16 février 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/06504
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT DU 16 FÉVRIER 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06504 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBFU
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Juin 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 22/00123
APPELANTE
Madame [S] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Naïma SAYAD, avocat au barreau de PARIS, toque : A0669
INTIMÉE
S.A. SYSTRA
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Paule ALZEARI, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Olivier FOURMY, Premier Président de chambre
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [S] [Z] a été engagée par la société Systra par un contrat écrit à durée indéterminée à temps plein à compter du 1er décembre 2012. Sa qualification actuelle est spécialiste gestion de projet, statut cadre. La moyenne de ses derniers salaires mensuels bruts est, selon la salariée, de 4 208,52 euros, moyenne non contestée par l’employeur. La convention collective de l’entreprise est celle du Syntec. L’effectif de l’entreprise est supérieur à 10 salariés.
Mme [Z] a occupé et occupe toujours divers mandats syndicaux.
Estimant être victime de discriminations syndicales, elle a saisi le 28 février 2022 le conseil de prud’hommes de Bobigny en référé.
Par une ordonnance de référé rendue le 3 juin 2022, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :
– rejeté la demande d’irrecevabilité de la société Systra ;
– dit n’y avoir lieu à référé ;
– débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– laissé les dépens à la charge de Mme [Z].
Mme [Z] a interjeté appel de cette décision le 24 juin 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions transmises au greffe par RPVA le 9 décembre 2022, Mme [Z], appelante, demande à la cour de :
– la déclarer salariée toujours en poste, recevable en son appel ;
L’y déclarant bien fondée,
– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 3 juin 2022 par la formation des référés du conseil de prud’hommes de Bobigny (RG 22/00123) en ce qu’elle l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et :
dit n’y avoir lieu à référé ;
débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
laissé les dépens à la charge de Mme [Z] ;
Et statuant à nouveau,
– débouter la société Systra de son appel incident et de toutes ses demandes fins et conclusions ;
En tout cas,
– rejeter les exceptions d’irrecevabilité de la société Systra et en général toutes ses demandes, fins ou conclusions contraires à celles de Mme [Z] ;
– déclarer que les conditions d’application au présent litige, de l’article 145 du code de procédure civile sont parfaitement remplies ;
En conséquence,
– ordonner à la SA Systra [Localité 4] la production pour chacun des comparants suivants : [I] [T] – [D] [B] – [E] [V] – [P] [U] – [F] [A] – [C] [J] – [G] [X] [H] – [R] [O] [L] – [W] [Y] – [K] [M] ; les informations suivantes :
leur date de naissance ;
leur sexe ;
leurs dates de passage de classifications (niveau, coefficient) conventionnelles et internes, et de qualification ;
leur niveau de diplôme à l’embauche ;
leur rémunération annuelle brute en distinguant de manière apparente tous les éléments de rémunération (salaire de base, primes, bonus, indemnités de toute nature, etc.) ; depuis l’année d’embauche à février 2022, ainsi que les bulletins de salaire ; dernier bulletin de salaire et avenants correspondants ;
les dates et montants des augmentations de salaire depuis l’embauche et leur périodicité, ainsi que les bulletins de salaire et avenants correspondants ;
leurs qualification/classifications, position et coefficient actuels ;
les formations suivies et leurs dates ;
– condamner la société Systra à effectuer cette production sous astreinte définitive de 100 euros par salarié visé et par jour de retard passé un délai d’un mois suivant la date de première présentation de la notification de la décision à intervenir ou à défaut de notification, à compter de la signification par acte d’huissier de la décision à intervenir ;
– dire que la cour se réserve la liquidation de l’astreinte ;
En tout état de cause,
– condamner la société Systra à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de la première instance ;
– condamner la société Systra aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel dont distraction au profit de Me Naïma Sayad pour ceux dont elle aura fait l’avance par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions transmises au greffe par RPVA le 29 novembre 2022, la société Systra (ci-après, la Société), intimée, demande à la cour de :
‘ titre principal,
– la déclarer recevable et bien fondé en son appel incident ;
– déclarer mal fondée Mme [Z] en son appel,
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle rejette la demande d’irrecevabilité de la société Systra ;
Statuant à nouveau de ce seul chef,
– déclarer irrecevables l’ensemble des demandes de Mme [Z] ;
‘ titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour ne devait pas infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande d’irrecevabilité de la société Systra,
Sur les demandes de Mme [Z] non mentionnées dans sa déclaration d’appel,
– juger que la cour n’est pas saisie des chefs de dispositif suivants, ces chefs n’ayant pas été expressément repris dans la déclaration d’appel :
« déboute Mme [Z] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile » ;
« laisse les dépens à la charge de Mme [Z] ».
Sur les chefs du jugement critiqués,
– confirmer la décision entreprise pour le surplus en ce qu’elle a débouté Mme [Z] de ses demandes au titre de l’article 145 du code de procédure civile ;
– juger que les demandes de Mme [Z] sont non fondées ;
– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
– débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner Mme [Z] à verser à la société Systra la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– réserver les frais et les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et soutenues à l’audience, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de sa demande, Mme [Z] fait d’abord valoir qu’elle n’a jamais saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny au fond mais uniquement en sa formation référé et qu’il s’agit d’une erreur d’orientation du greffe. Elle estime par ailleurs que sa demande de communication de pièces respecte les conditions posées à l’article 145 du code de procédure civile. En effet, il n’y a pas de procédure au fond en cours tandis que la faute commise par son employeur constitue une faute contractuelle justifiant une procédure prud’homale.
‘ ce titre, il n’était pas demandé aux premiers juges de juger de l’existence ou non d’une discrimination ou d’une inégalité de traitement, débat qui sera tranché au fond.
En outre, cette communication est indispensable pour apprécier la réalité et, le cas échéant, l’ampleur de sa discrimination en raison de son engagement syndical.
Enfin, les mesures sollicitées ne portent aucunement atteinte à la liberté de la partie adverse ni à la loi puisque Mme [Z] démontre qu’elles sont suffisamment circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées au but probatoire poursuivi.
En réponse, la Société soulève l’irrecevabilité des demandes de Mme [Z] en référé dans la mesure où elle a saisi au fond le conseil de prud’hommes de Bobigny.
‘ titre subsidiaire, la déclaration d’appel de Mme [Z] ne reprend pas expressément les chefs de l’ordonnance suivants : « débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile » ; « laissé les dépens à la charge de Mme [Z] », ce dont il résulte que la Cour n’en est pas saisie et que l’ordonnance du conseil de prud’hommes est définitive sur ces deux points.
De même, sur les décisions ordonnant des mesures d’instruction, Mme [Z] ne justifie d’aucunement d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et de faits précis, objectifs et vérifiables. Ses conclusions font une présentation tronquée et déloyale des faits qui ne sont nullement étayés par les pièces que verse Mme [Z], privant dès lors de motif légitime les mesures sollicitées.
Les demandes sont formulées en application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile qui dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Sur la recevabilité de la demande, il résulte des éléments de procédure versés aux débats mais également des échanges de courriels et courriers entre le conseil de Mme [Z] et le greffe du conseil de prud’hommes qu’une première requête a été déposée le 2 mars 2022 et a fait l’objet d’une orientation devant le bureau de conciliation et d’orientation.
Il s’évince des éléments rapportés ci-dessus que Mme [Z] a dû déposer une nouvelle requête, le 16 mars 2022, identique à celle déposée le 2 mars, afin d’obtenir une convocation devant la formation des référés.
La demande était fondée sur les dispositions de l’article 145 précité.
Dans ces conditions, il ne peut être pertinemment argué par la société intimée qu’une instance au fond a été introduite avant l’introduction de la demande sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
L’exception d’irrecevabilité est donc rejetée et la demande sera examinée en son bien-fondé.
Sur la déclaration d’appel, force est de constater que tant le rejet de la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile que la condamnation aux dépens sont précisées dans la déclaration d’appel.
Il s’en déduit que la cour est également saisie de ces chefs de demande.
Sur le bien-fondé de la demande de communication de pièces, il doit en premier lieu être rappelé que l’instance engagée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile est un référé probatoire autonome au regard des articles du code du travail qui donne expressément compétence à la formation de référé du conseil de prud’hommes.
Ainsi, ce référé probatoire n’est nullement soumis aux conditions d’urgence, de l’existence d’un trouble manifestement illicite ou de contestations sérieuses.
À l’opposé, il faut et il suffit que la partie requérante justifie d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
En outre, au regard d’une requête formée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, l’article 146 du même code n’a pas plus vocation à s’appliquer.
Sur l’existence d’un motif légitime, il doit être rappelé que la procédure prévue par l’article 145 n’est pas limitée à la conservation des preuves et peut aussi tendre à leur établissement.
À cet égard, et à ce stade, il est inopérant d’invoquer la charge de la preuve en matière de discrimination.
L’appréciation du motif légitime relève du pouvoir souverain de la juridiction saisie de la demande.
À cet égard, il convient de relever qu’il est non contesté que depuis le 1er avril 2020 et jusqu’au 31 décembre 2023, Mme [Z] a été mise à la disposition de l’union locale puis départementale de la CGT.
La Société justifie également que sa salariée a bien réalisé un bilan de compétences, à sa demande, en vue d’une évolution professionnelle au sein de l’entreprise.
Ce bilan a été financé à hauteur de 2190 euros.
Surtout, il se déduit des écritures de l’appelante qu’elle a établi son ‘panel’ après consultation du Registre unique du personnel et exploitation des informations communiquées par l’employeur.
Elle soutient qu’il existe une disparité entre ses collègues du panel et sa propre évolution.
Cependant, il doit être considéré qu’après la communication de ces éléments et la consultation du Registre unique du personnel, elle ne verse elle-même aux débats aucun élément et surtout ne s’explique nullement sur le choix des salariés dont elle sollicite la communication des données personnelles s’agissant des salaires et des évolutions de carrière.
À l’opposé, la Société, au moins pour l’un des salariés du panel établi par Mme [Z], justifie aux débats que celui-ci n’est pas dans une situation identique ou équivalente à la demanderesse.
A cet égard il est à noter qu’elle a pu établir des tableaux quant à l’évolution du salaire fixe moyen annuel d’un cadre dans l’entreprise.
Il résulte de ces indications, qu’au regard des éléments dont elle a et/ou peut avoir communication, Mme [Z] ne justifie pas de l’utilité et de l’intérêt de la mesure sollicitée au regard des salariés spécifiquement dénommés en l’espèce.
Dans cette mesure, le motif légitime n’est pas établi et la demande de communication telle qu’elle est formulée doit être rejetée en application de l’article 145 du code de procédure civile.
Mme [Z], qui succombe sur les mérites de son appel, doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera fait application de cet article au profit de l’intimée en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, publiquement et en dernier ressort
Confirme l’ordonnance déférée sauf à sa disposition ayant dit n’y avoir lieu à référé,
Statuant à nouveau du seul chef de la disposition infirmée et y ajoutant,
Rejette la demande de production de pièces formulée en application de l’article 145 du code de procédure civile,
Condamne Mme [S] [Z] aux dépens d’appel,
Condamne Mme [S] [Z] à payer à la société Systra la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente,