Convention collective Syntec : 15 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00940

·

·

Convention collective Syntec : 15 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00940

15 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/00940

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 MARS 2023

N° RG 21/00940

N° Portalis DBV3-V-B7F-UMYA

AFFAIRE :

[N] [M]

C/

Société CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 4 mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : E

N° RG : F 18/00958

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Slim BEN ACHOUR

Me Frédéric ZUNZ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [N] [M]

né le 11 juin 1960 à [Localité 5] (Inde)

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Slim BEN ACHOUR de la SELEURL SELARLU CABINET SLIM BEN ACHOUR, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, substitué à l’audience par Me Jean WILLEMIN, avocat au barreau de Paris

APPELANT

****************

Société CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES venant aux droits de la société SOGETI France

N° SIRET : 479 766 842

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [M] a été engagé en qualité d’ingénieur-projet administrateur de bases de données, selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 juin 2005, par la société Sogeti-Transiciel.

La société Capgemini Technology Services, qui vient aux droits de la société Sogeti France, venant elle-même aux droits de la société Sogeti-Transiciel, est spécialisée dans le secteur d’activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale dite Syntec.

Les relations contractuelles se sont dégradées entre le salarié et la société à compter de 2011.

Une première procédure disciplinaire, initiée par une lettre de convocation du 6 juin 2017 à un entretien préalable fixé le 13 juin 2017, repoussé au 22 juin 2017, n’a débouché sur aucune suite.

Le salarié a été en arrêt maladie du 7 novembre 2017 au 8 décembre 2017.

Une seconde procédure disciplinaire a été initiée par l’employeur qui a convoqué le salarié par lettre du 15 décembre 2017 à un entretien préalable fixé le 22 décembre 2017.

Le salarié a été licencié par lettre du 19 janvier 2018 pour faute simple dans les termes suivants:

« Monsieur,

Par courrier recommandé avec accusé de réception n° 1A 142 484 3806 8 du 15 décembre 2017, vous avez été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement qui s’est tenu dans nos locaux, le vendredi 22 décembre 2017 à 11 heures, avec Monsieur [S] [H], Local Business Line Manager (LBLM, en présence de Madame [A] [E], Responsable Ressources Humaines. Vous vous êtes présenté assisté de Monsieur [X] [F] [V], délégué du personnel suppléant.

Nous vous rappelons que vous avez intégré notre société le 13 juin 2005, et que vous occupez aujourd’hui la fonction de Consultant Base de Données confirmé position 2.2, coefficient 130, au sein de l’entité Cloud Infrastructure.

Les explications que vous nous avez apportées lors de cet entretien ne nous ayant pas convaincus, nous avons pris en conséquence la décision de vous notifier par la présente votre licenciement.

Les motifs qui nous ont conduits à prendre cette décision sont les suivants :

Vous avez réalisé votre dernier Entretien de Développement Professionnel (EDP) le 04 septembre 2017 avec votre Practice Manager (PM), Monsieur [O] [L].

Lors de cet EDP, vous avez défini conjointement un plan de formation pour l’année 2018.

Celui-ci prévoyait un axe de travail autour des technologies BIG DATA et du métier de DATA SCIENTIST.

Devant votre insistance à vouloir réaliser une formation de DATA SCIENTIST immédiatement, Monsieur [L] vous a rappelé que le plan de formation devait être validé préalablement en Comité d’Evaluation et de Développement (CED) et présenté au Comité d’Entreprise avant la fin de l’année 2017.

Compte tenu de votre ancienneté dans notre entreprise, vous n’étiez pas sans savoir que le plan de formation défini en EDP n’est qu’une proposition de plan de formation, qui donne lieu à validation ou modification en CED, auxquels participent les Responsables Ressources Humaines (RRH).

La décision prise en CED est restituée lors de l’entretien de restitution (EDR) se tenant au cours du premier trimestre de l’année suivant l’EDP.

Vous nous avez d’ailleurs confirmé lors de l’entretien préalable du 22 décembre 2017 avoir parfaitement connaissance de nos procédures d’entreprise.

Le 17 novembre 2017, estimant que le déroulement du plan de formation 2018 n’était pas assez rapide, de votre propre initiative, vous vous êtes inscrit en ligne à un « cycle certifiant Data Scientist », auprès de l’organisme de formation ORSYS.

Sans aucune autorisation de vos supérieurs hiérarchiques, vous avez engagé financièrement notre société à hauteur de 5 660 euros HT en communiquant les coordonnées de votre Directeur adjoint Ile de France, Monsieur [K] [G], de votre société SOGETI France et de votre entité CLOUD INFRA France, lors de votre inscription.

Vous avez reconnu lors de l’entretien préalable du 22 décembre 2017 avoir agi de façon délibérée, en parfaite conscience, estimant que votre Practice Manager ne faisait pas preuve de réactivité.

Vous nous avez confirmé que votre initiative vous paraissait justifiée dans la mesure où votre Practice Manager avait refusé d’accéder rapidement à votre demande de formation « Data Scientist ».

Votre comportement et votre attitude en marge des procédures mises en place au sein de notre société ne sont malheureusement pas isolés.

En effet, nos accords d’entreprise offrant la possibilité de verser une partie des congés sur le Plan d’Epargne pour la Retraite Collectif (PERCO), en octobre dernier, vous nous avez indiqué à plusieurs reprises avoir réalisé les démarches nécessaires pour bénéficier de ce dispositif entre 2005 et 2012.

En octobre 2017, vous nous avez indiqué que les versements qui auraient dû être faits sur votre PERCO entre 2005 et 2012 n’avaient jamais abouti.

A plusieurs reprises, votre Responsable RH vous a demandé par oral et par écrit de lui communiquer les éléments nous permettant d’investiguer et de régler le problème.

Vous n’avez jamais daigné lui répondre.

Faute de réponse de votre part, notre entreprise a effectué de nombreuses démarches et recherches, auprès de notre service paie, ainsi qu’auprès de l’entreprise AMUNDI, afin de retrouver des traces de demandes de versement sur votre PERCO.

Vous vous êtes montré extrêmement virulent envers notre société et vos managers, en tentant de démontrer que notre entreprise n’était pas sérieuse, n’assurait aucun suivi de ses salariés et manquait à ses obligations envers ses salariés.

Lors de l’entretien préalable du 22 décembre 2017, nous vous avons indiqué que le PERCO avait été mis en place dans le groupe uniquement en janvier 2012.

Dans votre cas, les versements que vous indiquez avoir effectués sont antérieurs à la mise en place du PERCO.

Lorsque ces éléments factuels vous ont été présentés lors de notre entretien du 22 décembre, vous n’avez pu apporter aucune explication valable.

Vous avez donc fait preuve de malhonnêteté et de mauvaise foi envers votre entreprise en l’accusant de n’avoir pas réalisé des opérations dont vous n’aviez en réalité jamais demandé la réalisation.

Votre comportement, extrêmement chronophage sur notre activité, constitue un non-respect de votre obligation contractuelle de loyauté.

Ces écarts de comportement sont également étayés par d’autres faits qui vous ont été exposés par Monsieur [H] lors de l’entretien préalable du 22 décembre 2017 :

‘ Déroulement de votre dernière mission chez MBDA

Vous étiez en mission chez notre client MBDA, depuis le 21 août 2017.

Du fait que notre demande d’habilitation à travailler sur ce site client, vous concernant, était en cours de traitement par les autorités compétentes, et que par conséquent, votre badge d’accès n’était pas encore à votre disposition, dans un mail en date du 22 novembre 2017, vous nous avez accusés de vous faire travailler en toute illégalité et de ne pas vous permettre de déjeuner.

Or, il s’avère que Monsieur [H] vous avait fourni des consignes de travail très précises, à savoir que votre deviez intervenir uniquement en support aux intervenants habilités.

Vous ne deviez en aucun cas intervenir de votre propre initiative directement sur les serveurs du client.

Suite aux nombreux désaccords et aux échanges particulièrement désagréables que vous avez eus avec vos interlocuteurs, tant chez notre client qu’au sein de notre société, nous n’avons eu d’autre choix que de mettre immédiatement fin à votre mission, dès le mercredi 22 novembre 2017.

Là encore et alors même que votre sortie vous avait été annoncée à l’oral et par mail par Monsieur [H] et par votre chef de projet, vous avez fait preuve d’insubordination en ne respectant les consignes.

Pas moins de 3 appels téléphoniques ont été nécessaires avant que vous ne vous exécutiez.

Concernant vos déjeuners, s’il est admis qu’au démarrage de la prestation vous étiez en attente d’un badge d’accès au site client, vous n’étiez pas isolé car vous étiez toujours accompagné de vos collègues de SOGETI France, qui avaient la capacité et n’ont jamais rechigné à vous faire entrer et sortir.

Ce principe vous a été rappelé à plusieurs reprises par votre Practice Manager, Monsieur [L] et votre LBLM, Monsieur [H].

Par la suite, ce problème de badge a été résolu et vous avez disposé d’un badge pour circuler dans les locaux du client.

Vous aviez donc toute la capacité à aller déjeuner contrairement à ce que vous affirmez.

‘ Remboursement de vos frais professionnels

Vous nous avez accusés de ne pas faire le nécessaire pour que vos frais professionnels soient remboursés, alors que le défaut de remboursement de vos frais n’était que le résultat de manquements de votre part.

Plusieurs réponses vous ont été apportées. Nous vous avons rappelé l’impérieuse nécessité de saisir correctement les informations afférentes à vos frais dans MyExpenses, notre outil de gestion des frais professionnels.

Alors que tous les autres salariés se sont formés par les tutoriels d’utilisation de notre outil Myexpenses, mis à disposition sur notre intranet, nous avons accepté de vous recevoir à plusieurs reprises pour vous expliquer comment saisir vos frais dans cet outil. Malgré ce temps accordé et la pédagogie dont nous avons fait preuve, vous avez eu un comportement inadmissible et tenu des propos excessifs et virulents envers votre manager, Monsieur [L] et envers Madame [B] [J], votre assistante. Pendant que ces derniers vous expliquaient que des corrections étaient attendues de votre part car vous aviez saisi des lieux erronés dans l’outil (« [P] » au lieu de « [Localité 6] » par exemple), vous avez arraché des mains de Monsieur [L] l’ordinateur sur lequel il vous fournissait des explications, devant tous les salariés travaillant dans l’open space. Vous n’avez par la suite jamais apporté les modifications attendues.

‘ Déroulement de votre dernier EDP

Vous avez reproché à votre Practice Manager que votre EDP 2017 n’avait duré que 5 minutes. Or, vous avez confirmé à Monsieur [H] que Monsieur [L] vous avait envoyé le compte-rendu d’entretien dès la fin de votre EDP, en votre présence. Il vous a en effet adressé ce compte-rendu dans un mail en date du 4 septembre 2017 à 17h12 : votre EDP ayant commencé à 16h00, celui-ci a duré a minima 1h12, contrairement à ce que vous affirmez.

Votre mauvaise foi et vos revendications systématiques, vos insubordinations répétées vis-à-vis de vos managers, vos mensonges, votre attitude marginale et chronophage pour le personnel en charge de votre gestion (managers, assistante, service paie), la violence de des propos et des gestes dont vous faites preuve, sont inacceptables.

Cette situation est d’autant plus grave que nous vous avions déjà rappelé à l’ordre en juin 2017 sur ce type de comportement.

Ces éléments, associés à votre absence totale de prise de conscience de l’impact de votre attitude sur vos différents interlocuteurs et votre absence de remise en question durant l’entretien préalable du 22 décembre 2017, rendent impossible le maintien de votre employabilité au sein de notre entreprise et la poursuite de nos relations contractuelles.

Ceci nous conduit donc à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute simple, sur les griefs précédemment évoqués. »

Le 27 juillet 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en vue de prononcer, à titre principal, la nullité de son licenciement pour discrimination salariale, harcèlement moral et violation de la liberté d’expression avec demande de réintégration et à titre subsidiaire, le licenciement sans cause réelle ni sérieuse aux torts exclusifs de la société en la condamnant à lui payer plusieurs sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 4 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

– dit qu’il n’y a pas lieu à nullité du licenciement du fait de l’absence de discrimination, de harcèlement ou de violation de la liberté d’expression,

– débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes,

– reçu la société Capgemini Technology Services en sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et l’en déboute,

– mis les éventuels dépens à la charge de M. [M].

Par déclaration adressée au greffe le 3 février 2021, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [M] demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 4 mars 2021 N°18/00958 en ce qu’il a débouté M. [M] de l’intégralité de ses demandes,

et, statuant à nouveau,

– dire et juger discriminatoire son traitement,

– constater la situation de harcèlement moral dont il a été victime,

– constater que les motifs du licenciement caractérisent une violation de la liberté d’expression,

en conséquence,

sur la rupture du contrat,

à titre principal,

– dire et juger nul le licenciement,

– en conséquence, ordonner sa réintégration dans son poste de travail, avec une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la cour se réservant le pouvoir de procéder à la liquidation de l’astreinte,

– condamner la société Sogeti France à lui verser une indemnité correspondant au montant des salaires dus jusqu’à la réintégration, soit la somme de 117 463,47 euros arrêtée au 10 décembre 2020, qui devra être réajustée à la date de la notification de la décision, outre intérêts au taux légal à compter de la date d’échéance mensuelle de chacun des salaires compris dans cette somme,

subsidiairement,

– dire et juger que le licenciement intervenu est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Sogeti France à lui payer :

. 88 837,92 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 560,02 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,

en tout état de cause,

– condamner la société Sogeti France à lui payer les sommes suivantes :

. 50 000 euros en réparation du préjudice découlant du harcèlement moral,

. 50 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du manquement à l’obligation de sécurité,

. 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de l’exécution déloyale du contrat de travail,

. 165 695,40 euros en réparation du préjudice financier de la discrimination,

. 20 000 euros en réparation du préjudice moral de la discrimination,

. subsidiairement, 54 252 euros de rappels de salaire au titre de l’inégalité de traitement et 5 425 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

. 1 618,52 euros au titre de la prime de fin d’année,

. 161,85 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

. 112,50 euros de rappels de salaire en remboursement des frais professionnels qu’il a engagés,

. 1 074,09 euros de dommages et intérêts en réparation de la parte de son épargne salariale sur la période antérieure à 2012,

– condamner la société Sogeti France au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– le tout avec intérêt légal à compter du jour de l’introduction de la demande,

– condamner la société Sogeti France aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Capgemini Technology Services demande à la cour de :

– confirmer le jugement du 4 mars 2021 en ce qu’il a :

. dit qu’il n’y a pas lieu à nullité du licenciement du fait de l’absence de discrimination, de harcèlement ou de violation de la liberté d’expression,

. dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

. débouté M. [M] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [M] à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la discrimination en raison de la race et le harcèlement moral

A l’appui tant de la discrimination que du harcèlement moral allégué, le salarié expose qu’il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement une semaine après son retour d’arrêt maladie à la suite d’un malaise sur le lieu de travail, qu’il était le seul à avoir des astreintes de nuit sur 30 jours, sans repos, et ce tous les trois mois, qu’il a vainement sollicité un ordinateur portable en 2008, relevé de nombreux manquements dans le traitement de ses bulletins de paie, le paiement des heures supplémentaires, son évolution professionnelle quasiment inexistante, et qu’il a subi de nombreux reproches sur ses difficultés à échanger en français, qu’il a été victime d’une inégalité de traitement par rapport à ses homologues en terme de rémunération.

L’employeur objecte qu’il n’existe aucune discrimination ni harcèlement moral dont puisse se prévaloir le salarié.

**

D’abord, selon l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

– constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable,

– constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

L’ action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination . Les dommages-intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-14.543, publié).

Par ailleurs, lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande. Ainsi lorsqu’une demande de rappel de salaire est fondée, non pas sur une discrimination mais sur une atteinte au principe d’égalité de traitement, cette demande relève de la prescription triennale (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 20-12.960, 20-12.962, publié).

Ensuite, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La prescription applicable à l’action en réparation du préjudice résultant d’un harcèlement moral est de deux ans, par application de l’article L. 1471-1 du code du travail.

Sur la discrimination

Au cas présent, à l’appui de la discrimination alléguée en raison de la race (M. [M] est d’origine indienne) et de l’état de santé, ainsi que du harcèlement moral dont il soutient avoir été victime, le salarié invoque les faits suivants :

– la réalisation d’astreinte de nuit de 30 jours d’affilée lors de la mission Total, entre 2012 et 2016, sans jour de repos

Il produit un ordre de mission qui indique la réalisation/de 36h40 par semaine et des ‘astreintes (selon planning joint)’, ce tableau n’étant pas davantage produit que devant les premiers juges.

Il produit également un tableau de saisie des astreintes qui indique, de juillet 2012 à octobre 2014, le nombre d’heures d’astreinte réalisées pour cette mission par semaine (par exemple, en juillet 2012 : 48h astreinte en semaine 27, soit un total en juillet 2012 de 216h d’astreinte, entraînant le paiement d’une prime de 619 euros), ainsi que l’attestation d’un collègue (34S) indiquant qu’il effectuait des horaires de nuit chez le client Total (2012-2016).

Ces seuls éléments, dont il ne ressort pas la réalisation d’astreinte de nuit pendant 30 jours d’affilée sans jour de repos, ne permettent pas d’établir la matérialité de ce fait.

– sur la demande d’ordinateur portable

Le salarié produit un courriel du 10 août 2009 de la ‘BU Services publics’ indiquant ‘je n’ai pas commandé de portable à ton nom spécifiquement, je t’ai indiqué que la distribution était en cours.(…) tout le monde doit en avoir un’, un courriel du 11 décembre 2009 du ‘practice leader’ de la ‘BU Services publics’ indiquant ‘concernant l’acquisition d’un ordinateur portable pour ceux qui ne l’ont pas reçu en 2009 une seconde vague de déploiement de ces ordinateurs portables aura lieu au 1er trimestre 2020″, et un courriel du 19 mai 2010 du ‘practice manager’ (le PM) répondant à sa demande d’attribution d’un PC en lui indiquant que ‘il n’y a pas eu de nouvelles attributions de portables depuis le premier semestre 2009; Pour saisir ton activité, des PC sont mis à disposition à St Cloud et à Duret en libre service; afin de réitérer ta demande de portable il faut t’adresser à ta BU service publics’.

Ces faits, au surplus prescrits dès lors que le salarié n’établit pas ni même n’allègue qu’il ait continué à ne pas être doté d’un ordinateur portable, ne permettent pas d’établir qu’aucun ordinateur portable n’a été attribué au le salarié.

– un certain nombre d’erreurs dans le traitement de ses bulletins de salaire

Le salarié produit un courriel adressé le 22 novembre 2017 à M. [L] lui demandant de l’aider à obtenir le remboursement des frais de voyage à [Localité 6] (du 10 juillet 2017, pièce 7S pour 90 euros et 12,50 euros).

Le salarié produit un courriel d’une assistante du 4 novembre 2014 reconnaissant une erreur sur sa paie, le service ayant décompté par erreur des congés payés en octobre 2014 (pièce 23.2S), et un courriel 9 janvier 2015 du service de paie lui indiquant qu’il n’avait pas droit aux titres restaurants réclamés compte tenu des congés payés qu’il a pris en octobre 2014, le salarié redisant alors et justifiant, par la production de ses échanges avec sa responsable, qu’il n’a pas pris de congés en octobre 2014.

Seule une retenue effectuée par erreur étant établie, et réparée immédiatement par l’employeur qui a, de lui-même, demandé au service de paie, non compétent pour la délivrance des titres restaurants, de procéder à une avance de 800 euros au salarié (cf sa pièce n°23.1), les faits allégués, tirés de l’existence ‘d’un certain nombre d’erreurs dans le traitement de ses bulletins de salaire’, ne sont pas établis.

– le non paiement de la totalité de ses heures supplémentaires, de nuit et d’astreinte accomplies entre 2012 et 2016

Le salarié, qui ne formule aucune demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, de nuit et d’astreinte non rémunérées, produit une lettre du 30 mai 2019 adressée à l’employeur et demandant le paiement de 5 839 heures supplémentaires réalisées entre juillet 2012 et juin 2016, y joignant un tableau sur la période, mentionnant par exemple en janvier 2016: 56 H d’astreinte, sans comporter aucun détail des jours et horaires auxquels les heures supplémentaires ou astreinte non rémunérées ont été réalisées.

Ce fait n’est pas établi.

– l’absence de ‘trace’ de son épargne salariale constituée avant 2012

Le salarié produit une lettre du 8 septembre 2017 de la société ‘Amundi’ lui adressant le récapitulatif des opérations d’épargne salariale depuis 2012 et indiquant une reprise du compte au 16 octobre 2012, ainsi qu’une lettre de Sogeti au salarié le 29 avril 2009 lui indiquant un solde au titre de la participation de 1 074 euros.

Ces éléments ne sont pas suffisamment précis pour considérer comme étant établie l’absence de ‘trace’ de l’épargne salariale constituée avant 2012.

– l’impossibilité de se rendre aux toilettes à sa guise et même d’aller déjeuner lors de la mission MBDA

A titre liminaire, la cour relève que le salarié n’invoque pas l’absence d’habilitation secret-défense dans ses écritures.

Le salarié produit un courriel qu’il a adressé le 13 septembre 2016 à 7h38 à M. [G], indiquant ne pas avoir de compte pour accéder aux serveurs UNIX et base Oracle 12c, pas d’accès au site MDBA, qu’il ‘faut qu’un statuaire fasse l’entrée et la sortie quand il le peut. J’ai besoin d’être accompagné partout y compris aux besoins physiologiques, que faute d’accès au restaurant ou sortir, il ne déjeune pas, qu’il est forcé à utiliser l’accès de ses autres collègues pour accéder aux serveurs’, invitant son supérieur à lui rendre visite sur le site.

Il produit la réponse faite le jour-même par M. [G] (pièce 14S) lui indiquant ‘nous avons besoin de toi sur la mission MDBA pour une durée indéterminée (…) La situation est spécifique en raison du fait que tu n’es pas habilité. Et pour des raisons de sécurité nous sommes soumis aux contraintes du client. Cette situation n’est pas confortable mais nécessaire.’

Ces seuls éléments, par lesquels l’employeur acquiesce à l’interpellation du salarié et aux difficultés qu’il évoque, établissent l’impossibilité pour le salarié de se rendre aux toilettes à sa guise et d’aller déjeuner lors de la mission MBDA.

– une évolution professionnelle ‘quasi nulle’ et le refus systématique de ses demandes de formation

Il rappelle qu’il a été engagé en 2005 qualité d’administrateur de bases de données , ingénieur projet ,cadre, position 2.1, coefficient 115, moyennant un salaire brut global annuel de 39 000 euros dont 3 000 euros mensuel, sa dernière fiche de paie indiquant en 2018 une position 2.2, coefficient 150 et un salaire de base de 3 237 euros, soit une évolution salariale de 300 euros en 12 ans.

L’évolution professionnelle ‘quasi nulle’ est établie.

En revanche, à l’appui de l’allégation selon laquelle ses demandes de formation ont systématiquement été refusées il ne produit que le compte-rendu de l’entretien préalable du 22 décembre 2017, insuffisamment probant sur ce point. Ce fait n’est pas établi.

– le reproche systématique, fait lors des entretiens annuels, d’améliorer « sa communication en français »

Le salarié produit l’entretien du 15 juin 2009 qui indique que l’amélioration de sa communication en français était un objectif du dernier entretien, le bilan de la mission TOTAL qui indique simplement qu’il doit ‘améliorer sa communication’. Le fait selon lequel son manager aurait évoqué, lors du dernier entretien d’évaluation, les origines de M. [M] est dépourvu d’offre de preuve autre que ses propres propos tenus lors de l’entretien préalable, à ce titre dépourvus de force probante.

Il en résulte qu’il n’est pas établi que l’employeur lui a systématiquement fait le reproche, lors des entretiens annuels, d’améliorer sa communication en français.

– un traitement défavorable qui lui était réservé par rapport à ses collègues

L’allégation du salarié selon laquelle les 3 autres salariés au profil similaire au sein étaient rémunérés entre 25 et 50 % de plus que lui est dépourvu de toute offre de preuve.

La cour relève que le salarié demande ici que les pièces adverses 6, 7 et 8, constituées par des tableaux produits par l’employeur et contenant notamment les noms, coefficients et date d’embauche de salariés, soient écartées des débats. Cependant, la cour n’en est pas saisie faute de demande en ce sens dans le dispositif de ses dernières conclusions.

Cette demande est en outre contradictoire avec l’argument selon lequel ‘le refus de communiquer ces éléments constituant selon la jurisprudence un indice important laissant supposer l’existence de discrimination (Aff. CJUE 19 avril 2012, aff. C 415-10, [Z] [Y] contre Speech Design Carrier Systems GmbH)’ qui est inopérant, en conséquence de la production par l’employeur de pièces contenant précisément des informations auxquelles le salarié sollicite d’avoir accès.

Le ‘traitement défavorable qui lui était réservé par rapport à ses collègues’ n’est pas établi.

– les alertes adressées à son employeur sur ‘les répercussions de ses conditions de travail sur sa santé’

D’abord, la lettre du médecin du travail adressée le 26 février 2014 au médecin traitant, et non à l’employeur, l’alertant sur la nécessité de réduire le travail de nuit afin de ne pas aggraver l’état cardiovasculaire du salarié, ne peut être considérée comme une alerte à l’employeur, qui n’en a pas été destinataire.

Ensuite, si le salarié établit qu’il a été arrêté par son médecin pour « souffrance au travail » du 27 novembre au 8 décembre 2017, la convocation à l’entretien préalable lui a été adressée le 15 décembre 2017, soit postérieurement à cet arrêt de travail, de sorte que cette convocation ne peut en être la cause de cette souffrance.

Enfin, le salarié produit un courriel de [R] [T] (‘business manager’) lui demandant les raisons de son absence à une réunion du 27 novembre à 14h et lui rappelant que les réunions sont obligatoires, le salarié lui expliquant avoir fait un malaise le 27 novembre 2017 lors d’une réunion avec M. [I], être allé voir l’infirmière qui lui a conseillé d’aller voir un médecin, et avoir demandé à M. [I] de la prévenir de son absence à la réunion de 14h dans la mesure où il devait aller chez le médecin. Le salarié ajoute : ‘avant de quitter Sogeti je suis allée voir Mme [E] [A] qui a refusé de me voir. Quant à Monsieur [L] il était trop occupé pour m’accorder du temps.’

Si ces échanges établissent l’alerte faite par le salarié relative à son état de santé le jour en question, ils ne caractérisent toutefois pas une alerte du salarié concernant ‘les répercussions de ses conditions de travail sur son état de santé’.

Ce fait n’est dès lors pas établi.

En définitive, le salarié présente des éléments de fait – une évolution professionnelle ‘quasi nulle’ et l’impossibilité de se rendre aux toilettes lors d’une mission – qui laissent supposer l’existence d’une discrimination en raison de la race ou de l’état de santé.

Concernant l’évolution professionnelle, d’abord le salarié indique lui-même dans ses conclusions (p. 10) que son salaire mensuel brut se chiffrait à la somme de 3 701,58 euros, calculée sur la moyenne des douze mois de salaire, correspondant à la somme annuelle globale de 44 418 euros, soit 5 418 euros par an ou 451 euros par mois de plus que lors de son embauche en 2005. Ensuite, l’employeur établit par la production de différents courriers de clients ou interlocuteurs du salarié, que ce dernier ne justifiait pas des compétences suffisantes pour bénéficier d’un coefficient supérieur au sien, étant précisé que l’employeur établit que d’autres salariés que lui n’ont pas davantage bénéficié d’une évolution de leur coefficient. Les comptes rendus d’entretien annuel indiquent également que le niveau du salarié dans plusieurs compétences n’est pas suffisant.

L’évolution professionnelle ‘quasi nulle’ du salarié est ainsi justifiée par un élément objectif tenant à l’insuffisance de ses compétences, qui est étranger à toute discrimination.

S’agissant de l’impossibilité de se rendre aux toilettes lors d’une mission, l’employeur établit qu’il a vainement sollicité du salarié de nombreux documents afin que celui-ci puisse être habilité secret-défense, afin qu’il puisse intervenir sur le site de la mission dans des conditions normales. L’impossibilité pour le salarié de se rendre aux toilettes et déjeuner sur le site de la mission MDBA est ainsi justifiée par un élément objectif tenant à l’inertie du salarié à remplir le formulaire d’habilitation secret-défense, l’empêchant ainsi d’accéder normalement au site du client.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que l’employeur rapporte la preuve que les agissements invoqués par le salarié ne sont pas constitutifs d’une discrimination à raison de son état de santé ou de ses origines.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de

réparation du préjudice moral et financier de la discrimination, de sa demande subsidiaire de rappel de salaire au titre de l’inégalité de traitement et congés payés afférents laquelle ne comporte pas de moyens de droit distincts de ceux invoqués précédemment, ainsi que de sa demande de nullité du licenciement qui en découlait.

Sur le harcèlement moral

Outre les éléments précédemment évoqués dans le cadre de la discrimination, le salarié invoque des pressions depuis 2016 pour quitter l’entreprise, ainsi que des ordres et contres ordres donnés au salarié sur la mission MAIF à [Localité 6], pour laquelle il a dû interrompre ses congés, et la mission MDBA sur laquelle il lui a été demandé d’intervenir en urgence.

– les pressions depuis 2016 pour quitter l’entreprise

Le salarié invoque une procédure disciplinaire abusive, en l’occurence sa convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement fixé à une date à laquelle il était en congé, dans le seul objectif de le pousser à la faute.

La convocation du 6 juin 2017 à un entretien préalable prévu le 13 juin 2017, date à laquelle le salarié était en congé, est établie. Cependant, sauf à considérer que l’engagement par l’employeur d’une procédure disciplinaire et son choix de ne pas y donner suite, est susceptible de constituer un agissement de harcèlement moral, ce fait ne peut s’analyser en une pression de l’employeur pour lui faire quitter l’entreprise, laquelle n’est dès lors pas établie.

– des ordres et contres-ordres donnés au salarié

S’il est établi qu’il a été demandé au salarié d’effectuer une mission à [Localité 6] à une date à laquelle le salarié, en inter-mission, avait posé des congés, il ne résulte pas des pièces du dossier que cet ordre a été annulé, mais que sa mission a été annulée, par suite d’une demande du client MAIF, en raison de l’absence de maîtrise par le salarié de différents savoirs-faires techniques.

S’agissant de la mission MBDA, le salarié n’établit l’existence d’aucun contre-ordre à la demande qui lui a été faite de rejoindre cette mission en support, à la fin août 2017. Le courriel de l’employeur du 22 novembre 2017 lui rappelant à ce titre qu’il est : ‘en support des intervenants et il (lui) a été demandé de ne pas intervenir directement.’ n’est contredit par aucune autre pièce qu’il produit et dont il résulterait qu’il était missionné en qualité d’intervenant principal comme il l’allègue. Enfin, comme pour la mission MAIF à [Localité 6], l’ordre donné en août 2017 n’a pas été annulé, puisqu’au contraire la mission n’a été annulée qu’en novembre 2017, en raison de ses nombreux désaccords et échanges avec ses interlocuteurs tant chez le client que chez Sogeti.

Les ‘ordres et contre ordres’ allégués ne sont donc pas établis.

Ainsi, les seuls éléments établis sont ceux qui ont précédemment été retenus comme établis dans le cadre de la discrimination – l’évolution professionnelle ‘quasi nulle’ et l’impossibilité de se rendre aux toilettes et de déjeuner sur le site de la mission MDBA.

Si ces faits laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, il a également précédemment été retenu qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. De la même façon, la cour retiendra que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en réparation du préjudice découlant du harcèlement moral, ainsi que de sa demande de nullité du licenciement du fait d’un harcèlement moral et d’une discrimination qui ont été écartés.

Sur le licenciement

Le salarié soutient que son licenciement a été prononcé car il a demandé le paiement de son épargne salariale et s’est plaint, sans termes excessifs, du non remboursement de ses frais professionnels, de sorte qu’il n’a pas abusé de sa liberté d’expression, son licenciement étant donc nul et sa réintégration devant être ordonnée. Subsidiairement, il soutient que les faits sont prescrits pour certains et non fondés, de sorte que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur objecte que les explications précédemment apportées sur la discrimination et le harcèlement moral démontrent qu’en réalité, le salarié a abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos mensongers et erronés, n’hésitant pas, par ses revendications infondées, à impacter sur le travail de ses collègues, et qu’il a exécuté déloyalement son contrat. Il soutient que les faits ne sont pas prescrits puisque la lettre de licenciement invoque des faits du 17 novembre 2017, et une mission qui s’est achevée le 23 novembre 2017, et que la convocation à l’entretien préalable date du 15 décembre 2017.

Sur la nullité du licenciement pour violation de la liberté d’expression

Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement. (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 20-16.060, publié)

Seuls peuvent être sanctionnés, pour manquement aux obligations contractuelles, des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs tenus par le salarié c’est à dire lorsque la liberté d’expression dégénère en abus, le juge du fond devant caractériser cet abus (Soc., 23 septembre 2015, pourvoi n°14-14.021, Bull. 2015, V, n° 177)

Afin de déterminer si le licenciement a sanctionné un exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression, il convient d’examiner l’ensemble des motifs invoqués dans la lettre de licenciement.

L’article L.1235-2-1 du code du travail prévoit par ailleurs qu’en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l’article L. 1235-3-1.

Les dispositions de cet article offrent à l’employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l’indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire. Ce n’est que lorsque l’employeur le lui demande que le juge examine si les autres motifs de licenciement invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l’indemnité versée au salarié qui n’est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l’article L. 1235-3-1. (Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.533, publié).

**

Au cas présent, la lettre de licenciement énonce les griefs suivants :

* une inscription en ligne le 17 novembre 2017 à un cycle de formation auprès d’un organisme de formation, de sa propre initiative, sans aucune autorisation de vos supérieurs hiérarchiques, conduisant à engager financièrement notre société à hauteur de 5 660 euros HT

Il ne s’agit pas d’une demande de pré-inscription comme il le soutient mais bien d’une demande directe d’inscription faite en ligne le 17 novembre 2017 à 13h45, via l’outil PEPS RH, que le salarié a utilisé pour ce faire, ainsi que l’établit les pièces 13 et 14 de l’employeur. Ce fait, qui est ainsi établi par les pièces du dossier, est d’ailleurs reconnu par le salarié qui, lors de l’entretien préalable du 22 décembre 2017, a indiqué avoir agi ainsi car que son supérieur ne faisait pas preuve de réactivité.

Ce grief, qui ne lui reproche pas un abus de liberté d’expression, et n’est d’ailleurs pas cité comme tel par le salarié dans ses écritures, est établi.

* son comportement virulent dans le cadre d’une demande faite à la société de justifier des versement réalisés sur son PERCO :

A l’appui de ce grief, l’employeur produit des échanges de courriels (sa pièce 10) entre le salarié et Mme [E], responsable des ressources humaines, ayant pour objet ‘documents entre 2005 et 2012″, dans lequel le salarié formule notamment le 25 octobre 2017 une question concernant ‘transfert monétarisation’ (sic) et demandant ‘est ce la confirmation est un mensonge  » (sic). Le salarié conclut le courriel en indiquant attendre ‘une réponse ferme et responsable et engageante’.

La société produit également l’attestation de Mme [U] (pièce 25), responsable des ressources humaines, selon laquelle sa collègue Mme [E] était épuisée par les demandes incessantes de M. [M] et lui avait ‘demandé à changer de périmètre pour ne plus avoir à le gérer’, ce que Mme [U] a refusé. Elle explique également avoir entendu ‘le gestionnaire de paie reprocher au téléphone à Mme [E], excédé, d’avoir fait perdre du temps au service de paie à faire des recherches concernant le PERCO de M. [M] pour se rendre compte au final que c’était le salarié qui s’était trompé’. Elle ajoute que l’assistante du salarié, [B] ‘en avait marre d’être harcelée de mails et de coups de fil de sa part’, ce qui résulte effectivement des nombreux courriels versés au débat par l’employeur.

Dans la partie de ses écritures relatives à la violation de la liberté d’expression le salarié se borne à soutenir qu’il s’était défendu lors de l’entretien préalable de tout propos excessif.

Toutefois, ces faits caractérisent un abus par le salarié de sa liberté d’expression, par l’usage de propos excessifs adressés de façon insistante à une collègue concernant une demande que l’employeur établit avoir prise en considération, en faisant effectuer au service de paie des recherches pour fournir au salarié des réponses à ses interrogations, en réalité fondées sur la méconnaissance de M. [M] du dispositif PERCO en vigueur dans l’entreprise (cf la pièce 11 de l’employeur).

Ce grief, qui n’est pas prescrit au regard de la date du courriel précité de M. [M], antérieur de moins de deux moins à la convocation, le 15 décembre 2017, à l’entretien préalable au licenciement, est établi.

* des reproches relatifs au fait de le faire travailler en toute illégalité et de ne pas lui permettre de déjeuner sur la mission MBDA, et une insubordination, en ne respectant pas la consigne qui lui avait été donnée de ne plus intervenir sur ce site

A l’appui de ce grief, l’employeur, sur lequel repose la charge de la preuve des faits invoqués, se prévaut d’une pièce 31 qui concerne en réalité une demande de remboursement de frais pour la mission réalisée à [Localité 6].

Les allégations selon lesquelles le salarié a eu une attitude contestataire lorsqu’il lui a été demandé de quitter la mission MBDA sont dépourvues d’offre de preuve, les conclusions de l’employeur ne renvoyant, sur ce point, à aucune des pièces de son dossier.

Ces faits, dont il ne peut dès lors être déduit l’existence d’un grief tiré d’un abus par le salarié de sa liberté d’expression, ne sont pas établis.

* un comportement inadmissible envers son manager qui lui fournissait des explications sur le remboursement de ses frais professionnels, devant tous les salariés travaillant dans l’open space

Le comportement ici reproché au salarié est établi par l’attestation de Mme [U] qui indique avoir constaté ‘qu’il y avait un collaborateur qui était sur un PC portable avec [O] [L] et qui s’était levé et avait arraché le PC portable des mains de [O] [L] et s’était excité en hurlant sur lui. Je leur ai demandé pourquoi il avait hurlé et ils ne savaient pas me répondre. Ils m’ont juste dit qu’ils l’avaient entendu parler de Myexpense [le logiciel de remboursement de frais professionnels]. J’ai par la suite appris que le collaborateur en question était [N] [M]’. L’abus, par le salarié, de sa liberté d’expression est ici caractérisé par l’usage de gestes et de hurlements nécessairement excessifs sur le lieu de travail, qui plus est au sein d’un open space, et d’un comportement violent envers son supérieur hiérarchique qui prenait le temps de lui expliquer une procédure de remboursement de frais qu’il n’avait pas respectée.

Ce grief, qui ne constitue donc pas une violation par l’employeur de la liberté d’expression du salarié, est établi.

* le reproche fait à son ‘practice manager’ que l’entretien de développement personnel de 2017 n’ait duré que cinq minutes. alors qu’il a duré a minima 1h12

L’employeur n’indique pas sur quelle pièce de son dossier il fonde ce reproche fait au salarié d’avoir soutenu que l’entretien d’évaluation 2017 n’aurait duré que cinq minutes. Ce fait, dépourvu d’offre de preuve, dont il ne peut dès lors être déduit l’existence d’un grief tiré d’un abus par le salarié de sa liberté d’expression, n’est pas établi.

En définitive sont établis un comportement inadmissible du salarié envers son manager qui lui fournissait des explications sur le remboursement de ses frais professionnels, devant tous les salariés travaillant dans l’open space, et une inscription en ligne le 17 novembre 2017 à un cycle de formation auprès d’un organisme de formation, de sa propre initiative, sans aucune autorisation.

Ces faits, non prescrits, et qui caractérisent, ainsi qu’il a été retenu, un abus par l’intéressé de sa liberté d’expression, constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement du salarié.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef, ainsi qu’en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le reliquat d’indemnité de licenciement

Le conseil de prud’hommes n’a pas statué sur cette demande en paiement d’un reliquat de 560,02 euros, le salarié calculant l’indemnité conventionnelle sollicitée sur la base d’un salaire mensuel brut moyen de 3 701,58 euros bruts.

L’employeur objecte que le salaire mensuel moyen brut est de 3 570,83 euros, ainsi que cela résulte de l’attestation Pôle emploi, sur la base duquel l’indemnité allouée a été calculée.

En l’espèce, la convention collective applicable prévoit que le salarié licencié a droit au versement d’une indemnité correspondant à 1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté, dans la limite de 12 mois.

Il résulte de l’examen des bulletins de paie et de l’attestation Pôle emploi que l’indemnité conventionnelle de licenciement versée au salarié a été justement calculée par l’employeur sur la base d’un salaire de référence de 3 570,83 euros correspondant à la moyenne des salaires mensuels bruts perçus au cours des 12 derniers mois précédant la notification du licenciement.

Le salarié sera en conséquence débouté de sa demande de versement d’un reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

L’obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral, qui résulte des articles L. 1152-4 du code du travail, L. 4121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et l’article L. 4121-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

En l’espèce, le salarié invoque les mêmes faits que ceux allégués dans le cadre du harcèlement moral et de la discrimination, dont la cour d’appel a précédemment retenu qu’ils n’étaient pas établis, s’agissant de lettre du médecin du travail adressée non pas à l’employeur mais au médecin traitant du salarié en février 2014, des astreintes réalisées lors de la mission Total. Ces faits ne caractérisent pas un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il ajoute qu’il a alerté l’employeur sur le fait qu’il ne pouvait à la fois être en mission chez un client et en formation au même moment, ce dont l’employeur a tenu compte en annulant la convocation à une formation (cf pièce 18 du salarié), et que le 27 novembre 2017, à l’issue de sa dernière mission, il a fait un malaise sur son lieu de travail et a été arrêté jusqu’au 8 décembre en raison d’un syndrome de souffrance au travail. Toutefois, ces faits ne caractérisent pas, à eux seuls, un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité envers le salarié.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié fait valoir que l’employeur a ‘non seulement opéré un traitement discriminatoire et harcelant mais a en outre violé son obligation de sécurité, alors que le salarié s’est considérablement investi dans ses fonctions durant 12 années au détriment de sa vie privée et de sa santé (…) que ces manquements précédemment décrits de même que les conditions brutales de la rupture caractérisent une violation caractérisée de l’article L. 1222-1 du code du travail.’

Toutefois, ainsi qu’il a été dit, la cour a précédemment écarté l’existence d’une discrimination et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. En outre, l’allégation du salarié selon laquelle la rupture est intervenue dans des conditions brutales est dépourvue d’explicitation ainsi que de toute offre de preuve.

Le jugement, dont la cour adopte les motifs pertinents, sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur la prime de fin d’année

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre de cette prime, dont tant l’attestation Pôle emploi, non contestée par le salarié, que le bulletin de paie de décembre 2017 indiquent qu’elle a été versée au salarié pour un montant de 1618,52 euros.

Sur le remboursement des frais professionnels engagés

Par des motifs pertinents que la cour adopte les premiers juges ont relevé, d’une part, que le montant sollicité (90 euros de billet de train aller et 12,50 euros de taxi) ne correspond pas à la demande, ni aux justificatifs produits lesquels indiquent un trajet aller-retour d’un montant de 125 euros, dont il n’est pas contesté que l’employeur a procédé au règlement (cf pièce 29 de l’employeur comportant la réservation de train effectuée pour ce voyage), d’autre part que le salarié ne justifiait pas avoir sollicité le remboursement de frais qui seraient restés à sa jour dans le cadre de cette mission.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Sur la perte de son épargne salariale sur la période antérieure à 2012

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre de la perte de son épargne salariale sur la période antérieure à 2012, dont, d’une part, le salarié n’établit pas la réalité, et, d’autre part, la responsabilité n’incombe pas à l’employeur mais à l’organisme gestionnaire du PERCO, non attrait dans la cause.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le salarié succombant en cause d’appel, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et de le condamner aux dépens d’appel.

Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le salarié, bien que succombant en appel, ne sera pas condamné à verser une certaine somme au titre des frais exposés par l’intimée qui ne sont pas compris dans les dépens, en raison des situations économiques respectives des parties.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [M] de sa demande en paiement d’un reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement,

DÉBOUTE la société Capgemini Technology Services, venant aux droits de la société Sogeti, de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [M] aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x