COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023
N° RG 21/01731 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GZBK
[M] [O]
C/ S.A.R.L. SKIINFO.FR dont l’ancien siège social encore mentionné au RCS est sis [Adresse 3], actuellement en cours de modification auprès du RCS
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 28 Juillet 2021, RG F 20/00162
APPELANT ET INTIME INCIDENT
Monsieur [M] [O]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Laurence MAYBON, avocat au barreau d’ANNECY
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
S.A.R.L. SKIINFO.FR dont l’ancien siège social encore mentionné au RCS est sis [Adresse 3], actuellement en cours de modification auprès du RCS
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée Me Guillaume BAUFUME de la SARL GUILLAUME BAUFUME, avocat postulant, inscrit au barreau de CHAMBERY
et par Me Jilali MAAZOUZ, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, et substitué par Me Anne-Lorraine MEREAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 17 Novembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président, chargé du rapport
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Sophie MESSA,
Copies délivrées le :
********
FAITS ET PROCÉDURE
M. [M] [O] a été engagé par la société Skiinfo.fr sous contrat à durée indéterminée à compter du 11 décembre 2000 en qualité d’attaché commercial.
Il a été promu cadre en juillet 2007 position 1.1 coefficient 95 de la convention collective Syntec.
La société exploite un site internet qui promeut le ski dans les stations de ski françaises, nord-américaines et européennes.
Elle fait partie du groupe MNC, ainsi que trois autres sociétés basées en Allemagne, en Italie et en Slovaquie.
Le salarié percevait au dernier état de la relation contractuelle un salaire mensuel moyen brut de 4959,34 €.
L’effectif de la société est de quatre salariés.
Le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique fixé au 17 juin 2020 par lettre du
Un contrat de sécurisation professionnelle a été soumis au salarié le 16 juin 2020.
Le salarié a accepté ce contrat le 1er juillet 2020.
Le contrat a été rompu par lettre du 6 juillet 2020.
Les documents de fin de contrat (solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle emploi) ont été remis au salarié.
Ce dernier a perçu une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de congés payés et un rappel de commissions.
Contestant son licenciement, M. [O] a saisi le conseil des prud’hommes d’Annecy le 29 juillet 2020 à l’effet d’obtenir un rappel d’heures supplémentaires, une indemnité de préavis, et des dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Par jugement du 28 juillet 2021 le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement reposait sur une cause économique réelle et sérieuse et a débouté le salarié, et a laissé à sa charge les dépens.
M. [O] a interjeté appel par déclaration du 27 août 2021 au réseau privé virtuel des avocats.
Par conclusions notifiées le 30 mars 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens M. [O] demande à la cour de:
– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société Skiinfo.fr de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– constater que de nombreuses heures supplémentaires ont été effectuées sans rémunération,
– constater que le salarié a subi un travail dissimulé,
en conséquence,
– condamner la société Skiinfo.fr à lui payer les sommes suivantes :
* 957,27 € bruts et 95,72 € de congés payés au titre des heures supplémentaires 2017,
*2193,43 € bruts et 219,34 € de congés payés au titre des heures supplémentaires 2018,
*3376,90 € bruts et 337,69 € de congés payés au titre des heures supplémentaires 2019,
* 676,45 € bruts et 67,64 € de congés payés au titre des heures supplémentaires 2020,
* 14 878,02 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1487,80 € de congés payés afférents,
* 74 390,10 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* 29 756,04 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
* 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la société Skiinfo.fr aux dépens.
Il expose en substance que la société fait partie d’un groupe, la société en Allemagne Mountains news Gmbh appartenant au groupe américain Vail Ressorts exploitant 37 stations de ski dans le monde entier.
La société Skiinfo.fr était bénéficiaire en juin 2020.
A la lecture des motifs du licenciement évoquant que l’Ebitda, indicateur financier américain serait négatif en 2021, de l’anticipation d’un Ebitda négatif en 2020 et d’une estimation de baisse du chiffre d’affaires, l’employeur n’avait aucune justification économique avérée et certaine, c’est à dire réelle et sérieuse pour le licencier.
Il était mentionné que la fermeture de l’entreprise était envisagée et que la cessation d’activité était potentielle.
Il n’a reçu aucune explication lors de l’entretien préalable, la lettre de licenciement lui a été lu en anglais, et traduite par un traducteur.
Il n’a reçu aucune proposition de reclassement.
Après avoir rappelé les règles du licenciement économique, de la cessation d’activité, du transfert du contrat de travail, de l’information préalable des salariés en cas de cession, et la jurisprudence de la chambre sociale en matière de licenciement économique, et de légèreté blâmable dans le cas de la fermeture d’une filiale in bonis au seul motif d’améliorer la rentabilité (Cass soc 1er février 2011 n° 10-30. 045), il soutient que les difficultés économiques ne sont pas avérées.
La société a été toujours rentable au vu des chiffres d’affaires des exercices de 2017 à 2019 et du bénéfice net positif au cours de ces années.
Il est normal que le chiffre d’affaires ait baissé puisqu’un trimestre de mai à juillet a été tronqué et que l’avant dernier trimestre a été aussi tronqué par le soudain confinement du 17 mars 2020.
La société ne connaissait aucune difficulté financière et était leader sur le marché français de l’information sur les conditions de ski.
D’ailleurs tous les postes d’immobilisation (locaux, véhicule, parc informatique) ont été renouvelés quelques mois avant les licenciements.
Les prétendus difficultés économiques exposées par la lettre de licenciement devront être établies par l’employeur qui n’a évoqué que des hypothèses de baisse de chiffres d’affaires.
En outre ces difficultés concernaient le groupe MNC et non la société.
Bien que l’activité du ski ait été impactée par la crise sanitaire, le secteur a bénéficié d’un soutien financier massif de l’Etat, ce dont la société n’a pas cherché à bénéficier.
La baisse de rentabilité est liée à la légèreté blâmable de l’employeur.
La cessation d’activité ne peut résulter d’une attitude fautive ou d’une légèreté blâmable de l’employeur.
La trésorerie de la société a servi à combler le déficit des autres sociétés du groupe. Cela aurait pu servir à supprimer les difficultés économiques alléguées.
Le groupe Vail Resort a aussi facturé sans raison ou sur facturé la société, ce qui a amoindrie sa trésorerie.
La société a d’ailleurs subi à ce sujet un redressement fiscal en décembre 2018 de 100 000 € pour la période 2014/2016.
En outre la société n’avait aucune vision stratégique de son activité, ni de gouvernance cohérente, elle n’a réalisé aucun investissement marketing en huit années, a baissé son budget création, a très peu investi dans les réseaux sociaux pourtant stratégiques dans un environnement concurrentiel, a réduit le nombre de vendeurs.
Si une baisse de rentabilité a pu être identifiée au cours de la dernière année, elle résulte de la mauvaise gestion de la société et de sa légèreté blâmable.
Cette légèreté est aussi caractérisé par le refus de bénéficier de mesures d’activité partielle lors du confinement.
La cessation d’activité annoncée n’a pas eu lieu, et le deuxième élément causal fait donc défaut.
En réalité la véritable cause du licenciement réside dans le fait que le groupe Vail Resort voulait vendre son activité en licenciant au préalable les salariés.
Aucune cessation d’activité n’était en réalité projetée et la société devait être cédée.
Les salariés licenciés n’ont pas été au préalable informés de cette cession alors que l’article L 2310-1 du code de commerce prévoit cette information.
Deux salariés licenciés ont toutefois fait valoir leur candidature mais la société n’a pas donné suite.
M. [S] [U] qui a racheté l’ensemble des sociétés du groupe MNC avait la volonté d’acquérir la société Skiinfo.fr mais a tardé en raison du risque de condamnation de la société devant le conseil des prud’hommes.
Depuis le 8 décembre 2020, M. [U] a racheté la société en obtenant manifestement une garantie du passif de la part de Vail Resorts.
Au jour des licenciements, le cessionnaire la société Vail Resorts n’a jamais eu l’intention de cesser l’activité du groupe MNC et de la société Skiinfo.fr. La société Vail Resorts et la société Skiinfo.fr ont orchestré une fraude à l’article L 1224-1 du code du travail, en licenciant trois des quatre salariés avant la cession.
Les salariés licenciés ont été remplacés.
Il subit un préjudice important, il avait une ancienneté de vingt années, et n’a toujours pas retrouvé d’emploi.
Il n’est plus couvert par le dispositif du CSP depuis le 8 juillet 2021.
Compte tenu de ces éléments et de la mauvaise foi de l’employeur, la cour devra appliquer le maximum du barème de l’article L 1235-3 du code du travail.
Il a aussi droit à une indemnité compensatrice de préavis.
Il a effectué de très nombreuses heures supplémentaires, notamment le soir à cause du décalage horaire avec les Etats-Unis au cours des hivers.
Il produit des tableaux année par année établis avec les mails qu’il a envoyé en dehors de ses heures de travail rémunérées.
L’employeur ne verse aucun élément sur le temps de travail et se contente de contester l’utilité des mails plusieurs années après alors qu’il était nécessaire d’être réactif ce qui entraînait une amplitude horaire de travail importante.
Le travail dissimulé est constitué, l’employeur ne pouvant ignorer les heures supplémentaires.
Par conclusions notifiées le 4 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, la société Skiinfo.fr demande à la cour de confirmer le jugement sauf sur le rejet de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,, de débouter le salarié de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et de travail dissimulé et de condamner M. [O] à lui payer une somme de 3000 €au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et le condamner aux entiers dépens.
Elle fait valoir que le chiffre d’affaires et l’Ebitda étaient en baisse constantes ; l’Ebitda est l’expression américaine de l’excédent de bénéfice brut avant intérêts et impôts.
Le chiffre d’affaires s’est dégradé et l’Ebitda devrait être négatif en 2021.
En raison de nombreux concurrents et de l’évolution rapide du marché, le modèle commercial et l’approche produit sont devenus obsolètes et MNC n’était plus en situation de suivre le rythme du secteur.
L’activité de la société est fortement liée à celle de MNC car elle n’a qu’une activité commerciale consistant en des fonctions de production de contenu et de comptabilité avec le soutien des Etats-Unis pour l’informatique et le développement et les opérations publicitaires.
Sans ce soutien la société ne peut fonctionner, et le projet de réorganisation de MNC a eu un impact direct sur la société.
Les indicateurs financiers se sont dégradés.
Pour 2019, l’Ebitda était de 165 784 € alors que sur l’exercice précédent il était de 326 422 € soit une variation de – 49 %.
En 2020 l’Ebitda était de 157 182 € soit une variation, de – 8602 € par rapport à 2019.
La réduction du chiffre d’affaires entre 2019 et 2020 est de – 394 461 € soit – 42,8 %.
Il suffit que la durée de baisse du chiffre d’affaire comparée au chiffre d’affaires de l’année précédente à la même période soit d’au moins un trimestre, ce qui est le cas en l’espèce puisque entre 2019 et 2020 la baisse concerne les quatre trimestres de l’année.
Elle a constaté en outre que la crise sanitaire entraînant une diminution du tourisme allait gravement obérer son activité déjà en baisse.
Les aides mises en place ne concernaient pas la société au début de leur mise en place et ne permettaient qu’une indemnisation partielle des préjudices subis.
Le fait qu’une cessation d’activité envisagée ne soit pas intervenue n’enlève en rien la réalité des difficultés économiques. La cessation d’activité n’est pas en l’espèce la cause économique.
Si les difficultés économiques ne doivent pas résulter d’une attitude intentionnelle ou frauduleuse de l’employeur, le juge n’a pas à contrôler les choix de gestion de l’employeur et la faute doit être particulièrement caractérisée.
La faute de gestion ne prive pas forcément un licenciement de cause réelle et sérieuse, et la faute doit avoir un lien de causalité avec les difficultés rencontrées.
La pratique des ‘Management Fees’ consistant dans la fourniture de prestations relatives à la direction, à la stratégie, à l’organisation est licite et admise lorsque leur montant n’est pas surévalué et que la prestation est réelle.
Le salarié met en cause les facturations de prestations sur la période 2014/2016 établies par le groupe Vail Resort.
Si l’administration fiscale a opéré un redressement, c’est en raison d’une erreur de déduction de taux, la société a en effet déduit 40 % des managements fees du résultat imposable au lieu de déduire 30 %.
Cette erreur ne concerne en rien une stratégie d’appauvrissement de la société Skiinfo.fr, et il n’y avait aucune opération de Cash Pooling ou de remontées de bénéfices via des managements Fees.
Aucune sur facturation n’est à déplorer. Elle a justifié de sa gestion à l’administration fiscale.
Sur la pratique du cash pooling, ce système permet la gestion centralisée des comptes de filiales d’un même groupe et la trésorerie des filiales est centralisée au sein d’un e
entité et la filiale détient une créance, et les fonds étaient disponibles. Ce système n’a appauvri en rien la société et aucune faute ne peut lui être reprochée.
Le salarié critique les choix de gestion qui sont de la prérogative de l’employeur et qui ne peuvent constituer une légèreté blâmable.
Sur la prétendue volonté cachée du groupe MNC de céder la société à moindre frais, l’acquisition de la société par M. [U] est intervenue bien après la rupture du contrat de travail.
Le motif économique s’apprécie lors de la rupture du contrat de travail et tout élément postérieur devra être écarté.
Ce n’est qu’après la rupture que des repreneurs se sont manifestés et il n’y a eu aucun stratagème de la société et du repreneur.
A la date de la rupture, aucune cession n’était envisagée, et c’est pourquoi aucune information n’a été délivrée sur la cession au moment de la rupture sur le fondement de l’article L 23-10-1 du code de commerce.
Enfin, l’article L 1224-1 du code du travail n’avait pas vocation à s’appliquer. Il n’y avait pas de transfert d’une entité économique autonome et de maintien de l’identité de l’entité transférée avec poursuite ou reprise de l’activité de cette entité par le repreneur.
Le changement d’actionnaire ne constitue pas un transfert d’une entité ou d’une activité.
La partie adverse cite des arrêts relatifs à un transfert d’activité et non à un simple changement d’actionnaire.
Le préjudice résultant du licenciement n’est pas établi.
La demande de paiement du préavis est infondée, le salarié ayant fait le choix de la CSP.
Sur les heures supplémentaires, le salarié n’apporte pas la preuve explicite d’une demande de l’employeur, et ne fournit pas plus la preuve d’un accord même implicite.
Il ne prouve pas que les heures supplémentaires étaient nécessaires.
Le salarié n’a jamais demandé le paiement d’heures supplémentaires pendant dix neuf années de travail.
Le salarié ne fournit pas d’éléments précis quant aux heures qu’il aurait effectué.
Les mails produit n’établissent aucune urgence et ne sont que des brefs échanges. Certains portent sur des sujets personnels. Ils sont rédigés à l’initiative du salarié.
Ils ne constituent pas des éléments suffisants permettant de justifier l’accomplissement d’heures supplémentaires.
Le travail dissimulé n’est pas établi en l’absence d’heures supplémentaires. En tout état de cause, l’élément intentionnel n’est pas caractérisé.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 2 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement économique
Aux termes de l’article L 1233-3 du code du travail, ‘constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés’.
Le contrat a été rompu par lettre du 6 juillet 2020 après acceptation du salarié du contrat de sécurisation professionnelle.
L’employeur dans ce courrier rappelle les motifs économiques l’ayant amené à envisager la rupture du contrat de travail et qui avaient été exposés au salarié dans une note du 16 juin 2020.
Il rappelle le contexte économique relatif à MNC possédant des entités juridiques opérationnelles aux Etats Unis, en France et en Allemagne, que les performances financières sont à la baisse, en dépit de la réduction des coûts, que le chiffre d’affaires s’est dégradé et que l’EBITDA pour l’exercice 2021 devrait être négatif avec un impact supplémentaire causé par les répercussions de la pandémie Covid-19.
L’employeur ajoute que :
– la société a de nombreux concurrents et que du fait de l’évolution rapide du marché et de la technologie, le modèle et ses produits étant devenus obsolètes, elle n’est pas en mesure de suivre le rythme du secteur,
– la société subit une érosion des marges, le paysage marketing s’étant déplacé vers des programmes à rendement plus faible, l’engagement des utilisateurs a chuté depuis 2016 mettant à mal le trafic et la collecte des données, à mesure que les concurrents font progresser leurs services,
– la société est confrontée à des obstacles liés au RGPD et à la loi sur la protection du consommateur en Californie qui nécessitent un niveau élevé d’efforts et d’investissements pour faire évoluer les programmes en matière de confidentialité des données,
– en raison de la situation de crise telle qu’aggravée par la crise sanitaire, les salariés de MNC aux Etats Unis ont vu leurs contrats de travail suspendus ou leurs salaires réduits et leur plan retraite suspendu,
– le chiffre d’affaires et l’EBITDA de MNC sont en baisse constante en raison de la dynamique concurrentielle et de l’évolution rapide des marchés, le niveau de l’EBITDA actuel n’est dû qu’à la réduction des coûts et des effectifs.
L’employeur précise qu’au vu de ces difficultés économiques, une réorganisation est envisagée, et qu’un arrêt d’activité de MNC est envisagé d’ici fin 2020.
Il expose ensuite la situation économique de la société Skiinfo.fr comme suit :
‘Bien que le marché du numérique soit un marché en pleine croissance, il reste un marché en pleine évolution car les consommateurs sont difficilement fidélisés. Ces enjeux ont été compris et pris en compte par les entreprises captant la majeure partie du marché. L’activité de SKIINFO.FR est fortement lié à celle de MNC car elle n’a qu’une activité commerciale. Elle consiste en des fonctions de production de contenu et de comptabilité avec le soutien des Etats-Unis pour l’informatique/le développement(IT/Dev) et les opérations publicitaires.
Sans le soutien du service IT/Dev et opérations publicitaires de MNC, SKIINFO.FR et le site SKIINFO.FR ne pourraient pas fonctionner.
Le projet de réorganisation de MNC a donc un impact direct sur SKIINFO.FR.
Par ailleurs pour 2019, l’exercice s’est clôturé sur un EBITDA de 165 784 € contre un EBITDA de 326 422 € pour l’exercice précédent soit une variation de – 160 638 € (-49 %).
Pour 2020, SKIINFO.FR anticipe un EBITDA de 157 182 € soit une variation de – 8602 € pr rapport à 2019, en partie due à l’épidémie du Covid-19, qui, selon les estimations de SKIINFO.FR, réduira le chiffre d’affaires de 100 000 €.
Le chiffre d’affaires a considérablement diminué. L’environnement concurrentiel et la situation économique ont entraîné une réduction importante du chiffre d’affaires entre 2019 et les prévisions pour 2020 (tenant compte de l’impact du Covid-19) de 920 461 € à environ 526 000 €, soit une variation de – 394 461 € (- 42,8 %).
Sans tenir compte de l’impact de la pandémie Covid-19, la diminution du chiffre d’affaires entre 2019 et 2020 est estimée à -294 461 € (-31,96 %).
Pour faire face à la pandémie Covid-19, Skiinfo.fr a mis en place un gel des dépenses non essentielles, y compris les frais de déplacement et de séjour, toutes les dépenses de plus de 200 dollars devant être approuvées (à l’exception du loyer, de l’assurance et des charges fixes) et le télétravail.
Malgré les efforts déployés par SKIINFO.FR, sa situation économique est préoccupante.
A ce titre, et dans le cadre du projet de réorganisation globale de MNC, la fermeture de SKIINFO.FR est envisagée.
Après avoir précisé l’absence de possibilités de reclassement, l’employeur a confirmé que la rupture du contrat de travail prendra effet automatiquement à l’expiration du délai de réflexion, soit le 8 juillet 2020.
Au regard de ces éléments, le salarié a été parfaitement informé des difficultés économiques prises en compte par l’employeur pour le licencier pour motif économique avant d’accepter le contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
La situation telle qu’exposée par l’employeur porte sur des difficultés économiques rencontrées par la société. Il cite expressément la baisse du chiffre d’affaires et la baisse de la rentabilité (réduction de l’EBITDA).
L’EBITDA, notion comptable américaine signifiant ‘Bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement’ constitue un critère économique comparable à l’excédent brut d’exploitation, qui est l’un des critères pris en compte par l’article L 1233-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 n° 2016-1088.
L’article L 1233-3 permet de prendre en compte tout autre élément que la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation.
L’employeur est donc légitime à citer la réduction de l’Ebitda au titre des difficultés économiques.
Par ailleurs, il ressort du bilan de Skiinfo.fr que le résultat courant avant impôt était de 351571 euros en 2018, de 429949 euros en 2019. Le résultat net après impôt s’élevait à 234 105 € au 31 juillet 2018, 157 635 € en 2019, 79056 euros en 2020. Cependant, la baisse du résultat net entre 2018 et 2019 apparaît résulter d’une augmentation des impôts sur les bénéfices entre 2018 et 2019 (117316 euros en 2018, 264837 euros en 2019) qui ne peut trouver son origine que dans la transaction passée en décembre 2018 relative à un contentieux fiscal ayant conduit la société à verser aux impôts en 2019 une somme supplémentaire de 103969 euros.
Les ventes s’élevaient entre juillet 2017 et juillet 2018 à 872003 euros, à 920461 euros entre juillet 2018 et juillet 2019, à 642859 euros entre juillet 2019 et juillet 2020.
Les chiffres ci-dessus établissent que la société a connu une progression de son chiffre d’affaires et de son résultat courant avant impôt entre 2018 et 2019. Ce n’est qu’entre l’année 2019 et l’année 2020 qu’elle a enregistré une baisse significative de son chiffre d’affaires, ce pendant plus d’un trimestre, ce qui s’est traduit par une baisse de son résultat.
Il résulte de l’article 1233-2 du code du travail que tout licenciement économique est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il appartient ainsi au juge de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur.
Les bilans produits permettent de constater que :
– la société a accordé 30396 euros de prêts pour l’exercice 2019, et 687 503 euros pour l’année 2020,
– elle détenait sur l’exercice 2019 des créances pour un montant de 641 653 euros, et pour l’année 2020 de 170 220 euros,
– ses disponibilités se montaient à 253319 euros sur l’exercice 2019, 161 384 euros sur l’exercice 2020,
– ses réserves sont passées de 521905 euros pour l’exercice 2019 à 679 540 euros pour l’exercice 2020,
– ses dettes sont restées stables entre 2019 et 2020, passant de 154 099 euros à 163 638 euros,
– la société n’était pas déficitaire même à l’issue du premier confinement, puisqu’elle a enregistré à juillet 2020 un bénéfice net de 79 056 euros.
Il résulte de ces éléments qu’en dépit de la réduction significative du chiffre d’affaires de l’entreprise sur l’exercice 2020 et de la période de confinement ayant fortement diminué l’activité économique sur le dernier trimestre de l’exercice, Skiinfo.fr enregistrait néanmoins toujours un bénéfice net conséquent au terme de ce dernier. La société bénéficiait par ailleurs d’une assise financière solide, de garanties de solvabilité importantes avec notamment des capitaux propres, disponibilités et créances bien supérieures à ses dettes, éléments de nature à lui permettre de résister à la situation exceptionnelle provoquée par le Covid 19.
Il sera en outre relevé que la société, bien que soutenant au sein de la lettre de licenciement être dans une situation économique préoccupante, a consenti pour 687503 euros de prêts sur l’exercice 2020.
La société disposait en fait, à la date du licenciement, de sommes conséquentes immédiatement disponibles. En actionnant ses créances, réserves et autres disponibilités, elle pouvait sans aucune difficulté poursuivre son activité sans supprimer des postes, étant précisé que les charges de personnel (salaires et charges sociales) se montaient à environ 286000 euros pour l’exercice 2019-2020.
La viabilité financière de l’entreprise à la date du licenciement est attestée par le fait que celle-ci est toujours en activité et continue pleinement à fonctionner avec une salariée comptable et des contributeurs extérieursfreelance ou salariés de MNC.
L’employeur n’a produit aucune explication quant à ses éléments, qui conduisent à dire que les difficultés économiques soulevées par celui-ci, résidant dans la baisse significative du chiffre d’affaires et de l’EBITDA, ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement économique à la date où cette décision a été prise.
Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes afférentes.
Le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, la chambre sociale de la cour de cassation jugeant que ‘en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation de préavis et des congés payés afférents’. (Cass soc 30 novembre 2017, n° 16-24227).
Il sera dès lors alloué au salarié l’indemnité compensatrice de préavis demandée.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié percevait un salaire moyen de 4959,34 € et bénéficiait d’une ancienneté de vingt années.
Le barème de l’article L 1235-3 du code du travail prévoit pour 19 ans d’ancienneté un minimum de 3 mois de salaire et un maximum de 15 mois.
Le salarié n’est plus couvert par le contrat de sécurisation professionnelle et est toujours sans emploi.
Il subit dès lors un préjudice de perte d’emploi conséquent.
Au vu de ces éléments, il lui sera alloué des dommages et intérêts à hauteur de 64 471 € correspondant à treize mois de salaires.
Sur les heures supplémentaires
Il résulte de l’article L 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ; l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.
Au dernier état de la jurisprudence de la cour de cassation (Cass soc 18 mars 2020 n°18-10.919 P+B+R) ‘le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments’ ; après analyse des pièces produites par l’une et l’autre partie, ‘dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant’.
Le salarié produit aux débats de nombreux mails envoyés en soirée.
Le salarié reproduit dans ses écritures des récapitulatifs annuels en notant par semaine le nombre d’heures effectuées et le nombre d’heures supplémentaires.
Le nombre d’heures supplémentaires est régulièrement de 3 ou 4 heures jusqu’à 6 heures par semaine.
Ces heures correspondraient selon le salarié au temps passé pour traiter les mails qu’il recevait ou envoyait.
Le salarié ne justifie par aucune pièce avoir prévenu l’employeur qu’il devait envoyer ou répondre à des mails le soir après sa journée de travail et ne justifie pas de l’urgence à les rédiger et les envoyer immédiatement.
Aucune pièce ne permet d’apprécier le temps nécessaire pour rédiger ou répondre à un mail.
L’employeur avec ces éléments ne pouvait pas répondre de manière utile sur le temps de travail du salarié qui effectuait un horaire de travail au cours de la journée basé sur un temps de trente cinq heures.
Le salarié n’a jamais réclamé à l’employeur le paiement d’heures supplémentaires au cours de la relation de travail qui a duré plusieurs années.
La demande du salarié ne peut prospérer.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement du 28 juillet 2021 rendu par le conseil de prud’hommes d’Annecy sauf en ce qu’il a débouté M. [M] [O] de sa demande en paiement de rappel de salaires pour heures supplémentaires et congés payés afférents et indemnité de travail dissimulé ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,
CONDAMNE la société Skiinfo.fr à payer à M. [M] [O] les sommes suivantes:
* 14 878,02 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1487,80 € de congés payés afférents,
* 64 471 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
DÉBOUTE M. [O] du surplus de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ORDONNE d’office le remboursement par la société Skiinfo.fr à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [O] , du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
DIT qu’à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à Pôle Emploi Rhône-Alpes – service contentieux – [Adresse 2].
CONDAMNE la société Skiinfo.fr aux dépens de première instance et d’appel ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Skiinfo.fr à payer à M. [M] [O] une somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 02 Février 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président