce afin de muter le salarié au sein de l’agence de [Localité 5].
Dans ces conditions et en application de cette clause de mobilité, le changement du lieu de travail de M. [F] [T] de [Localité 3] à [Localité 5] ne constitue pas une modification du contrat de travail mais un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur.
Il en résulte que constitue une faute contractuelle le refus par l’intéressé de ce changement de lieu de travail.
Néanmoins, une mutation géographique peut priver de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié qui la refuse lorsque l’employeur la met en oeuvre dans des conditions exclusive de la bonne foi contractuelle. La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de démontrer que cette décision a été prise pour des causes étrangères à l’intérêt de l’entreprise ou qu’elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusive de la bonne foi contractuelle ou encore que cette décision porte une atteinte excessive à sa situation personnelle ou familiale.
En l’espèce, il résulte des pièces produites que M. [F] [T] a été informé par l’employeur, lors d’un entretien du 2 février 2018 de sa mutation à [Localité 5] à compter du 2 avril suivant. Cette position lui a été confirmée par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 février 2018.
Suite à deux courriers en réponse adressés par le salarié pour contester cette décision, la société QUALICONSULT a reçu l’intéressé en entretien le 16 février 2018 puis a, suivant lettre recommandée du 19 mars 2018, maintenu cette mutation et accepté de reporter le démarrage à [Localité 5] au 16 avril.
Enfin, l’employeur a, à nouveau, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 2 mai 2018 accepté un report de la prise de fonctions à [Localité 5] au 14 mai 2018, confirmant alors les aides proposées antérieurement ainsi que la prise en charge des frais d’hébergement jusqu’à l’été et organisant une rencontre le 14 mai 2018.
Un mail du 29 mai 2018 émanant de la société QUALICONSULT vient confirmer qu’un nouveau report avait été consenti par son supérieur hiérarchique au 28 mai avec l’organisation d’une réunion de prise de fonctions.
Ainsi, la société QUALICONSULT rapporte la preuve du refus fautif de M. [F] [T] lequel a refusé la mutation à [Localité 5] décidée par celle-ci. Il est également justifié, dans les suites de ce refus, du maintien de l’intéressé au sein de l’agence de [Localité 3] par la production de compte-rendus de visites de chantiers établis par le salarié notamment jusqu’au 9 mai 2018. Enfin, il n’est pas contesté que l’appelant ne s’est pas rendu aux deux rendez vous fixés à [Localité 5] par son supérieur hiérarchique et directeur de la société, M. [R].
Ces agissements constituent, par suite, un manquement de M. [F] [T] à ses obligations contractuelles.
Celui-ci se prévaut, toutefois, de ce que cette décision de mutation a été prise pour des causes étrangères à l’intérêt de l’entreprise, qu’elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle et, enfin, que cette décision porte une atteinte excessive à sa situation personnelle ou familiale.
Concernant la cause étrangère à l’intérêt de l’entreprise, M. [F] [T] soutient que cette mutation avait pour objectif à terme son licenciement, compte tenu de sa méconnaissance du réseau de l’agence de [Localité 5], qu’un recrutement pour le remplacer était prévu au sein de l’agence de [Localité 3] et que l’agence de [Localité 5] ne nécessitait pas le recrutement d’un ingénieur expérimenté.
A l’appui de ce moyen, l’appelant produit une offre d’emploi parue le 19 janvier 2018 pour le recrutement d’un chargé d’affaires contrôle technique constructions au sein de l’agence de [Localité 3]
requérant une formation d’ingénieur et une expérience de trois ans minimum en bureau de contrôle.
Néanmoins, il résulte des échanges de mails produits aux débats mais également du registre du personnel de l’agence de [Localité 3] que la publication de cette annonce a été très rapidement retirée s’agissant d’une erreur de diffusion et qu’aucun recrutement n’a été réalisé au sein de ladite agence, en particulier au poste occupé auparavant par M. [F] [T].
Aucune pièce ne permet, en outre, d’étayer la thèse selon laquelle la société QUALICONSULT aurait cherché, à terme, à rompre son contrat de travail.
Par ailleurs, la société intimée produit une attestation de M. [S] [J], directeur de l’agence de [Localité 5], lequel fait état de ce que la mutation de M. [T] est intervenue suite à un besoin de recrutement au sein de son agence d’un ingénieur confirmé et d’un jeune diplômé, ces recrutements ayant été budgétisés au titre de l’année 2018. L’intéressé précise, en outre, dans son attestation la bonne connaissance par M. [T] des ingénieurs de [Localité 5] et du Havre.
Ainsi, M. [F] [T] ne démontre pas que cette mutation est intervenue pour des causes étrangères à l’intérêt de l’entreprise, peu important que l’agence de [Localité 5] ait accueilli un jeune diplômé, ancien stagiaire de l’agence de [Localité 3], ce qui était également budgétisé.
Concernant l’exécution déloyale du contrat de travail, le seul fait pour M. [F] [T] d’avoir travaillé et développé un réseau important au sein de l’agence de [Localité 3] pendant 10 ans avant d’être muté dans une autre agence ne caractérise pas une mauvaise foi de la société QUALICONSULT, dans le cadre de cette décision relevant de son pouvoir de direction et conduisant à affecter un ingénieur expérimenté au sein d’une agence en pleine expansion.
Par ailleurs, il ne résulte pas non plus des circonstances et de l’organisation de cette mutation d’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur, la société QUALICONSULT ayant, dans un premier temps, laissé deux mois à l’intéressé, ayant accepté à trois reprises un report de cette prise de fonction jusqu’au 28 mai 2018 et, enfin, ayant, proposé à celui-ci différentes aides et prises en charge, en particulier, la prise en charge de ses frais d’ hébergement jusqu’à l’été.
De la même façon, il est relevé la réalisation d’au moins deux entretiens avec le salarié au sein de l’agence de [Localité 3] et la proposition de plusieurs rendez vous au sein de l’agence de [Localité 5], de sorte qu’il ne peut être reproché par l’appelant de ne pas avoir obtenu, sans motif légitime, d’entretien au sein de l’agence de [Localité 3].
La preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail par la société QUALICONSULT n’est, ainsi, nullement rapportée par M. [F] [T].
Enfin, s’agissant du moyen tiré de l’atteinte excessive à sa situation personnelle ou familiale, là encore, le salarié appelant ne fournit aucune précision concernant les difficultés personnelles, familiales voire économiques engendrées par la mutation imposée par la société QUALICONSULT et pourtant alléguées par M. [T] lequel ne produit, en outre, aucune pièce justificative.
M. [F] [T] échoue, par suite, à démontrer que la décision de mutation géographique à [Localité 5] a été prise pour des causes étrangères à l’intérêt de l’entreprise ou qu’elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusive de la bonne foi contractuelle ou encore que cette décision a porté une atteinte excessive à sa situation personnelle ou familiale.
Le licenciement motivé par les griefs précités n’est donc pas dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Toutefois, le refus par le salarié d’une mutation ne caractérise pas à lui seul une faute grave ayant rendu impossible pour l’employeur le maintien de sa présence dans l’entreprise, y compris pendant la durée du préavis.
A cet égard, il résulte des pièces produites que M. [F] [T] disposait d’une ancienneté de 10 années au sein de la société QUALICONSULT ainsi que de compétences reconnues par sa hiérarchie, ce qui avait motivé l’application de la clause de mobilité. Il n’avait, en outre, jamais fait preuve jusqu’alors de comportement d’opposition à sa hiérarchie.
Par ailleurs, nonobstant son refus de mutation, l’intéressé a continué, pendant près de deux mois complets, à accomplir les missions qui lui étaient confiées jusqu’alors au sein de l’agence de [Localité 3], en réalisant notamment des visites de chantiers et compte-rendus, ce alors qu’en cas de départ son poste n’était pas remplacé.
La faute grave n’est, par suite, nullement établie, les manquements de M. [F] [T] n’ayant pas rendu impossible pour la société QUALICONSULT le maintien de sa présence dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
Le licenciement pour faute grave est, par conséquent, requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et M. [F] [T] est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a maintenu la qualification de faute grave.
Sur les conséquences financières du licenciement pour cause réelle et sérieuse :
M. [F] [T] est, par suite, bien fondé à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis égale à la rémunération qu’aurait effectivement perçue le salarié s’il avait travaillé au cours du délai congé.
Compte tenu de son ancienneté pour être entré au service de la société le 16 avril 2007, la durée du préavis de M. [F] [T] est de trois mois.
La cour fixe, par suite, à 12 586,35 euros bruts le montant de l’indemnité compensatrice de préavis due à l’appelant, outre 1258,63 euros bruts au titre des congés payés y afférents, ce sur la base d’un salaire brut mensuel de 4195,45 euros.
L’intéressé est également fondé à obtenir le paiement de la somme de 2466,10 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée, outre 246,61 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
Enfin, la cour fixe à 17 062,70 euros le montant de l’ indemnité de licenciement due à M. [F] [T] dont le montant et les modalités de calcul ne sont pas contestés par l’employeur.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes formées à cet égard.
Sur la demande de remise sous astreinte de l’attestation Pôle emploi rectifiée :
Il convient d’ordonner à la SASU QUALICONSULT de délivrer à M. [F] [T] une attestation destinée à Pôle Emploi conforme à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire de prononcer une astreinte.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens ainsi qu’aux frais irrépétibles sont infirmées.
Succombant en partie à l’instance, la SASU QUALICONSULT est condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [F] [T] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Calais le 5 novembre 2020, sauf en ce qu’il a débouté M. [F] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT,
DIT que les modalités forfaitaires du temps de travail de M. [F] [T] sont privées d’effet à son égard ;
DIT que les demandes de rappel d’heures supplémentaires ne sont pas prescrites ;
REQUALIFIE le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société QUALICONSULT à payer à M. [F] [T] :
– 1635,55 euros bruts au titre des heures supplémentaires concernant l’année 2018,
– 163,55 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 4063,48 euros bruts au titre des heures supplémentaires dues concernant la période de juin à décembre 2015,
– 406,34 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte au respect de la vie personnelle et familiale du salarié, au droit au repos et au droit à la déconnexion,
– 12586,35 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1258,63 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 2466,10 euros bruts au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
– 246,61 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 17062,70 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
ORDONNE à la société QUALICONSULT de remettre à M. [F] [T] l’attestation rectifiée destinée à Pôle Emploi, établie conformément au dispositif du présent arrêt ;
REJETTE la demande d’astreinte ;
CONDAMNE la société QUALICONSULT aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [F] [T] 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL