Convention collective Syntec : 15 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00716

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Convention collective Syntec : 15 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00716

15 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/00716

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 MARS 2023

N° RG 21/00716

N° Portalis DBV3-V-B7F-ULHF

AFFAIRE :

[E] [J]

C/

Société ECM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de VERSAILLES

Section : E

N° RG : F 18/00267

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Caroline VARELA

Me Florence FARABET ROUVIER

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [E] [J]

né le 18 juillet 1967 à [Localité 5]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Olivier VILLEVIEILLE de la SCP DAYAN PLATEAU VILLEVIEILLE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0423 et Me Caroline VARELA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 282

APPELANT

****************

Société ECM

N° SIRET : 732 050 034

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Florence FARABET ROUVIER de la SELARL AUMONT FARABET ROUVIER AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0628

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [J] a été engagé par la société ECM, en qualité d’ingénieur d’études, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 9 mai 1994.

Cette société est spécialisée dans l’ingénierie et le conseil en technologies avancées. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective dite Syntec. La société est une filiale du groupe CRIT.

Le 2 janvier 2013, le salarié a été nommé directeur régional.

Il percevait une rémunération brute mensuelle moyenne de 10 796,93 euros.

Le 31 janvier 2017, le salarié a fait l’objet d’un avertissement.

Le 11 mai 2017, la société ECM a proposé un nouveau poste au salarié, qui l’a accepté, comme directeur technique des opérations.

Par lettre du 29 novembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 8 décembre 2017, avec « dispense d’activité ».

Le salarié a été licencié par lettre du 13 décembre 2017 pour faute grave dans les termes suivants :

« Monsieur,

Par courrier recommandé daté du 29 novembre 2017, dont vous avez accusé réception le 30 novembre, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le vendredi 08 décembre 2017 à 16h00. Ce courrier vous informait que, compte tenu de la nature des faits constatés et des fonctions que vous occupez, votre contrat de travail était suspendu, avec maintien de votre rémunération, pendant le déroulement de la procédure.

Vous vous êtes présenté à cet entretien, assisté par Monsieur [V] [U], Responsable du Bureau d’Études Automobile.

Lors de cet entretien, nous vous avons fait part des griefs retenus à votre encontre et avons recueilli vos éléments de réponses.

Vous avez été recruté au sein de la Société le 09 mai 1994 et avez occupé les fonctions de Directeur de la Région Nord à compter de 2009.

Sous votre responsabilité, les résultats de La Région Nord se sont continuellement dégradés et notamment depuis 2013, tant en termes de chiffre d’affaires (passé de 8 896 000 Euros en 2013 à 7 255 000 euros en 2016) que de résultat d’exploitation, avec une aggravation des pertes constatées depuis l’exercice 2015 et un déficit de 709 000 euros atteint à la fin de l’année 2016. Il est à noter que ces pertes se sont accrues dans un contexte de reprise économique, qui aurait dû être porteur de croissance pour les activités d’ECM.

Dès le mois d’avril 2016, la Direction Générale d’ECM vous a demandé, en initiant des réunions de « crise » (appelées « war rooms »), alors que le taux d’inter-contrat atteignait près de vingt pour cent des effectifs, de mettre en place un plan d’action visant à dynamiser le développement commercial des activités de la Région Nord, à suivre plus efficacement le déroulement des projets conduits en interne pour en assurer la rentabilité et à améliorer le management des équipes techniques suite à de nombreuses démissions.

Malgré les difficultés rencontrées, Monsieur [B], votre responsable hiérarchique, a continué de vous apporter son soutien et a tenté de vous apporter un appui méthodologique, tant d’un point de vue stratégique et opérationnel que d’un point de vue managérial. Il vous a notamment proposé de vous apporter son aide et vous a transmis des contacts de « coachs » extérieurs à l’entreprise, susceptibles de vous accompagner dans une démarche de progrès et de renforcement de vos compétences. Vous n’avez pas saisi ces différentes opportunités.

