Convention collective SYNTEC : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04965

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Convention collective SYNTEC : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04965

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 23 FEVRIER 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04965 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFSG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F19/07883

APPELANTE

S.A.S. EUKLES SOLUTIONS EUKLES SOLUTIONS SAS

SIRET 48516254900045

APE 6201Z

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

INTIMEE

Madame [C] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par M. Grégoire LENOIR (Délégué syndical ouvrier)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 29 août 2022

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [C] [O] a été embauchée par la société Eukles Solutions, par contrat à durée indéterminée du 13 novembre 2017, en qualité de responsable réseaux indirects.

La convention collective applicable est la convention collective nationale SYNTEC.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 9 août 2019, [C] [O] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Afin de faire produire à sa prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, [C] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 2 septembre 2019.

Par jugement du 17 juillet 2020, notifié à la S.A.S. Eukles Solutions par courrier daté du 22 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

-jugé que la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

-condamné la société Eukles Solutions à verser à Mme [O] [C] les sommes suivantes :

* 12 501 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 250,10 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1 823,07 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement ;

Rappelé qu’en vertu de l’article R 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à 4 167 euros.

* 4 167 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement

-ordonné la remise des documents sociaux conformes à la présente décision ;

-débouté Mme [O] [C] du surplus de ses demandes ;

-débouté la SAS Eukles Solutions de ses demandes reconventionnelles ;

-condamné la SAS Eukles Solutions aux entiers dépens.

La S.A.S. Eukles Solutions a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 24 juillet 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le avril 2021, la .A.S. Eukles Solutions demande à la cour de :

-recevoir la Société Eukles Solutions en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

-l’y déclarer bien fondée ;

Sur les demandes de rappel de commissions et congés payés afférents :

-à titre principal, juger irrecevables les demandes nouvelles formulées pour la première fois devant la cour par Mme [O] au titre du rappel de commissions pour 6 221,04 euros et 622,10 euros au titre des congés payés afférents ;

-à titre subsidiaire, débouter Mme [O] ;

Sur les autres demandes :

A titre principal,

-réformer le jugement entrepris en ce qu’il fait partiellement droit aux demandes de Mme [C] [O] et :

-condamne la société Eukles Solutions à verser à Mme [O] [C]

les sommes suivantes :

* 12 501 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 250,10 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 823,07 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement ;

* 4 167 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

-ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision ;

-déboute Mme [O] [C] du surplus de ses demandes ;

-déboute la SAS Eukles Solutions de ses demandes reconventionnelles ;

-condamne la SAS Eukles Solutions aux entiers dépens ;

-réformer le jugement entrepris en ce qu’il déboute la société Eukles Solutions de ses demandes visant à :

-condamner Mme [C] [O] à verser à la société Eukles Solution les

sommes de :

* 12 503,76 euros au titre du préavis non effectué ;

* 800 euros au titre du remboursement de l’avance de frais qui lui a été consentie ;

* 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par suite de la rupture abusive de son contrat de travail ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamner Mme [O] aux entiers dépens de la présente instance ;

-confirmer le jugement entrepris en ce qu’il déboute Mme [O] de toutes ses autres demandes et notamment de ses demandes au titre du harcèlement moral, des commissions, des frais de parking et des frais de dossier ;

-confirmer le jugement entrepris en ce qu’il fixe le salaire mensuel moyen de Mme [O] à la somme de 4 167 euros ;

Statuant à nouveau :

-juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail effectuée par Mme [O] doit produire les effets d’une démission ;

-juger qu’il appartient à Mme [O] de restituer à la société Eukles Solutions les sommes qu’elle a perçues au titre de l’exécution provisoire :

* 1 879,20 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;

* 12 885,86 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 288,58 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;

condamner Mme [C] [O] à verser à la société Eukles Solutions les sommes de :

* 12 501 euros au titre du préavis non effectué à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du préavis non effectué ;

* 800 euros au titre du remboursement de l’avance de frais qui lui a été consentie ;

* 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par suite de la rupture abusive de son contrat de travail ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

-débouter Mme [C] [O] de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ;

-juger que Mme [O] ne saurait prétendre à une somme supérieure à 1 823,07 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;

-juger que Mme [O] ne saurait prétendre à une somme supérieure à 4 167 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l’article L 1235-3 du contrat de travail ;

A titre infiniment subsidiaire,

-limiter la somme susceptible d’être due à Mme [C] [O] au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents à la somme de 12 501 euros ;

En tout état de cause,

-débouter purement et simplement Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

-condamner Mme [C] [O] à verser à la société Eukles Solutions une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamner Mme [O] aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître François TEYTAUD dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’appelant fait valoir que :

-à titre liminaire, la société a régularisé la situation de Mme [O] au regard des règles conventionnelles et légales applicables à son statut, de sorte qu’elle a reconnu ne plus rien avoir à demander à l’employeur au titre des salaires, congés payés, RTT, prime de vacances, ayant été intégralement remplie de ses droits sur ces points ;

-la prise d’acte de la rupture effectuée par la salariée doit être qualifiée de démission (Mme [O] souhaitait quitter l’entreprise et elle n’avait pas obtenu de rupture conventionnelle dans les termes qu’elle souhaitait) ;

-le grief de non-respect, par l’employeur, des dispositions de la convention collective SYNTEC afférente aux salaires est infondé car il résulte d’une erreur administrative ancienne, que la société s’était engagée à régulariser avant la prise d’acte, le montant des rappels de salaire ne représentant que quelques dizaines d’euros mensuels ;

-ni la prétendue clause abusive de la convention de rupture conventionnelle ni le grief de mise à disposition des bulletins de salaire ni le grief des secteurs d’activité ni celui des frais de stationnement du véhicule ni celui des frais exposés pour le compte de l’entreprise ni celui de l’avertissement prétendument non-fondé ni celui de la demande de travail durant un arrêt maladie ou le soir ni celui des ventes non commissionnées ni le grief du harcèlement moral des distributeurs et partenaires ne sont de nature à justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail ni à fonder la demande de requalification sollicitée par la salariée ;

-Mme [C] [O] n’apporte aucun élément précis et concordant permettant de présumer l’existence d’une situation de harcèlement dont elle aurait été victime (aucune alerte auprès de la médecine du travail, de l’inspection du travail ni des délégués du personnel ; aucune démonstration de la dégradation de son état de santé imputable à ses conditions de travail).

Par ses dernières conclusions envoyées par lettre recommandée avec avis de réception 11 janvier 2021 (reçue le 12 janvier 2021 au greffe social), [C] [O] demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné Eukles Solutions à payer une indemnité de préavis, les congés payés afférents et une indemnité de licenciement ;

-le réformer pour le surplus et juger que Mme [O] a été victime de harcèlement moral, en équence, porter à 250 002 euros l’indemnité pour licenciement abusif ;

-recevoir Mme [O] en son appel incident ;

-condamner Eukles Solutions à payer les sommes suivantes :

* 6 221,04 euros à titre de rappel de commissions ;

* 622,10 euros au titre des congés payés afférents ;

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-débouter Eukles Solutions de l’ensemble de ses demandes ;

-ordonner la remise d’un bulletin de paie récapitulatif ;

-condamner Eukles Solutions aux entiers dépens.

L’intimé fait valoir que :

-sa prise d’acte est justifiée par :

-la modification du secteur géographique convenue lors de la mutation, sans acceptation de la part de la salariée puisque, malgré ses relances, elle n’a pas reçu d’avenant à son contrat de travail afin d’acter cette modification, qui est donc imposée et qui lui a causé une perte de rémunération, sans aucune compensation ou disposition prise pour maintenir son niveau de rémunération ;

-les commissions sur chiffre d’affaire impayées ;

-le harcèlement moral subi :

-elle produit une attestation de non-sinistralité concernant ses deux véhicules de fonctions afin d’attester qu’elle n’était pas « régulièrement en état d’ébriété », compte tenu du fait qu’elle parcourait plus de 10 000 kms par mois en voiture dans le cadre de ses fonctions ;

-pratiques managériales agressives ; modifications de son emploi du temps à la dernière minute ; aucune mesure pour assurer la sécurité (véhicule de fonction non satisfaisant et téléphone non adapté ; non-prise en compte de ses allergies lors des repas professionnels ; non-prise en compte des dangers impliquant les distributeurs ; demande de travailler pendant un arrêt-maladie ; avertissement infondé le 25 juin 2019 ; non-fourniture d’un billet d’avion pour assister à une réunion) ;

-elle sollicite des dommages et intérêts pour procédure abusive suite à l’appel formé par la société sans aucun élément de fait ou de droit supplémentaire.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 septembre 2022.

L’affaire était fixée à l’audience du 5 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

1 ‘ sur la recevabilité des demandes au titre des rappels de commissions

La société Eukles Solutions soulève l’irrecevabilité des demandes au titre des rappels de commissions et congés payés afférents, en ce qu’il s’agit de demandes nouvelles formulées pour la première fois devant la cour.

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’« à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait » et l’article 566 du code de procédure civile précise que « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

La cour note que, devant le conseil de prud’hommes, Mme [O] avait sollicité une somme d’un « montant approximatif de 15 000 euros » au titre de « commission(s) à déterminer par Eukles car ventes cachées par Eukles », le jugement précisant que « la salariée sollicite la régularisation du paiement des commissions non perçues sur les secteurs 08, 10, 89, 28 et 60 dont elle avait la charge, et demande à la société d’en définir à cette occasion le montant exact », tandis qu’elle fait valoir, devant la cour, qu’elle n’a pas perçu de commissions sur une partie du secteur qui lui était confié, à savoir les départements 10, 89 et 28.

Il résulte de ces éléments que la demande formée par Mme [O] n’est pas une demande nouvelle mais un complément nécessaire en ce qu’elle la chiffre, sans en modifier le fondement.

Elle sera en conséquence déclarée recevable.

2 – sur le rappel de commissions

Mme [O] fait valoir qu’elle bénéficie d’une rémunération fixe et d’une rémunération variable définie par un plan de rémunération variable signé le 16 janvier 2018 et constituée de commissions sur le chiffre d’affaires réalisées sur son secteur. Elle soutient que son employeur ne lui a pas payé l’intégralité de la rémunération variable due puisqu’elle n’a pas perçu de commissions sur une partie du secteur qui lui était confié, à savoir les départements 10, 89 et 28. Au soutien de ses demandes, elle verse aux débats plusieurs tableaux intitulés « commissions commerciaux » pour les années 2018 et 2019.

L’employeur souligne que, comme le prévoit le plan de rémunération variable signée par la salariée, le paiement des commissions dues est assorti d’une clause de conditions de vente menée à bonne fin, prévoyant que l’ensemble des opérations administratives, techniques et commerciales doit être mené jusqu’au règlement total de la commande. Ce même plan précise que les responsables de secteur n’ont pas de droit à commissions sur la formation, sur les audits non facturés des partenaires, les utilisateurs et GO supplémentaires ayant plus d’un an de contrat ainsi que sur la numérisation, l’archivage et les développements spécifiques.

La société Eukles Solutions affirme que la salariée a été intégralement réglée de toutes les sommes auxquelles elle pouvait prétendre à ce titre et qu’elle ne démontre nullement le droit à commission qu’elle prétend.

La cour observe que les tableaux reprennent les commissions dues à M. [B] [H] qui opérait sur la région centre. À compter du 1er janvier 2018, celui-ci avait en charge, selon l’avenant au contrat de travail du 27 novembre 2017, huit départements dont le 28, et trois départements en gérance, les 78, 89 et 10, puis selon le plan de rémunération variable signé le 30 janvier 2018, sept départements dont le 28 et trois départements en gérance, les 58, 89 et 10. Dans une attestation du 7 novembre 2020, ce salarié atteste qu’il avait en charge, dès son embauche en août 2017, les départements 28, 89, 10 et 78.

Ainsi, Mme [O] et M. [B] [H] étaient tous les deux en charge, de novembre 2017 à novembre 2018, des départements 10 et 89, et à compter de décembre 2018, des départements 28 et 78.

Sur la base de ces éléments et des tableaux, la salariée revendique un rappel de commissions pour les départements 10 et 89 en 2018 et pour les départements 28 et 78 en 2019, qui auraient été versées à M. [B] [H] (pièce 89).

La cour constate que l’employeur ne produit aucun élément quant au calcul des commissions dues à Mme [O] et ne s’explique pas plus sur les tableaux que cette dernière verse au débat, alors pourtant que ce calcul dépend d’éléments détenus par lui. Faute d’explications apportées sur les pièces versées par la salariée et de production d’éléments contradictoires, la demande de Mme [O] sera accueillie.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté Mme [O] sur ce point et il sera alloué à celle-ci la somme de 6 221,04 euros au titre du rappel de commissions, outre 622,10 euros au titre des congés payés afférents.

3 – sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [O] indique qu’à la suite de son changement de secteur géographique, alors qu’elle gérait précédemment 40 agences dans 15 départements avec un chiffre d’affaires mensuel de plus de 30 000 euros, la nouvelle liste des distributeurs qui lui a été communiquée le 4 décembre 2018 ne comprenait plus que six agences dans quatre départements avec un chiffre d’affaires de 5 237,50 euros, sachant que le déclenchement de commissions est lié à la réalisation d’un chiffre d’affaires minimal de 20 000 euros. Elle soutient que rien n’a été fait pour maintenir son niveau de rémunération lors de la définition de son nouveau secteur géographique, alors même que certains distributeurs dans les départements qui lui étaient affectés, ne lui ont pas été confiés et que le département 60 a été affecté à un autre salarié.

Par ailleurs, outre le non-paiement de son salaire conventionnel et des commissions, son contrat de travail a fait l’objet d’une modification unilatérale, faute de signature d’un avenant.

Elle invoque ensuite :

‘ des pratiques managériales utilisant l’agressivité, la menace et engendrant la peur, des demandes de rapports en urgence à des heures inappropriées

‘ des modifications en dernière minute de réunions téléphoniques avec des distributeurs, ou des jours de RTT

‘ la mise à disposition d’un véhicule qui n’était pas en bon état

‘ l’absence de fourniture d’un téléphone en bon état

‘ la non prise en compte de ses allergies alimentaires lors des repas organisés pendant les séminaires

‘ la non prise en compte des agissements de certains distributeurs à son encontre

‘ une demande de travailler pendant un arrêt maladie

‘ la non fourniture d’un billet d’avion pour une réunion organisée à [Localité 4] en juin 2019, la contraignant à faire le trajet en voiture, contrairement aux autres participants

‘ un avertissement infondé le 25 juin 2019.

Elle justifie d’un arrêt de travail du 3 au 23 avril 2019, pour anxiété et asthénie et produit un certificat médical établi le 24 juillet 2019 dans lequel le médecin évoque des symptômes de souffrance au travail.

