23 février 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/02348
C 9
N° RG 21/02348
N° Portalis DBVM-V-B7F-K4RD
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
la SARL ANAÉ AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 23 FEVRIER 2023
Appel d’une décision (N° RG 20/00637)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 06 mai 2021
suivant déclaration d’appel du 25 mai 2021
APPELANT :
Monsieur [I] [D]
né le 06 Janvier 1972 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
S.A.S.U. OPEN, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Thibault LORIN de la SARL ANAÉ AVOCATS, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,
et par Me Florence AUBONNET de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Marielle ZUCCHELLO, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
M. Frédéric BLANC, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS, Greffière,
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 décembre 2022,
Monsieur BLANC, Conseiller, a été chargé du rapport, et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
EXPOSE DU LITIGE’:
M. [I] [D], né le 6 janvier 1972, a été embauché le 7 novembre 2011 par la société par actions simplifiée à associé unique (SASU) Open suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de concepteur AMOA, position 2.1, coefficient 115, statut cadre de la convention collective des bureaux d’études techniques (SYNTEC).
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [I] [D] occupait le poste de coordinateur, position 2.1.2, coefficient 115 de la même convention collective, après modification de son contrat de travail par avenant en date du 14 octobre 2014.
Jusqu’en octobre 2018, M. [I] [D] a effectué diverses missions de tests auprès de différents clients, à l’exception d’une période comprise entre août 2015 et janvier 2017.
M. [I] [D] a été affecté à une mission auprès de la SAS Schneider Electric Industries prévue de juin 2018 à janvier 2019.
Selon les conclusions de la SASU Open, M. [I] [D] a eu une altercation avec un salarié de la SAS Schneider Electric Industries en août 2018, ce qui a conduit à mettre un terme à la mission le 31 octobre 2018 en lieu et place du mois de janvier 2019.
A compter de ce mois d’octobre 2018, M. [I] [D] a été en situation d’inter-contrats.
Par arrêté préfectoral en date du 13 juin 2019, M. [I] [D] a été désigné conseiller du salarié, avec un début de mandat prévu le 30 juin 2019 pour une période allant jusqu’au 29 juin 2022.
Par requête en date du 25 juin 2019, M. [I] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
En date du 3 octobre 2019, M. [I] [D] a été désigné délégué syndical CFTC. Il a renoncé à ce mandat en novembre 2019.
M. [I] [D] a, selon ses conclusions, effectué une demande d’intervention auprès de la DIRECCTE au sujet de sa situation en inter-contrat en date du 8 octobre 2019. Un rapport a été rendu le 5 mars 2020.
M. [I] [D] a été placé en arrêt de travail le 15 novembre 2019, puis du 19 au 29 novembre 2019, du 24 février au 3 mars 2020.
En date du 20 mars 2020, M. [I] [D] a été placé en activité partielle en raison de l’épidémie de Covid-19.
M. [I] [D] a été à nouveau placé en arrêt de travail à compter du 27 mars 2020, arrêt qui a été prolongé jusqu’à la fin des relations contractuelles.
Par courrier en date du 9 juin 2020, M. [I] [D] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, invoquant à ce titre plusieurs motifs contre son employeur. La SASU Open a accusé réception de ce courrier et a contesté les griefs invoqués.
En date du 12 juin 2020, le contrat de travail qui liait les parties a pris fin.
Par requête en date du 16 juillet 2020, M. [I] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin de faire requalifier la prise d’acte de son contrat de travail en un licenciement nul.
La SASU Open s’est opposée aux prétentions adverses et a sollicité, in limine litis, de prononcer le sursis à statuer de l’instance prud’homale dans l’attente d’une décision pénale définitive statuant sur la plainte déposée par M. [I] [D], et formé une demande reconventionnelle tendant à voir requalifier la prise d’acte en démission et à voir condamner M. [D] à lui verser une indemnité de préavis.
Par ailleurs, une procédure de reconnaissance du caractère professionnel d’accident du travail a eu lieu, au sujet d’une demande de déclaration d’accident du travail par M. [I] [D] en date du 5 octobre 2019 pour un évènement datant de septembre 2018. En date du 11 décembre 2021, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) a refusé de prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle.
Par jugement en date du 6 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:
– dit qu’aucun grief invoqué par M.'[I] [D] n’est susceptible de justifier la prise d’acte de son contrat dc travail,
– jugé que la prise d’acte produit les effets d’une démission,
– jugé que la SAS Open a exécuté loyalement le contrat de travail de M.'[I] [D],
– débouté M.'[I] [D] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M.'[I] [D] à payer la SAS Open la somme de :
– 8 250 € (huit mille deux cent cinquante euros) au titre du préavis non exécuté,
– débouté la société Open de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 11 mai 2021 pour M. [I] [D] et le 12 mai 2021 pour la société Open.
Par déclaration en date du 25 mai 2021, M. [I] [D] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2022, M. [I] [D] sollicite de la cour de’:
Infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Juger que M. [I] [D] a été victime de harcèlement moral,
Juger que la société Open a manqué à ses obligations de prévention et de sécurité,
Juger que la société Open a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail de M. [I] [D],
Juger que la prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement nul ou à tout le moins, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamner la société Open à verser à M. [I] [D] les sommes suivantes :
-42 500 € net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur et caractérisée par le harcèlement moral subi et la violation de l’obligation de sécurité et de prévention,
-8 250 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-7 868,06 € à titre d’indemnité de licenciement,
-30 250 € net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
-82 500 € net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,
-3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.
Débouter la société Open de l’intégralité de ses demandes.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 juillet 2022, la SASU Open sollicite de la cour de’:
A titre principal :
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble du 6 mai 2021 en ce qu’il a :
– dit qu’aucun grief invoqué par M. [I] [D] n’est susceptible de justifier la prise d’acte de son contrat de travail,
– jugé que la prise d’acte produit les effets d’une démission,
– jugé qu’Open a exécuté loyalement le contrat de travail de M. [I] [D],
– débouté M. [I] [D] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [I] [D] à payer à Open la somme de 8 250 € (huit mille deux cent cinquante euros) au titre du préavis non exécuté,
Débouter M. [I] [D] du surplus de ses demandes ;
Condamner M. [I] [D] à 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour estimait que l’exécution déloyale du contrat de travail est caractérisée :
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Grenoble en ce qu’il a :
– dit qu’aucun grief invoqué par M. [I] [D] n’est susceptible de justifier la prise d’acte de son contrat de travail,
– jugé que la prise d’acte produit les effets d’une démission,
– condamné M. [I] [D] à payer à OPEN la somme de 8 250 € (huit mille deux cent cinquante euros) au titre du préavis non exécuté,
Ramener l’indemnisation au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail à de plus justes proportions ;
Débouter M. [I] [D] du surplus de ses demandes, fins et prétentions.
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour considérait que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse :
Limiter les condamnations au titre de la rupture du contrat de travail aux montants suivants :
– 8 250 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 825 € brut au titre des congés payés y afférents ;
– 7 868,06 € brut à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 16 500 € brut à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul;
Ramener l’indemnité pour violation du statut protecteur à de plus justes proportions ;
Débouter M. [I] [D] de sa demande d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail;
Débouter M. [I] [D] du surplus de ses demandes.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.
L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 14 décembre 2022, a été mise en délibérée au’23 février 2023.
EXPOSE DES MOTIFS’:
Sur le harcèlement moral’:
L’article L.1152-1 du code du travail énonce qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article 1152-4 du code du travail précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.
La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique lorsqu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Le harcèlement moral est sanctionné même en l’absence de tout élément intentionnel.
Le harcèlement peut émaner de l’employeur lui-même ou d’un autre salarié de l’entreprise.
Il n’est en outre pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le Juge de constater la possibilité d’une dégradation de la situation du salarié.
A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.
L’article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :
Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La seule obligation du salarié est d’établir la matérialité des faits/éléments de fait précis et concordants, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l’état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.
En espèce, M. [D] n’établit pas la matérialité des éléments de fait suivants’:
– aucune pièce visée par le salarié ne vient objectiver son affirmation selon laquelle une mission de testeur auprès de l’entreprise Orange ne lui a pas été attribuée à raison de sa période d’inactivité depuis octobre 2018
– il n’établit pas matériellement que la société Open aurait fait échec à une mission auprès de la société Schneider Electric France en mai/juin 2019 au motif qu’il avait engagé une procédure prud’homale le 25 juin 2019 aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail en ce que M. [E], un autre salarié, ne fait que rapporter des propos tenus par M. [D], qu’aucune pièce ne vient corroborer l’affirmation de ce dernier dans ses conclusions selon laquelle l’entretien se serait très bien passé avec la société cliente. M. [D] fait une interprétation erronée du courriel adressé par M. [Y], manager R&D auprès de la société Schneider Electric France à M. [F], manager du salarié, le 14 mai 2019 en ce qu’il évoque dans un premier temps un autre salarié, prénommé [S] et non [I], qu’il souhaiterait conserver au-delà de sa mission et dont il s’enquiert des disponibilités. Le seul fait que l’employeur n’ait pas répondu à un courriel du 19 février 2020 du salarié sur le fait allégué par lui que le 8 juillet 2019, M. [F], son supérieur, lui aurait dit que sa mission auprès de la société Schneider était compromise en lien avec sa saisine du conseil de prud’hommes, ne saurait objectiver un élément de fait quant à une mesure de rétorsion de la part de son employeur dès lors que cette allégation émane, en définitive, du seul salarié et qu’il en fait état plusieurs mois plus tard, dans un échange de mails qui portait sur un tout autre sujet, à savoir la formation open ClassRooms. Surtout, il ressort du courriel du 14 mai 2019 de M. [C] [Y], que celui-ci a manifestement souhaité se renseigner davantage sur M. [D] et a notamment demandé à M. [F] «’concernant le besoin de validation dont a discuté vendredi dernier et pour lequel nous avions évoqué RGI, pourriez-vous me donner le nom de la personne =S= pour qui il a travaillé à 38EQI »’», M. [D], qui a dénaturé la première partie du courriel dont il se prévaut comme élément de fait, restant parfaitement taisant sur le fait que son employeur indique que la société cliente fait référence à lui dans cette seconde partie, étant relevé que les deux parties s’accordent à tout le moins sur le fait que la précédente mission de M. [D] auprès de la société Schneider Electric s’étant déroulée du 18 juin au 31 octobre 2018, avait été interrompue de manière anticipée, le client ayant fait part de son insatisfaction quant au travail du salarié, quoique celui contestât les reproches qui lui furent faits, notamment dans un courriel qu’il a adressé le 19 avril 2019 à M. [J], son supérieur hiérarchique, dont il ressort qu’il a bien travaillé à Schneider EQUI 38 et qu’il dit avoir eu une explication mais pas une «’prise de bec’» avec au moins une personne.
En revanche, M. [D] objective matériellement les éléments de fait suivants’:
– M. [D] a été placé en situation d’inter-contrats du 31 octobre 2018 au 9 juin 2020, date de courrier de prise d’acte, soit pendant 1 an et 7 mois, MM. [E] et [T], deux collègues de travail témoignant du fait qu’il a dû se présenter sur son lieu de travail, sans qu’aucune tâche ne lui soit confiée. Il se prévaut à ce titre d’un rapport en date du 05 mars 2020 de Mme [O], inspectrice du travail, faisant suite à un signalement concernant la situation de souffrance au travail et de discrimination de plusieurs salariés syndiqués à la CFTC au sein de l’entreprise, en l’occurrence Mme [H] et MM. [E], [D] et [T], dont il ressort notamment que contrairement à d’autres salariés en inter-missions, ces derniers ne se voient proposer aucune activité en interne. Il ressort par ailleurs de ce document que l’inspectrice du travail considère que les éléments fournis par l’employeur à ce titre ne sont pas fiables et que la situation des salariés affiliés au syndicat CFTC se trouvant en inter-contrats est exceptionnelle par rapport à d’autres salariés dans le même cas de figure, compte tenu de la durée importante des périodes d’inter-contrats.
– Alors qu’il était en inter-contrats depuis le 31 octobre 2018, M. [D] s’est vu proposer une formation par son employeur, le 31 mai 2019, la proposition ayant été précisée par courriel du 13 juin 2019 et consistant en un programme de 30 heures sur le site OpenClassrooms sur le thème «’développez en C pour l’embarqué’», M. [D] ayant au préalable indiqué à son employeur par courriel du 04 juin 2019 qu’il avait pensé qu’il lui serait offert une formation qualifiante (data science) figurant dans l’offre «OpenClassrooms Premium +’», observant que l’offre premium solo, comportant la formation Python et C embarqué, correspond à des services équivalents à la plateforme Udemy pour laquelle il dispose d’une playlist qu’il avait financée personnellement.
Il en déduit, eu égard à la tardiveté de la formation, au fait qu’il s’agit d’une seule formation de 30 heures et du fait qu’elle ne soit pas qualifiante, que son employeur n’a pas assuré l’adaptation à son poste, se prévalant par ailleurs du rapport précité de l’inspectrice du travail 05 mars 2020, aux termes duquel le salarié s’est plaint d’une absence de formation d’adaptation aux évolutions du métier et qu’il s’était vu refuser une formation ‘bigdata’ en juin 2019 et du fait qu’il a dû lui-même effectuer certaines formations à ses frais’; ce dont il a informé l’employeur dans des échanges de juin 2019.
Par ailleurs, il est versé aux débats un échange de courriels du 14 novembre 2019 entre les parties aux termes duquel l’employeur a fait observer à M. [D] qu’il n’avait réalisé à ce jour que 4 % du parcours de la formation en C’; ce à quoi, M. [D] a répondu que M. [F] lui avait dit le 08 juillet 2019 qu’il n’était pas la peine qu’il se forme, M. [D] se prévalant de l’absence de toute réponse à son courriel’; si ce n’est un courriel du 15 juin 2020 de la chargée de formation Est lui demandant s’il avait finalisé la formation alors même que M. [D] avait d’ores et déjà pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 09 juin 2020.
– Le rapport de l’inspectrice du travail précité du 05 mars 2020 a relevé que les salariés affiliés au syndicat CFTC, dont M. [D], se sont plaints d’une mise à l’écart et d’un dénigrement de la part de la hiérarchie, étant observé que l’inspectrice du travail a précisé avoir pu constater lors de sa venue dans l’entreprise que leurs bureaux sont regroupés dans une partie de l’open space.
M. [E], autre salarié de l’entreprise, a témoigné du fait que M. [J], supérieur hiérarchique de M. [D] (directeur business unit), avait dit à M. [U] venu aider M. [D] pour son auto-formation de développeur d’un langage informatique, que cela ne lui plaisait pas qu’il soit là.
Par courriels en date des 19 avril 2019 et 16 septembre 2019 à M. [J] son supérieur, il a reproché à son manager, M. [F], de faire preuve à son égard de dénigrement depuis son retour de la mission Schneider EQI-38 et d’une «’ignorance de sa personne’» et de n’avoir aucun projet à réaliser dans le cadre des engagements d’Open suite à l’open échange de janvier, évoquant plus particulièrement dans la première correspondance le fait que M. [F] avait parlé devant d’autres personnes des faits remontant à 2011 lorsqu’il était au service d’un autre employeur, la société Akka technologie, dans le cadre d’une entrevue pour un poste de support niveau 4 et maintenabilité de dispositifs électroniques pour le client Schneider Europole [Localité 5] et dans le second courriel de s’être vu reprocher, avec une certaine brutalité dans les propos, d’avoir changé de poste de travail «’retourne à ta place’», des échanges de courriels avec M. [F] étant joints, aux termes desquels celui-ci présente une version des faits différente.
– M. [D] produit aux débats un projet d’avenant à son contrat de travail daté du 13 décembre 2019 prévoyant une modification du contrat de travail avec un changement de fonction vers un poste de «’concepteur de test confirmé’», justifiant d’interrogations à son employeur dans plusieurs courriels de janvier 2020, qu’il a également relayées à l’inspection du travail, sur le fait de savoir s’il agit d’une promotion tout en considérant ensuite qu’il s’agirait d’une modification unilatérale du contrat de travail de salariés protégés sous couvert de GPEC s’analysant finalement en une rétrogradation. La cour observe que M. [D] a été engagé selon contrat de travail du 03 novembre 2011 en qualité de concepteur AMOA, qu’un avenant signé des parties du 01 février 2013 a prévu son passage aux fonctions de concepteur AMOA confirmé, qu’un avenant du 03 mars 2013 a entériné des fonctions d’ingénieur de test et que selon un avenant du 20 novembre 2014, les parties ont convenu que M. [D] exercerait des fonctions de coordinateur à compter du 20 novembre 2014.
– M. [D] a été en arrêt de travail du 27 mars 2020 jusqu’à à tout le moins son courrier de prise d’acte le 09 juin 2020.
Auparavant, il produit un arrêt de travail du 23 septembre 2018 au 05 octobre 2018 avec comme motif «’stress, mal être au travail’».
Il verse également aux débats des extraits de son dossier médical à la médecine du travail mettant en évidence que M. [D] s’est plaint de ses conditions de travail lors des visites des 03 octobre et 09 novembre 2018.
Il se prévaut en outre des avis d’arrêts de travail du 15 novembre 2019, du 19 au 29 novembre 2019 et du 24 février au 3 mars 2020.
Il est produit un certificat médical en date du 03 mars 2020 du Dr [N] indiquant’: «’A cette date (le 28 septembre 2018 NDR), M. [D] a été vu par une remplaçante le Dr [B] [X]. Elle décrit dans son observation médicale un patient en état de stress évident avec des pensées instrusives/suicidaires sans scénario fixe. Il n’y avait alors a priori pas de trouble du sommeil ou de l’appétit. Le patient a été revu par la suite par son médecin traitant le Dr [A] qui décrit des ruminations anxieuses avec des troubles émotionnelles (fluctuation émotionnelle avec colère/pleurs) ainsi que des insomnies. A noter que le patient développe récemment de l’hypertension artérielle (dont on ne peut exclure un lien avec le stress au travail chez ce patient par ailleurs jeune et sans FDRCV personnels ou familiaux). Dernière valeur tensionnelle en date du 24/02/202 à 150/110 associées à des céphalées. Il décrit clairement un syndrome d’évitement vis-à-vis de son travail.’».
Le Dr [N] a établi un certificat médical le 28 novembre 2019 relatant le fait qu’elle avait orienté M. [D] vers un cardiologue, eu égard aux valeurs moyennes de sa tension.
Le Dr [W], cardiologue, a établi, le 23 mars 2022, le courrier suivant au médecin traitant de M. [D]’s’agissant de sa conclusion’: «’au total’: Pression artérielle labile très fortement influencée par le stress professionnel. A ce stade, il est difficile de faire la part entre une hypertension artérielle essentielle et la conséquence du stress professionnel. Néanmoins, l’absence de contexte familial, l’absence de facture de risque cardiovasculaire est tout à fait en faveur d’une conséquence directe du harcèlement professionnel dont il est victime. Je lui propose donc dans un premier temps de se protéger, et de refaire le point si nécessaire avec holter tensionnel une fois la crise de coranavirus passée.’».
Le Dr [G], psychiatre, a indiqué suivre M. [D] depuis le 08 octobre 2018.
M. [D] a par ailleurs écrit le 09 mars 2020 au médecin du travail pour l’alerter sur sa situation de souffrance au travail et a informé M. [J] de sa démarche pour obtenir un rendez-vous à la médecine du travail par courriel du 11 mars 2020 eu égard à des dépassements qu’il qualifie d’anormaux de la norme s’agissant de ses relevés de tension artérielle, aucune visite ne pouvant avoir lieu à raison de l’épidémie de coronavirus.
Il se prévaut enfin d’un certificat médical du Dr [N] du 10 juillet 2020 observant que les valeurs des tensions artérielles de M. [D] se sont dégradées durant l’année 2019 et sont revenues à la normale en 2020, sans traitement médicamenteux, avec d’après un certificat du 05 mars 2021 une tension de 110/70 mmHG.
Pris dans leur globalité, l’ensemble de ces éléments de fait laisse supposer l’existence d’agissements de harcèlement moral en ce qu’ils révèlent une dégradation des conditions de travail du salarié caractérisée par un isolement et un dénigrement, une absence de travail fourni et un défaut d’adaptation suffisante au poste de nature à compromettre l’avenir professionnel du salarié, avec de manière concomitante une altération de l’état de santé du salarié.
La société Open n’apporte pas les justifications suffisantes étrangères à tout harcèlement moral en ce que’:
– si la société Open indique à juste titre qu’il est d’usage dans son secteur d’activité que des salariés soient positionnés en inter-contrats et qu’il n’a pas été retenu comme élément de fait avancé par le salarié qu’elle avait pu faire échec à la proposition de mission auprès de la société Schneider Electric France en mai/juin 2019 à raison de l’engagement de la présente instance, elle ne justifie pas par la seule attestation de M. [J] faisant état de la perte de contrats importants et un tableau dressé par ses soins de la raison pour laquelle M. [D] est demeuré 1 an et 7 mois en inter-contrats, soit une période particulièrement longue, alors même que l’attention de l’employeur avait été attirée par l’inspection du travail sur le fait que les salariés affiliés au syndicat CFTC subissaient des périodes d’inter-contrats anormalement plus longues que d’autres salariés. En particulier, il n’est aucunement versé aux débats des éléments mettant en évidence les durées moyennes d’inter-contrats à l’agence de [Localité 5] ou le cas échéant dans l’entreprise d’employés avec un niveau de compétences équivalent à M. [D].
Le moyen tiré du fait que M. [D] a pu apprécier dans le passé la gestion par la société Open des périodes d’inter-contrats ne saurait pour autant justifier qu’elle n’apportât pas les explications et surtout les justificatifs nécessaires permettant de conclure comme elle le soutient, sans aucunement l’établir, que M. [D] se serait retrouvé pour la période fin 2018, l’année 2019 et le premier semestre de l’année 2020 comme n’importe quel autre salarié de l’entreprise, à savoir sans mission ou à tout le moins avec des périodes très longues entre deux missions. A ce titre, la réponse qu’a faite la société Open à l’inspection du travail par courrier du 25 août 2020 est similaire à la position adoptée par l’entreprise dans le cadre du présent contentieux mais n’est pas davantage étayée par des pièces utiles, la liste des pièces transmises, qui ne sont pas annexées à la pièce n°30, ne comportant manifestement aucun élément probant sur la durée moyenne des inter-contrats des salariés dans l’entreprise, étant observé que le harcèlement moral peut également revêtir une dimension discriminatoire d’après la loi n°2008-496 du 27 mai 2008.
-La société Open a laissé M. [D] sans mission de novembre 2018 à juin 2020 et elle ne justifie d’aucune tâche autre qui aurait pu être confiée au salarié sur la période en interne, si ce n’est, en tout et pour tout de lui avoir proposé une formation de 30 heures, soit l’équivalent de moins d’une semaine de travail en 18 mois.
Indépendamment du contenu de la formation et même en tenant compte des périodes d’absences maladie, aucune explication n’est fournie au fait que l’employeur, qui a à la fois l’obligation de fournir le travail convenu et d’adapter et de former le salarié à son poste, ait pu n’occuper ce dernier que pour l’équivalent de 30 heures en 18 mois, outre la justification d’une réunion au sujet des licences Opensources et d’un point d’échange d’une heure avec le directeur de l’unité le 07 janvier 2020.
Ces formations d’adaptation au poste, sans même qu’il soit nécessaire d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties sur le fait que celle proposée ait ou non été adaptée et que celle refusée ait pu correspondre à des compétences qui excédaient le niveau de qualifications professionnelles de M. [D], étaient pour autant manifestement indispensables puisque dans le même temps, l’employeur a développé des moyens précis et circonstanciés sur des difficultés rencontrées par le passé par le salarié au cours de plusieurs missions.
La société Open ne saurait considérer que M. [D] n’aurait pas saisi l’opportunité qui lui était donnée de se former dans le cadre de l’unique formation proposée pendant la période d’inter-contrats au motif que le service des relations humaines l’a relancé le 14 novembre 2019, constatant qu’il n’avait pas effectué la formation en indiquant n’avoir pas voulu surenchérir sur la réponse faite par M. [D] dans un courriel du 18 novembre 2019 aux termes duquel il a affirmé que son supérieur lui avait dit en juillet qu’il n’était pas utile qu’il se forme, dès lors qu’aucune justification n’était apportée au fait que l’employeur ne se soit pas véritablement soucié du fait que son salarié mette de l’ordre d’une année à accomplir une formation de 30 heures, soit l’équivalent de moins d’une semaine de travail, même déduction faite des arrêts maladie sur la période, étant observé que M. [D] s’est plaint du fait que l’employeur le laissait dans une situation d’abandon et d’isolement à l’instar des autres salariés affiliés au syndicat CFTC’; ce que l’inspectrice du travail a également fait observer à l’employeur, qui n’a pas été en mesure d’apporter les explications utiles étrangères à tout harcèlement le cas échéant discriminatoire.
Il est d’ailleurs observé que, par arrêt exécutoire en date du 12 novembre 2020, la cour d’appel de Chambéry a dit que M. [E] avait été victime de discrimination syndicale, sans préjudice du pourvoi élevé contre cette décision par la société Open, qui n’explicite pour autant pas les reproches qu’elle a formulés en droit contre l’arrêt.
– L’employeur ne justifie aucunement de l’accompagnement de M. [D] pendant la période anormalement longue d’inter-contrats d’un an et 7 mois par l’organisation de deux réunions et du fait qu’il l’a pressenti pour une mission auprès de la société Schneider Electric France, qui ne s’est pas concrétisée du fait du refus du client, dès lors que l’employeur n’a pas pour seule obligation de fournir un espace et des outils de travail au salarié mais encore le travail convenu et le cas échéant celle de l’adapter à son poste, les diligences dont il est justifié à ce titre par la société Open étant particulièrement insuffisantes eu égard à la période de temps considérée, même amputée de celles de suspension du contrat de travail pour arrêts maladie
– La société Open ne justifie aucunement par sa pièce n°22 qui est une réunion prévue le 07 janvier 2020 que M. [J] a pu organiser comme elle le soutient quelques jours après le courriel du 19 avril 2019 un entretien au sujet des reproches qu’avait exprimés M. [D] à l’égard de son supérieur hiérarchique. Il n’est fourni aucun justificatif sur la réponse apportée par M. [J] au courriel du 19 septembre 2019 que lui a fait le salarié au sujet d’un incident relatif à l’espace de travail avec M. [F].
– L’employeur ne fournit aucune pièce à l’appui de son affirmation selon laquelle la proposition d’avenant de décembre 2019 faite au salarié s’inscrivait dans le cadre de la mise à jour en 2019 du référentiel Open, se prévalant uniquement de contradictions alléguées du salarié quant au fait de savoir s’il s’agissait d’une promotion, d’une rétrogradation ou d’un poste au-dessus de ses compétences professionnelles alors même que M. [D] a avant tout questionné l’employeur sur la raison qui l’a poussé à lui transmettre ce projet d’avenant, sur laquelle il n’a pas eu de réponse utile. L’employeur ne produit pas davantage aux débats d’élément apportant une explication étrangère à tout harcèlement moral dès lors qu’il ne justifie pas de sa politique de mise à jour du référentiel Open en 2019 et plus particulièrement, du fait que celle-ci a pu concerner l’ensemble des salariés de l’entreprise, ou à tout le moins de l’agence de [Localité 5].
– Si les professionnels de santé ne peuvent certes pas témoigner des agissements subis par M. [D] dans le cadre de son activité professionnelle, ils ont pour autant diagnostiqué, de manière concomitante aux difficultés objectivées qu’il rencontrait dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, une dégradation concomitante de son état de santé, qui s’est de nouveau amélioré après la fin de la relation contractuelle, à tout le moins s’agissant de l’hypertension artérielle. La société Open développe un moyen inopérant tenant au fait que la preuve du harcèlement moral ne saurait reposer sur les seuls éléments médicaux alors que d’autres sont matériellement établis et non réfutés par elle par des justifications étrangères à tout harcèlement moral, l’appréciation des éléments de fait devant être globale. Le seul fait que la caisse d’assurance maladie ait refusé la reconnaissance d’un accident du travail déclaré le 27 septembre 2018 ne permet pas de remettre en cause le diagnostic effectué par les professionnels de santé quant à l’état de M. [D].
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, il convient de dire que M. [D] a été victime de harcèlement moral.
Sur l’obligation de sécurité’:
D’une première part, l’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
D’une seconde part, l’article L4121-1 du code du travail énonce que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et (version avant le 24 septembre 2017′: de la pénibilité au travail) (version ultérieure au 24 septembre 2017′: y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1);
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article L4121-2 du code du travail prévoit que :
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L’article L 4121-3 du même code dispose que :
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
L’article R4121-1 du code du travail précise que :
L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.
L’article R4121-2 du même code prévoit que :
La mise à jour du document unique d’évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° Lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l’article L. 4612-8 ;
3° Lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie.
L’article R4121-4 du code du travail prévoit que :
Le document unique d’évaluation des risques est tenu à la disposition :
1° Des travailleurs ;
(version avant le 1er janvier 2018′: 2° Des membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu) ; (version après le 1er janvier 2018′: 2° Des membres de la délégation du personnel du comité social et économique)
3° Des délégués du personnel ;
4° Du médecin du travail ;
5° Des agents de l’inspection du travail ;
6° Des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
7° Des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l’article L. 4643-1 ;
8° Des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l’article L. 1333-17 du code de la santé publique et des agents mentionnés à l’article L. 1333-18 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.
Un avis indiquant les modalités d’accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d’un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur.
D’une troisième part, l’article L 1152-4 du code du travail énonce que’:
L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Les personnes mentionnées à l’article L. 1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33-2 du code pénal.
En l’espèce, la société Open ne rapporte pas la preuve suffisante qui lui incombe qu’elle a mis en ‘uvre des mesures de prévention et rempli son obligation de sécurité s’agissant de la prévention des risques psycho-sociaux et plus particulièrement pour les salariés en inter-contrats.
Si elle produit certes un accord de méthode sur les risques psycho-sociaux en date du 28 septembre 2011, un formulaire de questionnaire intitulé «’étude du stress professionnel et des risques psycho-sociaux joint’» de 2012, un document «’comprendre les risques psychosociaux formation du groupe de pilotage’» de 2011/2012, un plan d’action RPS de 2014, un procès-verbal du CHSCT du 05/03/2014 sur un projet de questionnaire à adresser aux collaborateurs Sud-Est, les annexes 1 et 2 portant sur les risques psychosociaux d’un document de 2014 «’mieux vivre chez Open’», le règlement intérieur du 09 mars 2019 rappelant les dispositions légales sur le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, le document unique d’évaluation des risques professionnels de 2019 de l’établissement de Montbonnot et la campagne de sensibilisation au RPS d’avril 2021 à destination des managers, la société Open ne répond pas aux moyens pertinents en défense développés par M. [D] tenant au fait que les premiers documents sont relativement anciens, que le dernier est postérieur au départ de l’entreprise de M. [D], que le document unique d’évaluation des risques professionnels de l’établissement d’affectation du salarié est particulier succinct s’agissant des mesures à mettre en ‘uvre pour la prévention des risques psycho-sociaux et que surtout, il n’est pas justifié que M. [D] a utilement et effectivement bénéficié de ces mesures, notamment que les dispositifs mis en place en 2012 et 2014 ont été portés à son attention et qu’il a bien été destinataire de questionnaires, la société ne produisant d’ailleurs aucun compte-rendu d’exploitation desdits questionnaires.
Surtout, il a été vu précédemment que M. [D] a attiré à au moins deux reprises l’attention de M. [J] sur ses difficultés relationnelles avec M. [F] et que la société Open n’avait manifestement pas pris les mesures nécessaires et utiles pour éviter la réalisation d’un risque psycho-social concernant le salarié pendant la période anormalement longue d’inter-contrats de novembre 2018 à juin 2010, en ne justifiant en définitive que de lui avoir proposé une formation en autonomie pour un volume de 30 heures, soit l’équivalent de moins d’une semaine de travail.
Il y a lieu, en conséquence, de dire que le manquement à l’obligation de prévention et de sécurité est avéré par infirmation du jugement entrepris.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail’:
Sous couvert d’une demande générale au titre de l’exécution fautive du contrat de travail au visa de l’article L. 1222-1 du code du travail, M. [D] sollicite dans le cadre d’un seul chef de prétentions la réparation des préjudices subis à raison des faits de harcèlement moral et du manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité.
Eu égard à la durée, de l’ordre de 18 mois, pendant laquelle M. [D] a eu à subir effectivement les conséquences négatives des manquements de son employeur, il lui est alloué de ce chef la somme de 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts, le surplus de la demande étant rejeté.
Sur la prise d’acte’:
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il reproche à son employeur.
Elle n’est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l’employeur.
Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.
Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
A défaut, la prise d’acte est requalifiée en démission.
Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l’appréciation doit être globale et non manquement par manquement.
Par ailleurs, il peut être tenu compte dans l’appréciation de la gravité des manquements de l’employeur d’une éventuelle régularisation de ceux-ci avant la prise d’acte.
En principe, sous la réserve de règles probatoires spécifiques à certains manquements allégués de l’employeur, c’est au salarié, et à lui seul, qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur. S’il n’est pas en mesure de le faire, s’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l’appui de sa prise d’acte, celle-ci doit produire les effets d’une démission.
Lorsque la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l’indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l’indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d’acte produit un effet immédiat.
Par ailleurs, le salarié n’est pas fondé à obtenir une indemnité à raison de l’irrégularité de la procédure de licenciement.
En l’espèce, par réformation du jugement entrepris, la prise d’acte de M. [D] produit les effets d’un licenciement nul dès lors qu’indépendamment de son statut de salarié protégé eu égard au fait qu’il a été désigné conseiller du salarié par arrêté préfectoral en date du 13 juin 2019′; ce dont il a informé son employeur par courriel du 01 juillet 2019, il apparaît au visa de l’article L 1152-3 du code du travail, qu’il a été reconnu par la présente décision qu’il avait été victime de harcèlement moral, les agissements imputés à l’employeur, en particulier l’absence de fourniture de travail et d’adaptation au poste, n’ayant pas été régularisés au jour de la prise d’acte par courrier du 09 juin 2020 et présentaient une gravité certaine ayant empêché la poursuite du contrat de travail, M. [D] ayant été en arrêt maladie depuis plusieurs semaines au jour de la rupture.
La demande de la société Open tendant à voir requalifier la prise d’acte en démission est, par voie de conséquence, rejetée.
Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail’:
D’une première part, dès lors que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, peu important que M. [D] n’ait pas été en capacité d’exécuter son préavis, il est fondé à voir condamner la société Open à lui verser la somme de 8250 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, la société Open étant déboutée de sa demande reconventionnelle de ce chef.
D’une seconde part, M. [D] est également fondé à obtenir une indemnité de licenciement à hauteur de 7868,06 euros.
D’une troisième part, au visa des articles L. 1235-3-1 et L 1235-3-2 du code du travail, au jour de la rupture injustifiée du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul, M. [D] avait 8 ans et 7 mois d’ancienneté et un salaire de l’ordre de 2750 euros bruts.
Il justifie avoir été en arrêt maladie jusqu’au 17 novembre 2022, sans que le motif des arrêts ne soit explicité.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de lui allouer la somme de 22000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
D’une quatrième part, sauf dispositions expresses contraires, la recodification du code du travail est intervenue à droit constant.
Il en résulte que s’appliquent au conseiller du salarié les dispositions de l’article L. 2411-3 du code du travail relatives à la durée de la protection d’un délégué syndical.
Le salarié licencié en violation du statut protecteur qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité forfaitaire égale au montant des salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la fin de sa période de protection s’il présente sa demande avant cette date, dans la limite de 30 mois.
La liste des conseillers du salarié étant soumise à révision tous les trois ans, la période de protection expire soit au terme de la période triennale en cours au jour du licenciement, soit douze mois après le licenciement, lorsque les fonctions du conseiller du salarié ont été exercées pendant un an au moins.
Cette indemnisation vise à sanctionner la violation du statut protecteur’; elle est due indépendamment de la faute qu’a pu commettre le salarié et sans que les juges du fond ne soient tenus de rechercher quel a été le préjudice effectivement subi par le salarié.
L’indemnité pour violation du statut protecteur, qui n’est pas au nombre des indemnités non imposables au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques limitativement énumérées par l’article 80 duodecies du code général des impôts, est soumise aux cotisations sociales et d’assurance chômage en application de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.
En l’espèce, M. [D] a été désigné conseiller du salarié selon arrêté préfectoral 13 juin 2019, le mandat prenant effet le 30 juin 2019 et prenant fin le 29 juin 2022.
Au jour de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul, M. [D] bénéficiait du statut protecteur dès lors qu’indépendamment de la durée inférieure à 12 mois d’exercice de son mandat extérieur, condition qui ne concerne que l’hypothèse du salarié dont le mandat était expiré au jour de son licenciement depuis moins de 12 mois, son mandat de conseiller extérieur était toujours en cours.
Il restait 24,5 mois au jour de la rupture du contrat de travail jusqu’à la fin du mandat, M. [D] se prévalant à tort d’une période de protection supplémentaire de 12 mois jusqu’au 29 juin 2023 après son mandat qui n’aurait trouvé application que s’il avait été licencié dans les 12 mois de l’expiration de son mandat, à condition qu’il l’eût exercé au moins pendant 12 mois.
Il convient en conséquence de condamner la société Open, qui développe des moyens inopérants et hypothétiques sur la résiliation judiciaire alors que le salarié a finalement pris acte de la rupture de son contrat de travail près d’un an après le début de son statut protecteur, à payer à M. [D] la somme de 67375 euros bruts à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur, le surplus de la demande étant rejeté.
Sur les demandes accessoires’:
L’équité commande de condamner la société Open à payer à M. [D] la somme de 2500 euros à titre d’indemnité de procédure.
Le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Open, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS’;
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi’;
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau,
DIT que la société Open a manqué à son obligation de prévention et de sécurité
DIT que M. [D] a été victime de harcèlement moral
REQUALIFIE la prise d’acte de M. [D] selon courrier daté du 09 juin 2020 en licenciement nul
CONDAMNE la société Open à payer à M. [D] les sommes suivantes’:
– dix mille euros (10 000 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre des manquements dans le cadre de l’exécution du contrat de travail
– huit mille deux cent cinquante euros (8 250 euros) bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– sept mille huit cent soixante-huit euros et six centimes (7 868,06 euros) à titre d’indemnité de licenciement
– vingt-deux mille euros (22 000 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
– soixante-sept mille trois cent soixante-quinze euros (67 375 euros) bruts à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur
DÉBOUTE M. [D] du surplus de ses prétentions au principal
DÉBOUTE la société Open de sa demande de requalification de prise d’acte en démission et de sa demande afférente d’indemnité de préavis
CONDAMNE la société Open à payer à M. [D] une indemnité de procédure de 2500 euros
REJETTE le surplus des prétentions au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Open aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président