COUR D’APPEL
de
VERSAILLES
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 24 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/02591
N° Portalis DBV3-V-B7E-UFDO
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 1 septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : AD
N° RG : 19/00309
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Matthieu JANTET-HIDALGO
Me Mélina PEDROLETTI
Me Sophie CORMARY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le 24 novembre 2022,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [S]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu JANTET-HIDALGO de la SCP MICHEL HENRY ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P99
APPELANTE
***
SELARL C. [G] es qualités de mandataire liquidateur de la SARL AMKG, mission conduite par Maître [E] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626
UNEDIC DÉLEGATION AGS CGEA IDF
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98
INTIMEES
***
Composition de la cour
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 27 septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Monsieur Mohamed EL GOUZI, greffier lors des débats.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon divers contrats de travail à durée déterminée d’usage successifs, Mme [S] a été engagée à compter de mars 2016, en qualité d’enquêteur vacataire, par la société Audirep Marketing, devenue AMKG, enregistrée au RCS de Nanterre sous le numéro 520 389 503, qui développait une activité d’études de marché et de comportement de la clientèle, les contrats étant soumis à la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés de conseil, dite Syntec.
Antérieurement, Mme [S] avait conclu divers CDD d’usage à compter de novembre 2008 avec une société Semaai, devenue Hexacall, actionnaire de la société AMKG, laquelle a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Nanterre par jugement en date du 10 mars 2016.
La dernière mission de Mme [S] portait sur la semaine du 10 au 14 décembre 2018.
Par mail du 7 janvier 2019, la société AMKG a annoncé à Mme [S] qu’elle était contrainte de cesser son activité.
Par lettre du 17 janvier 2019, Mme [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Suivant jugement en date du 16 mai 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société AMKG, la Selarl [G], prise en la personne de Maître [E] [G], étant désignée en qualité de mandataire liquidateur, la date de cessation des paiements étant fixée au 17 novembre 2017.
Le 18 mars 2019, Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’entendre, d’une part, prononcer la requalification de ses contrats d’usage en contrat à durée indéterminée à temps plein, d’autre part, juger que de la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et, enfin, fixer au passif de la liquidation diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Le mandataire liquidateur de la société et l’AGS se sont opposés aux demandes de la requérante, la Selarl [G] ayant sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 1er septembre 2020, notifié le 2 novembre 2020, le conseil a mis hors de cause M. [Z], liquidateur amiable de la société AMKG, débouté Mme [S] et Maître [G], ès qualités de toutes leurs demandes, les dépens étant mis à la charge des deux parties.
Le 19 novembre 2020, Mme [S] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 21 septembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 27 septembre 2022.
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 20 juin 2022, Mme [S] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau de :
Requalifier la relation de travail en CDI à temps complet.
Fixer en conséquence au passif de la liquidation de la société AMKG, prise en la personne de son mandataire liquidateur, les sommes suivantes :
– 3 336 euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 28 235,67 euros à titre de rappel de salaire sur plein temps et 2 823,56 euros au titre des congés payés afférents ;
-3 336 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 333 euros de congés payés afférents ;
– 4 170 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
– 18 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et privation de la CSP ;
– 556 euros à titre de rappel de prime conventionnelle de congés payés (prime de vacances) ;
Ordonner la remise de bulletins de paie conformes, certificat de travail et attestation Pôle Emploi conformes sous astreinte de 300 euros par jour de retard,
Fixer au passif de la liquidation de la société, prise en la personne de son mandataire liquidateur, la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Dire l’ensemble de ces sommes opposables à l’AGS.
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 2 septembre 2022, la Selarl [G], ès qualité de mandataire liquidateur de la société AMKG demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Condamner Mme [S] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance,
Subsidiairement, limiter les condamnations aux sommes suivantes :
– indemnité conventionnelle de licenciement : 607 euros et plus subsidiairement encore : 1 043 euros,
– préavis (2 mois) : 1 765 euros et plus subsidiairement encore : 3 034 euros,
– congés payés sur préavis : 176,50 euros et plus subsidiairement encore : 303,40 euros,
– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 647 euros et plus subsidiairement encore : 4 550 euros.
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 16 avril 2021, l’AGS CGEA d’Ile de France Ouest demande à la cour de :
Dire et juger que Mme [S] a été employé par contrats de travail de vacataire enquêteur, qui dérogent au droit commun, tel que prévu par l’annexe IV. Enquêteurs de la convention collective Syntec,
Dire et juger que lesdits contrats de vacataires sont conformes aux prescriptions légales et conventionnelles de sorte qu’il n’y a pas lieu de les requalifier en contrat à durée indéterminée,
En conséquence, confirmer le jugement en toutes ses dispositions et débouter Mme [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause :
Mettre hors de cause l’AGS s’agissant de la demande d’astreinte et des frais irrépétibles de la procédure,
Fixer l’éventuelle créance allouée au salarié au passif de la société,
Dire que le CGEA, en sa qualité de représentant de l’AGS, ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-6, L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-19 à 21 et L 3253-17 du code du travail,
Dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.
À l’audience, la cour a invité les salariés à établir un décompte déterminant la part de rappel de salaire se rapportant à la requalification de chacun des contrats de travail à durée déterminée en temps plein pour le 23 octobre 2022, les parties intimées étant autorisées à y répondre pour le 14 novembre suivant.
Mme [S] a communiqué le 28 octobre 2022 un décompte portant sur l’année 2018.
Suivant note en date du 14 novembre 2022, la Selarl [G], ès qualités, a critiqué le décompte communiqué par la salariée et produit un décompte sur toute la période, de mars 2016 à la rupture contractuelle.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I – Sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée
Si la salariée fait valoir qu’elle a, en réalité, occupé le même poste d’enquêteur au sein des mêmes locaux à l’aide du même matériel et sous la même direction depuis son embauche au mois de novembre 2008 par la société Semaai, devenue Hexacall, enregistrée au RCS sous le numéro 482 047 420, cite dans ses conclusions quelques uns des contrats conclus antérieurement au mois de mars 2016 et communique la lettre de recommandation aux termes de laquelle Mme [H], ‘directrice terrain’ de la société AMKG, fait référence à une embauche au sein de l’entreprise remontant à 2008, Mme [S] qui n’a pas agi contre la société Hexacall, ne précise pas sur quel fondement juridique la société AMKG serait tenue de répondre de contrats à durée déterminée conclus auprès d’une société tierce.
Le jugement sera confirmé en ce que les demandes visant les contrats antérieurs au 1er mars 2016 ont été rejetées.
Au soutien de son action, Mme [S] invoque le non respect des conditions de forme et de fond des contrats à durée déterminée. Elle indique avoir conclu de très nombreux contrats à durée déterminée mentionnant un motif de recours aux CDD insuffisamment précis, avoir, en outre, à de nombreuses reprises travaillé sans contrat écrit ou n’en avoir pas signé certains d’entre eux.
Elle soutient également que l’employeur n’apporte pas la preuve des raisons objectives, entendues comme la preuve que l’emploi concerné est par nature temporaire et ne correspond pas à la l’activité normale et permanente de l’entreprise, du recours au CDD d’usage et considère enfin que la continuité des relations contractuelles caractérise en l’espèce la permanence de l’emploi qu’elle a occupé et excluait toute possibilité de recourir à des contrats de travail à durée déterminée.
Le mandataire liquidateur de la société objecte que le recours aux contrats de travail à durée déterminée d’usage expressément prévu dans ce domaine d’activité par la loi et la convention collective applicable, n’est pas sérieusement critiquable eu égard à la grande variabilité de la durée des contrats et de l’activité de l’entreprise, l’emploi occupé par la salariée n’étant pas permanent.
L’intimé ajoute que les contrats conclus satisfont au formalisme et réfute l’argumentation développée selon laquelle des contrats n’auraient pas été établis ou que la salariée n’en aurait pas signé certains, affirmant que Mme [S] , qui a reconnu en première instance se les être vu remettre, fait preuve de mauvaise foi en prétendant ne pas en avoir signés certains alors qu’ils étaient à sa disposition. Il fait valoir que les bulletins de salaires reflètent la réalité d’une relation discontinue, la salariée n’ayant pas travaillé tous les mois entre mars 2016 et décembre 2018.
L’ AGS s’associe aux écritures du mandataire liquidateur et soutient que la salariée fait une présentation trompeuse de la réalité et développe une argumentation inopérante.
Les contrats de travail ont été conclus dans le cadre des dispositions des articles L.1242-2-3° du code du travail, D.1242-1-8° du code du travail et d’un accord du 16 décembre 1991 ayant créé une annexe « Enquêteurs » à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseil et des sociétés de conseil (Syntec).
Celle-ci mentionne dans son préambule relatif aux personnels enquêteurs la particularité de l’activité des instituts de sondages soumise à des impératifs de souplesse et de rapidité qui « ne permettent pas à ces sociétés d’assurer à l’ensemble de leurs enquêteurs une charge de travail régulière et constante au cours de l’année, eu égard de plus au fait qu’il est impératif d’obtenir pour des nécessités statistiques, des échantillons dispersés » ; compte tenu de ces particularités, elle admet trois statuts différents :
– celui de chargé d’ enquête, titulaire d’un contrat à durée indéterminée qui est salarié à temps plein,
– celui de chargé d’enquête à garantie annuelle qui concerne les personnes engagées en vue d’une activité discontinue et qui ne s’engagent pas de manière exclusive à l’ égard d’un employeur qui peuvent exercer d’autres activités ou la même au profit d’ un autre organisme de sondage, dans ce deuxième statut les contrats de travail sont soit à durée indéterminée soit à durée déterminée,
– enfin, un troisième statut correspondant à celui d’ « enquêteur vacataire » applicable aux collaborateurs occasionnels qui ont la possibilité de refuser les enquêtes qui leur sont proposées.
Les contrats signés versés aux débats qui énoncent précisément le motif du recours en rappelant les conditions légales au titre desquelles ils sont conclus, le nom du client, l’intitulé de la mission et ses références (baromètre trimestriel… n°… ) renseignent précisément le motif de recours et satisfont de ce chef au formalisme requis.
Toutefois, alors que l’appelante soutient que pour certaines périodes aucun contrat n’a été conclu ou qu’il n’a pas signé l’ensemble des CDD, le mandataire liquidateur se borne à verser aux débats les seuls contrats conclus au cours de l’année 2018.
Le seul fait que la salariée ait concédé en première instance avoir conclu 38 CDD en 2016, 52 en 2017 et 57 en 2018, sans qu’il soit établi que ces nombres correspondent effectivement à l’ensemble des contrats conclus n’emporte pas reconnaissance que des contrats aient été systématiquement établis par l’employeur, ni qu’ils aient été tous signés par la salariée.
L’employeur communique un seul contrat signé par la salariée portant sur la période du 2 au 5 janvier 2018 sur les 57 évoqués par la salariée comme ayant été conclus en 2018. Nombre des quelques contrats versés aux débats par la salariée ne sont pas signés.
En l’état des pièces communiquées, la société AMKG ne justifie pas de la rédaction systématique d’un contrat écrit, ni que tous les contrats établis aient été effectivement signés, sans qu’il soit justifié une quelconque mauvaise foi de la salariée sur ce point, de sorte que par application de l’article L.1242-12 du code du travail, la requalification s’impose et ceci à compter du 2 mars 2016, premier jour travaillé qui n’est pas couvert par la production d’un contrat écrit et signé, la réalité du travail ce jour là étant objectivée par la communication du tableau des heures rémunérées (pièces n°8, 9 et 10 de la société intimée).
Par ailleurs, la cour constate qu’il est justifié que du 2 mars 2016 au 14 décembre 2018, terme du dernier contrat, Mme [S] a pratiquement travaillé chaque mois, fût-ce quelques jours, hormis le seul mois de juillet 2016 ; les graphiques et chiffres clés communiqués par le mandataire liquidateur (ses pièces n°3 à 5) qui ne sont authentifiés par quiconque, sur lesquels le nom de la société ne figure même pas, ne présentent aucune force probante quant à la variabilité de l’activité et du nombre de salariés employés au mois. Aussi, il sera jugé que l’employeur ne démontre pas de surcroît que son activité d’enquête et de sondage était fluctuante au point que l’emploi de Mme [S] était par nature temporaire et ne pouvait être pourvu dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.
En conséquence, la cour infirme le jugement et requalifie la succession de contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée ayant pris effet au 2 mars 2016.
II – Sur la demande de requalification en contrat à temps complet
Mme [S] considère qu’il n’est pas discutable que les contrats d’enquêteurs conclus ne sont pas conformes aux dispositions de l’article L. 3123-14 du code du travail en ce qu’ils ne précisent ni la durée hebdomadaire de travail ni la répartition de cette durée entre les jours de la semaine ou du mois. Elle fait valoir qu’elle n’était pas systématiquement rémunérée pour l’intégralité des jours qui figuraient sur ses contrats. Elle soutient que non seulement chacun des contrats doit être requalifié en temps plein mais qu’elle est fondée à solliciter le paiement des salaires au titre des périodes intercalaires dans la mesure où elle communiquait un planning de ses disponibilités le jeudi ou le vendredi pour la semaine suivante et qu’elle se présentait le lundi sans avoir la garantie d’obtenir du travail sur les jours de la semaine, soulignant que les contrats lui étaient remis le jour même du début de l’enquête.
Le mandataire liquidateur objecte que la salariée ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’il est resté à sa disposition durant ces périodes.
Il est de droit que la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat. Réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.
Deux situations sont donc clairement à distinguer lorsque la salariée demande la requalification en temps complet :
– Celle où la salariée qui a travaillé à temps partiel dans le cadre de contrats à durée déterminée, sans contrat écrit conforme aux dispositions de l’article L 3123-14 du code du travail, reprises depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, sous l’article L. 3123-6, réclame des rappels de salaires afférents à la période du contrat, sur le fondement de la présomption de temps complet,
– Celle où la salariée ayant travaillé en vertu de contrats à durée déterminée non successifs requalifiés en un unique contrat à durée indéterminée, et qui réclame des rappels de salaires afférents aux périodes intercalaires non travaillées.
Dans le premier cas, il appartient à l’employeur de renverser la présomption de temps complet en établissant la durée du travail exacte convenue et que la salariée n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition. Dans le second, en revanche, c’est à la salariée de démontrer qu’elle s’est tenue à disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.
En l’espèce, force est de constater que Mme [S] ne communique aucun élément probant de nature à étayer ses allégations selon lesquelles elle se tenait à la disposition de l’employeur durant les périodes intercalaires, le seul fait que la date de signature des contrats correspondait, en règle générale, au premier jour de travail prévu au contrat, ne suffisant à établir cette preuve. Contrairement à ce que l’appelante fait valoir, les périodes interstitielles sont parfaitement déterminées et couvrent les périodes séparant le terme du contrat N du premier jour du contrat N+1. Sa demande en paiement d’un rappel de salaire en ce qu’elle est fondée sur ces périodes sera rejetée.
En revanche, il est constant que les contrats se bornaient à indiquer que la salariée était engagée de telle date à telle date et qu’ils étaient ‘conclu pour la durée de la réalisation de l’enquête visée […]’, de sorte qu’aucune précision n’était fournie sur la durée de travail convenue entre les parties ni aucune répartition des jours de la semaine ou du mois travaillés. Par suite, chacun de ces contrats est présumé être à temps complet.
Faute pour l’employeur de rapporter la preuve qui lui incombe, de ce que, nonobstant, la salariée n’ignorait pas la durée de travail et qu’elle pouvait, de surcroît, prévoir son rythme de travail et ne se trouvait pas durant chacun de ces contrats dans l’obligation de se tenir constamment à la disposition de l’employeur, le rappel de salaire sera accueilli dans la limite de chacun des CDD.
En l’état des décomptes communiqués en cours de délibéré par les parties, sur la base d’une part de la période visée par les CDD, la durée hebdomadaire de travail et les tableaux mensuels communiqués par l’employeur lesquels détaillent au jour le jour les heures effectivement rémunérées, la cour dispose des éléments lui permettant de chiffrer le rappel de salaire que la salariée est fondée à percevoir au titre de la requalification de ces contrats en temps plein, comme suit :
– pour l’année 2016 : 1 025,89 euros,
– pour l’année 2017 : 2 425,02 euros,
– pour l’année 2018 : 2 807,30 euros.
Montants auxquels s’ajouteront les congés payés afférents.
En conséquence, la demande de rappel de salaire et de requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein sera accueillie dans ces limites et le jugement infirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
III – Sur les conséquences de la requalification
Le dernier mois travaillé Mme [S] a perçu un salaire reconstitué de 700 euros. La moyenne de ses salaires sur les trois derniers mois s’établit à 1 291,70 euros et à la somme de 1 116,40 euros calculé sur les douze derniers mois.
En application de l’article L.1245-2 du code du travail et eu égard au salaire moyen le plus favorable, il lui sera alloué à une indemnité de requalification de 1 500 euros.
IV – Sur la rupture
L’employeur ayant cessé, de manière injustifiée, de fournir à Mme [S] du travail et de lui verser son salaire à compter du 10 novembre 2018, en lui opposant des contrats improprement qualifiés à durée déterminée, Mme [S] rapporte la preuve de manquements de la société AMKG à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle.
Il sera jugé que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 17 janvier 2019. À cette date, son ancienneté remontant au 1er contrat irrégulier requalifié s’établit à 2 ans et dix mois.
L’appelante est en droit d’obtenir les indemnités de rupture ainsi qu’une indemnité pour licenciement injustifié en rapport avec son ancienneté dans la société et le préjudice objectivement subi.
Il convient d’ allouer à Mme [S] la somme de 2 583,40 euros bruts à titre d’indemnité de préavis correspondant à deux mois, outre 258,34 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Compte tenu de son ancienneté qui s’apprécie en la matière au terme du préavis auquel il pouvait prétendre, et du salaire de référence, la somme de 968,77 euros lui revient à titre d’indemnité de licenciement.
Au titre de la perte injustifiée de son emploi et de la privation du contrat de sécurisation professionnelle, la salariée sollicite le paiement d’une indemnité de 18 000 euros sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail. Dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ce texte prévoit que la salariée peut prétendre au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de trois mois de salaire brut et un montant maximal de trois mois et demi de salaire brut.
L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 4 500 euros bruts.
V – Sur la prime de vacances
Le mandataire liquidateur ne conteste pas le principe de la réclamation formée par Mme [S] de ce chef en raison de la requalification, sur le fondement de l’article 31 de la convention collective applicable, mais considère que celle-ci ne saurait prospérer faute pour l’appelant de justifier de son calcul.
L’article 31 énonce que les salariés bénéficient d’une prime de vacances d’un montant au moins égal à 10% de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l’ensemble des salariés.
Sur la base des indemnités perçues ou à percevoir sur son salaire reconstitué de la date de requalification à la date de rupture, il sera alloué de ce chef à Mme [S] la somme de 317,83 euros.
La garantie de l’AGS sur les créances doit être constatée dans la limite des plafonds.
Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes formées par Mme [S] visant les contrats conclus antérieurement au 1er mars 2016 avec une société tierce,
L’infirme pour le surplus en toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Requalifie la succession de contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus entre Mme [S] et la société AMKG en contrat à durée indéterminée ayant pris effet au 2 mars 2016,
Requalifie chacun des contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus en contrat de travail à temps plein,
Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 17 janvier 2019,
Fixe au passif de la liquidation de la société AMKG, les créances de Mme [S] suivantes
– 1 500 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 2 583,40 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 258,34 euros bruts au titre des congés payés afférents
– 968,77 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 4 500 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 6 258,21 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 625,82 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 317,83 euros à titre de prime de vacances,
Ordonne à la Selarl [G], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Audirep Marketing – AMKG de délivrer à Mme [S] les documents de fin de contrat ainsi qu’un bulletin de paye annuel pour chaque année visée par un rappel de salaire conformes à la présente décision,
Rejette la demande d’astreinte,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rappelle qu’en application des articles L 622-28 et L 641-3 du Code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,
Dit que le CGEA, en sa qualité de représentant de l’AGS, ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-6, L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-19 à 21 et L 3253-17 du code du travail,
Dit que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Alicia LACROIX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,