21 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01941
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JUIN 2023
N° RG 21/01941
N° Portalis : DBV3-V-B7F-USTW
AFFAIRE :
[V] [B]
C/
Société CISCO SYSTEMS FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : E
N° RG : F19/00768
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Guillaume PRAT
Me Sébastien DUCAMP
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [V] [B]
né le 29 Janvier 1971 à [Localité 5] (49)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Guillaume PRAT de la SELARL GUILLAUME PRAT, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC – Représentant : Me Nathalie PRUNET LE BELLEGO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 272
APPELANT
****************
Société CISCO SYSTEMS FRANCE
N° SIRET : 349 166 561
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Sébastien DUCAMP de la SELEURL Sébastien DUCAMP AVOCAT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R052, sustitué à l’audience par Me DE LA CHESNAIS, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : R052
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [B] a été engagé par la société Cisco Systems Europe, en qualité de responsable de projets ‘Project Ingineer’, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 juillet 2000.
Cette société est spécialisée dans la télécommunication et des réseaux internet. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale dite Syntec.
En son dernier état, le salarié occupait le poste d’ingénieur consultant réseaux au sein de la société Cisco Systems France.
Par courriel 7 février 2019, la société Cisco Systems France a demandé au salarié :
« Bonjour [V],
En date du 4 février 2019 nous attendions ton retour de congé. Or à ce jour, nous n’avons aucune nouvelle de ta part (pas de certificat de maladie, pas de rentrée de congé, pas d’email d’avertissement à ton responsable [U] [J]).
Nous te rappelons que tu es tenu de nous informer de toute absence dans les 24h suivant ton absence et justifier celle-ci dans les 48h. Pourrais-tu dès lors nous informer de ta situation (dates et la raison de ton absence).
Dans l’attente, nous t’informons que nous suspendons ta paie immédiatement à compter de ton premier jour d’absence non justifié (le 4 février 2019).
Cordialement. »
Par lettre du 14 février 2019, la société a mis en demeure le salarié de justifier de son absence depuis le 4 février 2019.
Par lettre du 19 février 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 28 février 2019. Le salarié ne s’est pas présenté à l’entretien.
Il a été licencié par lettre du 4 mars 2019 pour faute grave dans les termes suivants:
« Monsieur,
Nous vous avons convoqué le 19 février 2019 par courrier recommandé avec accusé de réception à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au jeudi 28 février 2019 à 16h30.
Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.
En l’absence d’explications nous permettant de modifier notre appréciation des faits, nous sommes contraints par la présente lettre recommandée avec accusé de réception, de vous notifier notre décision de vous licencier pour faute grave, pour les motifs suivants :
Vous ne vous êtes plus présenté à votre poste depuis le 4 février 2019, sans qu’à aucun moment vous n’ayez prévenu votre manager ou les Ressources Humaines.
Depuis cette date, et ce malgré l’email qui vous a été envoyé par les Ressources Humaines en date du 7 février et le courrier de mise en demeure que nous vous avons adressé le l4 février 2019, vous ne vous êtes toujours pas présenté à votre poste de travail et nous sommes toujours sans aucune nouvelle de votre part.
Vous n’êtes par ailleurs pas en arrêt maladie, pas en congés et/ou RTT et nous ne disposons d’aucun document permettant de justifier cette absence.
Votre absence non autorisée et injustifiée est de nature à porter atteinte au bon fonctionnement de notre société.
Dans ces conditions, la poursuite de notre relation contractuelle s’avère impossible, nous ne pouvons qu constater votre abandon de poste.
En conséquence, nous vous confirmons votre licenciement pour faute grave, privatif d’indemnité de rupture et de préavis. La date d’envoi de la présente lettre marquera la fin de votre contrat de travail.».
Le 6 juin 2019, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir reconnaître l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 27 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :
– débouté les parties de leurs demandes,
– condamné M. [B] aux éventuels dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 21 juin 2021, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [B] demande à la cour de :
– débouter la société Cisco Systems France de ses demandes, fins et conclusions,
– dire et juger recevable et bien fondé l’appel qu’il a interjeté,
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes Boulogne-Billancourt, section encadrement, du 27 mai 2021 (RG F 19/00768) en ce qu’il a :
. débouté les parties de leurs demandes,
. l’a condamné aux éventuels dépens,
statuant de nouveau,
– dire et juger qu’il n’a commis aucune faute,
– dire et juger que le licenciement est abusif et sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Cisco Systems France à lui payer les sommes suivantes :
. indemnité de préavis (3 mois) sur le fondement des articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail : 18 954,66 euros brut,
. congés payés sur préavis 10% : 1 895,46 euros brut,
. indemnité légale de licenciement sur le fondement de l’article L.1234-9 du code du travail pour 18 années et 8 mois d’ancienneté : 10 années x ¿ mois par année d’ancienneté x 6 318,22 euros = 15 795,55 euros net + 8,66 années x 1/3 mois par année d’ancienneté x 6 318,22 euros = 18 056,20 euros net, soit un total de 33 851,75 euros net,
. dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail pour 18 années et 8 mois d’ancienneté : 14 mois x 6 318,22 euros = 88 455,08 euros,
– condamner la société Cisco Systems France à lui payer la somme de 6 000 euros pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Cisco Systems France aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Cisco Systems France demande à la cour de :
à titre principal,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [B] repose bien sur une faute grave,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
en conséquence,
– débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [B] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
– juger que le licenciement de M. [B] repose sur une cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
– débouter M. [B] de ses demandes au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
à titre infiniment subsidiaire,
– ramener les demandes indemnitaires formulées par M. [B] à de plus justes proportions,
en tout état de cause,
– débouter Monsieur [B] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de l’exécution provisoire de la décision à venir.
MOTIFS
Sur la rupture
Le salarié conteste tout abandon de poste et explique qu’il ne s’est pas rendu à son travail le 4 février 2019 à l’issue de ses vacances étant totalement épuisé par les quinze mois de surcharge de travail passés, ce qui est reconnu par les courriels de l’employeur.
S’agissant de l’abandon de poste, le salarié expose que l’employeur ne lui a adressé qu’une seule mise en demeure de reprendre son travail et l’a licencié tout juste un mois après son premier jour d’absence alors qu’il n’a pas pu lui répondre en raison de son extrême fatigue.
Le salarié ajoute que l’employeur ne justifie également pas de la désorganisation du service en raison de son absence et qu’ayant dix-neuf ans d’ancienneté, un comportement irréprochable, un épuisement intensif pendant plusieurs mois, cette absence ne peut constituer une faute ni une faute grave.
L’employeur réplique que le salarié n’est jamais revenu dans l’entreprise après ses congés et que confronté au silence total de sa part, il a été contraint de le mettre en demeure de justifier de ses absences, le salarié ne lui ayant jamais répondu. Il ajoute que le silence opposé du salarié et son intérêt clairement établi à la rupture de son contrat de travail faisaient légitimement craindre que la situation ne pouvait que se dégrader si elle perdurait sans réaction de la société.
L’employeur indique que la matérialité de la faute est avérée et que le salarié a bien abandonné son poste de travail ce qui a eu des conséquences sur l’organisation de son département.
***
Il résulte de l’article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L’article L.1235-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l’employeur.
Au cas présent, sont reprochés au salarié :
– son absence de présentation à son poste de travail le 4 février 2019 sans avoir prévenu son supérieur hiérarchique et le service des ressources humaines,
– l’absence de réaction aux mises en demeure de reprendre son poste de travail,
– l’absence de justification de ses absences jusqu’au jour du licenciement.
Il ressort des pièces du dossier que ces griefs sont établis par les échanges de courriels et les lettres de l’employeur.
Ainsi, par courriel du 11 janvier 2019, le salarié a indiqué à l’employeur qu’il souhaitait mettre un terme au contrat de travail dans le cadre d’une rupture conventionnelle. En réponse le 30 janvier 2019, l’employeur a fait part de son souhait de poursuivre la collaboration avec le salarié ‘ considéré par ton management comme un Talent de l’entreprise et dont le travail et les compétences sont vivement reconnus et appréciés.(…) tu es reconnu comme un élément important dans l’équipe et dans lequel ton management a toute confiance. En ce sens tu as été formé sur des nouvelles technologies pour que tu puisses monter en compétence et gagner en expertise.’.
Le salarié a été en congés payés du 24 janvier 2019 au 1er février 2019 et ne s’est jamais représenté à son poste de travail à compter du lundi 4 février 2019 en dépit des envois suivants de l’employeur :
– courriel d’une salariée adressé notamment à M. [B] le 5 février 2019 demandant : ‘ Est- ce que quelqu’un sait quoi se passe avec [V] [B]’ Il a prolongé ses vacances »,
– courriel de l’employeur du 7 février 2019 indiquant au salarié qu’il est en attente de son retour de congé, qu’il n’a aucune nouvelle de sa part et qu’il suspend sa paye immédiatement à compter du premier jour d’absence non justifié, le 4 février 2019,
– lettre de mise en demeure de ‘justifier des absences’ par envoi recommandé du 14 février 2019 distribué à l’adresse du salarié le 15 février 2019,
– lettre du 19 février 2019 de convocation à l’entretien préalable, auquel le salarié ne s’est pas présenté,
– lettre de licenciement du 4 mars 2019.
Pendant toute cette période, le salarié n’a adressé aucun message et n’a pas répondu à aucune des sollicitations de l’employeur et de sa collègue.
Par courriel du 17 mars 2019 adressé à de nombreux collaborateurs de la société Cisco Systems Europe, le salarié a indiqué qu’il a ‘ considéré qu’il était préférable pour le bien de l’équipage Cisco et pour moi de passer à autre chose.(…) Ma vie professionnelle sera consacrée, dans l’immédiat, à finaliser la création d’une entreprise.(…)’. L’Eurl [B]-Energie Bois créée par le salarié a ainsi été immatriculée au registre du commerce le 15 mai 2019.
L’abandon de poste est donc établi par l’employeur, lequel établit également que cette situation a entraîné des difficultés dans l’organisation du travail, notamment pour un projet client en cours, qui a nécessité le remplacement du salarié.
Par ailleurs, le salarié écrit le 19 janvier 2019 à l’employeur ‘ lors de notre conversation du 4 décembre dernier, je vous ai fait part de mon souhait de mettre un terme au contrat de travail qui me lie à Cisco. ( …) Je vous rappelle les raisons de ma demande. Ces derniers 15 mois au sein de Cisco ont été très laborieux pour moi, j’ai rencontré une réelle difficulté à absorber la charge de travail demandée sur mes activités de support client et à me former en vue d’un prochain virage technologique que prend Cisco. En entamant ma 19ème année au sein de Cisco, une certaine usure s’est installée et j’estime ne plus avoir le bon profil pour continuer à évoluer efficacement dans ce métier technologique et apporter une contribution valable pour l’entreprise.’.
Si le salarié fait état d’une période antérieure très chargée professionnellement, ce que ne discute pas l’employeur, ce dernier rapporte également la preuve qu’il a été soucieux de cette surcharge et a ensuite pris des mesures pour y pallier notamment en organisant ‘ un temps de récupération afin que (sa) charge de travail soit plus allégée, et ce depuis trois mois , dans un souci de reconnaissance, tant de (son) implication que de (sa) gestion exemplaire de la crise’.
Le salarié ne justifie donc pas d’un motif légitime expliquant son absence ni de l’extrême fatigue alléguée empêchant toute prise de contact avec l’employeur, cet épuisement invoqué entre le 4 février 2019 et le licenciement n’étant établi par aucune pièce.
Dès lors, le salarié a abandonné soudainement et volontairement son poste sans justification. Il s’est ensuite écoulé un délai d’un mois entre la date prévue de la reprise du salarié et le licenciement pendant lequel il ne s’est pas manifesté en dépit des diligences de l’employeur pour obtenir de ses nouvelles.
Enfin, quand bien même le salarié présentait une importante ancienneté, de près de vingt ans, et un comportement irréprochable, le refus persistant de l’intéressé de rejoindre son poste de travail, malgré la mise en demeure dont il avait fait l’objet, a rendu impossible son maintien dans l’entreprise et était constitutif d’une faute grave.
Il convient par conséquent de confirmer la décision des premiers juges.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement qui a condamné le salarié aux dépens et a débouté les parties de leur demande en application de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmé.
Succombant, le salarié sera condamné aux dépens d’appel et l’équité conduit à laisser à la charge de chaque partie ses propres frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] aux dépens d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Marine MOURET, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente