REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRET DU 21 DECEMBRE 2023
(n° 2023/ , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07037 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE3U
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/10197
APPELANT
Monsieur [R] [C]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Vasco JERONIMO, avocat au barreau de MELUN
INTIMEE
S.A. DEFENSE CONSEIL INTERNATIONAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Nicolas DULAC, avocat au barreau de PARIS, Toque : E 1046
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 14 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre
Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Catherine BRUNET, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [R] [C] a été engagé par la société Défense Conseil International par contrat de travail à durée indéterminée du 20 septembre 2006 à compter du 1er octobre en qualité d’adjoint au directeur des opérations, statut cadre, coefficient 210, position 3.2 de la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs conseils et des sociétés de conseils dite Syntec.
Il exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable grands comptes, statut cadre, niveau 3.3, coefficient 270.
La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
M. [C] a été placé en arrêt de travail pendant trois jours au mois de février 2019 puis à compter du 3 octobre 2019.
Le 18 novembre 2019, il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris notamment aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant soit les effets d’un licenciement nul, soit subsidiairement d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A l’issue d’une visite de reprise du 23 juillet 2020, il a été déclaré inapte, le médecin du travail indiquant : ‘ tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à son état de santé ‘.
Par lettre du 3 août 2020, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 13 août 2020 puis par lettre du 19 août 2020, il a été licencié pour inaptitude.
Par jugement du 12 juillet 2021 auquel la cour renvoie pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes l’a débouté de ses demandes, l’a condamné aux dépens et a débouté la société de sa demande reconventionnelle.
M. [C] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 30 juillet 2021.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, M. [C] demande à la cour d’infirmer le jugement et de, statuant à nouveau :
– dire et juger que la société Défense Conseil International a gravement manqué à ses obligations justifiant la résiliation judiciaire de son contrat de travail à ses torts ;
– dire que les agissements de la société sont constitutifs d’actes d’harcèlement moral ;
En conséquence,
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 19 août 2020, date de licenciement pour inaptitude physique ;
– fixer son salaire à 11 115,52 euros (moyenne des douze derniers mois) ;
– condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
* 33 457,56 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 3 345,76 euros au titre des congés payés afférents au préavis,
* 5 931,25 euros au titre du reliquat de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 19 447,97 euros au titre du rappel de salaire correspondant à la part variable pour l’année 2019,
* 1 944,80 euros au titre des congés payés afférents à la part variable pour l’année 2019,
* 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation sur les demandes afférentes à des éléments du salaire et à compter de l’arrêt à intervenir sur les autres demandes ;
– condamner la société aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 janvier 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Défense Conseil International demande à la cour de :
– la recevoir en ses conclusions ; l’y déclarer bien fondée ;
– confirmer le jugement ;
En conséquence,
– débouter M. [C] de l’intégralité de ses demandes ;
– le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le condamner aux entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 mars 2023 et l’affaire a été évoquée à l’audience du 30 mars 2023.
Par arrêt avant dire droit du 6 juillet 2023, la cour a notamment ordonné la réouverture des débats et renvoyé l’affaire à l’audience de plaidoirie fixée au jeudi 14 septembre 2023 à 13H30 devant la cour autrement composée.
A cette audience, l’affaire a été évoquée devant la cour autrement composée.
MOTIVATION
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
M. [C] soutient que son contrat de travail doit être résilié en raison du harcèlement moral et à minima des conditions contraires à la dignité humaine qu’il a subis. Il affirme qu’il a été victime d’un harcèlement moral constitué par trois agressions verbales en 10 mois de la part de M. [M], nouveau président directeur général de la société, soit les 3 février, 11 avril et 3 octobre 2019. Il fait valoir que la troisième agression a été à l’origine de son arrêt de travail pour maladie et de son inaptitude. Il souligne qu’il a toujours donné satisfaction dans son emploi comme cela ressort selon lui de ses promotions successives et des entretiens annuels d’évaluation. Il ajoute que le nouveau président directeur général a revu l’organisation managériale en six mois ce qui a entraîné de nombreux départs de directeurs.
La société soutient en premier lieu que M. [C] ne produit aucun élément objectif à l’appui d’un comportement fautif de l’employeur. Elle fait valoir qu’il n’a jamais cité les propos tenus selon lui par M. [M] y compris dans ses écritures, qu’il ne produit aucun témoignage direct corroborant ses dires, que les messages de collègues versés aux débats par l’appelant ne sont que des messages habituels de soutien à un salarié en arrêt de travail et qu’ils sont retranscrits par M. [C] qui ne produit pas les originaux sous forme de copies d’écran malgré la sommation de communiquer qui lui a été adressée à cet égard. Elle souligne que M. [C] ne dénonçait pas initialement d’agissements répétés et qu’il a procédé à une réécriture de son argumentaire sans pour autant fournir le moindre élément de fait. S’agissant des faits du 3 octobre 2019, elle soutient qu’ils sont étrangers à tout harcèlement comme le démontrent selon elle l’ attestation de M. [U] produite aux débats et la lettre de Mme [Z] du 24 octobre 2019. Elle déduit de ces deux écrits que M. [C] n’a rencontré qu’à deux reprises le président directeur général de la société dont la première fois le 1er février 2019 au sujet d’un remboursement de pneus neige à usage semi-privatif et fait observer que ce type de comportement lui avait déjà valu par le passé un rappel à l’ordre. Concernant les faits du 11 avril 2019, elle soutient que l’emploi du qualificatif ‘ abracadabrantesque ‘ ne peut pas conduire à la reconnaissance d’une situation de harcèlement moral. Enfin, elle considère que les pièces médicales produites par le salarié n’évoquent pas un harcèlement moral et souligne que le salarié ne sollicite pas la réparation du préjudice qu’il aurait subi à ce titre. En outre, elle affirme avoir respecté son obligation de sécurité et précise que les départs de trois directeurs n’ont pas de rapport avec des difficultés rencontrées avec M. [M] mais procèdent pour deux d’entre eux de ruptures conventionnelles et pour un, d’un licenciement pour motif économique. Elle fait valoir que M. [M] nourrit en son sein un dialogue social constructif et n’hésite pas à valoriser ses collaborateurs.
Le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour apprécier la gravité des manquements reprochés à l’employeur, le juge prend en compte l’ensemble des événements survenus jusqu’à l’audience ou jusqu’à la rupture du contrat de travail si celle-ci est antérieure.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur ; la date de la rupture est fixée à la date d’envoi de la lettre de licenciement
Seuls peuvent être de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur des faits, manquements, ou agissements de ce dernier d’une gravité suffisante de nature à empêcher la poursuite du travail
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, il appartient au candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou au salarié de présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Sur les agressions verbales
A l’appui de son allégation concernant le comportement du président directeur général de la société, M. [M], à son égard caractérisé selon lui par les trois agressions verbales précitées, M. [C] produit :
– un mail qu’il a adressé le 3 octobre 2010 à 9 heures 16 à M. [U] et à Mme [Z], respectivement, directeur du développement et directrice des ressources humaines, dans lequel il indique : ‘ (…) Mais me faire traiter d’ignorant en trois mots par le PDG parce que je ne connais pas par coeur l’organigramme de la RPUE (…), c’est trop. Me faire insulter, me faire sortir comme un malpropre de son bureau devant toi, cela dépasse même l’entendement. [J], c’est la deuxième fois. Quand je viens travailler, si c’est pour avoir la boule au ventre, j’ai mieux à faire. cette nouvelle attaque violente est encore une fois chargée d’injustice. (…) ‘;
– la transmission de cet écrit notamment à M. [M] le même jour à 11 heures 42 ;
– une lettre manuscrite adressée le 4 octobre 2019 à M. [M] relatant la réunion du 3 octobre, le comportement allégué du président directeur général et évoquant des reproches selon lui infondés formulés en tout début d’année ; il indique dans cet écrit que ces faits ce sont produits devant ‘ un aéropage parmi les plus hauts responsables de DCI ‘ ; il ajoute ‘ cette nouvelle et scandaleuse déconsidération à mon sujet que vous avez cru pouvoir réitérer hier matin, m’a mis dans un état psychologique, et même physique, tel que je ne suis plus en capacité de revenir rapidement travailler (…) ‘ puis que son médecin a détecté une grave dépression ‘ affection dont il a pu apprécier les causes comme étant en lien avec les harcèlements et souffrances répétées que vous m’avez fait subir.’ ;
– une lettre de Mme [Z] du 24 octobre 2019 lui indiquant ‘(…) Au cours de la réunion du 3 octobre 2019, le président souhaitait que des actions soient menées à [Localité 4], ce qui n’a pas été lecas. Tu as alors été appelé pour savoir si tu avais des éléments. Le président, n’ayant pas de réponse à ses questions, t’a demandé de sortir de son bureau. Je comprends que tu n’aies pas apprécié cette situation (…) ‘ ;
– l’en-tête d’un article intitulé ‘ [Y] [M] met sens dessus dessous la gouvernance de DCI ‘ et ajoutant : ‘ A la tête de DCI depuis six mois, [Y] [M] revoit de fond en comble l’organisation managériale de la société spécialisée dans le transfert du savoir faire militaire français à l’export. Ce qui suscite l’inquiétude et le départ de nombreux directeurs (…) ‘ ;
– des messages reçus :
* de la part de M. [G], responsable zone Arabie Saoudite, le dimanche 6 octobre 2019 indiquant : ‘ (…) le WE t’a permis, je l’espère, de te reposer en famille, à défaut de panser la plaie qui doit être bien ouverte. Je regrette très sincèrement cette situation ; entre gens de bonne éducation, cela ne doit pas arriver, et pourtant c’est arrivé !! (…) ‘,
* de M. [A] [W], responsable de l’ingénierie commerciale de DCI, le 12 octobre 2019 mentionnant : ‘ (…) Je regrette que la situation soit ce qu’elle est au bureau…(…) ‘,
* de M. [D] [E], responsable de l’intelligence économique de DCI, le 16 octobre 2019, indiquant : ‘ (…) Je suis navré par la situation actuelle (…) ‘,
* de M. [N] [V], directeur de la branche Cofras, le 23 octobre 2019 mentionnant : ‘ (…) Profite d’un peu de calme qui n’est pas le contexte qui prévaut ici…(…) ‘,
* d’une personne non dénommée du 7 août 2020 indiquant ‘ ta demande me met en effet dans l’embarras, un témoignage me grillerait définitivement auprès de SF alors que je m’échine (comme d’autres à le convaincre de certaines choses) (…) ‘,
* de M. [P] [T] du 2 novembre 2020 mentionnant : ‘ (…) J’avais été surpris dans les conversations régulières que nous avions au téléphone de voir comme tu étais touché par des épisodes relationnels et tes réactions à des entretiens et échanges difficiles. (…) ;
– un échange de mails le dernier du 13 février 2019 concernant la demande par M. [C] de prise en charge de pneus neige ;
– une attestation de M. [N] [V] relatant avoir conversé le 1er février 2019 avec le salarié qui lui a confié avoir eu un entretien avec M. [M] dans des conditions ‘ brutales ‘au sujet de pneus neige installés sur sa voiture, précisant qu’il n’avait pas été témoin de cet entretien mais qu’il avait été frappé par la détresse psychologique de l’appelant ;
– une attestation de M. [K] [B], général (2s) de gendarmerie, affirmant qu’il n’avait pas été surpris d’apprendre au début du mois d’octobre 2019 l’existence d’une altercation entre le salarié et M. [M] compte tenu du fait que M. [C] lui avait confié qu’il avait la pression et qu’il devrait quitter son emploi à court ou moyen terme et que ‘ le 11 avril 2019, lors d’un comité d’offre regroupant les principaux directeurs de DCI et auquel (il) participait, [Y] [M] avait dit à [R] [C] que le projet présenté par lui était ‘ abracadabrantesque ‘. Le climat de la réunion s’étant alors brusquement tendu, le général de division (2s), directeur de la branche COFRAS, était intervenu pour présenter différemment les choses, ce qui avait remis de la sérénité dans les débats. (…)’ ;
– des écrits établis par M. [C] relatant les faits qui se seraient selon lui produits le 3 février et le 3 octobre 2019.
S’agissant de l’agression du 3 février 2019, M. [C] allègue que M. [M] lui a reproché de manière brutale de voler la société et lui a refusé le remboursement de pneus d’hiver. Il ajoute qu’il a été placé en arrêt de travail pendant trois jours à la suite de cette rencontre. Cet arrêt de travail est confirmé par le bulletin de salaire produit aux débats par le salarié. Il est de même établi par l’échange de mails dont le dernier du 13 février 2019, qu’une difficulté est survenue pour le remboursement des pneus neige. Cependant, à l’appui d’une agression de la part de M. [M] le 3 février 2019, M. [C] produit des écrits de sa part constituant ses propres dires ainsi que l’attestation de M. [V] qui n’a pas été témoin de ce rendez-vous et rapporte les dires de l’appelant lors d’un entretien du 1er février 2019 donc antérieur aux faits relatés par ce dernier. En conséquence, la cour retient que ce fait n’est pas établi.
S’agissant des faits du 11 avril 2019, M. [C] allègue que M. [M] l’a humilié lors d’une réunion. Il résulte de l’attestation de M. [B] conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile et revêtue de force probante, que lors d’un comité d’offre, M. [M] a dénigré devant plusieurs personnes le projet que le salarié présentait. La cour relève que les principaux directeurs de la société assistaient à cette réunion, que le comportement du président directeur général a créé une tension et que les débats ont pu reprendre de manière plus sereine grâce à l’intervention d’un tiers.
La cour retient en conséquence que les faits du 11 avril 2019 sont établis.
S’agissant de la réunion du 3 octobre 2019, les dires de M. [C] produits aux débats concernant son éviction de la réunion sont corroborés par la lettre de la directrice des ressources humaines de la société, placée sous un lien subordination et occupant une place centrale dans la gestion des ressources humaines qui indique qu’il a été demandé au salarié de sortir du bureau après qu’il ne soit pas parvenu à communiquer des informations sollicitées par le président directeur général. La cour relève que ce courrier de Mme [Z] fait suite au message de M. [C] du 3 octobre et à sa lettre du 4 octobre très circonstanciée évoquant un harcèlement moral et les souffrance répétées qu’il a selon lui subies dont elle indique avoir eu connaissance. Il en résulte qu’en sa qualité de directrice des ressources humaines, elle connaissait l’importance de sa réponse au regard des allégations du salarié. La cour constate en outre qu’elle ne conteste pas que cette scène s’est déroulée devant d’autres personnes.
En conséquence, la cour retient qu’il est établi que le 3 octobre 2019, il a été demandé à M. [C] de quitter le bureau devant plusieurs personnes.
Sur la dégradation de l’état de santé
A l’appui d’une dégradation de son état de santé, M. [C] produit :
– un arrêt de travail du 3 octobre 2019 mentionnant ‘ Burn out syndrome dépressif réactionnel ‘, une prescription médicamenteuse, une prolongation de l’arrêt de travail du 4 novembre jusqu’au 4 décembre 2019 mentionnant ‘ syndrome anxio-dépressif réactionnel Burn out ‘ ;
– l’avis d’inaptitude ;
– des prolongations de l’arrêt de travail jusqu’au 28 août 2020 mentionnant pour trois d’entre eux ‘ burn out ‘, ‘ burn out dépression réactionnelle ‘, ‘ état dépressif réactionnel ‘ ;
– une lettre de son médecin indiquant à un confrère le 5 juin 2020 que le salarié ‘ n’est pas apte à reprendre son activité professionnelle compte tenu du stress vécu sur son lieu de travail nécessitant toujours, à ce jour, la prise d’un anti-dépresseur ainsi qu’un suivi psychologique spécialisé. (…) ‘ ;
– un écrit d’un psychanaliste du 6 juillet 2020 affirmant qu’il reçoit M. [C] ‘ en raison d’un état de souffrance psychique l’ayant contraint à un congé maladie ‘ et ajoutant ‘ il fait le lien entre cet état de souffrance et la dégradation inattendue et brutale de ses conditions de travail et de ses relations professionnelles depuis le début 2019, après un changement de hiérarchie, s’étant notamment illustrée lors des événements ayant émaillé la journée du 3 octobre denier (…) ‘.
Il est établi par ces documents que l’état de santé de M. [C] s’est dégradé.
En conséquence, la cour retient que M. [C] présente des éléments de faits concernant le 11 avril et le 3 octobre 2019 qui pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Au vu de ces éléments, il incombe à la société de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
S’agissant des faits du 11 avril 2019, la société ne produit aucun élément alors qu’il résulte de l’attestation de M. [B] qu’elle ne contredit pas sur ce point, que plusieurs personnes tiers au litige comme lui, assistaient à cette réunion et qu’il était donc possible de solliciter auprès de ces personnes des témoignages.
En conséquence, la cour retient que la société ne produit pas d’élément objectif concernant ce fait.
S’agissant des faits du 3 octobre 2019, elle verse au débats une attestation de M. [K] [U], directeur du développement qui indique : ‘ Le 3 octobre 2019, Monsieur [I] [S] et moi-même étions en réunion avec Monsieur [Y] [M], Président-Directeur-Général de DCI. L’objet de la réunion était le développement de nos actions au niveau de la Communauté Européenne. Nous avons décidé de demander à Monsieur [R] [C] de se joindre à nous pour savoir si des actions avaient été menées à [Localité 4] comme le PDG l’avait demandé. Monsieur [C] s’est donc joint à la réunion, mais il n’a pas pu répondre aux interrogations du Président. Monsieur [M] lui a alors indiqué qu’il pouvait retourner à son travail. Monsieur [C] a néanmoins insisté pour répondre aux questions posées. Après avoir réitéré à plusieurs reprises sa demande sans que Monsieur [C] n’obtempère, Monsieur [M] s’est agacé et a fini par lui ordonner fermement de quitter son bureau. Néanmoins, même si le ton a été vif entre ces deux personnes, aucune insulte ni propos déplacés n’ont été échangés. Monsieur [C] s’est aussi énervé et a quitté la pièce. Le lendemain, il n’est pas revenu au travail et a fait parvenir à la DRH un arrêt maladie. Par ailleurs, depuis mon arrivée chez DCI, le 1er août 2019, j’atteste qu’à ma connaissance, Monsieur [R] [C] n’a été en relation directe avec [Y] [M] qu’une seule fois. ‘
En premier lieu, la cour relève que M. [U] est un salarié placé sous un lien de subordination et que ses dires ne sont pas corroborés par des éléments objectifs. Elle constate en second lieu qu’il reconnaît néanmoins l’existence d’un échange vif aux termes duquel M. [M] a demandé à plusieurs reprises à M. [C] de quitter son bureau puis le lui a ordonné fermement ce en présence de M. [U] et de M. [S] dont la cour observe que ni la qualité ni le témoignage ne sont produits aux débats.
En conséquence, la cour retient que la société ne produit pas d’élément objectif concernant ce fait.
Enfin, la cour relève que le salarié ne soutient pas de moyen au titre d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de sorte que les pièces produites par la société à ce titre ne sont pas opérantes. De même, les pièces au soutien du comportement du président directeur général avec d’autres salariés est inopérant, la cour devant rechercher dans le cadre de ce litige si M. [C] a été victime d’un harcèlement moral. En outre, le fait que M. [C] ne sollicite pas de dommages et intérêts au titre d’un harcèlement n’est pas de nature à conduire à son débouté quant à l’existence d’un harcèlement moral.
En conséquence, la cour retient que M. [C] a été victime d’un harcèlement moral.
Ce manquement est suffisamment grave s’agissant d’une atteinte à la personne pour empêcher la poursuite du contrat de travail de sorte que la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 19 août 2020, date du licenciement.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire
Par application de l’article 4.2 de la convention collective SYNTEC, il est dû à M. [C] la somme de 33 457,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 3 345,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents, sommes exactes et non contestées en leur montant.
Par application de l’article 4.5 de la même convention collective, son indemnité conventionnelle de licenciement est fixée à la somme de 48 167,25 euros dans la limite de sa demande. Ayant perçu une indemnité conventionnelle de licenciement de 42 236 euros, il lui reste dû la somme de 5 931,25 euros au paiement de laquelle la société sera condamnée.
Par application des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, la résiliation judiciaire prononcée produit les effets d’un licenciement nul.
Selon l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes notamment à un harcèlement moral dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4.
M. [C] soutient qu’il a subi un préjudice important dans la mesure où il est à la retraite depuis le 1er septembre 2020, qu’il perçoit une pension de 1 797,46 euros alors qu’il percevait un salaire moyen de 11 115,52 euros et qu’il souhaitait poursuivre son activité pendant plusieurs années.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [C], de son âge, 61 ans, de son ancienneté, 13 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, une somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul au paiement de laquelle la société sera condamnée.
La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.
Sur le rappel de rémunération variable
M. [C] soutient qu’un rappel de rémunération variable lui est dû sur le fondement de l’avenant au contrat de travail du 29 mars 2018 fixant sa rémunération variable. Il fait valoir qu’aucun objectif n’ayant été fixé par la société au titre de l’année 2019, l’intégralité de sa rémunération variable lui est dû y compris la majoration de 15% au prorata de son temps de présence soit jusqu’au 3 octobre 2019, somme dont il convient de déduire la somme de 3 877,15 euros qu’il a perçue à ce titre au mois de juin 2020.
La société soutient qu’aucun rappel de salaire n’est dû à ce titre au salarié. Elle fait valoir que la mention manuscrite apposée sur l’entretien d’évaluation a été portée par M. [C], que des objectifs ont été fixés pour l’année 2019 et qu’il a perçu une prime à hauteur des objectifs qu’il avait atteints.
Aux termes de l’avenant du 29 mars 2018, ‘ (…) À compter du 1er avril 2018 le salarié perçoit au plus tard dans le mois qui suit l’arrêté des comptes de la société une part variable plafonnée à 15 % de sa rémuneration fixe annuelle brute (indice salarial x valeur du point d’indice au 31/12 de l’année de référence x 13) si les objectifs sont atteints. Cette part variable, calculée au prorata du temps de présence sur l’année de référence, est fondée sur des critères quantitatifs et/ou qualitatifs selon la note en vigueur dans la Société. Le plafond de 15 % de la rémunération fixe annuelle brute peut être porté jusqu’à 30 %, calculé au prorata du temps de présence sur l’année de référence, si les objectifs quantitatifs individuels ont été dépassés selon les critères définis. Ces critères sont évalués en fonction de la réalisation des objectifs fixés au cours de l’entretien d’évaluation de l’année précédente. Ils sont appréciés à la clôture de chaque exercice.(…) ‘.
M. [C] produit aux débats un entretien annuel d’évaluation 2019 fixant des objectifs pour cette année sur lequel est indiqué de manière manuscrite ‘ objectifs annulés en attendant le nouveau directeur du développement (08/2019) ‘. La société verse aux débats le même document ne comportant pas cette mention et un document (pièce 27 de la société) sur lequel apparaissent des dates d’entretien, des noms d’évaluateurs et le mot ‘ validité ‘ dans la colonne statut dont elle déduit que les objectifs pour l’année 2019 fixés au salarié ont été maintenus et validés par M. [X] dans l’outil interne e-RH Talents. Cependant, la cour constate que ce document n’est pas authentifié, qu’il ne comporte pas le nom de M. [C] et que, parmi les dates d’entretien indiquées, ne figure pas celle de son entretien soit le 27 mai 2019. Par contre, M. [C] produit aux débats un mail de M. [G] du 14 juin 2019 adressé à plusieurs personnes dont l’appelant et qui leur propose d’indiquer dans la partie commentaire du formulaire dans l’outil Talent RH : ‘Validation des objectifs 2018 En revanche, pour l’année en cours 2019, attente proposition des objectifs par le futur directeur développement qui sera mis en place à compter du 01/08/2019. ‘ Il ajoute : ‘ En effet, suite entretien avec le PDG, il m’a confirmé qu’il n’avait pas validé les objectifs DD pour 2019 et que les objectifs seront validés uniquement par le prochain directeur développement [K] [U] (…). Je mets en copie de ce mail [F] [H] de la DRH qui suit une partie de ce dossier. (…).’ Il résulte de ce mail rédigé par un membre de la direction, celui-ci occupant les fonctions de directeur du développement Arabie Saoudite, et adressé à un membre du service des ressources humaines, que les objectifs pour l’année 2019 étaient en attente de fixation et aucun élément produit ne permet de retenir qu’ils ont été fixés ultérieurement.
Dès lors, la cour retient que les objectifs pour l’année 2019 n’ont pas été fixés à M. [C] et qu’en conséquence, la rémunération variable afférente lui est due dans sa totalité.
Par application des stipulations de son contrat de travail et compte tenu de la rémunération à prendre en compte (salaire de base augmenté du treizième mois), il lui était dû la somme de 23 325,12 euros, M. [C] tenant compte de son absence à compter du 3 octobre 2019, dont il convient de déduire la somme de 3 877,15 euros déjà perçue de sorte qu’il lui reste dû la somme de 19 447,97 euros à titre de rappel de rémunération variable pour l’année 2019 outre la somme de 1 944,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents au paiement desquelles la société sera condamnée.
La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.
Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi
Conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner à la société Défense Conseil International de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [C] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d’indemnités.
Sur le cours des intérêts
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation à l’exception du rappel de rémunération variable et de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents qui produisent intérêts à compter du 8 janvier 2021, date de leur première demande, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie perdante, la société sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a mis les dépens à la charge du salarié.
La société sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre.
La société sera déboutée de sa demande à ce titre, la décision des premiers juges étant confirmée à cet égard.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société Défense Conseil International de sa demande au titre des frais irrépétibles,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 19 août 2020,
Dit qu’elle produit les effets d’un licenciement nul,
Condamne la société Défense Conseil International à payer à M. [R] [C] les sommes suivantes :
– 33 457,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 3 345,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;
– 5 931,25 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 19 447,97 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la part variable pour l’année 2019 ;
– 1 944,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents ;
– 90 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
– 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
avec pour les créances salariales intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation à l’exception du rappel de rémunération variable et de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents qui produisent intérêts à compter du 8 janvier 2021, date de leur première demande, et pour les créances indemnitaires à compter de la présente décision ;
Ordonne à la société Défense Conseil International de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [R] [C] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d’indemnités,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Défense Conseil International aux dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE