Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08887 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CERUY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 18/05580
APPELANTE
Association UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Sabine SAINT SANS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426
INTIMÉS
Monsieur [L] [H]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Kevin MENTION, avocat au barreau de PARIS, toque: D1248
SELAFA MJA Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SARL TAKEEATEASY.FR »
[Adresse 1]
[Localité 5]
Non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre
Madame ALZEARI Marie-Paule, Présidente
Madame LAGARDE Christine, conseillère
Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Takeeateasy.fr exerçant sous le nom commercial Take Eat Easy (ci-après, la ‘Société’) utilisait une plate-forme internet et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des coursiers à vélo.
A la suite de la diffusion d’offres de collaboration sur des sites internet spécialisés, M. [L] [H] a postulé auprès de la Société pour assurer les fonctions de coursier et au terme d’un processus de recrutement, sa candidature a été acceptée.
Le 26 juillet 2016, la Société a informé M. [H] de la cessation de son activité.
Par jugement du 30 août 2016, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la Société et a désigné en qualité de mandataire liquidateur la SELAFA MJA prise en la personne de Mme [U] [I] (ci-après, le ‘mandataire liquidateur’).
Le 13 septembre 2016, M. [H] a pris acte de la rupture du contrat.
M. [H] a saisi la juridiction prud’homale le 19 juillet 2018 aux fins de voir requalifier son contrat en un contrat de travail, de voir fixer différentes créances au passif de la liquidation judiciaire de la Société et d’obtenir la garantie de l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest (ci-après, l »AGS’).
Par jugement réputé contradictoire du 24 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a statué dans les termes suivants :
« CONSTATE l’existence d’un contrat à durée indéterminée liant M. [L] [H] et la société Takeeateasyfr ;
DIT que la rupture de la relation de travail doit être considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
FIXE la créance de M. [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société aux sommes suivantes :
8 561 € de rappel de salaire ;
856 € de rappel de congés payés ;
8 796 € au titre du travail dissimulé ;
1 466 € d’indemnité de préavis ;
147 € au titre des congés payés afférents ;
6 450 € pour licenciement abusif ;
500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que les sommes dues cessent de produire des intérêts à compter de l’ouverture de la procédure collective ;
DÉCLARE le jugement opposable à l’AGS CGEA IDF OUEST dont la garantie sera déterminée selon les modalités et limites résultant des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail ;
ORDONNE la remise à M. [H] de bulletins de paie, d’un certificat de travail ainsi que d’une attestation Pôle emploi conformes au jugement ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que les dépens seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Takeeateasyfr ;
ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ».
L’AGS a interjeté appel le 22 octobre 2021 à l’encontre de M. [H] et du mandataire liquidateur.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 19 janvier 2022, l’AGS demande à la cour de :
« Sur la garantie de l’AGS :
– JUGER que l’email du 26 juillet 2016 annonçant la cessation d’activité ne peut s’analyser en une notification de rupture de la relation contractuelle ;
– FIXER la date de rupture du contrat de travail au 13 septembre 2016, date de la prise d’acte de rupture par le salarié ;
Par conséquent,
– JUGER que la garantie de l’AGS relative aux indemnités de rupture est exclue en application de l’article L. 3253-8 du code du travail ;
– JUGER que les indemnités de rupture exclues précitées englobent toute somme éventuellement due au titre d’une indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou dommages-intérêts pour rupture abusive, indemnité de travail dissimulé ;
– JUGER que la garantie de l’AGS ne s’applique pas aux demandes relatives aux cotisations sociales, au travail dissimulé, à l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
– JUGER qu’en tout état de cause, la garantie de l’AGS ici applicable est limitée à 4 fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d’assurance chômage, en application de l’article D.3253-5 du code du travail ;
Sur le fond, concernant les demandes formulées par le salarié :
– JUGER que les manquements invoqués sont insuffisants à justifier d’une prise d’acte emportant les effets d’un licenciement abusif et débouter, en conséquence, l’intéressé de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ;
– LIMITER subsidiairement l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 338,30 €, outre 33,83 € de congés payés afférents et le débouter du surplus,
– DÉBOUTER l’intimé de sa demande de rappel de salaire,
– DÉBOUTER l’intimé de sa demande de rappel de congés payés,
– DÉBOUTER l’intimé de sa demande d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
– CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté l’intimé de sa demande de dommages-intérêts formulée au titre de divers manquements ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 21 avril 2022, M. [H] demande à la cour de :
« Vu la jurisprudence constante précitée et produite, vu les textes cités, vu les pièces versées aux débats,
Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé différentes sommes au passif de la société :
– 8.561 € à titre de rappel de salaires ;
– 856 € de rappel de congés payés ;
– 8.796 € au titre du travail dissimulé ;
– 1.466 € d’indemnité de préavis ;
– 147 € au titre des congés payés afférents ;
– 6.450 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
– 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’infirmer en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour absence d’application d’une convention collective, absence de mise en place d’un comité d’entreprise et d’instances représentatives du personnel ainsi que pour l’absence de mise en place des congés payés et le retard subi dans le versement de la paie.
Statuant à nouveau, FIXER au passif de la société une indemnité d’un mois de salaire pour ces manquements ayant nécessairement cause préjudice au salarié, soit 1.466 euros.
ORDONNER à l’AGS de relever et garantir toutes les condamnations mises à la charge de la société TAKEEATEASY.FR selon la garantie légale.
CONDAMNER l’AGS CGEA, appelante, à une somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ».
La déclaration d’appel a été signifiée le 20 décembre 2021 à la SELAFA MJA prise en la personne de Mme [U] [I] et remise à une personne s’étant déclarée habilitée à recevoir la copie. Le mandataire liquidateur n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2022.
Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le périmètre de l’appel se trouve limité à la garantie de l’AGS qui n’entend pas revenir sur la qualification de la relation contractuelle en contrat de travail et à la demande de dommages et intérêts de M. [H] qui a été rejetée par le conseil de prud’hommes.
Sur la rupture de la relation de travail et ses incidences sur la garantie de l’AGS
L’AGS fait valoir que :
– la prise d’acte de M. [H] le 13 septembre 2016, alors que la relation contractuelle était toujours en cours, s’analyse en une démission alors qu’il ne justifie d’aucun manquement de la Société et qu’en tout état de cause cette demande de prise d’acte serait prématurée faute pour lui d’avoir avisé la Société des manquements qu’il lui reprochait ;
– s’agissant d’une rupture à l’initiative du salarié, sa garantie est exclue pour les dommages et intérêts pour rupture abusive ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour l’indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que pour l’indemnité de travail dissimulé ;
– l’article L. 3253-8 du code du travail dispose que l’AGS ne couvre que les créances résultant de la rupture des contrats de travail qui intervient à l’initiative du mandataire liquidateur, dans les 15 jours suivant le jugement de liquidation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, de sorte que sa garantie n’est pas due, peu important que la poursuite de l’activité ne soit plus possible ;
– l’e-mail du 26 juillet 2016 est un courrier informant les coursiers de la suspension de l’activité de la Société et ne saurait constituer la notification d’un licenciement ce que ne peut ignorer l’intimé, à défaut de quoi il n’aurait pas adressé un courrier de prise d’acte postérieurement, de sorte que la juridiction prud’homale a violé les dispositions légales et a dénaturé les faits applicables à la cause en ayant retenu la fin des relations contractuelle au 26 juillet 2016.
M. [H] soutient notamment, pour sa part, que :
– il a travaillé à temps complet pour la Société sous statut d’auto-entrepreneur jusqu’au 26 juillet 2016, date de la rupture du contrat annoncée par la Société par e-mail, ce qui constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– son contrat a été requalifié en contrat de travail par la juridiction prud’homale ce qui est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation ;
– en l’absence de contrat de travail écrit, son contrat était nécessairement à temps plein et l’AGS doit garantir le salaire mensuel correspondant au salaire minimum pour un contrat à temps plein ainsi que l’ensemble des demandes financières présentées, qui constituent des créances fixées au passif de la liquidation judiciaire.
