19 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/09143
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 19 AVRIL 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09143 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CARCM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2019 -Conseil de Prud’hommes -Formation de départage de LONGJUMEAU – RG n°17/00598
APPELANTE
SA SILKAN en liquidation judiciaire depuis le 17 décembre 2019 par le tribunal de commerce
SELARL FIDES prise en la personne de Me [W] [V] es qualités de mandataire liquidateur de la SA SILKAN
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Makani KOUROUMA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1767
SCP ABITBOL & [J] prise en la personne de Me [J] [H] ès qualités d’administrateur judiciaire de la SA SILKAN
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représenté par Me Makani KOUROUMA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1767
INTIMEE
Madame [E] [B] [G]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282
PARTIE INTERVENANTE :
ASSOCIATION AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 7]
assigné le 23 octobre 2020 à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame NEMOZ-BENILAN Roselyne, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne MENARD, présidente
Madame Véronique MARMORAT, présidente
Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Sarah SEBBAK
ARRÊT :
– Réputé contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [E] [B] [G] a été engagée par la société HPC PROJECT (renommée SILKAN) le 17 septembre 2012, en qualité de Business Développement Manager sous un régime de forfait jours.
Le 26 septembre 2016, Madame [B] [G] a été en arrêt maladie et, à l’issue de la seconde visite de reprise le 19 décembre 2016, le médecin du travail l’a déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise, préconisant un reclassement dans un autre environnement.
Le 15 février 2017, la société SILKAN a proposé à Madame [B] [G] deux postes de reclassement situés à [Localité 9], le premier en qualité de Business développement Simulation Aéronautique, et le second en tant que Responsable Marketing et Communication.
Madame [B] [G] n’ayant pas répondu favorablement à ces propositions de reclassement, elle a été convoquée le 1er mars 2017 à un entretien préalable en vue d’un licenciement, fixé au 20 mars.
Le 23 mars 2017, la société SILKAN lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.
La convention collective applicable à la relation de travail est SYNTEC. À la date de la rupture, la Société SYLKAN employait habituellement plus de 10 salariés et Madame [B] [G] avait un salaire fixe mensuel de 4.750 euros bruts, plus une part variable de rémunération.
Le 13 septembre 2017, Madame [B] [G] a saisi le Conseil de Prud’hommes de Longjumeau pour contester son licenciement et en paiement de diverses sommes.
Par jugement du 14 juin 2019, le Conseil de Prud’hommes, en formation de départage,
a condamné la Société SYLKAN à payer à Madame [B] [G] , avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2017 :
– 10.011,28 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 20 janvier au 23 mars 2017 et les congés payés afférents ;
– 776,16 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de remise de l’attestation employeur
-15.000 euros au titre de la rémunération variable 2015 et la même somme au titre de la rémunération variable 2016.
Il a ordonné la remise d’un bulletin de paie récapitulatif et de documents de fin de contrat conformes, condamner la Société SYLKAN à payer à Madame [B] [G] 1.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et rejeter toutes les autres demandes des parties.
Le 22 août 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la Société SYLKAN et désigné en qualité d’administrateur judiciaire la SCP ABITBOL & [J] et en qualité de mandataire judiciaire, la société FIDES, prise en la personne de Me [W].
Le 26 août 2019, la Société SYLKAN et son administrateur judiciaire, la SCP ABITBOL & [J] prise en la personne de Maître [H] [J], ont interjeté appel de la décision.
Le 17 décembre 2019, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la Société SYLKAN, la Société FIDES prise en la personne de Me [V] [W] étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Par ses dernières conclusions du 26 novembre 2019 auxquelles il est expressément renvoyé en ce qui concerne ses moyens, la société FIDES, intervenant volontaire es qualités de mandataire liquidateur de la Société SILKAN, demande à la cour d’infirmer la décision du conseil de prud’hommes sur les condamnations prononcées au titre du défaut de transmission de l’attestation Pole Emploi et des rémunérations variables, ainsi qu’en ce qu’il a débouté la société de sa demande reconventionnelle, de débouter Madame [B] [G] de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, outre la somme de 3.000 euros pour les frais irrépétibles exposés en appel, en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions du 21 février 2020 auxquelles il est expressément renvoyé en
ce qui concerne ses moyens, Madame [B] [G] demande à la cour de confirmer le jugement sur les condamnations prononcées, de l’infirmer pour le surplus et de fixer sa créance au passif de la société SILKAN aux sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation :
– 10.000 Euros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de
sécurité ;
– 14.250 Euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
– 40.000 Euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 10.011,28 Euros bruts de rappel de salaire pour la période du 20 janvier au 23
mars 2017, et les congés payés afférents ;
– 2.000 Euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du
non-paiement du salaire à compter du 20 janvier 2017 ;
– 776,16 Euros de dommages et intérêts pour défaut de transmission de
l’attestation employeur ;
– 15.000 Euros bruts de rappel de rémunération variable pour l’année 2015 ;
– 15.000 Euros bruts de rappel de rémunération variable pour l’année 2016 ;
– 1.168,33 Euros bruts d’indemnité compensatrice de jours RTT ;
– 1.500 Euros d’indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du
code de procédure civile au titre de la première instance et 2.500 Euros au
titre de la procédure d’appel.
Elle demande que ces sommes soient déclarées opposables aux AGS CGEA IDF OUEST et sollicite la remise d’un bulletin de paie récapitulatif et les documents de fin de
contrat de travail conformes à la décision à intervenir.
Le CGEA AGS de Paris IDF Ouest, régulièrement assigné par acte du 23 octobre 2020 délivré à personne habilitée, ne s’est pas fait représenter.
MOTIFS
Sur la demande de rappel de salaires pour la période du 20 janvier au 23 mars 2017
Le jugement doit être confirmé sur le rappel de salaires ordonné par le Conseil de Prud’hommes en application des dispositions de l’article L 1226-4 du code du travail, non contesté par l’appelante, ainsi qu’en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts en raison du retard de paiement, l’intéressée, pas plus devant le Conseil de Prud’hommes que devant la cour, ne justifiant d’un préjudice autre que celui déjà réparé par les intérêts moratoires.
Sur les dommages et intérêts pour défaut de transmission de l’attestation de salaires
Le mandataire liquidateur prétend que cette attestation a bien été remise à Mme [B] mais sans verser aux débats aucune pièce pour étayer cette affirmation, contredite au demeurant par les pièces du dossier. Le jugement sera confirmé sur les dommages et intérêts alloués à Mme [B], adaptés au préjudice subi.
Sur le rappel de rémunération variable au titre des années 2015 et 2016
Le contrat de travail de Mme [B] prévoyait une rémunération variable annuelle d’un montant maximum de 25.000 euros à objectifs atteints, – montant ramené à 15.000 Euros par avenant à compter du 1er janvier 2016 -, ces ‘objectifs étant définis une fois par an par le management en accord avec le salarié’. Il était précisé que ‘le management évaluera chaque année avec le salarié l’atteinte partielle ou totale des objectifs assignés pour l’année échue’.
Il résulte de cette clause du contrat, d’une part que les objectifs devaient être fixés en début d’année et, d’autre part, qu’ils devaient donner lieu à une évaluation en fin d’exercice.
En l’espèce, il est constant que Mme [B] a reçu la prime de 25.000 euros au titre des objectifs 2014.
Pour justifier la limitation de la rémunération variable à 10.000 euros au titre de l’année 2015 et sa suppression au titre de l’année 2016, le mandataire liquidateur verse aux débats deux pièces, la première (pièce 30) relative à l’entretien d’évaluation pour l’année 2014, en date du 21 avril 2015 et la seconde (pièce 24) à l’entretien d’évaluation 2015, en date du 24 mars 2016.
Force est de constater que le premier entretien comporte une liste d’objectifs pour l’année 2015 qui sont totalement différents de ceux qui sont mentionnés dans la ‘fiche d’objectifs individuels’ en date du 7 septembre 2015 versée aux débats par Mme [B]. Or c’est bien à ces derniers objectifs que l’appelante se réfère dans ses écritures, sans justifier par aucun document qu’ils n’ont pas été atteints, étant précisé que l’entretien d’évaluation du 24 mars 2016 (pièce 24) ne fait référence qu’aux objectifs fixés en avril. C’est donc à juste titre que le Conseil de Prud’hommes, considérant d’une part que les objectifs avaient été fixés tardivement et d’autre part que leur non atteinte n’était pas établie, a condamné la société à payer à Mme [B] le complément de rémunération variable pour l’année 2015, soit la somme de 15.000 euros.
Quant aux objectifs pour l’année 2016, la fiche d’entretien d’évaluation qui les énumérait n’étant pas signée par la salariée, rien ne permet de démontrer, comme l’a relevé le Conseil de Prud’hommes, qu’elle en avait bien eu connaissance et donné son accord, comme prévu par le contrat de travail. Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné la Société SYLKAN à payer le montant maximum contractuellement prévu.
Sur l’indemnité compensatrice de jours de RTT non pris
C’est par de justes motifs, adoptés par la cour, que le Conseil de Prud’hommes , après avoir rappelé les dispositions de l’accord d’entreprise du 23 février 2014 prévoyant que les jours de RTT devaient être utilisés au cours de l’année civile d’acquisition, le solde éventuel devant être utilisé dans les deux premiers mois de l’année suivante, a débouté Mme [B] de sa demande au titre d’une indemnité compensatrice de RTT non pris. Mme [B] se borne à faire valoir qu’elle était dans l’incapacité de prendre ces jours de RTT compte tenu de son arrêt de travail, sans expliquer la raison pour laquelle elle n’a pas utilisé son droit à RTT au cours de l’année 2016 hors période d’arrêt maladie.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
En vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur prend le mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale des travailleurs.
En l’espèce, Mme [B] prétend avoir subi une dégradation de ses conditions de travail à compter d’octobre 2014, qui a conduit à un premier arrêt maladie au mois d’avril 2016; à son retour en juillet 2016, alors que le médecin du travail avait demandé qu’elle ne subisse plus de pressions et change de service, elle a de nouveau été mise à l’écart et en inactivité forcée. Son état de santé s’est donc encore un peu plus détérioré si bien qu’elle a été en arrêt maladie à compter du 26 septembre 2016. Elle considère, en conséquence, que l’avis d’inaptitude est directement lié à la violation de son obligation de sécurité par l’employeur, lequel n’a pris aucune mesure pour la protéger en dépit de ses multiples alertes, s’étant notamment abstenu d’effectuer une enquête sur le comportement de son supérieur hiérarchique. Elle ajoute que postérieurement à cet avis d’inaptitude, l’employeur a commis divers autres manquements, le nouveau dirigeant lui ayant adressé des courriers particulièrement agressifs et s’étant comporté de façon scandaleuse, notamment concernant l’organisation de l’entretien préalable, puis pendant la procédure, avec pressions sur les témoins et dénigrement de son avocat.
Toutefois, c’est à juste titre que le Conseil de Prud’hommes, après avoir examiné les documents, attestations, échanges de mails et de courriers ainsi que les certificats médicaux et avis de la médecine du travail, a considéré d’un part que l’employeur avait mené les investigations puis pris les mesures nécessaires, suite aux doléances de la salariée quant à ses rapports avec son supérieur hiérarchique, notamment en la changeant de service ; et d’autre part que la mise à l’écart alléguée par Mme [B] lors de son retour d’arrêt maladie en juillet 2016, n’était pas établie. Si Mme [B] maintient qu’il lui ne lui avait été confié que des tâches ponctuelles et subalternes qu’elle aurait terminées le 18 juillet 2016, elle ne verse aux débats aucun échange antérieur à son mail de revendication du 12 septembre relatif à ces deux missions et à leur finalisation.
Quant au comportement postérieur de l’employeur, notamment du nouveau dirigeant de la société, le Conseil de Prud’hommes a justement relevé son caractère agressif et discourtois, tout en constatant qu’il était postérieur à l’avis d’inaptitude. Or si Mme [B] prétend que ces agissements ont aggravé son état santé à compter de février 2017, force est de constater qu’elle ne produit aucun document médical postérieur au 19 décembre 2016 pour justifier du préjudice qu’elle aurait subi du fait de ces agissements.
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité.
Sur le licenciement
C’est encore à juste titre que les premiers juges, après avoir rappelé les dispositions de l’article L 1226-2 du code du travail dans sa version alors applicable, ont considéré que les propositions de reclassement, soumises aux délégués du personnel et approuvées par le médecin du travail, n’étaient pas dépourvues de loyauté ni de caractère sérieux.
Si l’on peut admettre les réticences de la salariée à accepter un poste dont le supérieur hiérarchique était précisément celui auprès duquel elle avait rencontré des difficultés, il n’en va pas de même du second poste (Marketing), à propos duquel, contrairement à ce qu’elle prétend, toutes les informations lui ont été données dans le courrier du 27 février 2017.
Le Conseil de Prud’hommes, confirmé sur ce point par la Cour, n’ayant pas retenu de manquement à l’obligation de sécurité qui serait à l’origine de l’inaptitude, ni de violation de l’obligation de reclassement, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [B] de ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le présent arrêt sera opposable au CGEA AGS de Paris IDF Ouest dans la limite des
dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail, lesquelles excluent en particulier l’indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la Société SYLKAN la somme de 2.000 Euros au titre des frais irrépétibles exposés par Madame [B] [G] en appel.
DIT que le présent arrêt sera opposable au CGEA AGS de Paris IDF Ouest dans la limite des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail.
RAPPELLE que l’ouverture de la procédure collective a suspendu le cours des intérêts au taux légal ;
MET les dépens à la charge de la liquidation judiciaire.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE