16 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/02638
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 FEVRIER 2023
N° RG 20/02638 –
N° Portalis DBV3-V-B7E-UFM7
AFFAIRE :
[V] [P]
C/
S.A.S.U. SOPRA STERIA INFRASTRUCTURE & SECURITY SERVICES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/01412
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Emilie VIDECOQ
Me Jérôme POUGET
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS, après première prorogation en date du DEUX FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [V] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Emilie VIDECOQ de la SELARL BERNARD – VIDECOQ, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2002
APPELANT
****
S.A.S.U. SOPRA STERIA INFRASTRUCTURE & SECURITY SERVICES
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par : Me Jérôme POUGET, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1366
INTIMÉE
****
Composition de la cour
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 novembre 2022, Monsieur Thomas LE MONNYER, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Madame Alicia LACROIX, greffier lors des débats.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [P], né le 1er janvier 1959 au Maroc, a été engagé à compter du 8 septembre 2001 en qualité de cadre technique 1.2 – coefficient 100 de la convention collective des bureaux d’études techniques, dite Syntec – par la société Steria UCM, selon contrat de travail à durée indéterminée avec reprise d’ancienneté au 5 juin 2001.
En janvier 2009, M. [P] a été élu délégué du personnel titulaire sur la liste CFE-CGC et a été désigné conseiller du salarié en août 2009 et en juillet 2012.
Le 21 janvier 2013, le salarié s’est plaint auprès de la Direction des Ressources Humaines d’une situation de discrimination dont il estimait faire l’objet dans les termes suivants :
« Embauché en juin 2001 en tant que cadre technique superviseur help desk. j’avais une équipe de techniciens sous ma responsabilité pendant deux ans. Je gérais les aspects logiciels et matériels pour le compte de clients comme le groupe Prévoir, Metro, Rip Curl ce qui nécessitait une gestion de stocks de plus d’un millier d’ordinateurs portables, d’imprimantes mais aussi de pièces détachées en traitant directement avec les constructeurs . C’était à [Localité 5].
Plus tard, je fus muté sur un autre compte, chez le client pour ‘transfert de compétences’. Il n’en était rien ! Je me suis retrouvé technicien parmi les techniciens. Ce fut ma première déception mais je gardais espoir, bien décidé à faire mes preuves à chaque changement d’affectation. J’ai enchaîné avec différentes missions plus ou moins valorisantes.
La situation a empiré en devenant élu DP. Les missions étaient systématiquement sous qualifiées voire purement administratives !
Aujourd’hui, on me propose avec insistance une mission de technicien qui consiste à :
– Réaliser le suivi des inscriptions au jour le jour et assuré la mise en oeuvre des actions correctives sur notre plate-forme e-learning,
– Construire les parcours e-Learning à la demande en s’appuyant sur un cahier des charges et sur des procédures formalisées
– Assurer l’assistance aux utilisateurs.
En fait, je fais surtout du support utilisateur ( réinitilisation du mot de passe, vérification du moteur de recherche, envoi des identifiants par mail, …)
Je considère qu’il y a un lien entre mes fonctions de RP et la volonté de me dévaloriser professionnellement. Je ne refuse pas cette mission que j’ai déjà entamée mais je tiens à vous informer que mon organisation syndicale va saisir l’inspection du travail pour faire cesser cette discrimination à mon encontre et cette volonté manifeste de modifier continuellement mes conditions de travail. […] ».
Le 8 octobre 2013, le salarié a été désigné représentant syndical au CHSCT par la CFE-CGC puis le 5 novembre 2014, il a été désigné délégué syndical CFE-CGC.
En janvier 2015, le contrat de travail du salarié a été transféré à la société Sopra Steria Infrastructure & Security Services (I2S).
Le 13 mars 2017, M. [P] a dénoncé de nouveau une situation de blocage professionnel et a sollicité un repositionnement professionnel et salarial.
Par ordonnance du 8 juin 2018, la formation des référés du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, saisie le 13 décembre 2017 par le salarié, a ordonné la communication par l’employeur des bulletins de paie du mois de décembre de leur embauche au jour du prononcé de la décision des salariés suivants : [H] [T], [C] [N], [K] [R], [X] [J], [L] [W].
M. [P] a saisi, le 21 novembre 2018, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir reconnaître la discrimination dont il s’estime victime en raison de ses origines, de son âge et de son engagement syndical, fixer sa rémunération mensuelle de base à la somme de 2 949 euros et condamner la société au paiement de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 29 octobre 2020, notifié le 2 novembre 2020, le conseil a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande reconventionnelle et mis les dépens à la charge du requérant.
Le 25 novembre 2020, M. [P] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 31 octobre 2022, M. [P] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’intégralité de ses demandes et statuant à nouveau, de :
Juger qu’il a fait l’objet d’une discrimination en raison de son origine, de son âge et de ses mandats de représentant du personnel et syndicaux ;
Condamner en conséquence la société à lui verser, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de la discrimination : la somme de 80 805 euros,
Le repositionner au salaire mensuel brut de 2 913 euros,
Condamner la société à lui verser à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices professionnel, moral et d’atteinte à la santé du fait de la discrimination la somme de 80 000 euros ;
Juger que la société a manqué à son obligation de formation et de maintien de son employabilité ;
Condamner en conséquence la société au paiement de la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article L 6321-1 du code du travail en réparation du préjudice en résultant ;
Dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal avec anatocisme ;
Condamner la société au titre de l’article 700 du code de procédure civile au paiement de la somme de 5 000 euros et aux entiers dépens.
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 1er novembre 2022, la société Sopra Steria Infrastructure & Security Services demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la demande de M. [P] au titre d’une prétendue discrimination n’est pas établie,
Rejeter en conséquence les demandes de M. [P] au titre du prétendu préjudice financier subi du fait de la discrimination, au titre de la fixation de sa rémunération mensuelle de 2 961 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices professionnel et moral subi du fait de la prétendue discrimination,
Juger qu’elle a rempli son obligation de formation,
Rejeter en conséquence la demande de M. [P] au titre de dommages et intérêts pour non-respect par l’employeur de son obligation de formation,
Condamner M. [P] à 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par ordonnance rendue le 2 novembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 29 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I – Sur l’étendue de la saisine de la cour
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il en découle que nonobstant les moyens et, le cas échéant, les demandes formulées dans le corps des conclusions de chacune des parties, la cour n’est saisie que des demandes et fins de non recevoir figurant dans le dispositif des conclusions et pas de celles qui n’auraient pas été reprises dans ce dispositif. Faute pour la société intimée d’avoir repris dans son dispositif la fin de non recevoir tirée de la prescription des agissements de discrimination reprochés par l’appelant, il ne sera pas statué sur ce point.
II – Sur la discrimination
M. [P] soutient avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur ses origines marocaines, son âge et son engagement syndical, qu’il relie au déroulement de sa carrière qu’il qualifie de ‘particulièrement anormal’. Il invoque notamment les éléments suivants :
– sa fonction d’encadrement lui a été retirée deux ans après son engagement et il est depuis systématiquement affecté à des missions sous qualifiées,
– il a dû subir plusieurs périodes d’intercontrats anormalement longues,
– son salaire et son coefficient stagnent,
– le panel de comparaison qu’il a établi révèle un écart de rémunération croissant avec ses collègues,
– son employeur refuse de le former,
– son employeur ne réagit pas à ses nombreuses alertes,
– suite à la saisine de la juridiction en novembre 2018, la mission qu’il était censé exécuter au sein de Dassault Aviation à compter de juin 2019 lui a été retirée sans explication ; il se trouve depuis en intercontrats,
– son employeur ne lui propose pas de travail mais un désistement de la procédure d’appel et un « départ négocié » moyennant une indemnité dérisoire.
