23 juin 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
19/03393
23/06/2023
ARRÊT N°2023/285
N° RG 19/03393 – N° Portalis DBVI-V-B7D-NDG5
SB/CD
Décision déférée du 20 Juin 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de TOULOUSE ( F 16/01568)
J. [Z]
Section Encadrement
[N] [X]
SAS SCALIAN OP
C/
[N] [X]
SAS SCALIAN OP
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 23/6/23
à Me LE BOURGEOIS,
Me DUBOURDIEU
Ccc Pôle Emploi
Le 23/6/23
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Madame [N] [X] épouse [K]
[Adresse 2]
[Adresse 2] / FRANCE
Représentée par Me Pauline LE BOURGEOIS, AARPI ACYANE AVOCAT au barreau de TOULOUSE
SAS SCALIAN OP venant aux droits de la SAS EQUERT INTERNATIONAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Benoît DUBOURDIEU de la SELARL LEGAL WORKSHOP, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM »ES
Madame [N] [X] épouse [K]
[Adresse 2]
[Adresse 2] / FRANCE
Représentée par Me Pauline LE BOURGEOIS, AARPI ACYANE AVOCAT, avocat au barreau de TOULOUSE
SAS SCALIAN OP
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Benoît DUBOURDIEU de la SELARL LEGAL WORKSHOP, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. BLUM », présidente et M. DARIES, conseillère chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM », présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM », présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [N] [X] épouse [K] (ci-après dénommée Mme [K]) a été embauchée le 1er juin 2006 par la société Equert devenue société SCALIAN OP le 1er janvier 2019. comme ingénieur qualité suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, ingénieurs, conseils et sociétés de conseils (Syntec).
Le 30 avril 2015, Mme [K] a été élue déléguée du personnel titulaire et membre titulaire du CHSCT. Par la suite, la salariée a fait l’objet d’autres élections et désignations à des fonctions syndicales.
La convention de forfait appliquée par la société Equert International et à laquelle est assujettie Mme [K] a fait l’objet d’un premier litige :
– le 31 juillet 2012, le conseil économique de l’UES Groupe Eurogiciel ainsi que deux organisations syndicales de salariés, ont assigné les sociétés du groupe Eurogiciel afin de contester la mise en place du régime du temps de travail dit « modalité 2 » issu de la convention collective applicable et dont Mme [K] fait l’objet.
– par jugement du 16 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Toulouse s’est déclaré incompétent.
– par arrêt du 30 avril 2015, la Cour d’appel de Toulouse a infirmé cette décision. Statuant à nouveau, elle a jugé que la convention de forfait de réalisation de mission « modalité 2 » « a été mise en ‘uvre de manière irrégulière à l’égard des salariés relevant des modalités réalisation de mission ». Dès lors, elle doit s’analyser en convention de forfait en heure sur la base hebdomadaire.
Par arrêt du 14 décembre 2016, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la cour d’appel de Toulouse du 30 avril 2015, jugeant que la convention de forfait de réalisation de mission « modalité 2 » « a été mise en ‘uvre de manière irrégulière à l’égard des salariés relevant des modalités réalisation de mission», qu’elle doit dès lors s’analyser en convention de forfait en heure sur la base hebdomadaire.
Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 9 juin 2016 pour faire reconnaître une discrimination syndicale et l’irrégularité de la convention de forfait appliquée mais également pour demander le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud’hommes de Toulouse, section Encadrement, par jugement du 20 juin 2019, a :
– jugé la convention de forfait heure irrégulière et inopposable.
– condamné la société Scalian à payer à Mme [K] les sommes suivantes :
.34 937,81 euros à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires sur la période de juin 2011 à septembre 2018, outre 3 493,78 euros de congés payés afférents et 349,38 euros à titre de prime de vacances.
.2 542,67 euros de rappel de salaire sur les heures supplémentaires d’octobre 2018 à mars 2019, s’y ajoutant au titre des congés payés y afférent : 254,26 euros s’y ajoutant 25,42 euros à titre de prime de vacances
.1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la loi
.1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– rejeté le surplus des demandes.
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que de droit et fixé la moyenne des 3 derniers salaires à 3 946 euros.
– condamné la société Scalian aux entiers dépens.
***
Par déclaration du 18 juillet 2019, Mme [X] a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
La société SCALIAN OP a également relevé appel partiel de ce jugement par déclaration du 22 juillet 2019.
La jonction des procédures a été ordonnée par décision du conseiller de la mise en état du 20 octobre 2020.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 31 mars 2023 , Mme [K] demande à la cour de :
In limine litis,
– débouter la société Scalian de ses demandes formées dans le cadre de l’incident,
En conséquence,
– rejeter la demande de sursis à statuer,
A titre subsidiaire,
– écarter le seul moyen relatif « au détournement de pouvoir caractérisé par le recours à l’avertissement du 6 décembre 2021 » contenu dans les conclusions de fond.
En tout état de cause,
– maintenir l’audience du 18 avril 2023 pour que se tiennent les débats contradictoires au fond,
– condamner la société Scalian à lui payer, pour la procédure d’incident, la somme de 2 000 euros à titre d’article 700 code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Sur le fond,
– juger Mme [K] recevable et bien fondée en son appel principal et son appel incident,
– donner acte à la société Scalian de ce qu’elle vient aux droits de la société Equert,
– fixer la moyenne mensuelle de salaire à hauteur de 4 376,69 euros,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé la convention de forfait irrégulière et par conséquent inopposable à la salariée.
En conséquence,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Scalian au paiement des sommes suivantes au jour du jugement :
.rappel de salaire sur les heures supplémentaires : 34.937,81 euros sur la période de juin 2011 à septembre 2018, s’y ajoutant au titre des congés payés y afférent : 3.493,78 euros, s’y ajoutant 349,38 euros à titre de prime de vacances,
.rappels de salaire sur les heures supplémentaires d’octobre 2018 à mars 2019 : 2.542,67 euros, s’y ajoutant 254,26 euros à titre d’indemnité de congé payé afférente, et 25,42 euros à titre de prime de vacances,
Y ajoutant,
– condamner la société Scalian au paiement des sommes suivantes, à actualiser au jour de l’arrêt, ces sommes se rajoutant à celles jugées en première instance :
.rappel de salaire sur les heures supplémentaires : 17.420,78 euros, sur la période d’avril 2019 à juin 2022, s’y ajoutant au titre des congés payés y afférent : 1.742,00 euros, s’y ajoutant 174,16 euros à titre de prime de vacances,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Scalian à lui payer des dommages et intérêts pour violation de la loi,
– le réformer dans son quantum.
Statuant à nouveau,
– condamner la société Scalian à lui verser la somme de 13 130,00 euros au titre des dommages et intérêts pour violation de la loi.
En outre,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes au titre de la discrimination à raison de ses mandats représentatifs et de son âge.
Statuant à nouveau,
– juger qu’elle fait l’objet d’une discrimination syndicale à raison des mandats représentatifs au sein du CHSCT et en tant que déléguée du personnel, ce depuis le
mois d’avril 2015,
– juger qu’elle fait l’objet d’une discrimination à raison de son âge,
En conséquence,
– faire cesser toute manifestation de la discrimination,
Par conséquent,
– condamner la société Scalian au paiement de :
.dommages et intérêts en réparation de l’intégralité du préjudice matériel et moral lié à la discrimination illicite subie par Mme [K] : (avril 2015 ‘ ce jour) : 30.000,00 euros,
.dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail à raison de l’absence de fourniture de travail : 30.000,00 euros,
– juger la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner la société Scalian au paiement de 3.000,00 euros pour Mme [K] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, s’y ajoutant 1 800,00 euros au titre de l’article 700 pour la première instance, ainsi qu’aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution à intervenir.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 29 mars 2023, la Sas Scalian OP demande à la cour de :
In limine litis,
– de surseoir à statuer jusqu’à ce que le conseil de prud’hommes de Toulouse saisi le 1er juillet 2022, par requête enregistrée sous le N° RG 22/00989 rende son jugement définitif sur le bien-fondé de l’avertissement notifié à Mme [K] le 6 décembre 2021 ;
A titre subsidiaire,
– déclarer inopérant le moyen de fait et de droit fondé sur le bien-fondé de l’avertissement notifié à Mme [K] le 6 décembre 2021.
Au fond,
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* accueilli la demande de rappel d’heures supplémentaires formulée par Mme [K],
* accueilli la demande de dommages-intérêts formulée par Mme [K] pour violation de la loi,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a été jugé qu’aucune discrimination syndicale, ni en lien avec l’âge n’est établie à l’encontre de Mme [K].
En conséquence,
– débouter Mme [K] de l’intégralité de ses demandes.
En tout état de cause,
– condamner Mme [K] aux entiers dépens.
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La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 31 mars 2023.
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Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande in limine litis de sursis à statuer
En application de l’article 378 du code de procédure civile hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges apprécient discrétionnairement l’opportunité du sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
La société Scalian demande qu’il soit sursis à statuer.
Il résulte des débats que le conseil de prud’hommes a été saisi le 1er juillet 2022 par Mme [K] d’une demande d’annulation d’un avertissement prononcé à son encontre le 6 décembre 2021 , postérieurement à l’appel du jugement déféré.
La cour est saisie par Mme [K] de demandes en rappel de salaire pour heures supplémentaires et d’indemnisation au titre d’une discrimination. Si elle ne peut apprécier le bien fondé de la sanction d’avertissement qui relève de l’appréciation du conseil de prud’hommes , la solution du présent litige ne dépend pas de la décision à intervenir du conseil de prud’hommes.
Par suite, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer.
Sur la demande en rappel de salaire
Le contrat de travail de la salariée du 23 mai 2006 renvoie aux modalités définies dans la convention collective des bureaux d’études techniques en matière de réduction du temps de travail, avec une rémunération annuelle brute de 38 040 euros payable en 12 versements égaux à la fin de chaque mois civil. Il ne comporte aucune indication du nombre d’heures de travail correspondant à un forfait.
Les bulletins de salaire mentionnent quant à eux un forfait horaire de 166h82 avec une rémunération mensuelle brute, sans indication du salaire horaire de base, ni du nombre d’heures supplémentaires.
La cour constate que le contrat de travail ne fait aucune référence explicite à la modalité 2 de la convention collective qui comporte pourtant 3 modalités, et qu’il ne comporte aucune indication sur la durée du temps de travail.
Pour autant les parties se rejoignent pour admettre que l’employeur a entendu faire application des modalités 2 de la convention collective, dont la cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 2016 a dit qu’il s’agissait d’un forfait hebdomadaire en heures en référence à l’article L3121-40 du code du travail (devenu L3121-53) , requérant l’accord du salarié.
En l’espèce, à défaut de convention individuelle de forfait portant accord de la salariée, une convention de forfait lui est inopposable et il convient de faire application des règles de droit commun en matière de durée du travail.
L’article L 3171-4 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié . Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié au soutien de sa demande, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
La salariée sollicite le paiement d’heures supplémentaires effectuées entre 35h et 38h30 sur la période non prescrite de juin 2011 à juin 2022 et appuie sa demande sur :
-le contrat de travail,
– ses bulletins de salaire faisant apparaître une rémunération pour un forfait de 166h82
– un tableau relatif à la mission DAHER faisant apparaître une durée de travail de 7h7 par jour
– un procès-verbal de réunion du CE du 8 mars 2011, l’ordre du jour de la réunion du comité de l’UES du 16 juin 2016,
– des rapports d’activité
– un décompte actualisé des heures supplémentaires revendiquées.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société Scalian de répondre utilement.
La société employeur soutient que la salariée a toujours été rémunérée sur une base de 38h30 ; qu’elle a toujours perçu une rémunération supérieure au plafond mensuel de la sécurité sociale et au minimum conventionnel , dans le respect des exigences de l’accord de branche du 22 juin 1999 . Elle fait valoir que la salariée a été rémunérée sur la base de 38h30 et ne peut prétendre à une double rémunération de la 36ème à la 38ème heure, qu’elle ne pourrait tout au plus prétendre qu’à la majoration à 25% des 3h30 des heures supplémentaires qu’elle établirait avoir effectuées.
Elle conteste les demandes d’heures supplémentaires revendiquées par la salariée au cours des périodes d’intercontrat entre avril 2015 et décembre 2017 et remet en cause le décompte des heures supplémentaires fourni par la salariée qu’elle estime établi sur une base journalière et non hebdomadaire.
Sur ce
En l’absence de tout élément dans le contrat de travail et dans les bulletins de salaire précisant le salaire horaire de base, il n’est pas établi que le salaire versé corresponde à 38h30 de travail hebdomadaire (166h82 par mois) et qu’il tienne compte de 3h30 supplémentaires hebdomadaires avec une majoration de 25%.
Il y a donc lieu de considérer que la salariée a été rémunérée pour 35heures hebdomadaires et de retenir un taux horaire de base correspondant au salaire mensuel porté dans les bulletins de salaire divisé par 151h67.
Par des motifs précis et détaillés que la cour approuve, le premier juge, s’appuyant sur les réponses faites aux délégués du personnel en septembre, octobre 2010, avril 2011, 18 mars 2014, ainsi que sur une note interne du 19 novembre 2008 a retenu que l’horaire de travail de Mme [K], comme celui des cadres de l’entreprise , s’établissait par principe sur une base hebdomadaire de 38h30, soit 7h70 par jour. Il résulte en effet des explications fournies aux délégués du personnel que le temps de travail effectif était fixé à 38h30 par semaine avec un déclenchement des heures supplémentaires au dessus de 38h50 (pièce 100 salariée).
L’employeur à qui il incombe de justifier et contrôler le temps de travail du salarié, se contente de contester l’amplitude travail déclarée par la salariée, et s’appuie à cet effet sur des compte rendus d’activités mensuelles (CRAM ) qui mentionnent les jours travaillés mais sans précision sur les heures de travail effectuées.
Il en résulte que la salariée est fondée à prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies à hauteur de 3h30 par semaine, et non pour les seules majorations, les heures supplémentaires n’ayant pas été payées.
Il convient d’écarter le paiement d’heures supplémentaires pendant les absences et congés ainsi que les périodes de RTT et inter contrats. Les vérifications opérées par la cour permettent de constater l’absence de déduction par la salariée des périodes d’intercontrats dans le décompte des heures supplémentaires réclamées, bien que mentionnées dans les comptes rendus d’activité mensuelles, ainsi que l’absence de mention du nombre d’heures supplémentaires accomplies, seul étant indiqué le montant du rappel de salaire réclamé.
Par suite , la cour , au vu des éléments produits de part et d’autre, fixe comme suit le nombre d’heures supplémentaires effectuées sur la période de juin 2011 à juin 2022:
1262,50 heures supplémentaires ouvrant droit à un rappel de salaire avec majoration de 25% pour un montant total de 40 396,62 euros. Il est également dû à la salariée une indemnité compensatrice de congés payés correspondante de 4 039,66euros ainsi qu’une somme de 403,96 à titre de primes de vacances en application de l’article 31 de la convention collective Syntec.
Le jugement est donc réformé sur le quantum.
Sur la discrimination
Mme [K] soutient qu’elle a été victime d’une discrimination à raison de ses mandats de représentation du personnel et de son âge.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail un principe de non-discrimination à raison de plusieurs critères , au nombre desquels l’appartenance syndicale et l’âge .
Le régime probatoire est celui de l’article L. 1134-1 du code du travail en vertu duquel il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, qu’elle soit directe ou indirecte. En cette hypothèse, l’employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Mme [K] s’est vue attribuer à compter de juin 2015 plusieurs mandats de représentation de personnel, dont l’employeur ne conteste pas être informé: mandats de délégué du personnel, de membre du CSHSC, de déléguée syndicale, de membre du CSE. Mme [K] a donc le statut de salarié protégé.
En vue de faire reconnaître la discrimination à raison de ses mandats représentatifs du personnel la salariée invoque:
– une pression de son employeur lorsqu’elle assurait la fonction de secrétaire du CHSCT afin de la dissuader d’aborder une question à l’ordre du jour lors d’une réunion du CHSCT du 11 mars 2016 et lors de la rédaction du compte rendu de réunion, ce qui a motivé sa démission de ses fonctions de secrétaire le 23 mars 2016. Les motifs de sa démission, indiqués lors d’une réunion du CHSCT du 27 juin 2016 , figurent en annexe du procès-verbal de cette dernière réunion et sont en rapport avec un désaccord avec les membres du CHSCT sur le contenu du compte rendu à établir après la réunion du 23 mars 2016.
Il est constaté à la lecture du procès-verbal de réunion que des désaccords ont opposé le président de la société employeur aux membres du CHSCT sur la mise en cause d’un manager , et que la restitution écrite des échanges a donné lieu à de vives tensions entre l’employeur et Mme [K], secrétaire du CHSCT . Néanmoins , ainsi que l’affirme l’employeur, un compte rendu de réunion a été établi courant août 2016 et retrace l’exposé des positions de chacun ; les observations faites par l’employeur apparaissant dans des encarts grisés après un exposé des positions des membres du CHSCT sur chacune des questions abordées, notamment sur les critiques émises sur le comportement d’un manager. De plus l’inspecteur du travail qui était présent lors de la réunion n’évoque aucune pression exercée par le président sur les salariés membres du CHSCT et notamment Mme [K] en vue de ne pas relater sur procès-verbal les échanges tenus au cours de la réunion, évoquant néanmoins en réunion du CHSCT du 29 septembre 2016 le caractère ‘un peu fort’ des annotations de l’employeur relatives à une diffamation concernant des difficultés ressenties par les salariés que les membres du CHSCT avaient abordées en restant dans leur rôle. L’établissement du procès-verbal courant août 2016, soit 5 mois après la réunion du CHSCT, illustre à tout le moins les difficultés de restitution qui ont fait suite à de vives tensions.
– son placement en inter contrat du 1er avril 2015 au 12 juin 2017, et à nouveau à compter du 15 mars 2018 alors qu’elle avait travaillé de façon ininterrompue dans le cadre de missions auprès d’entreprises clientes de juin 2006 à mars 2015. Elle soutient que ce constat est concomitant de sa première élection en qualité de représentante du personnel. Elle ajoute qu’au cours de la période d’intercontrat la société a affecté des salariés sur des missions ‘qualité’ à Airbus qui ne lui ont pas été proposées bien qu’elle y ait travaillé pendant 8 ans. Elle précise qu’elle ne s’est vu confier aucune mission depuis mars 2018, situation qui a généré une perte d’employabilité et de compétence, ce qui explique que son profil n’ait pas été retenu par certaines entreprises clientes. Elle ajoute que les missions qui lui ont été confiées du 12 juin 2017 au 16 mars 2018 ne correspondaient pas à ses compétences.
Suivant un tableau récapitulatif des jours de missions facturées effectuées par années à compter d’avril 2015 elle fait état de :
– 45 jours en 2015
– 28 jours en 2016
– 137,75 en 2017
– 42,75 en 2018
une situation d’intercontrat continue depuis 2018
Elle produit des comptes rendus d’activité (CRA) révélant qu’entre avril 2015 et fin mars 2019 il lui a été proposé 6 missions alors que la salariée connaissait des périodes d’activité très réduite dans le cadre de ses mandats, notamment au cours de l’année 2017.
– le manque de disponibilité du fait de ses mandats, mentionné par son supérieur hiérarchique dans le compte rendu d’entretien annuel du 8 janvier 2020 (pièce 77-2), sa disponibilité étant évaluée à 30%. Cette observation est également formulée dans le compte rendu d’entretien annuel sur la période du 2 mai 2019 au 2 mai 2020 , qui relève qu’aucune mission ne lui a été confiée en raison de sa faible disponibilité du fait de ses activités d’IRP.
– une interruption prématurée de mission chez Airbus initialement prévue du 12 juin 2017 au 31 décembre 2017, consécutivement à ses alertes sur des incidents survenus dans le cadre de sa mission en janvier et février 2018 et relatés dans un procès-verbal de réunion du CHSCT des 4 et 11 avril 2018, son retrait de mission étant intervenu le 15 mars 2018.
– une absence de formation métier, avec seulement 2 jours de formation en avril 2015 et une demi-journée en 2017.
– un détournement du pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Elle soutient que l’avertissement notifié le 6 décembre 2021 qu’elle a contesté par courrier dès le 18 janvier 2022, est un élément illustrant la persistance de la discrimination.
Toutefois la salariée ayant initié une procédure en annulation de l’avertissement devant le conseil de prud’hommes, le moyen tiré d’un détournement disciplinaire de l’employeur en raison de la sanction prononcée suppose un examen du bien fondé de celle-ci, appréciation à laquelle procédera le conseil de prud’hommes dans le cadre du litige qui lui est soumis. Ce grief est donc en l’état inopérant.
A l’exception du détournement de pouvoir disciplinaire allégué depuis le jugement déféré , qui ne peut être examiné par la cour pour les motifs précédemment exposés, l’ensemble des éléments produits par la salariée mettent en exergue de fortes tensions entre la salariée et l’employeur à compter d’une réunion le 11 mars 2016 du CHSCT dont elle était secrétaire, suivies de périodes d’intercontrats répétées alors que la salariée avait travaillé dans le cadre de missions continues de 2006 à 2015, et qu’il ressort des compte rendus d’activité que sa disponibilité a varié selon les mandats exercés, laissant des périodes de disponibilité importante qui ne rendaient pas impossible l’exercice de missions, l’employeur convenant à minima d’une disponibilité de 30%. L’ensemble de ces éléments permet de présumer l’existence d’une discrimination à raison des mandats représentatifs de la salariée ; il incombe donc à l’employeur de justifier que ses décisions procédaient d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
L’employeur conteste l’ensemble des faits dont excipe la salariée.
-Sur la formation: il produit un tableau récapitulatif des formations dispensées à la salariée (pièce 21) entre 2009 et 2016. Il comporte notamment une formation destinée aux membres du CHSCT sur l’exécution de leur mandat qui n’est pas une formation métier de nature à renforcer les compétences de la salariée. De même la salariée remet en cause la réalité d’une formation ‘livret d’accueil’ et conteste avoir suivi une formation ‘technique d’audit’. Aucune attestation de stage ne vient établir la participation effective de la salariée à ces deux formations. Ce sont donc 8 formations qui ont été proposées à la salariée entre 2009 et 2016 , soit un total de 18 jours sur 8 années d’activité, ce qui représente une moyenne de 2,25jours de formation par an, sans autre justificatif depuis 2017. L’insuffisance des formations proposées est donc caractérisée et nuit de façon manifeste à l’employabilité de la salariée, alors même que la réduction partielle d’activité induite par l’exercice d’un mandat représentatif impose une vigilance accrue de l’employeur afin de préserver l’employabilité des salariés concernés.
– sur la pression de l’employeur et les périodes inter-contrats.
L’employeur conteste toute pression sur la salariée lors de la réunion du CHSCT du 11 mars 2016 et en veut pour preuve l’absence de remarques sur ce point de l’inspecteur du travail présent lors de la réunion.
Si la réalité de pressions de l’employeur sur la salariée n’est pas établie par les éléments versés aux débats, il est en revanche certain que des opinions profondément divergentes entre les deux parties ont été exposées lors de la réunion susvisée, et que les choix défendus par la salariée dans le cadre de son mandat représentatif ne correspondaient pas à l’analyse et aux options exposées par l’employeur.
Il est également relevé par la cour qu’après avoir signalé à son employeur à deux reprises les 24 janvier et 15 février 2018 un comportement irrespectueux et humiliant d’un client à son égard, le CHSCT dont la salariée était membre à cette date, s’est réuni le 4 avril 2018 afin de statuer sur l’alerte dont il était saisi, et le procès-verbal relate les désaccords de fond entre les membres du CHSCT et la direction sur les réponses à apporter à l’incident. Bien que la réalité des dysfonctionnements dénoncés ait été reconnue par la directrice des ressources humaines (‘je ne cautionne pas les attitudes du client ni le fait que les managers n’aient pas eu les actions appropriées vis à vis de ce client’), il demeure que Mme [K] a été démise de sa mission chez le client concerné dès le 15 mars 2018, soit un mois après l’incident dénoncé. Il est difficile de ne pas voir un lien de causalité entre l’alerte effectuée par la salariée et son retrait de la mission par l’employeur, alors même que l’insatisfaction du client n’est pas étayée par des éléments objectifs établis par l’employeur.
Sur la situation d’intercontrat prolongée décrite par la salariée, l’employeur fait état des missions confiées à Mme [K] ( 6 jours à compter du 6 octobre 2015, 40 jours à compter du 12 novembre 2015 et 41,5 jours du 1 er novembre 2016 à mars 2017). La courte durée de ces missions ne remet pas en cause la durée importante des périodes d’intercontrat dont justifie la salariée de mars 2015 à mars 2020 alors que celle-ci avait travaillé de façon continue de 2006 à 2015-2016 avant l’obtention des mandats de représentation du personnel et avant le durcissement de ses relations avec l’employeur à travers les positions défendues par la salariée dans le cadre de ses mandats. Les missions internes sur lesquelles la salariée a pu être affectée en agence lors des périodes d’intercontrat ne sauraient remettre en cause la sous activité qui résulte des périodes d’intercontrat , sans mission extérieure en relation avec les compétences de la salariée ( 72,5 jours sans mission client de juillet à décembre 2015 et 184,8 jours en 2016).
Les refus de missions qu’invoque l’employeur pour justifier les périodes d’intercontrat sont contestées par la salariée et ne sont pas démontrées par les pièces produites. Ainsi la proposition de mission Lauak le 10 mars 2020 a donné lieu à une réponse écrite de la salariée le 13 mars 2020 comportant diverses questions sur le contenu de la mission, sans refus de sa part. De même la mission CNES évoquée par l’employeur en juillet 2016 n’a pas été attribuée à Mme [K] en raison d’un refus de prise en charge des frais de déplacement par l’employeur. Il est relevé à travers les échanges de courriels produits aux débats, soit une absence d’adéquation entre les missions proposées et les compétences de la salariée, soit une mise en concurrence avec d’autres salariés et l’absence de retenue finale de la salariée par l’entreprise cliente pour la mission.
Au-delà des refus de mission contestés, et dont la matérialité n’est pas établie , la salariée justifie avoir alerté son employeur à plusieurs reprises, notamment lors d’entretiens annuels d’évaluation et par courriers sur sa situation d’intercontrat (28 mai 2016, 6 septembre 2016, 12 novembre 2016, 27 mars 2018, 3 janvier 2019). La salariée excipe par ailleurs d’offres d’emploi en interne ou à l’APEC sur des postes de consultant en management qualité, sans que les missions correspondantes ne lui aient été proposées, alors même que les compétences de la salariée en qualité d’ingénieur qualité (nouvelle appellation consultante qualité ) n’avaient suscité aucune réserve pendant les 9 premières années d’activité.
Il se déduit de l’ensemble de ces développements que les éléments produits par l’employeur sont insuffisants pour écarter la discrimination invoquée par Mme [K].
Sur les demandes indemnitaires de la salariée
La salariée sollicite réparation du préjudice résultant de la discrimination par l’octroi de la somme de 30 000 euros, et d’un préjudice résultant de l’inexécution de la loi et de l’exécution fautive du contrat de travail à concurrence de 30 000 euros.
Elle se prévaut ainsi d’un préjudice matériel résultant de la privation du salaire en raison du non-respect par l’employeur des règles applicables au paiement des heures supplémentaires depuis un arrêt de la cour de cassation du 14 décembre 2016 et de l’absence de fourniture de travail .
Toutefois la salariée ne justifie pas d’un préjudice matériel distinct du retard apporté au règlement du rappel de salaire qui lui est alloué par la cour au titre de la rémunération des heures supplémentaires, et qui sera réparé par les intérêts légaux courant à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de prud’hommes, soit le 19 juillet 2016.
Par ailleurs le défaut de fourniture de travail pendant les périodes d’intercontrats prolongées procède de la discrimination reconnue par la cour, de sorte qu’il n’est pas justifié d’un préjudice distinct de celui résultant de la discrimination.
Le préjudice matériel et moral subi par la salariée du fait de la discrimination dont elle a fait l’objet pendant plus de 7 ans, s’est traduit par une souffrance induite par les périodes d’intercontrat prolongées, un manque de formation et une perte consécutive d’employabilité. Il convient d’indemniser la salariée du préjudice résultant de la discrimination par l’octroi d’une somme 30 000 euros, au paiement de laquelle la société Scalian sera condamnée.
Sur les frais et dépens
La société Scalian OP, partie perdante, supportera les entiers dépens d’appel.
Mme [K] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû exposer à l’occasion de cette procédure. La société Scalian sera donc tenue de lui payer la somme complémentaire de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.
Le jugement entrepris est confirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.
La société Scalian OP est déboutée de sa demande formée au titre des frais et dépens d’appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré sauf en ses disposstions concernant les frais et dépens de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SAS SCALIAN OP venant aux droits de la SAS EQUERT INTERNATIONAL à payer à Mme [N] [X] épouse [K] :
– 30 000 euros de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,
– 40 396,62 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires sur la période de juin 2011 à juin 2022,
– 4 039,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 403,96 à titre de primes de vacances en application de l’article 31 de la convention collective Syntec,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– déboute Mme [N] [X] épouse [K] de toute autre demande,
– dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2016, date de réception par la société employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la SAS SCALIAN OP aux entiers dépens d’appel,
Le présent arreêt a été signé par S. BLUM », présidente et C. DELVER, greffière de chambre.
LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE
C. DELVER S. BLUM »
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