Sur ce,
Aux termes de l’article L. 3253-6 du code du travail , « tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés mentionnés à l’article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ».
L’article L. 3253-8 de ce code ajoute que « l’assurance mentionnée à l’article L. 3253-6 couvre :
1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;
2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d’observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité ;
3° Les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposé le contrat de sécurisation professionnelle, sous réserve que l’administrateur, l’employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé ce contrat aux intéressés au cours de l’une des périodes indiquées au 2°, y compris les contributions dues par l’employeur dans le cadre de ce contrat et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ;
4° Les mesures d’accompagnement résultant d’un plan de sauvegarde de l’emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l’employeur, conformément aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4, dès lors qu’il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l’article L. 1233-58 avant ou après l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
5° Lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :
a) Au cours de la période d’observation ;
b) Au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
c) Au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621-4 et L. 631-9 du code de commerce ;
d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.
La garantie des sommes et créances mentionnées aux 1°, 2° et 5° inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale, ou d’origine conventionnelle imposée par la loi ».
La « team coursiers » de la Société a adressé le 26 juillet 2016 un mail collectif aux coursiers, dont l’intimé était destinataire, annonçant la suspension de son activité, suivi d’un autre mail du 29 juillet 2016 précisant : « Faisant suite à notre précédent message, vous trouverez ci-dessous une liste mise à jour des process à suivre pour postuler dès maintenant auprès des plateformes concurrentes de notre service en bénéficiant d’un traitement de faveur en tant qu’ancien partenaire de Take Eat Easy ».
Il était mentionné différents noms de plate-formes concurrentes et il était conseillé aux coursiers de faire mention de leur qualité d’ « ancien coursier Take Eat Easy ».
Il s’en déduit que la relation de travail a pris fin le 26 juillet 2016 à l’initiative de la Société, étant relevé au surplus que cette analyse est corroborée par le fichier interne de suivi des coursiers qui mentionne une dernière connexion à l’application coursier pour recevoir leur course « Last connexion date » le 26 juillet 2016 « 2016-07-26 ».
La relation de travail ayant été rompue à l’initiative de l’employeur à la réception de ce courriel, peu important que postérieurement à la liquidation judiciaire l’intimé ait adressé un courrier de prise d’acte de rupture, l’AGS doit sa garantie pour l’ensemble des indemnités de rupture analysées ci-dessous.
Sur les rappels de salaire et les congés payés afférents
L’AGS fait valoir que la demande de rappel de salaire sur un temps plein est infondée alors qu’il appartient à l’intimé d’établir en quoi il se serait effectivement tenu à la disposition permanente de l’employeur, et qu’à tout le moins il lui appartient de produire ses relevés bancaires et ses fiches d’imposition pour s’assurer qu’il ne percevait pas d’autres revenus professionnels induisant qu’il ne se tenait pas à la disposition de la Société.
M. [H] soutient que :
– il n’y avait aucune liberté d’horaires, les coursiers travaillant selon le bon vouloir de la Société qui modifiait régulièrement les plannings ;
– son embauche a eu lieu le 27 janvier 2016 et il a travaillé à partir du 1er février 2016 jusqu’à sa dernière ‘connexion’ en juillet 2016 ; il a donc travaillé 5,84 mois et sollicite le calcul des salaires sur la base du SMIC qui en 2016 s’élevait mensuellement à 1 466,62 euros.
Sur ce,
Aux termes de l’article l’article L. 3123-6 du code du travail, « le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit.
Il mentionne :
1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d’aide à domicile et les salariés relevant d’un accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;
2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;
3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d’aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;
4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.
L’avenant au contrat de travail prévu à l’article L. 3123-22 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d’heures peuvent être accomplis au-delà de la durée fixée par le contrat ».
Ainsi, en l’absence de contrat de travail écrit répondant aux exigences de l’article L. 3123-14 du code du travail, il n’y a pas lieu d’écarter la présomption de travail à temps complet qui en résulte faute pour l’employeur ou, en l’occurrence, le mandataire liquidateur, de rapporter la preuve de la durée de travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire, convenue.
