2 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/07585
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRET DU 02 MARS 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/07585 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGHYZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juillet 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 21/08873
APPELANTE
Madame [D] [X]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Frank PETERSON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1288
INTIMÉE
S.A.R.L. ARION
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Elvire DE FRONDEVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B1185
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Olivier FOURMY, Premier Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre
Madame ALZEARI Marie-Paule, Présidente
Madame LAGARDE Christine, conseillère
Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [D] [X] a été embauchée par contrat écrit à durée déterminée, du 15 mars 2017 au 14 mars 2018, selon elle, en qualité de secrétaire, par la société Arion SARL (ci-après, la ‘Société’).
L’entreprise emploie moins de dix salariés et relève de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques (dite ‘Syntec’).
Mme [D] [X] a ensuite opté, – et selon elle, sur les conseils de la gérante de la Société -pour le statut d’auto-entrepreneur.
Par courriel en date du 8 mai 2020, Mme [X] a pris acte de la rupture de sa relation contractuelle avec la Société.
Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins de voir requalifier la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée.
Par jugement en date du 1er juillet 2022, le conseil de prud’hommes a dit que Mme [X] est prestataire de service et s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Mme [X] a saisi le premier président de la cour d’appel de céans afin d’être autorisée à assigner la Société à jour fixe.
Sur autorisation délivrée le 12 septembre 2022, assignation a été délivrée à la Société, par laquelle Mme [X] sollicite la cour de :
– infirmer le jugement entrepris,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
– déclarer le conseil de prud’hommes de Paris compétent pour statuer sur ses demandes ;
Et pour une bonne justice,
– évoquer le fond de l’affaire ;
– requalifier la relation contractuelle entre elle et la Société en contrat de travail à durée indéterminée ;
– requalifier la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– fixer la moyenne des salaires à la somme de 2 571 euros ;
– condamner la Société au paiement des sommes suivantes :
5 142 euros pour indemnité compensatrice de préavis
514,20 euros pour les congés payés y afférents
2 008,59 euros d’indemnité de licenciement
10 284 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
9 255,60 euros d’indemnité compensatrice de congés payés
925,56 euros de rappel de prime de vacances SYNTEC
15 426 euros d’indemnité pour travail dissimulé
10 000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,
avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes ;
– ordonner sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document la remise des bulletins de paie, certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi conformes à compter du « prononcé du jugement à intervenir » ;
– condamner la Société aux entiers dépens y compris ceux dus au titre d’une nouvelle exécution par voie légale en application des articles 10 et 11 des décrets du 12 décembre 1996 et du 8 mars 2001 relatifs à la tarification des actes d’huissiers de justice ;
– condamner la Société au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 16 décembre 2022 et soutenues à l’audience, la Société demande à la cour de :
A titre principal,
– juger l’absence de contrat de travail entre elle est Mme [X], l’appelante ne renversant par la présomption de non salariat ;
– confirmer le jugement de première instance ;
– se déclarer incompétente au profit du tribunal de commerce de Paris ;
En conséquence,
– débouter Mme [X] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner Mme [X] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A titre infiniment subsidiaire,
– juger prescrites les demandes afférentes à la rupture du contrat de travail, à savoir ;
5 142 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
514,20 euros au titre des congés payés y afférents
2 008,59 euros bruts au titre de l’indemnité de licenciement
10 284 euros bruts au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– ramener le salaire mensuel de référence à de plus justes proportions et tout au plus à la somme de 2 020 euros bruts ;
– débouter Mme [X] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner Mme [X] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
MOTIFS
Mme [X] soutient en particulier que le juge doit prendre en compte la réalité de la relation de travail et rechercher l’existence des trois conditions nécessaires à l’établissement d’un contrat de travail : une activité, une rémunération, un lien de subordination.
En l’occurrence, la relation de travail a débuté par la signature d’un contrat de travail. Mme [X] relève qu’elle s’occupait tous les jours de l’entreprise à heures fixes pour une durée identique de 27,5 heures par semaine et qu’elle « communiquait avec l’adresse courriel de (Mme [C], la gérante) en signant avec le nom [X] et celui de la société ARION ». Elle se présentait comme la subordonnée de Mme [C] Si « elle était contrainte de fixer un rendez-vous en dehors de ses heures de travail », elle devait demander à Mme [C] de la « libérer ».
Elle percevait une rémunération forfaitaire de 2 000 euros nets, soit 2 571 euros bruts par mois, rémunération inchangée pendant trois ans.
C’est la Société qui l’a convaincue d’accepter le statut d’auto-entrepreneur.
Elle n’avait pas d’autres clients que la Société. Les ‘clients’ cités par la Société sont en réalité des clients de celle-ci, « que Madame [X] facturait pour le compte de la société ARION qui ensuite déduisait les sommes perçues des sommes qu’elle devait à Madame [X] ».
Mme [X] développe ensuite ses arguments relatifs à la rupture du contrat de travail et aux demandes y relatives qu’elle forme.
La Société fait notamment valoir, pour sa part, que Mme [X] a créé, dès le 1er septembre 1984, un statut d’auto-entrepreneur « individuel spécialisé dans le secteur d’activité du conseil pour les affaires et autres conseils de gestion », a occupé des mandats au sein d’autres sociétés, s’est inscrite comme auto-entrepreneur au mois de mars 2017, alors qu’elle « rédigé de nombreux actes dans le cadre de l’exercice d’auto-entrepreneur au bénéfice ce la » société de son ex-conjoint. Elle réside juste à côté des locaux de la Société.
La gérante de celle-ci, Mme [C], était âgée de 73 ans et très souvent absente de la capitale.
En l’occurrence, le lien de subordination n’est pas établi. Mme [X] a exclusivement réalisé des prestations de service au bénéfice de la Société, entre 2017 et 2020.
Un contrat de travail à durée déterminée avait été signé pour la période du 15 mars au 31 mars 2017.
Mme [X] ne renverse pas la présomption de non salariat.
En réalité, Mme [X] a « manifestement outrepassé ses prérogatives et s’est comportée comme un dirigeante de fait aux côtés de (Mme [C]), dirigeante de droit de la société ARION ». Les deux parties avaient d’ailleurs évoqué la reprise de la Société par Mme [X] lorsque Mme [C] prendrait sa retraite.
De plus, la Société n’était pas la seule cliente de Mme [X], qui « effectuait également des prestations de service pour les sociétés de sa famille ».
La Société conclut plus avant, à titre subsidiaire, sur les demandes de Mme [X].
Sur ce,
En droit, le contrat de travail n’étant défini par aucun texte, il est admis qu’il est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié.
La qualification de contrat de travail étant d’ordre public et donc indisponible, il ne peut y être dérogé par convention. Ainsi, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, l’office du juge étant d’apprécier le faisceau d’indices qui lui est soumis pour dire si cette qualification peut être retenue.
En outre, Aux termes de l’article L. 8221-6 du code du travail :
I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L.214-18 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. (…)
Il résulte de ces dispositions une présomption simple de non-salariat, qui supporte la preuve contraire.
En l’espèce, il est constant que la Société et Mme [X] ont entendu recourir à un contrat unique d’insertion, prévu pour la période du 15 mars 2017au 14 mars 2018, une demande étant adressée en ce sens tandis qu’un contrat à durée déterminée était signé entre les parties.
Il a été mis fin à ce contrat dès le 31 mars 2017, l’abattement de charges attendu par la gérante de la Société en employant Mme [X], alors chômeuse, ne s’étant pas vérifié.
Le 5 avril 2017, le centre de formalités des entreprises a écrit à Mme [X] pour lui indiquer que sa télédéclaration de création ‘Autoentrepreneur’ avait été prise en compte.
Par courriel en date du 8 mai 2020, Mme [X] a écrit à Mme [C] : « Le statut d’auto entrepreneur auquel j’ai consenti m’apparaissant de plus en plus précaire au vu de notre dernière conversation téléphonique (virement d’avril dont vous m’informez ce jour qu’il correspondait à une avance financière, continuation des horaires de confinement en mai). Il me semble plus judicieux dans l’état actuel des choses de mettre fin à notre collaboration et de prendre de longues vacances pour me reposer et chercher un emploi de salarié qui m’assurera des indemnités chômage en cas de pépins, une retraite un peu plus décente que celle d’auto entrepreneur et 5 semaines de congés payés » (souligné comme dans le courriel).
La seule lecture de ce courriel suffirait à caractériser que c’est en toute connaissance de cause que Mme [X] a décidé d’avoir recours (peu important à cet égard que ce soit en accord avec Mme [C], puisque précisément, l’idée était que la relation se poursuive mais dans un autre cadre que celui du salariat) puis de mettre fin à son activité d’auto-entrepreneur en relation avec la Société.
La cour doit ajouter qu’il est constant que Mme [X] avait déjà créé un statut d’auto entrepreneur en 1984, entreprise qui avait été seulement ‘mise en sommeil’ le 28 février 1985 et il n’est pas contesté qu’elle est intervenue, à divers titres, pour gérer ou aider à la gestion des entreprises de sa famille ou de son ex-conjoint. L’entreprise est d’ailleurs immatriculée pour l’activité ‘conseil pour les affaires et autres conseils de gestion’.
Les tableaux dressés par Mme [X] montrent qu’elle adressait des factures à différentes sociétés, pour des montant variables. Si le total de ces factures se situe le plus souvent à hauteur de 2 000 euros, il se révèle souvent sensiblement plus élevé (voir notamment les totaux de décembre 2017, octobre et décembre 2018, janvier, avril, juillet, octobre, décembre 2019). Il importe peu, à cet égard, que les sociétés clientes en cause aient pu être proches, à un titre ou à un autre, de la Société ou de sa gérante.
Ce qui importe est que, contrairement à ce que suggèrent les écritures de Mme [X], celle-ci avait bien plusieurs clients, auxquels elle adressait des factures d’un montant variable.
La production d’un seul courriel, daté 10 janvier 2019, dans lequel Mme [X] indique qu’elle demandera « si nécessaire » à Mme [C] de la « libérer » pour pouvoir un rendez-vous avec un avocat est insuffisant à démontrer que Mme [X] était soumise à l’autorité de la gérante de la Société.
En effet, outre que celle-ci était souvent absente de [Localité 3], compte tenu de sa situation familiale et de ses occupations professionnelles par ailleurs, Mme [X] affirme qu’elle ne serait disponible, tous les jours, qu’entre 13h et 15h, alors même que tous les éléments du dossier montrent que, quel que soit le statut qui devrait être retenu, elle ne travaillait qu’à temps partiel.
Et répondre à un interlocuteur qu’elle ne peut pas déjeuner parce qu’elle « mange avec (son) boss » ne saurait caractériser un lien de subordination, surtout compte tenu du ton de l’échange.
En tout état de cause, Mme [X] ne soumet aucun document, aucun message électronique, aucun tableau d’emploi du temps, qui permettrait de caractériser qu’elle recevait des ordres, était contrôlée dans son temps de travail, devait soumettre ses demandes d’absence ou de congés.
Le courriel échangé entre Mme [C] et M. [P] [T]., s’il permet de démontrer que Mme [X] a véritablement accompli un travail et que ce travail était de qualité, ne permet en aucune mesure d’établir un lien de subordination. D’ailleurs, Mme [C] écrit que si Mme [X] avait été salariée, elle l’aurait « mise d’office au chômage partiel » afin de pouvoir moins la rémunérer.
De l’ensemble de ce qui précède il résulte que le lien de subordination invoqué par Mme [X] n’est pas établi.
En l’absence de relation de travail salariée, le jugement entrepris mérite confirmation.
La question de l’évocation et de la réponse aux différentes demandes formées par Mme [X] ne se pose donc pas.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile b
Mme [X], qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens.
Elle sera condamnée à payer à la Société une somme de 2 500 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande à cet égard.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en date du 1er juillet 2022 du conseil de prud’hommes de Paris ;
Condamne Mme [D] [X] aux dépens ;
Condamne Mme [D] [X] à payer à la société Arion une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [X] de sa demande d’indemnité à ce titre ;
Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.
La greffière, Le président,