La société objecte qu’à aucun moment dans ses écritures ou pièces, M. [P] n’établit de lien entre les éléments qu’il considère comme discriminatoire à savoir la perte d’encadrement, des périodes d’intercontrats, une stagnation de salaire, des refus de formation etc… et son origine, son âge ou encore l’exercice de fonction de représentant du personnel. L’intimée relève que les éléments discriminatoires évoqués par M. [P] sont existants soit avant soit après le prétendu élément de discrimination (origine, âge, activité syndicale). Subsidiairement, elle conteste la validité du panel auquel M. [P] se compare.
Selon l’article L. 2141-5 du code du travail, il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
L’article L. 1132-1 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’adaptation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, notamment en raison de son origine, de son âge ou/et de ses activités syndicales.
L’article L. 1134-1 prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, M. [P] affirme avoir été affecté initialement sur une mission de ‘superviseur help desk’, dans le cadre de laquelle il manageait une équipe de plusieurs collaborateurs avant que l’employeur ne le rétrograde à compter de novembre 2002 pour ne lui confier plus que des missions de qualification inférieure de simple technicien support.
Il est constant qu’après avoir accompli pendant trois mois des missions d’intérim en qualité de ‘superviseur au titre d’un accroissement temporaire d’activité lié au projet de réorganisation et de création de plate-forme hot line’ au statut ETAM, il a été engagé en qualité de ‘cadre technique’ position 1.2 – coefficient 100, le 8 septembre 2001 – avec reprise d’ancienneté au mois de juin 2001, pour tenir compte des contrats de mission conclus au profit de l’entreprise.
Il n’est pas utilement contesté qu’il a été affecté sur une mission de ‘superviseur help desk’, fonction qu’il avait précédemment occupée au sein de la société Sykes pendant près de trois ans et pour laquelle la société Steria lui avait fait éditer des cartes de visite (pièce n° 16 de l’appelant). L’appelant expose quelque peu confusément que cet emploi lui a été retiré dès le mois de novembre 2002, tout en indiquant s’être vu confier ensuite un poste de responsabilité, désigné en septembre 2003 par un de ses supérieurs comme ‘chef de projet helpdesk’ (pièce n° 49 de l’appelant). Pour autant, M. [P] ne justifie pas ses allégations, contestées par l’employeur selon lesquelles cette ou ces première(s) affectation(s), l’aurait placé en situation de diriger une équipe comme il l’affirme.
Tout en objectant que l’ancienneté des faits dont se plaint le salarié et la reprise du contrat de travail dans le cadre d’une fusion advenue en 2014 ne la place pas en situation de pouvoir justifier des missions concrètement confiées au salarié, la société souligne à juste titre que les missions d’intérim ayant précédé l’engagement de M. [P] s’exerçaient sous le statut d’ETAM, et que les stipulations conventionnelles qui définissent les positions auxquelles le salarié a été classé n’emportent pas nécessairement le management d’une équipe de sorte qu’aucune rétrogradation ne saurait être caractérisée. C’est ainsi que :
‘ la position 1.2 – cadre débutant – correspond aux ‘Collaborateurs assimilés à des ingénieurs ou cadres techniques et administratifs, occupant dans le bureau d’études un poste où ils mettent en oeuvre des connaissances acquises’ mais titulaire du diplôme de sortie des écoles visées dans la la définition des ingénieurs à l’article 2 c de la présente convention’,
‘ la position 2.1 coefficient 115 correspond aux ‘ingénieurs ou cadres ayant au moins 2 ans de pratique de la profession, qualités intellectuelles et humaines leur permettant de se mettre rapidement au courant des travaux d’études. Coordonnent éventuellement les travaux de techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs ou employés, travaillant aux mêmes tâches qu’eux dans les corps d’état étudiés par le bureau d’études, âgé de 26 ans au moins’.
Elle ajoute que la fonction de superviseur n’implique pas l’encadrement de collaborateurs et qu’il s’agit seulement d’une mission d’assistance à des utilisateurs de systèmes informatiques.
Par ailleurs, en comparaison aux collègues figurant dans son panel, force est de constater, au-delà du constat brut de l’absence de toute évolution professionnelle et salariale de septembre 2001 à décembre 2009, que parmi les cinq salariés recrutés en 2001 à une position identique (à savoir MM. [N], [T] et [R]), inférieure (M. [J]) ou légèrement supérieure (M. [W]) à la sienne, trois salariés (MM. [N], [T] et [R]) ont dû attendre l’année 2005 pour bénéficier d’une première augmentation salariale, un autre (M. [W]) l’année 2006 et le dernier (M. [J]) l’année 2008, soit pour ce dernier une durée proche de celle que M. [P] a dû attendre pour bénéficier d’une première augmentation, si l’on déduit la période de suspension de son contrat de travail d’une année dont il a bénéficié en 2005 afin de mener un projet personnel dans le cadre d’un congé sabbatique, la société rappelant qu’en vertu de l’article L. 3142-31 du code du travail le salarié pouvait prétendre à retrouver son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente.
Il ressort en outre de l’examen de ce panel que les augmentations obtenues par ses collègues étaient également d’un faible montant, entre 50 et 130 euros mensuels, M. [P] ayant obtenu une augmentation de 66 euros en janvier 2010.
Rappel fait que sauf accord collectif ou stipulation particulière du contrat de travail prévoyant une progression de carrière, laquelle n’est pas alléguée en l’espèce, l’employeur n’est pas tenu d’assurer cette progression par des changements d’emploi ou de qualification et alors que l’anormalité de l’absence de toute évolution salariale durant sept années, dénoncée par le salarié, est démentie par la situation de M. [J] auquel il se compare, le salarié ne développe aucune argumentation de nature à étayer ses allégations selon lesquelles il aurait fait l’objet d’une discrimination dès l’année 2002 ou 2003 en raison de son âge ou de ses origines. Aucun élément n’est davantage produit en ce sens.
Il est en revanche constant qu’à compter de janvier 2009 et jusqu’en novembre 2019, le salarié s’est engagé dans l’action syndicale et/ou représentative dans l’intérêt de la collectivité des travailleurs.
M. [P], qui souligne que la société a été condamnée à plusieurs reprises pour discrimination syndicale, soutient avoir continué à subir sur cette période un blocage de carrière caractérisé selon lui par une évolution salariale dérisoire, une évolution statutaire limitée et des périodes d’intercontrats :
En ce qui concerne les missions confiées, M. [P] expose sans être utilement contredit par l’employeur que les missions suivantes de technicien lui ont été confiées depuis son engagement syndical :
– Juin 2009 / avril 2011 : technicien chargé de la production de statistiques quotidiennes du suivi de la prestation de support aux utilisateurs pour le client Total RM,
– Juin 2012 / novembre 2012 : Hobi-one, chargé de produire un support aux utilisateurs et de les former sur cette application interne Steria,
– Novembre 2012 / mars 2013 : technicien support aux utilisateurs pour le client Cegos,
– Octobre 2013 / mars 2014 : technicien déploiement d’ordinateurs portables pour le client Dassault Aviation,
– Mars 2015 / août 2015 : technicien support aux utilisateurs pour le client Steria DSI,
– Février à avril 2016 : mission chez le client SNCF (intervention dans les domaine techniques réseau et sauvegarde dit « hardware » pour faire du remplacement de disques de sauvegarde, du câblage réseau),
– De juillet 2016 à août 2018 : technicien chargé de la production de statistiques du suivi de la prestation pour le client Rexel,
– Du 18 octobre 2018 au 6 janvier 2019 : technicien N1 pour le client Carrefour.
Certaines de ces missions étant séparées par des périodes d’intercontrats lesquelles se sont multipliées à compter de son engagement syndical, alors même qu’il n’en avait connu qu’une seule auparavant, de quelques mois à la fin de l’année 2004 qui a précédé son départ en congé sabbatique :
– De mai 2011 à mai 2012, soit un an
– D’avril 2013 à septembre 2013, soit 5 mois
– D’avril 2014 à février 2015, soit 10 mois
– De septembre 2015 à juin 2016, soit pendant 10 mois
– De janvier 2019 à la date de communication de ses écritures, soit plus de trois ans.
M. [P] établit avoir essuyé à plusieurs reprises des refus à ses demandes de formation.
L’appelant démontre en outre qu’en juin 2016 alors qu’il avait reçu un ordre de mission pour intervenir au profit de la société Dassault Aviation, du 4 juin au 31 décembre 2016, client pour lequel il avait déjà travaillé en 2013/2014, M. [P] s’est vu répondre à sa prise de poste par la société cliente qu’il n’était pas attendu, qu’il n’a pu obtenir d’explication en se rendant au siège de l’entreprise le 5 juin, avant de se voir finalement signifier par son supérieur, le 16 juin, à l’issue d’un arrêt maladie prescrit dans l’intervalle, qu’il était inutile de se rendre chez Dassault dans la mesure où il ne serait pas ‘sélectionné’, sans autre précision.
M. [P] établit également avoir interpellé à trois reprises, les 21 janvier 2013, 30 décembre 2014 et 13 mars 2017, la direction sur sa situation et la discrimination dont il s’estimait potentiellement victime. Il indique sans être utilement contredit par la société que cette dernière n’y a apporté aucune réponse concrète, hormis un message de février 2013 par lequel il lui était répondu que sa réclamation était en cours d’examen et l’obtention d’un entretien avec sa hiérarchie en mars 2017.
Sur l’évolution de son salaire, M. [P] établit les éléments suivants :
Rappel fait pour mémoire qu’avant son engagement en janvier 2009, le salarié n’avait connu aucune évolution statutaire ni salariale, il est constant qu’à effet au 1er janvier 2010, M. [P] a été positionné cadre technique 2.11 coefficient 115, son salaire forfaitaire étant porté de 2 439 à 2 500 euros toujours pour 166 heures mensuelles.
Ce salaire a ensuite été porté en 2013 à 2 566 euros, puis 2 577,14 euros en 2015 et 2 604 euros au 1er juillet 2017, 2 644 euros en novembre 2020, et 2 724 euros en 2022, soit au dernier état du salaire contractuel une augmentation salariale inférieure de 12% au salaire que percevait M. [P] au jour de son engagement syndical 14 ans auparavant, l’évolution salariale n’ayant progressé sur les onze années de son engagement que d’un peu moins 6%.
Comparant l’évolution de son salaire à celle dont ses collègues du panel ont en moyenne bénéficié sur la période considérée, le salarié soutient le caractère insignifiant de son évolution.
Si l’on ne retient que les trois salariés recrutés comme lui en 2001 à la même position conventionnelle, il en ressort que l’écart de salaire entre M. [P] et la moyenne des salaires perçus par ces trois collègues qui s’élevait depuis 2007 à une somme de 237 euros par mois, s’est estompé nettement à compter de 2010, suite à l’augmentation dont il a bénéficié, pour être ramené à 176 euros par mois ; cet écart de rémunération mensuelle s’est stabilisé jusqu’en 2013 (182 euros) avant de progresser pour atteindre 214 euros mensuels en 2015 et 283 euros en 2017.
En l’état de ces éléments, et tout en prenant en compte l’écart de 176 euros qui existait au jour de son engagement syndical et ce depuis plusieurs années, il en ressort qu’après une période de stabilisation, l’évolution de la rémunération du salarié a connu de nouveau une dégradation au préjudice de l’appelant, le salaire de M. [P] ayant certes évolué, mais moins rapidement que ses collègues et ce de manière significative à compter de l’année 2014.
L’ensemble de ces faits, concordants, laissant supposer l’existence d’une discrimination liée à l’engagement syndical et aux mandats représentatifs exercés par M. [P] à compter de janvier 2009, il appartient à l’employeur de les justifier par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Certes, la société justifie que, alors qu’elle a permis au salarié de suivre de nombreuses formations répondant au domaine d’activité de l’entreprise et conformes aux compétences professionnelles du salarié, qu’elle détaille dans ses écritures, les refus opposés à l’intéressé pour suivre des formations sans lien avec son activité (relatives à l’activité dans le transport, l’expertise ou les ressources humaines) ou des formations spécifiques en anglais, alors que l’intéressé bénéficiait sur ce point de formations adaptées au domaine d’activités qui était le sien, non seulement les refus de formation sont justifiés par des éléments étrangers à toute discrimination mais en outre la société intimée rapporte la preuve qui lui incombe en application des dispositions de l’article L.6321-1 du code du travail, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges l’ont débouté de sa demande dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation.
Sur ce dernier point le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de sa réclamation.
Alors que la société rappelle que son activité est ‘exclusivement tournée vers la mission client de nature informatique’, elle ne justifie pas par des motifs étrangers à toute discrimination les raisons pour lesquelles subitement M. [P], dont elle ne remet pas en question les compétences ni l’engagement pour la société, a été placé régulièrement à compter de 2011, au terme de la mission Total qu’il accomplissait à l’époque de son engagement syndical, en intercontrats et le caractère continu de cette position depuis janvier 2019. Alors qu’elle ne fournit notamment aucun élément de comparaison utile sur les périodes d’intercontrats subies par les salariés de même niveau que le salarié, l’explication générale et non étayée fournie par l’employeur selon laquelle cette situation serait fréquente dans le domaine d’activité des sociétés de SII n’est pas de nature à justifier que cette situation est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination.
La société Sopra Steria ne fournit aucune explication justifiant le revirement de position qu’elle a adopté en juin 2019 vis-à-vis du salarié, à qui elle avait adressé un ordre de mission pour intervenir au profit de la société Dassault Aviation.
Si la société fournit quelques mails (pièces n°27 à 31 de l’intimée) desquels il ressort que le profil de M. [P] est encore proposé aux prospects ou clients de la société, ces éléments épars ne permettent pas de justifier objectivement de tous les efforts que l’employeur est tenu de mettre en oeuvre pour limiter les périodes d’intercontrats et rompre la situation d’absence de missions confiées depuis janvier 2019, laquelle ne saurait être utilement compensée par des formations proposées au salarié.
Il ne peut donc être considéré que les décisions prises par l’employeur, concernant la fourniture de travail au salarié, sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
De même l’absence de la moindre réponse argumentée adressée par la société à réception des alertes et réclamations que M. [P] lui a adressées à compter de 2013, ne sont pas justifiées.
Invoquant le caractère paradoxal de la réclamation du salarié visant l’évolution de son salaire, laquelle n’a vu le jour que postérieurement à son engagement syndical, l’employeur conteste que celle-ci depuis son engagement syndical ou représentatif puisse étayer la discrimination syndicale alléguée.
Pour autant, alors que les quelques éléments d’évaluation communiqués par l’employeur sur le travail fourni par le salarié sont plutôt appréciés positivement, il ne justifie par aucun élément pertinent l’évolution moins favorable du salaire de M. [P] à compter de 2014.
Observation faite que l’employeur s’abstient de fournir le moindre élément de comparaison relativement à l’évolution des salaires de ses collaborateurs se trouvant dans une situation comparable de celle de M. [P], les critiques qu’il formule sur le panel établi par l’appelant ne sont pas pertinentes. En effet, si sur les 5 salariés du panel, 4 ont été initialement recrutés par la société Steria Infogérance, les plus anciens bulletins de salaire de MM. [R], [J], [W] et [T] communiqués par la société intimée sont établis au nom d’une société Steria (n° de siret 30925610500169) qui rémunérait l’appelant en 2006, l’employeur n’établissant pas à quelle date les contrats de ces 4 collaborateurs ont été transférés au profit de cette entreprise et s’ils ont pu, à cette occasion, bénéficier comme elle l’affirme des dispositions de l’article L. 122-12 du code du travail (reprises par l’article L. 1224-1) relativement à une progression statutaire ou salariale antérieure.
