24 février 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
21/03210
24/02/2023
ARRÊT N°111/2023
N° RG 21/03210 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OJFN
CB/AR
Décision déférée du 17 Juin 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 20/00288)
MUNOZ P.
[O] [J]
C/
S.A.S. AUSY
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le 24 02 2023
à Me Pascale BENHAMOU
Me Paul VAN DETH
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANT
Monsieur [O] [J]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Pascale BENHAMOU de la SCP CABINET DENJEAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.S. AUSY
prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]
Représentée par Me Paul VAN DETH de la SELEURL Société d’Exercice libéral d’Avocat ISNAH, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BRISSET, président, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [O] [J] a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée le 14 mars 2006 à effet au 29 mars 2006 par la société Aptus, en qualité d’ingénieur d’études, statut cadre.
La convention collective nationale des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseil dite Syntec est applicable.
En 2012, le contrat de travail était transféré à la SA Ausy, laquelle emploie plus de 11 salariés.
Par lettre du 18 février 2014, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 26 février 2014, puis licencié pour faute grave selon lettre du 28 février 2014.
Par requête en date du 15 février 2016, il a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse en contestation de son licenciement.
Par jugement du 17 juin 2021, le conseil a :
– jugé que la rupture du contrat de travail de M. [O] [J] est fondée mais qu’elle doit être requalifiée en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– condamné la SA Ausy, prise en la personne de son représentant légal ès-qualités, à payer à M. [J] les sommes de :
– 8 748,93 euros bruts au titre du préavis,
– 874,89 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 7 938,85 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– jugé que M. [J], bien qu’il n’apporte aucun élément probant au droit de la somme demandée, a dû engager des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits,
– condamné la société Ausy, prise en la personne de son représentant légal ès-qualités, à payer M. [J] la somme de :
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la rectification des documents sociaux de M. [J] par la société Ausy, sans astreinte,
– jugé que les autres demandes de M. [J] sont infondées,
– débouté M. [J] du surplus de ses demandes,
– partagé les dépens à égalité entre M. [J] et la société Ausy.
Le 16 juillet 2021, M. [J] a interjeté appel de la décision, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement.
Dans ses dernières écritures en date du 30 mars 2022, auxquelles il est fait expressément référence, M. [J] demande à la cour de :
– confirmer la décision déférée en ce qu’elle a condamné la société Ausy à verser à M. [J] les sommes suivantes :
– 8 748,93 euros bruts au titre du préavis,
– 874,89 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 7 938,85 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer la décision déférée en ce qu’elle a ordonné à la société Ausy la rectification des documents sociaux de M. [J],
– infirmer la décision déférée en ce qu’elle a déboutée M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et partagé les dépens à égalité entre M. [J] et la société Ausy.
Statuant à nouveau :
– juger que le licenciement de M. [J] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.
En conséquence :
– condamner la société Ausy à payer à M. [J] la somme de 44 000 euros à titre de dommages et intérêts net de CSG et CRDS pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Y ajoutant :
– condamner la société Ausy à verser à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.
Il conteste toute faute et fait valoir que les griefs articulés par l’employeur sont prescrits ou non sérieux alors qu’il n’a pas refusé la mission. Il s’explique sur son préjudice.
Dans ses dernières écritures en date du 3 janvier 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société Ausy demande à la cour de :
A titre principal :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 17 juin 2021 en son intégralité et, jugeant à nouveau,
– constater que le licenciement pour faute grave dont a fait l’objet M. [J] est parfaitement fondé.
En conséquence,
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes en les déclarants mal fondées.
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 17 juin 2021 en ce qu’il a reconnu le licenciement prononcé fondé sur une cause réelle et sérieuse.
A titre infiniment subsidiaire :
– ramener les demandes de M. [J] à de plus justes proportions.
A titre reconventionnel :
– condamner M. [J] à verser à la société Ausy la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [J] aux entiers dépens.
Elle soutient que la faute grave est établie, le salarié ayant délibérément fait échec à son repositionnement en mission alors qu’il était en intercontrat. Elle ajoute qu’elle pouvait se prévaloir de faits antérieurs à ce refus, même prescrits, relevant du même comportement fautif. Subsidiairement, elle discute les indemnités.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.
Lorsque l’employeur retient la qualification de faute grave, il lui incombe d’en rapporter la preuve et ce dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l’espèce, M. [J] a été licencié dans les termes suivants :
Une mission chez notre client Echosens à [Localité 3] vous a été proposée le 27 janvier pour une durée allant de 6 mois à 1 an, consistant en du développement logiciel en langage NET/C++. Une réunion technique a eu lieu le 4 février 2014 avec le client et celui-ci vous a signifié son accord pour un démarrage de la mission en date du lundi 17 février 2014.
A notre grande surprise et contre toute attente, vous avez attendu le 14 février 2014 pour la refuser sous prétexte que les frais de, déplacements ne vous convenaient pas « l’élément bloquant étant le stockage de vos effets personnels le week-end » – cf notre mail du 14 février 2014. Il faut préciser que vous êtes en intercontrat depuis le 8 novembre 2013.
Pour rappel, les frais de mission ont fait l’objet de nombreux échanges écrits et verbaux entre nous.
Les conditions de réalisation de la mission étaient évidemment conformes à notre convention collective et notre accord collectif relatif à l’exercice des missions que vous avez refusé de lire malgré nos demandes répétées…
Vous les avez pourtant refusées.
Elles consistaient en :
– un aller-retour par semaine [Localité 3]/[Localité 6],
– un hébergement à l’Appart hôtel [Localité 4],
– la prise en charge de 100% des frais de transport,
– une prise en charge pour les frais de déjeuner s’élevant à 17,90 euros pour le dîner,
– une prise en charge, pour les frais, de déjeuner s’élevant à 4,5 euros pour le déjeuner,
– une compensation en absence autorisée payée des temps de déplacements.
Vous avez reconnu, de plus, lors de l’entretien, que nous vous avions proposé d’aménager votre temps de travail le lundi matin et le vendredi après-midi avec le client.
Les conditions de réalisation de cette mission étaient donc nettement plus, favorables que ce à quoi nous étions obligés. Pourtant vous n’avez eu de cesse de critiquer nos choix (par exemple, l’hôtel Ibis qui avait été envisagée en alternative à l’Appart hôtel alors que nos Directeurs Généraux y séjournent régulièrement) et de multiplier les demandes injustifiées et exceptionnelles (coin nuit séparé, prise en compte dans l’ordre de mission des intempéries, confirmation de la mise du bagage en soute sans frais…).
Le client était même prêt à renforcer vos compétences en WPF par une transmission de savoirs à votre, bénéfice par son équipe interne.
Nous ne pouvons que constater qu’il s’agit d’un subterfuge pour refuser cette mission en violation de votre obligation contractuelle de déplacements professionnels et de mobilité. Nous vous rappelons par ailleurs que vous disposiez de l’ensemble des connaissances requises pour pouvoir réaliser cette mission (.NET C++), celle-ci correspondait donc pleinement à votre profil et à vos compétences.
Enfin, nous n’avons cessé de multiplier, nos recherches pour une mission en local, dans la région toulousaine, mais sans succès (CLS, INFOMIL…).
Nous vous avons alors invité à reconsidérer votre ‘position, s’agissant d’une mission en adéquation avec votre expertise pour un client stratégique de l’entreprise. Malgré cela, vous avez persisté dans votre refus, ce qui nous a conduits à vous alerter sur les conséquences disciplinaires pouvant, découler de refus de mission sans justification valable.
Pour autant, vous avez maintenu votre position et avez refusé de vous rendre chez le client en date du 17 février 2014, date de démarrage prévu pour la mission.
Votre refus de mission totalement injustifié a été préjudiciable à notre société du fait :
– d’un impact en termes d’image de notre société auprès du client du fait de votre manque de professionnalisme, ce qui a fortement fragilisé notre positionnement chez ce client stratégique,
– de la difficulté à trouver un profil adéquat correspondant aux besoins du client dans un laps de temps très limité afin de ne pas perdre le projet.
Il faut préciser que des faits de même nature s’étaient déjà produits, traduisant votre manque flagrant d’implication et de professionnalisme.
En effet,
– Vous étiez en congés/RTT du mercredi 22 janvier 2014 au mardi 28 janvier 2014. Nous vous avions réservé un vol d’avion pour le mercredi 29 janvier 2014 au matin pour que vous vous rendiez à une réunion technique chez notre client JC Decaux à [Localité 5]. Vous ne vous êtes pas présenté à l’aéroport ….sans nous en Informer. Vous êtes allé directement à l’agence sans prendre la peine de nous indiquer votre présence dans les locaux étant de plus injoignable par téléphone. Nous avons dû vous reprendre un nouveau billet d’avion le 30 janvier 2014 et cette fois, vous ne nous avez pas informé de l’annulation de ce vol… Nous ne l’avons su que le lendemain matin. La réunion technique avec notre client, de ce fait, a été annulée définitivement…
– De façon générale, huit de nos managers se sont plaints du fait que vous étiez injoignable bien qu’en période d’inter-contrat et non disponible alors qu’ils avaient une mission à vous proposer (faits survenus de janvier 2013 à janvier 2014),
– Vous avez réalisé avec retard la mise à jour de votre CV en octobre 2013 (effectuée le 15 octobre 2013 alors que la dead line était le 14 octobre 2013),
– Lors de votre entretien annuel de 2013 (20 juin 2013) nous avons demandé de confirmer votre présence à plusieurs reprises sans obtenir de retours de votre part, de même, vous n’avez pas respecté les délais pour le retour du support de cet entretien,
– Le 27 mars 2013, vous avez été absent sans justification et sans nous prévenir,
– Le 10 octobre 2012, nous avons dû vous faire une lettre de recadrage suite à vos deux sorties anticipées de mission du fait de votre manque de professionnalisme et de réactivité (client Forsk en janvier 2012 et client Geosys en septembre 2012),
– En décembre 2012, pendant la fermeture du site client Continental, vous avez refusé de faire une demande de congés du 24 au 31 décembre 2012 alors que nous vous en avions fait la demande en bonne et due forme.
Pour l’ensemble des raisons évoquées, nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave, sans préavis, ni Indemnité.
L’employeur reproche ainsi en premier lieu au salarié un refus de mission en date du 14 février 2014. Aucune prescription ne peut être invoquée à ce titre puisque la procédure a été entamée par la convocation à l’entretien préalable dès le 17 février 2014.
M. [J] conteste la notion de refus de mission en faisant valoir qu’il s’agissait uniquement de discussions portant sur les conditions d’exercice de la mission.
Si l’employeur produit effectivement un nombre réduit de pièces, il n’en demeure pas moins qu’il résulte de l’échange de courriers électroniques du 14 février 2014 qu’une mission avait bien été proposée au salarié et qu’elle devait démarrer le lundi 17 février 2014. Il était adressé au salarié à 12h04 ce qui était présenté comme une dernière version de l’ordre de mission. Il lui était demandé de retourner l’ordre de mission signé avant 18 heures ou de mentionner les raisons du refus de signature. Cette mission correspondait à la définition des grands déplacements puisqu’elle devait s’exécuter à [Localité 3].
M. [J] a répondu à 16h31. Contrairement à ses affirmations, il ne s’agissait pas de simples discussions. En effet, si le salarié admettait que l’ordre de mission allait dans la bonne voie, il concluait le message en indiquant qu’il lui était impossible de le signer. Les objections que M. [J] mettait en avant portaient certes sur les conditions d’exécution de la mission ou plus exactement sur les modalités de prise en charge de ses déplacements et de son hébergement. Toutefois, il résulte de l’analyse de ce document que le salarié voulait en réalité imposer ses conditions et ce très au-delà de ce que prévoient tant l’accord d’entreprise que les dispositions conventionnelles. Ainsi, il entendait que son logement soit pris en charge pour chaque jour du mois qu’il soit travaillé ou non ; que ce même logement comprenne une chambre séparée ; que le transport entre l’aéroport et le lieu de mission soit pris en charge en taxi et non pas en transport en commun. Il excluait de prendre un vol le lundi matin avant 10 heures et le vendredi après-midi après 15 heures. Enfin, il sollicitait un accord écrit stipulant que la mission ne serait pas prolongée après le 17 juillet 2014.
Dans de telles conditions et en concluant le message en indiquant qu’il lui était impossible de signer l’ordre de mission, la position du salarié était bien celle d’un refus qui ne peut être considéré comme légitime puisque les modalités qu’il invoquait ne pouvaient être imposées à l’employeur.
Un tel refus était ainsi fautif et permettait à la société Ausy de se placer sur un terrain disciplinaire. Il lui permettait également de rappeler des faits de même nature qui à eux seuls seraient prescrits.
Toutefois, l’employeur ne produit que fort peu de justificatifs au titre des rappels d’antécédents figurant à la lettre de licenciement. Les problèmes notés sur la mission Forsk, outre qu’ils sont véritablement anciens, sont peu étayés et remis en cause par des retours positifs sur des missions postérieures.
Les seuls éléments pertinents tiennent à l’absence du 27 mars 2013 et à une difficulté à joindre le salarié pour ses managers. Il est certes démontré que le 27 mars 2013 M. [J] était en arrêt de travail. Il apparaît toutefois qu’il a tardé à adresser le justificatif. Sa réponse ne fait que confirmer ce qu’indiquait la manager puisqu’il n’a appelé son assistante que suite au rappel qui lui était fait à ce titre. Il résulte également du même échange avec la manager qu’il n’était à tout le moins pas réactif pour rappeler ses interlocuteurs en période d’inter-contrat. Ces points demeurent cependant limités en termes disciplinaires.
Au total et compte tenu notamment de la faiblesse de ces éléments antérieurs, le refus de mission constituait uniquement un motif réel et sérieux de licenciement mais ne pouvait caractériser en l’espèce une faute grave alors qu’il n’est pas donné d’éléments sur la difficulté de repositionner un autre salarié sur la mission.
C’est ainsi à juste titre que les premiers juges ont fait droit aux demandes portant sur les indemnités de rupture (préavis, congés payés afférents et indemnité de licenciement) dont le quantum n’est pas spécialement discuté, mais ont rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque la rupture procédait d’un motif réel et sérieux.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions comprenant le sort des frais et dépens.
L’appel étant mal fondé, M. [J] sera condamné aux dépens et au paiement d’une indemnité que l’équité conduit à limiter à 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 17 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [J] à payer à la SA Ausy la somme de 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [J] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset
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