RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 24 Février 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/05719 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B75PG
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mars 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 17/01219
APPELANTE
URSSAF ILE DE FRANCE
Division des recours amiables et judiciaires
[Adresse 8]
[Localité 3]
représentée par Mme [D] [O] en vertu d’un pouvoir général
INTIMEE
SAS [5]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Bénédicte GIARD-RENAULT TEZENAS DU MONTC, avocat au barreau de PARIS, toque : D1234
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Pascal PEDRON, Président de chambre
M. Raoul CARBONARO, Président de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 09 décembre 2022, prorogé au 20 janvier 2023 puis au 24 février 2023,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Raoul CARBONARO, Président de chambre pour M. Pascal PEDRON, Président de chambre, légitimement empêché et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par l’Urssaf Île-de-France (l’Urssaf) d’un jugement rendu le 19 mars 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Paris dans un litige l’opposant à la S.A.S. [5] (la société).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que la société intervient dans le domaine des services informatiques spécialisés en mettant des ingénieurs à la disposition d’entreprises clientes et auxquels elle verse une indemnité forfaitaire par jour de travail au titre des frais de nourriture ; que la société a fait l’objet d’un contrôle relatif à l’application de la législation de sécurité sociale pendant la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ; que l’inspecteur du recouvrement a notifié le 24 mars 2016 une lettre d’observations envisageant deux chefs de redressement, dont l’un portant sur les frais professionnels non justifiés, pour un montant de 38 425 euros de cotisations, outre 5 907 euros de majorations de retard ; que le 8 septembre 2016, l’Urssaf adressait une mise en demeure pour les mêmes sommes, soit la somme globale de 44 231 euros après déduction d’un crédit de 101 euros ; que la société a contesté le chef de redressement n° 1 relatif aux frais professionnels en formant un recours devant la commission de recours amiable (CRA) de l’Urssaf ; que par décision du 12 décembre 2016, la CRA a rejeté le recours de la société ; que cette dernière a alors porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 17 février 2017 ; que le 20 mars 2017, la commission de recours amiable a rejeté explicitement la contestation.
Par jugement du 12 mars 2018, le tribunal a ordonné la réouverture des débats en demandant aux parties de donner des explications complémentaires sur divers points. Par jugement du 27 novembre 2018, le tribunal a ordonné une seconde réouverture des débats en ordonnant à la société de produire une copie intégrale de la convention collective SYNTEC applicable aux entreprises informatiques.
Le dossier a été transféré au tribunal de grande instance de Paris le 1er janvier 2019.
Par jugement du 19 mars 2019, ce tribunal a :
– Dit n’y avoir pas lieu à ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros 17-01219 et 17-01935 ;
– Dit, sur la régularité de la procédure, n’y avoir pas lieu à prononcer la nullité de la lettre d’observations du 24 mars 2016 et de la mise en demeure du 8 septembre 2016 ;
– Dit, sur le fond, que la société ne doit pas verser à l’Urssaf les sommes de 19 046 euros et 19 590 euros au titre du chef de redressement n 1 de la lettre d’observations du 24 mars 2016 ;
– Débouté l’Urssaf de l’intégralité de ses prétentions ;
– Dit n’y avoir pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté la société de sa prétention sur ce sujet ;
– Condamné l’Urssaf à supporter les éventuels dépens de l’instance.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu en substance que les jurisprudences invoquées par l’Urssaf étaient anciennes et n’avaient pas été communiquées à l’exception de deux arrêts de la Cour de cassation ; que les salariés n’étaient pas sédentaires puisqu’ils n’étaient jamais envoyés en mission chez les mêmes clients et que la durée des missions variait selon le salarié et l’entreprise cliente ; que la circulaire ministérielle du 19 août 2005 n’imposait aucune limite de durée de mission et ne spécifiait pas de régime juridique selon que les missions sont inférieures ou supérieures à trois mois ; que pendant l’exécution de leur mission, les salariés sont dans l’impossibilité de regagner leur domicile ou leur lieu de travail habituel qui ne se confond pas nécessairement avec le lieu de mission ; que la Cour de cassation a considéré que pour les salariés des sociétés de services informatiques, l’employeur est tenu de compenser leurs frais de déplacement hors de leur lieu de travail et que le travail dans les locaux des clients devait être considéré comme des déplacements hors du lieu de travail habituel (Cass., 30 juin, n 97-40889) ; que la convention collective prévoit explicitement des ‘indemnités pour déplacements continus’ ; que cette convention collective a une valeur juridique supérieure à une simple circulaire ACOSS ou ministérielle et qu’elle est opposable non seulement aux entreprises mais aussi à des organismes tiers comme l’Urssaf ; qu’ainsi, les indemnités versées doivent être considérées comme des frais, et non des compléments de salaire, exclus de l’assiette des cotisations sociales.
Le jugement a été notifié le 2 mai 2019 à l’Urssaf qui en a interjeté appel le 29 mai 2019.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de :
– La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
– Réformer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en date du 19 mars 2019 ;
Et statuant à nouveau :
– Constater la régularité de la procédure de contrôle ;
– Confirmer le redressement opéré au titre des indemnités de repas versées aux salariés envoyés sur site client pour une durée supérieure à trois mois ;
– Condamner la société à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son conseil, la société demande à la cour, au visa « du code de la sécurité sociale », de :
– Confirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 19 mars 2019 en ce qu’il a dit, sur le fond, que la société ne doit pas verser les sommes de 19 046 euros et 19 590 euros ;
– Infirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 19 mars 2019 en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’annulation de la procédure de contrôle et de la mise en demeure du 8 septembre 2016 ;
Statuant à nouveau :
– Annuler le contrôle et la mise en demeure subséquente ;
– Condamner l’Urssaf au paiement de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Oralement, la société indique qu’elle abandonne sa contestation de la régularité de la procédure de contrôle et de la mise en demeure subséquente fondée sur l’envoi de l’avis préalable au contrôle.
Il est expressément renvoyé aux écritures des parties reprises oralement à l’audience et déposées après avoir été visées par le greffe à la date de l’audience.
SUR CE,
Sur la lettre d’observations
La société reproche à l’inspecteur du recouvrement de ne pas avoir indiqué dans la lettre d’observations le mode de calcul des redressements envisagés alors qu’il s’agit d’informations visées par le texte applicable et qui sont nécessaires pour assurer le caractère contradictoire du contrôle et la sauvegarde des droits de la défense. Elle soutient que cette irrégularité qui est substantielle justifie l’annulation du contrôle.
Elle fait valoir que la lettre d’observations se contente de reproduire des montants dans un tableau sans expliquer le calcul effectué ni les périodes retenues, de sorte que la méthode de calcul retenue ne soit indiquée. Elle ajoute que l’Urssaf s’est fondée sur une circulaire Acoss du 6 juillet 2015 pour établir le redressement, sans que la lettre d’observations ne mentionne ce texte.
L’Urssaf réplique que la lettre d’observations satisfait aux exigences légales dès lors qu’elle précise la nature de chaque chef de redressement envisagé (fondement), le contenu et les modalités d’application des textes législatifs et réglementaires invoqués ou la jurisprudence applicable, les assiettes et le montant de chaque chef de redressement par année, ainsi que les taux de cotisations appliqués. Elle soutient que seule l’omission ou le non-respect de règles impératives peut entraîner la nullité de la procédure de contrôle.
L’Urssaf fait valoir que la lettre d’observations en cause est particulièrement motivée. Elle ajoute que la circulaire Acoss du 6 juillet 2015 est postérieure au redressement et qu’elle n’avait pas à être mentionnée dans la lettre d’observations et que le redressement était fondé sur l’arrêté du 20 décembre 2002 (article 3) et l’arrêt de la Cour de cassation du 21 février 2008 (Urssaf de Lyon c./ Société [4]), et que pour apprécier la fixité de la mission, l’inspecteur du recouvrement a appliqué, à titre de bienveillance, la circulaire de 2015 qui prévoit que la fixité n’est admise que lorsque la durée excède trois mois. Sur le point de la méthode de calcul retenue, elle observe que l’inspecteur du recouvrement a précisé dans un tableau, pour chaque salarié concerné, les bases redressées, année par année, et qu’il a indiqué que seuls les frais engagés dans un délai supérieur à trois mois étaient réintégrés dans l’assiette des cotisations et contributions sociales, étant rappelé que le redressement a été opéré à partir des seuls éléments transmis par la société (fiches de paie et pièces justificatives de frais de déplacement). En outre, un autre tableau précisait le montant des cotisations dues ainsi que le taux et l’assiette correspondants. Elle ajoute que la société n’a formé aucune observation en retour à la lettre d’observations.
Le 5e alinéa de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, disposait que :
« A l’issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l’employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s’il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l’indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L. 243 7 2, L. 243 7 6 et L. 243 7 7 envisagés. En cas de réitération d’une pratique ayant déjà fait l’objet d’une observation ou d’un redressement lors d’un précédent contrôle, il précise les éléments caractérisant le constat d’absence de mise en conformité défini à l’article L. 243 7 6. Le cas échéant, il mentionne les motifs qui conduisent à ne pas retenir la bonne foi de l’employeur ou du travailleur indépendant. Le constat d’absence de mise en conformité et le constat d’absence de bonne foi sont contresignés par le directeur de l’organisme chargé du recouvrement. Il indique également au cotisant qu’il dispose d’un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu’il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d’un conseil de son choix ».
Il résulte de ce texte que les observations, dans le cas où elles justifieraient un redressement, doivent être suffisamment circonstanciées pour permettre à l’employeur d’exercer son droit à la défense et qu’à peine de nullité, elles doivent permettre au cotisant contrôlé d’avoir une connaissance précise et exacte des erreurs et omissions qui lui sont reprochées afin de pouvoir apporter toutes les justifications nécessaires pendant la phase contradictoire du contrôle.
En l’espèce, s’il est exact que la lettre d’observations ne fait pas état de la circulaire Acoss du 6 juillet 2015, la société se borne à alléguer, sans en rapporter la preuve ni chercher à la rapporter, que le redressement a été fondé sur ce texte. Or, les deux textes sur lesquels l’Urssaf s’est effectivement appuyée pour établir en droit le redressement sont indiqués dans la lettre d’observations (arrêté du 20 décembre 2002 et arrêt de la Cour de cassation du 21 février 2008, Urssaf c./ Société [4]) et se suffisent en eux même pour justifier le raisonnement de l’Urssaf et en contrôler la pertinence éventuelle. En outre le moyen du redressement étant l’appréciation de la « fixité » d’un travailleur envoyé en mission dans l’établissement d’une entreprise cliente, l’inspecteur du recouvrement a admis avoir appliqué la circulaire du 6 juillet 2015 dans sa détermination de cette « fixité » par mesure de bienveillance en considérant qu’elle devait s’apprécier pour les missions de plus de trois mois. Cette tolérance écartant du contrôle toutes les missions de courtes durées n’est donc pas de nature à faire grief au cotisant qui n’a plus à justifier, du seul fait de cette application qui lui est favorable, les frais professionnels de ses salariés en mission de moins de trois mois.
Ce moyen est donc inopérant.
Ensuite, force est de constater que l’inspecteur du recouvrement a établi deux tableaux précis et complets des résultats de ses recherches dans lesquels il expose les bases du redressement et les montants y afférent en indiquant pour chaque salarié concerné, l’assiette redressée, année par année, pour les seuls frais engagés lors d’une mission d’un délai supérieur à trois mois, à partir des seuls éléments transmis par la société (fiches de paie et pièces justificatives de frais de déplacement), ainsi que le montant des cotisations dues et les taux et assiette correspondants. Il s’en déduit que, si la méthode de calcul n’est pas mathématiquement formalisée, ce qui n’est pas exigé par la loi, elle est clairement explicitée par l’inspecteur du recouvrement pour que la société puisse parfaitement la reproduire et partant vérifier les résultats de ce contrôle à partir de sa propre comptabilité.
Ce moyen est également inopérant.
Sur la mise en demeure
La société soutient que l’absence de précisions quant à la nature des cotisations et contributions ainsi qu’à leur cause dans la mise en demeure l’empêche d’avoir une connaissance exacte de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation. Elle observe que la mise en demeure fait référence à un versement de 101 euros qui aurait été effectué le 14 juin 2016, sans préciser quel est le chef de redressement concerné par ce versement ou si ce versement correspond à un surplus. Elle ajoute que si la lettre d’observations fait état de la somme de 19 590 euros pour l’année 2014, la mise en demeure mentionne la somme de 19 379 euros.