La société Sopra Steria objecte en revanche utilement que M. [P] ne peut sérieusement se comparer à M. [W] lequel a été engagé à un niveau supérieur au sien (2.1). De même en comparaison du parcours universitaire et surtout du parcours professionnel de M. [R] dont le salaire d’embauche était, au reste, plus élevé que celui du salarié (16 800 francs), et qui connaîtra une évolution statutaire plus favorable ultérieurement, la comparaison n’est pas probante.
En revanche, à l’examen des parcours de MM. [T] et [N] employés tous deux en qualité de cadre technique à l’été 2001 à un salaire identique ou inférieur à celui de M. [P] lequel ne se contentait pas d’un diplôme de troisième cycle en informatique mais disposait d’une expérience de près de trois années dans ce secteur d’activité, qui avait travaillé préalablement dans le cadre de contrats de mission pendant trois mois pour le compte de la société Steria, l’évolution de leur salaire respectif est pertinente.
S’agissant de leur profil (formation initiale et expérience), les critiques formulées par l’employeur ne convainquent pas la cour dès lors que si les formations suivies par MM. [N], et [T] paraissent effectivement plus techniques et moins universitaires que celles de M. [P], ce dernier qui bénéficiait d’une expérience dans ce secteur d’activité d’une durée de près de trois années, avait travaillé pour la société Steria UCM pendant 3 mois et se serait vu confier dès la fin de l’année 2003 des missions de nature technique, ce qui accrédite la reconnaissance par l’employeur d’une compétence acquise et maîtrisée du salarié sur ce plan là en dépit de son parcours universitaire.
Or, s’agissant de la comparaison des salaires perçus par MM. [N] et [T], qui ont été également maintenus comme le salarié sur toute la période de référence au niveau 2.1, et de ceux de M. [P], il se dégage une évolution défavorable au préjudice de l’appelant à compter de l’année 2014, dans une proportion équivalente à celle ci-dessus mise en valeur, laquelle n’est pas justifiée par l’employeur par des motifs objectifs étrangers à toute discrimination.
Analyse faite des éléments justificatifs invoqués par l’employeur, le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit que M. [P] n’avait pas subi une discrimination syndicale.
En application de l’article L1134-5 du code du travail, le salarié victime de discrimination est fondé à obtenir réparation de l’entier préjudice résultant de la discrimination, donc pendant toute sa durée.
Tenant compte de la durée de la discrimination subie, le préjudice moral sera indemnisé à hauteur de 15 000 euros.
En l’état des éléments de comparaison communiqués, le salaire de M. [P] sera fixé au 1er janvier 2020 à la somme de 2 711 euros bruts pour 166,83 heures mensuelles.
S’agissant du préjudice économique, tenant compte du différentiel de salaire relevé, de la durée de la discrimination, de la date de son engagement dans l’action représentative et syndicale jusqu’à la date à laquelle la cour fixe le salaire du salarié, et du préjudice lié à l’incidence de la discrimination sur les droits à la retraite, la société Sopra Steria ISS sera condamnée à verser à M. [P] la somme de 9 575 euros.
La capitalisation est de droit lorsqu’elle est demandée en justice.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande tendant à voir reconnaître l’existence d’une discrimination en raison de l’âge et de ses origines et de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,
Dit que M. [P] a été victime d’une discrimination syndicale à compter de janvier 2009,
Condamne la société Sopra Steria ISS à verser à M. [P] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices professionnels, moral et d’atteinte à la santé,
Fixe le salaire de M. [P] au 1er janvier 2020 à la somme de 2 711 euros bruts pour 166,83 heures mensuelles.
Condamne la société Sopra Steria ISS à verser à M. [P] la somme de 9 575 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice économique.
Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
Ordonne la capitalisation de ces intérêts à condition que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,
Condamne la société Sopra Steria ISS à verser à M. [P] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, président, et par Alicia LACROIX, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,