La cour retient au vu de ces éléments, qui relatent de manière concordante une atteinte à l’état de santé de la salariée nécessitant un placement en arrêt de travail ainsi que l’imputation par la salariée de cette situation à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur répond que :

‘ le changement de secteur géographique a été opéré sur la demande de Mme [O] et les nouveaux secteurs qui lui ont été attribués, étaient plus larges que ceux dont elle disposait antérieurement, lui permettant de réaliser un chiffre d’affaires substantiel et de bénéficier de belles commissions. Selon lui, Mme [O] s’est contentée de visiter les secteurs 78 et 91 qui étaient ceux de son compagnon, Monsieur [V], et ne réalisait aucun chiffre sur son nouveau secteur. Il ajoute qu’elle avait conservé la gérance sur les départements 51, 21 et 39 afin de lui permettre d’assurer la transition et de garantir ses revenus.

‘ L’avertissement notifié le 25 juin 2019 était parfaitement fondé et visait une attitude indécente et un comportement inconvenant lors d’un séminaire d’entreprise organisé le 13 juin 2019, ainsi qu’un comportement inapproprié dans le logement qui lui avait été dévolu

‘ il a pris contact avec Mme [O] qui était en arrêt travail parce qu’il avait besoin d’informations sur les dossiers, qui ne figuraient pas dans la base de données de l’entreprise

‘ il n’a jamais été demandé à la salariée de travailler la nuit ou de répondre à des sollicitations en dehors des horaires de travail. C’est elle qui avait l’habitude d’envoyer des mails à des horaires tardifs

‘ la salariée n’apporte aucun élément probant quant au harcèlement moral dont elle aurait été victime de la part des distributeurs et partenaires. C’est au contraire parce que celle-ci n’était pas joignable et ne répondait pas aux demandes formulées par les clients que certains partenaires ou clients répéter leurs demandes.

La cour retient que le changement de secteur géographique s’est opéré suite à la demande de la salariée. Dans un courrier non daté adressé à son employeur (pièce 34 appelant), Mme [O] indique qu’elle sollicite une mutation pour raisons personnelles, « en ayant pour date d’effet privilégié la date du 1er décembre 2018 », et présente sa candidature pour le poste de responsable de secteur actuellement à pourvoir sur les départements suivants : 27, 28, 60, 76, 78 et 91. Elle ajoute que cette demande fait suite à une première demande orale formulée début octobre 2018.

L’employeur, dans un courrier du 20 novembre 2018, y répond positivement, reprenant le secteur géographique sollicité.

Il ressort de ces éléments que ce changement de secteur géographique a été mis en place de façon consensuelle et dans des délais conformes aux souhaits de Mme [O]. Quant au fait que d’autres commerciaux pouvaient opérer sur ce même secteur, le contrat de travail prévoit expressément que « le salarié est informé qu’il ne dispose d’aucune exclusivité des produits ou services sur son secteur et que son secteur pourra être visité par des commerciaux ou agents commerciaux ». Enfin, la salariée affirme que ce nouveau secteur induisait une baisse de son chiffre d’affaires et donc des commissions qu’elle pouvait percevoir, mais elle n’apporte aucune pièce à l’appui de ses affirmations.

S’agissant du véhicule et du téléphone de fonction, aucune pièce n’est produite permettant à la cour de retenir le bien-fondé de ses arguments, la seule existence de frais d’entretien n’étant pas synonyme de dangerosité. Il en est de même sur la question des allergies alimentaires ou de la non fourniture d’un billet d’avion.

À l’appui de ses affirmations concernant des méthodes managériales inadaptées, la salariée verse aux débats un certain nombre de mails et de SMS adressés par Monsieur [F], directeur commercial. La cour observe que si ces messages sont clairement destinés à stimuler l’implication des commerciaux dans leur travail, aucun d’eux ne stigmatise personnellement la salariée ni ne contient de propos allant au-delà de ce qu’autorise le pouvoir de direction. Seul le message envoyé le 22 mars 2019 à tous les commerciaux évoque une procédure pour faute professionnelle en cas de non-respect des consignes de travail, à savoir la présentation d’offres auprès de contacts obtenus lors d’un événement. Par ailleurs, si certains messages ont été envoyés tôt le matin ou dans la soirée, ou sont présentés comme tels, ils ne contiennent pas d’injonctions professionnelles immédiates. Les appels téléphoniques passés dans la journée par Monsieur [F] n’excèdent pas par leur nombre ceux pouvant être justifiés par une relation de travail, et s’expliquent par des appels non décrochés de la part de Mme [O]. Quant à la diffusion d’un tableau comparatif des résultats obtenus par l’ensemble des commerciaux, elle ne peut être considérée comme un moyen d’humiliation de l’un d’eux.

S’agissant du comportement insistant des distributeurs ou partenaires à son égard, celui-ci est en rapport avec des demandes de devis ou autres interventions commerciales auxquelles Mme [O] n’aurait pas répondu (pièce 59 appelant, pièces 30 et suivants intimée), ce qu’elle ne conteste pas. D’ailleurs, ce manque de réactivité apparaît également au travers de certains courriels présentés par la salariée comme harcelants : ainsi, le 11 décembre 2018, [E] écrit : « c’est la troisième fois que cette dame appelle et que je transfère son message, elle souhaite être recontactée » ; le 15 janvier 2019, [E] écrit : « société BC BURO,…, a eu un contact la semaine dernière avec [G] mais depuis il n’arrive plus à la joindre, il ne confirme pas les RV, le client va pas attendre » ;le 9 avril 2019, [X] [S] écrit : « [C] n’a pas contacté le futur distributeur qui avait fait une demande de contact il y a deux semaines ».

Ce comportement en tout état de cause, ne peut être reproché à l’employeur, d’autant qu’il n’apparaît pas que la salariée s’en serait plainte.

Mme [O] qualifie d’infondé l’avertissement qui lui a été notifié le 25 juin 2019 mais la cour observe qu’elle ne l’a pas contesté et que surtout, il ressort de plusieurs attestations émanant tant de collègues que du responsable de l’hôtel (pièces 33,51, 54 et 58 appelant) que les faits mentionnés à l’appui de cet avertissement, sont caractérisés.

Quant aux messages envoyés alors qu’elle était en arrêt maladie, la cour retient qu’ils ne sont destinées qu’à assurer le relais en son absence, sans comporter d’injonction de réaliser des tâches nouvelles.

Enfin, les pièces médicales initiales font état d’une anxiété et d’une asthénie sans mention d’un lien avec l’activité professionnelle tandis que le médecin, dans son certificat daté du 24 juillet 2019, mentionne seulement qu’elle « paraît présenter des symptômes de souffrance au travail », ce qui est insuffisant pour démontrer un lien avec les faits dénoncés.

Il s’ensuit que les faits allégués par la salariée et pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement de la part de l’employeur, directement ou au travers de son organisation managériale.

Mme [O] sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral.

4 ‘ sur la prise d’acte

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.

Mme [O] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre datée du 9 août 2019 ainsi rédigé :

« Monsieur,

Salariée de votre établissement depuis le 13 novembre 2017 en tant que responsable réseaux indirects ‘ coefficient 240 ; depuis le 1er janvier 2018 en tant que responsable réseaux indirects statut cadre ‘ position 3.1 coefficient 170, par la signature d’un contrat de travail régi par la convention collective Syntec, avec de ce fait un salaire minimum de 3 473,10 euros bruts, il se trouve que je n’ai jamais été payée à ce niveau-là (2 500 euros bruts versés mensuellement) et aucune rectification n’a été effectuée malgré mes demandes.

Les faits suivants de harcèlement moral, de demande de la part de la direction d’Eukles Solutions de me faire travailler pendant un arrêt de travail, de non- respect de la convention collective Syntec concernant notamment :

‘ la non régularisation de mon salaire fixe suite à mon arrêt de travail du 3 au 23 avril 2019, sur la base de 100 % de mon salaire fixe,

‘ le paiement de mes congés payés sur la base de mon salaire fixe au lieu de la prise en compte de mon salaire de référence (variable) pour ce calcul, depuis le 13 novembre 2017 (date de mon entrée chez Eukles Solutions ),

‘ de la volonté d’Eukles Solutions et sa résignation à me faire signer une rupture conventionnelle de mon contrat de travail largement entamée (puisque acceptée) comportant une clause abusive me privant d’un de mes droits fondamentaux (le droit d’agir en justice),viennent se greffer à cela.

Après avoir essayé de rompre le contrat qui nous lie à l’amiable et après refus de votre part, ces faits dont la responsabilité incombe entièrement à la société Eukles Solutions me contraignent à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail».

La prise d’acte, qui a mis un terme définitif à la relation de travail, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs reprochés à l’employeur le justifient, soit dans le cas contraire ceux d’une démission, l’ensemble des reproches formulés par la salariée, y compris ceux ne figurant pas dans la lettre de prise d’acte, devant être considérés.

Aux termes de ses dernières conclusions, Mme [O] formule à l’encontre de son employeur les reproches suivants :

-le non-paiement de son salaire conventionnel

-la modification unilatérale de son secteur géographique

un harcèlement moral

-la non régularisation de son salaire fixe suite à son arrêt travail du 3 au 23 avril 2019

-le paiement de ses congés payés sur la seule base de son salaire fixe, sans prise en compte du salaire de référence comprenant la part variable.

Si la cour a écarté au point 3 l’existence d’un harcèlement moral, l’employeur admet la réalité des griefs relatifs aux salaires et congés payés, puisque figurent sur le bulletin de salaire d’octobre 2019 et l’annexe au solde de tout compte (pièces 9 et 11 appelant), des rappels de salaires, de congés payés et de primes-vacances pour les années 2018 et 2019 pour un montant total de 16 917,21 euros.

Il est par ailleurs établi qu’aucun avenant au contrat de travail n’a été établi à la suite du changement de secteur géographique de la salariée, alors même qu’elle avait adressé un rappel à ce sujet à M. [F] dans un mail du 23 janvier 2019 (pièce 28 intimée).

Ces faits qui touchent au contrat de travail et à la rémunération sont suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, suivant la demande formée par la salariée, sans avoir à examiner les autres griefs.

Le jugement sera confirmé sur ce point, comme sur l’allocation à Mme [O] des sommes suivantes :

-12 501 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

-1 250,10 euros au titre des congés payés afférents

-1 823,07 euros à titre d’indemnité de licenciement

Compte tenu de l’ancienneté de Mme [O], soit un an au service d’une entreprise employant plus de 11 salariés, du salaire mensuel brut qu’elle a perdu (4 167 euros) et de son âge (année de naissance 1989), il lui sera alloué une indemnité de licenciement abusif arbitrée à 4 167 euros en application de l’article L 1235-3 du code du travail.

5 – sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Mme [O] soutient que l’appel formé par la société Eukles Solutions est constitutif d’une procédure abusive puisque cette dernière ne pouvait ignorer le bien-fondé du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, mais l’exercice d’une voie de recours, qui est un droit ouvert aux parties, ne peut en soi être considéré comme abusif.

En conséquence, Mme [O] sera déboutée de sa demande.

6 – sur les autres demandes

Il sera ordonné à la société Eukles Solutions de remettre un bulletin de paie récapitulatif

La société Eukles Solutions sera condamnée à verser à Mme [O] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Partie succombante, la société Eukles Solutions supportera la charge des dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable la demande formée par Mme [O] au titre du rappel de commissions et congés payés afférents

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande au titre du rappel de commissions et congés payés afférents

Y ajoutant,

Condamne la société Eukles Solutions à verser à Mme [C] [O] les sommes suivantes :

-6 221,04 euros au titre du rappel de commissions

-622,10 euros au titre des congés payés afférents

-1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Condamne la société Eukles Solutions aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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