En outre, la non production par l’intimé de ses relevés bancaires et de ses fiches d’imposition est insuffisante pour renverser la présomption, et ce alors même que la cour relève que l’AGS ne définit pas le volume du temps partiel qu’elle revendique.
Il en résulte que le premier juge a justement considéré que le salarié a travaillé à temps complet et que cet emploi non qualifié devait être rémunéré sur la base du SMIC.
Il doit être considéré, comme l’a fait le premier juge que le salarié a travaillé du 1er février 2016 au 26 juillet 2016 et aucun élément ne permet de déterminer qu’il aurait reçu l’ensemble des sommes dues au titre de sa rémunération sur cette période. C’est donc par de justes motifs qu’il a été alloué au salarié la somme de 8 561 euros pour rappel de salaire et 856 euros au titre du rappel de congés, compte tenu du salaire reconstitué.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause sérieuse
L’AGS fait valoir que :
-la rupture de la relation est justifiée par une cause réelle et sérieuse constituée des difficultés économiques rencontrées par la société qui l’ont conduite à sa liquidation judiciaire de sorte qu’il y a lieu de débouter le salarié de toute demande formulée au titre d’une prétendue absence de cause réelle et sérieuse ou de caractère abusif dans la rupture ;
– l’intimé ne justifie ni de l’existence ni du quantum de son préjudice alors qu’il procède par appréciation globale et approximative de sorte qu’il devra être débouté de cette demande ou subsidiairement de la ramener un montant symbolique.
M. [H] oppose que :
– si la procédure de licenciement n’a pas été respectée c’est uniquement du fait du travail dissimulé ;
– licencié pour motif économique, il aurait dû bénéficier d’une indemnisation chômage majorée, outre un contrat de sécurisation professionnelle de 12 mois et un accompagnement particulier au retour vers l’emploi soit plusieurs milliers d’euros de préjudice financier supplémentaires ;
– par ce statut de travailleur dissimulé, il était particulièrement vulnérable à la date de la rupture et s’est retrouvé sans rien, du jour au lendemain, en pleine période estivale ;
– la somme allouée par le premier juge (quatre mois du salaire de référence mensuel de 1 466 euros bruts, soit le SMIC en 2016, majoré de 10% de congés payés) n’est pas disproportionnée pour un salarié privé de droit aux indemnités chômage et du bénéfice d’un licenciement économique, ce qui inclut également le non-respect de la procédure de licenciement.
Sur ce,
Il a été établi que la relation de travail a été rompue lors de la réception du courriel du 26 juillet 2016, de sorte que c’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a jugé que cette rupture doit être considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce peu important les difficultés financières qu’ait pu rencontrer la Société .
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a alloué la somme de 6 450 euros en réparation du préjudice causé par le licenciement abusif.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
L’AGS fait valoir que :
– la convention collective des transports routiers prévoit une indemnité compensatrice de préavis s’élevant à une semaine dès lors que le salarié dispose de moins de six mois d’ancienneté ;
– M. [H] ne démontre pas avoir fourni une prestation de travail durant plus de six mois de sorte que cette indemnité devra être limitée à une semaine sur la base du SMIC mensuel applicable en 2016 outre les congés payés afférents.
M. [H] répond que :
– la convention collective Syntec, spontanément appliquée par la Société et qui n’est pas contestée par le mandataire liquidateur prévoit un préavis d’un mois dès lors que le salarié a une ancienneté supérieure à un mois ;
– en cas de contestation de l’application de cette convention collective il y aurait lieu d’appliquer celle des transports routiers qui prévoit un délai identique.
Sur ce,
Le premier juge a fait une exacte application de la convention collective nationale étendue des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 qui est applicable aux activités de coursiers urbains et l’AGS ne conteste pas l’application de cette convention collective.
L’article 13 de l’accord du 27 février 1951 relatif aux employés Annexe Il prévoit qu’en cas de licenciement d’un employé comptant entre un mois et au moins deux ans de salaire, le délai de congé est de un mois. Le salarié, ayant travaillé plus d’un mois, ainsi que cela a été constaté plus haut, il y a lieu de confirmer le premier juge en ce qu’il a alloué à ce titre une somme de l 466 euros outre celle de 147 euros au titre des congés payés.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
L’AGS fait valoir que :
– l’infraction de travail dissimulé est un délit dont la commission est personnelle et attribuée au dirigeant alors que les parties étaient convenues dès l’origine d’inscrire leur relation dans le cadre d’une relation indépendante et non pas salariale de sorte qu’il n’y a pas eu de travail dissimulé ;
– la Société n’a pas tenté d’échapper à ses obligations légales relatives aux cotisations sociales alors que le contrat de prestation de services prévoyait que le salarié devait fournir une attestation de paiement des cotisations sociales au moins tous les six mois ;
– M. [H] ne démontre aucunement l’élément intentionnel du travail dissimulé et se borne à invoquer les constats de l’inspection du travail et de l’URSSAF.
M. [H] oppose que :
– l’Urssaf, l’inspection du travail et la chambre sociale de la Cour de cassation ont reconnu l’intention frauduleuse de dissimulation d’un travail salarié par la société Take Eat Easy de sorte que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de l’article L. 8221-5 du code du travail est due et est comprise dans l’assiette de garantie de l’AGS ;
– la Société ne se contentait pas de dissimuler l’emploi salarié en contraignant ses coursiers à adopter un statut d’indépendant après avoir commencé à travailler mais leur proposait aussi un paiement en nature en leur proposant de commander des pièces détachées au sein de ses magasins partenaires tels que Beastybike et avait conscience de sa subordination permanente de sorte que l’infraction de travail dissimulée est établie.
Sur ce,
Aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail : « est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
– De se soustraire intentionnellement à la déclaration préalable à l’embauche ;
– De se soustraire intentionnellement aux déclarations des salaires ou des cotisations sociales » .
L’article L. 8223-1 de ce code ajoute qu’ « en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ».
La cour relève que par de justes motifs, qui ne sont d’ailleurs plus discutés à ce jour, le premier juge a retenu l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation qui caractérise un lien de subordination pour en conclure que l’intimé était fondé à demander la requalification de son contrat en contrat de travail à durée indéterminée.
Il en résulte qu’en présence d’un lien de subordination flagrant et constant depuis le début des relations contractuelles, l’intention frauduleuse de travail dissimulé commise par la Société, par dissimulation d’emploi salarié est caractérisée, et ce sans qu’il soit nécessaire de suivre davantage les parties dans le détail de leur argumentation.
C’est par de justes motifs que le premier juge a relevé que l’employeur s’est intentionnellement soustrait à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance de bulletins de paie ainsi qu’aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale, de sorte qu’il s’agit d’une créance née antérieurement à la date du jugement d’ouverture de la liquidation et destinée à réparer forfaitairement les préjudices qui résultent de la rupture de ce contrat de travail volontairement dissimulé de sorte que la garantie de l’AGS est due.
Sur les dommages-intérêts sollicités par M. [H] pour « sanctions pécuniaires illicites, absence d’application d’une convention collective, absence de visite médicale, irrespect des durées de travail et de repos »
M. [H] fait grief au conseil des prud’hommes de ne pas avoir donné une suite favorable à ses demandes et fait valoir que la Société :
– ne se souciait que des coûts de livraison et aucunement de son obligation de sécurité faute de suivi médical ;
– n’appliquait pas la convention collective du transport routier qui correspondait à son activité, ce qui lui aurait permis de bénéficier d’avantages conventionnels tels que la qualification du salaire minimal, les indemnisations des kilomètres parcourus ainsi que des paniers repas ;
– n’a pas mis en place des instances représentatives du personnel et un comité d’entreprise alors que les effectifs sont supérieurs à 50 salariés, ce qui lui a porté préjudice ;
– l’a contraint à agir en justice pour récupérer ses salaires ce qui a entraîné ‘d’énormes retards de paiement’ et généré un préjudice financier distinct des autres demandes ;
– l’a privé des dispositions relatives à la formation professionnelle de sorte qu’il n’a pas pu bénéficier d’un compte personnel de formation.