L’Urssaf réplique que le redressement total envisagé dans la lettre d’observations était de 38 425 euros se décomposant comme suit : point n° 1, 38 636 euros ; point n° 2, – 211 euros. L’Urssaf soutient en conséquence que la mise en demeure répond aux exigences légales tout comme la lettre d’observations à laquelle elle fait référence. Elle fait valoir que la mise en demeure n’a pas à ventiler les montants par nature de cotisations réclamées dès lors qu’elle se réfère à la lettre d’observations qui détaille la nature des cotisations et contributions en cause. Elle soutient que le versement de la somme de 101 euros n’est pas de nature à remettre en cause la régularité de la mise en demeure et la différence entre les deux sommes de la lettre d’observations et la mise en demeure s’explique par la simple soustraction du point n° 2 du montant du point n° 1.
L’article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, disposait que :
« Toute action ou poursuite effectuée en application de l’article précédent ou des articles L. 244 6 et L. 244 11 est obligatoirement précédée, si elle a lieu à la requête du ministère public, d’un avertissement par lettre recommandée de l’autorité compétente de l’Etat invitant l’employeur ou le travailleur indépendant à régulariser sa situation dans le mois. Si la poursuite n’a pas lieu à la requête du ministère public, ledit avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée à l’employeur ou au travailleur indépendant.
‘Le contenu de l’avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».
Le premier alinéa de l’article R. 244-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, disposait que :
« L’envoi par l’organisme de recouvrement ou par le service mentionné à l’article R. 155 1 de l’avertissement ou de la mise en demeure prévus à l’article L. 244 2, est effectué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent ».
En l’espèce, la mise en demeure indique la nature des cotisations (« régime général »), le motif de la mise en recouvrement (« contrôle chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 24/03/2016 article R.243-59 du Code de ka Sécurité Sociale »), le montant du redressement correspondant aux cotisations figurant dans la lettre d’observations (38 425 €, soit 38 636 € – 211 €), ventilé année par année, et le montant des majorations de retard provisoires. En outre, la seule référence à la lettre d’observations permettait non seulement de comprendre le montant global du redressement mais également la différence apparente entre la somme réclamée au titre de l’année 2014 dans la mise en demeure, à savoir 19 379 euros, et la somme de 19 590 euros relevée dans la lettre d’observations, puis que la soustraction de la somme de 211 euros dégagée en crédit au bénéfice de la société par le chef de redressement n° 2 au titre de l’année 2014 à la somme totale due pour l’année 2014 au titre du chef n° 1, à savoir 19 590 euros, donne exactement la somme de 19 379 euros qui figure sur la mise en demeure. Enfin la soustraction de la somme de 101 euros au titre d’un versement effectué par la société n’est pas de nature à lui faire grief, étant rappelé que si l’obligation est tenue à une cotisation ou contribution sociale précise, le paiement par contre n’est pas spécialisé, c’est-à-dire que, sauf indication précise du cotisant lors du paiement, il n’est pas affecté à telle ou telle cotisation ou contribution mais à la dette globale du cotisant.
Il s’ensuit que les informations contenues dans la mise en demeure sont suffisamment précises et motivées pour que la société ait eu connaissance de la nature, la cause et l’étendue de son obligation.
Le moyen de nullité de la mise en demeure est donc inopérant.
Sur le chef de redressement relatif aux frais professionnels non justifiés – principes généraux
L’Urssaf reproche aux premiers juges d’avoir annulé ce redressement aux motifs que la circulaire de 2005 ne prévoyait aucune limite de durée de la mission et que la convention collective SYNTEC qui prévoyait des indemnités pour déplacements continus avait une valeur juridique supérieure à une circulaire Acoss alors que cette argumentation est contraire à toute la jurisprudence applicable depuis 2008, et notamment l’arrêt du 21 février 2008 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendue dans une affaire opposant l’Urssaf de [Localité 6] à la société [4].
La société réplique que les « frais forfaitaires » versés à ses salariés constituent des indemnités versées au titre de petits déplacements pour chaque jour travaillé au sein de l’entreprise cliente dans le cadre de missions à durée limitée. Elle fait valoir que la situation de déplacement s’apprécie à partir du lieu habituel de travail et que le travail dans les locaux des clients devait être considéré comme des déplacements hors du lieu habituel de travail au sens de la convention collective [7]. Elle fait valoir que la circulaire du 5 juillet 2015 est inapplicable à l’espèce. Elle soutient que l’Urssaf s’est basée pour la redresser sur une lettre circulaire pourtant inapplicable en l’espèce, alors que la seule circulaire applicable est celle du 19 août 2005. Elle soutient qu’il n’existe aucune limite de durée de mission au regard de la lettre circulaire ministérielle du 19 août 2005.
En application des dispositions de l’article L. 242 1 du code de la sécurité sociale, les sommes versées à l’occasion ou en contrepartie du travail sont soumises à cotisations et il ne peut être procédé de déduction pour frais professionnels que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.
L’article 3 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, disposait que :
« Les indemnités liées à des circonstances de fait qui entraînent des dépenses supplémentaires de nourriture sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas les montants suivants :
1 Indemnité de repas :
Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est en déplacement professionnel et empêché de regagner sa résidence ou lieu habituel de travail, l’indemnité destinée à compenser les dépenses supplémentaires de repas est réputée utilisée conformément à son objet pour la fraction qui n’excède pas 15 Euros par repas ;
2 Indemnité de restauration sur le lieu de travail :
Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est contraint de prendre une restauration sur son lieu effectif de travail, en raison de conditions particulières d’organisation ou d’horaires de travail, telles que travail en équipe, travail posté, travail continu, travail en horaire décalé ou travail de nuit, l’indemnité destinée à compenser les dépenses supplémentaires de restauration est réputée utilisée conformément à son objet pour la fraction qui n’excède pas 5 Euros ;
3 Indemnité de repas ou de restauration hors des locaux de l’entreprise :
Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est en déplacement hors des locaux de l’entreprise ou sur un chantier, et lorsque les conditions de travail lui interdisent de regagner sa résidence ou son lieu habituel de travail pour le repas et qu’il n’est pas démontré que les circonstances ou les usages de la profession l’obligent à prendre ce repas au restaurant, l’indemnité destinée à compenser les dépenses supplémentaires de repas est réputée utilisée conformément à son objet pour la fraction qui n’excède pas 7,5 Euros.
Lorsque le travailleur salarié ou assimilé est placé simultanément au cours d’une même période de travail dans des conditions particulières de travail énoncées aux 1 , 2 et 3 , une seule indemnité peut ouvrir droit à déduction ».
La circulaire ministérielle du 19 août 2005 ne fixe aucune limite de durée de mission et prévoit ainsi que l’exonération de charges sociales reste acquise pendant toute la durée de la mission, quels que soient le type d’établissement de restauration et le montant réel des dépenses.
Il résulte de ces textes que lorsque le salarié est en déplacement professionnel hors des locaux de l’entreprise ou sur un chantier et que ses conditions de travail lui interdisent de regagner sa résidence ou son lieu habituel de travail pour le repas et le contraignent à prendre son repas au restaurant, l’indemnité destinée à compenser les dépenses supplémentaires de repas est réputée utilisée conformément à son objet pour la fraction qui n’excède pas le seuil d’exonération fixé par les textes, soit 17,70 euros en 2013 et 17,90 euros en 2014. L’exonération est liée à la situation effective du salarié qui se trouve empêché de regagner soit sa résidence soit son lieu de travail habituel, de sorte que lorsque le salarié peut regagner sa résidence ou son lieu habituel de travail ou s’il est affecté de façon durable à un lieu de travail précis, fût-il celui de l’entreprise cliente, il doit être considéré comme un salarié sédentaire et non en situation de déplacement.
A contrario, les indemnités forfaitaires de repas versées au personnel sédentaire de l’entreprise sont soumises à cotisations lorsqu’elles ne sont pas justifiées par des conditions de travail particulières telles que le travail posté, en équipe, en horaire décalé, et que l’employeur a la possibilité de recourir aux titres restaurant.
Un salarié n’est pas en situation de déplacement si son contrat de travail fixe comme lieu d’emploi le site de l’entreprise cliente ou s’il résulte de circonstances de fait qu’un site extérieur à l’entreprise est devenu son lieu de travail.
Il appartient à l’employeur de démontrer que les circonstances de fait justifiant la situation de déplacement de son salarié au regard des conditions particulières d’activité de ce dernier lui imposant des dépenses supplémentaires de nourriture.
En l’espèce, l’Urssaf s’est fondée sur les textes ci-dessus rappelés pour établir son redressement en appliquant la jurisprudence connue jusqu’en 2016. En aucun cas, l’Urssaf ne s’est fondée que sur la circulaire du 5 juillet 2015 pour établir son redressement. Cette allégation de la société n’est établie par aucune pièce du dossier.
En outre, si la circulaire du 5 juillet 2015 est effectivement postérieure à la période contrôlée et a bien été intégrée au raisonnement de l’inspecteur du recouvrement pour limiter son redressement, le bénéfice rétroactif de la tolérance prévue par cette circulaire ne fait pas grief à la société puisque de la sorte cette dernière a été dispensée de justifier de la situation concrète de ses salariés en mission du premier jour de celle-ci jusqu’au dernier jour du troisième mois et a été exonérée de fait du redressement subséquent qui aurait pu être retenu au titre des salariés dont la situation n’aurait pas été justifiée jusqu’au premier jour du quatrième mois de leur mission. Ainsi, l’application rétroactive bienveillante de cette circulaire, pour limiter les effets de l’application des autres textes applicables à l’espèce, a eu pour seul effet de diminuer le montant total du redressement, de sorte que les critiques de la société fondées sur cet argument sont sans emport sur la solution du litige.
Ensuite, l’inspecteur du contrôle a constaté que la société qui employait des consultants et ingénieurs qu’elle mettait à la disposition d’entreprises clientes pour des missions dont la mission excédait trois mois consécutifs, octroyait aux dits salariés une indemnité forfaitaire de 17 euros par jour de travail destinée à compenser leurs frais de nourriture, laquelle était exclue de l’assiette sociale. L’inspecteur du recouvrement a estimé que ces salariés n’étaient pas en situation de déplacement professionnel dans la mesure où l’entreprise cliente s’avérait être leur lieu de travail habituel et a donc réintégré dans l’assiette des cotisations et des contributions sociales les indemnités versées à compter du premier jour du quatrième mois de la mission, appliquant la tolérance admise par l’Acoss relative aux trois premiers mois.
Il n’est pas contesté que le lieu de travail de salariés en cause n’est pas le site de la société.
La société ne cherche pas à démontrer qu’il ne résultait d’aucune circonstance particulière de fait que ses salariés en mission excédant une durée continue de trois mois auraient eu pour lieu habituel de travail le site de l’entreprise cliente dans lequel ils travaillaient au quotidien. La société ne recherche pas davantage à démontrer que ses salariés étaient dans l’impossibilité de retourner à leur résidence ou sur son propre site comme défini comme lieu habituel de travail et qu’ils étaient dans l’obligation d’exposer des dépenses supplémentaires de nourriture. Elle ne cherche pas non plus à démontrer qu’elle ne pouvait pas recourir aux titres restaurant. Enfin, elle ne cherche pas à démontrer que ses salariés travaillaient dans des conditions particulières telles que le travail posté ou en horaire décalé, etc.
Il s’ensuit que la société ne démontre pas que ses salariés, occupant des postes de travail sédentaires en qualité de consultant affectés au site d’une entreprise cliente, étaient en situation de déplacement lorsque leur mission excédait trois mois.
La société se borne à invoquer une convention collective qui est inopérante pour invalider le redressement établi sur des circonstances de faits concrètes et non sur des accords collectifs, au demeurant inopposables à l’organisme social recherchant la situation effective du travailleur sur son site de travail.
Le jugement déféré sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
En l’absence de toute autre contestation soulevée par la société, dont les demandes accessoires seront rejetées, le jugement déféré sera infirmé en intégralité.
La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens et au paiement d’une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE recevable l’appel de l’Urssaf d’Île-de-France ;
INFIRME le jugement rendu le 19 mars 2019 par le tribunal de grande instance Paris ;
Et statuant à nouveau,
REJETTE les moyens de nullité de la procédure de contrôle et de redressement soulevés par la S.A.S. [5] ;
DÉBOUTE la S.A.S. [5] de l’intégralité de ses demandes, y compris celle formulée au titre des frais irrépétibles ;
CONFIRME le redressement opéré au titre des indemnités repas versées aux salariés envoyés sur le site des entreprises clientes pour une durée supérieure à trois mois (chef de redressement n 1 de la lettre d’observations du 24 mars 2016) ;
CONDAMNE la S.A.S. [5] à payer à l’URSSAF Île-de-France la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la S.A.S. [5] aux dépens.
La greffière Pour le président empêché