L’AGS fait valoir que :
– en application de l’article L. 3253-6, sa garantie ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat, ce dont il se déduit que les dommages-intérêts mettant en ‘uvre la responsabilité de droit commun de l’employeur en sont exclus ;
– M. [H] ne justifie pas du principe d’un préjudice sur chacun des prétendus manquements qu’il invoque.
Sur ce,
C’est par de justes motifs, que la cour approuve que le premier juge a relevé que ces demandes, prises isolément ou dans leur ensemble ne sont pas justifiées.
La cour relève en outre que s’agissant de manquements allégués commis dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, il appartient au salarié de démontrer non seulement une faute, un préjudice certain, né et actuel mais aussi un lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice, qui au surplus n’aurait pas déjà été suffisamment réparé par les autres sommes allouées à titre de créances fixées au passif de la liquidation judiciaire de la Société.
Faute pour M. [H] de procéder à cette démonstration avec la rigueur qui s’impose, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la garantie de l’AGS s’agissant de la somme allouée à M. [H] au titre des frais de procédure et des dépens
L’AGS soutient que les frais sollicités au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’entrent pas dans le champ d’application de sa garantie qui est limitée aux seules sommes dues en exécution du contrat de travail.
Sur ce,
Il est de principe que sont exclues de la garantie de l’AGS les sommes dues par l’employeur sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de sorte que le jugement déféré sera complété en ce sens, la seule mention de « DÉCLARE le jugement opposable à l’AGS CGEA IDF OUEST dont la garantie sera déterminée selon les modalités et limites résultant des dispositions des articles L. 3253 6 et suivants du code du travail » étant insuffisamment précise sur le contour de la garantie de l’AGS pour ce faire.
Il s’évince des considérations qui précèdent que le jugement déféré mérite confirmation sauf à préciser que la garantie de l’AGS est due à l’exception de la somme fixée au passif de la liquidation judiciaire s’agissant de l’indemnité de procédure et des dépens de première instance.
Sur la demande de l’AGS tendant à dire que « la garantie de l’AGS ici applicable est limitée à 4 fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d’assurance chômage, en application de l’article D. 3253-5 du code du travail »
Aux termes des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail, l’assurance contre le risque de non-paiement des sommes dues aux salariés s’applique aux créances définies par les articles L. 3253-8 et suivants et les décisions de justice sont de plein droit opposables à l’UNEDIC Délégation AGS CGEA, qui doit faire l’avance des sommes dues dans les limites du plafond applicable.
Aux termes de l’article D. 3253-5 du code du travail, « Le montant maximum de la garantie prévue à l’article L. 3253-17 est fixé à six fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d’assurance chômage.
Ce montant est fixé à cinq fois ce plafond lorsque le contrat de travail dont résulte la créance a été conclu moins de deux ans et six mois au moins avant la date du jugement d’ouverture de la procédure collective, et à quatre fois ce plafond si le contrat dont résulte la créance a été conclu moins de six mois avant la date du jugement d’ouverture.
Il s’apprécie à la date à laquelle est due la créance du salarié et au plus tard à la date du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire ».
Ainsi, au regard de la période travaillée qui a été retenue dans le cadre de la présente affaire au développement relatif au « rappels de salaire et les congés payés afférents », il appartiendra à l’AGS de retenir la limite de garantie applicable dans les termes du dispositif.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
L’AGS, qui succombe, supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à l’intimé une somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour l’ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement du 24 septembre 2021 du conseil de prud’hommes de Paris en toutes ses dispositions ;
Et ajoutant,
Décide que la garantie de l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest est due pour l’ensemble des créances fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Takeeateasy.fr à l’exception de la somme de 500 euros allouée au titre des frais de procédure et des dépens ;
Rappelle que la garantie de l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest est limitée au plafond applicable précisé à l’article D. 3253-5 du code du travail ;
Condamne l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest aux dépens d’appel ;
Condamne l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest à payer à M. [L] [H] la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre.
La Greffière, Le Président,