Constatant par la suite votre absence de prise en compte des actions décidées lors des réunions de crise et, plus globalement votre manque de réaction face à l’urgence de la situation, Monsieur [B] a décidé d’effectuer un entretien de mi année en date du 1er juillet 2016.

Au cours de cet entretien, il a été acté que vous deviez mettre à profit le second semestre pour engager les actions requises et renouer progressivement avec une croissance rentable des activités. Il était également entendu qu’un nouvel entretien aurait lieu en fin d’année pour faire le bilan des actions mises en ‘uvre.

Le 19 janvier 2017, Monsieur [B] vous recevait et le constat suivant était fait :

– Aucun plan d’action n’a été déployé, la matrice d’analyse et la définition d’actions prioritaires commerciales n’a pas été effectuée,

– La région Nord enregistre des pertes d’un niveau historique (Résultat d’exploitation : – 10%),

– De nombreux salariés expérimentés ont démissionné, entraînant une perte importante de savoir-faire pour la Région Nord, sans mesure prise visant à sécuriser et fidéliser le personnel ou du moins, à réduire les départs.

Dans le même temps, au moment de la clôture des comptes de 2016, la Direction constatait le 13 janvier 2017, des pertes conséquentes sur deux affaires au forfait menées pour le compte de la SNCF, dont vous aviez la responsabilité du pilotage.

Après vérification, il s’est avéré que vous étiez au courant des difficultés rencontrées sur ces projets et que vous n’aviez pas cru nécessaire d’en informer votre hiérarchie ni de prendre les mesures correctrices en temps utile, mettant ainsi la Direction dans la situation de constater a posteriori les dégâts économiques associés.

En conséquence, un avertissement vous était notifié le 31 janvier 2017.

À la fin du premier trimestre 2017, le résultat d’exploitation de la Région Nord s’élevait à -206 000 euros et les prévisions faisaient apparaître un résultat d’exploitation déficitaire à hauteur de 650 000 euros à fin d’année.

Partant de ce constat et observant une nouvelle fois l’absence de prise en compte des demandes de votre hiérarchie et du manque de réaction face à l’urgence de la situation, et constatant par ailleurs que le climat social ainsi que le management des équipes ne s’étaient pas améliorés, la Direction a été contrainte de mettre en place une nouvelle organisation et d’intégrer un nouveau Directeur Régional, capable de rétablir la dynamique commerciale et managériale avant que la situation n’entraîne des conséquences économiques désastreuses pour ECM.

Dans ce cadre, il vous a été proposé de vous recentrer sur le pilotage technique des activités de la Région Nord et d’occuper les fonctions de Directeur Technique et des Opérations.

A ce titre, vous aviez la responsabilité du pilotage opérationnel et du développement des activités du Bureau d’Études, du chiffrage et du suivi financier et technique des projets réalisés au forfait, de la planification des ressources dans une logique de maîtrise du taux d’inter-contrat, et du pilotage direct des activités de Recherche et de Développement conduits au sein de la Région Nord.

Depuis lors, nous avons eu à déplorer plusieurs manquements professionnels de votre part sur des aspects fondamentaux liés à votre fonction sur les axes suivants :

– Vous n’avez pas pris vos responsabilités dans le pilotage et le développement des activités internes. Cela s’est matérialisé par de nombreuses démissions au sein du Bureau d’Études et par de nouvelles difficultés rencontrées sur des projets au forfait, avec des retards importants de réalisation, une nouvelle fois sans information préalable de la Direction ni mesures correctrices.

– Il vous a été demandé également de définir une nouvelle organisation au sein du Bureau d’Etudes, avec l’identification de pilotes de projets et la mise en place d’un suivi technique et financier des affaires, Cette nouvelle organisation n’a pas été mise en place.

– En plus de la situation particulièrement critique de la Région Nord, vous avez fait preuve d’une négligence fautive dans le traitement d’un dossier de financement d’un projet de R&D (« DEMOS »), qui a conduit à ce que l’ADEME réclame à ECM, par courrier daté du 11 octobre 2017, le remboursement des sommes versées par L’État, à savoir plus de 180 000 euros.

Après demande de révision de la décision de notre part, l’ADEME nous confirmait sa position par mail daté du 19 octobre 2017.

Il s’avère en effet, qu’il vous a fallu plus d’une année pour répondre aux demandes de justification des dépenses engagées par ECM dans le cadre de ce projet de R&D, malgré une lettre de mise en demeure de l’ADEME datée du 23 juin 2017. En outre, les chiffres déclarés tardivement présentent des incohérences, qui nous mettent dans l’impossibilité de valoriser, vis-à-vis de l’ADEME, les dépenses réellement engagées et nous met dans l’impossibilité, à ce stade, de faire appel de la décision.

Cette demande de remboursement des sommes versées compromet, à elle-seule, la rentabilité globale des activités d’ECM, qui devrait présenter un résultat d’exploitation négatif en 2017 alors qu’il aurait dû être positif sans cet événement. Le préjudice pour les comptes d’ECM est donc majeur.

Les faits énoncés, considérés dans leur ensemble, et compte tenu de la gravité de certains agissements, tendant à la dissimulation des difficultés rencontrées, au refus de répondre à des demandes de votre hiérarchie et à la négligence dans le traitement de dossiers ayant des répercussions désastreuses sur le plan économique pour ECM, nous conduisent à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de licenciement.

(‘) ».

Le 30 avril 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 27 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a :

– requalifié le licenciement pour faute grave de M. [J] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

– condamné la société ECM à payer à M. [J] les sommes suivantes :

. 32 390,79 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 3 239,08 euros à titre des congés payés afférant,

. 75 878,41 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– rappelé qu’en application de l’article R. 1454-28 du code du travail, l’exécution provisoire est de droit pour les sommes dues au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R. 1454-15 du code du travail, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculé sur la moyenne des trois derniers mois et telle que mentionnée au dispositif du présent jugement,

– dit que les intérêts de droit courent à partir de la notification de la présente décision,

– condamné la société ECM à payer à M. [J] 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [J] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

– reçu la société ECM en sa demande reconventionnelle et l’en déboute,

– Laissé les dépens afférents, aux actes et procédures d’exécution éventuelle à la charge de la société ECM.

Par déclaration adressée au greffe le 1er mars 2021, M. [J] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 25 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [J] demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 27 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes sauf en ce qu’il a condamné la société ECM à lui payer les sommes de :

. 32 390,79 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 3 239,08 euros au titre des congés payés afférents,

. 75 878,41 euros à titre d’indemnité de licenciement,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et, statuant à nouveau,

– débouter la société ECM de l’ensemble de ses demandes incidentes relatives à l’indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement et article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société ECM à payer la somme de 183 547 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse (17 mois),

– juger que les condamnations prononcées produiront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil,

– condamner la société ECM à payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société ECM demande à la cour de :

à titre principal,

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’il a :

. requalifié le licenciement pour faute grave de M. [J] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

. condamné la société ECM à lui verser la somme de 75 848,41 euros à titre d’indemnité de licenciement et la somme de 32 390,79 euros à titre d’indemnité de préavis outre 3 239,08 euros de congés payés afférents,

et statuant à nouveau,

– constater le caractère fautif des manquements professionnels de M. [J],

– dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [J] est fondé,

En conséquence,

– débouter M. [J] de ses demandes d’indemnités de préavis, de congés payés et de licenciement,

– débouter M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [J] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions et y faisant droit,

– condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter M. [J] aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 27 janvier 2021.

MOTIFS

Sur la rupture

Le salarié soutient d’abord que l’insuffisance professionnelle ne peut constituer une faute grave ; qu’il ressort cependant des termes de la lettre de licenciement, qui repose sur ses prétendus « manquements professionnels », qu’il a en réalité été licencié pour ce motif. Il soutient ensuite que les faits – qu’il conteste par ailleurs ‘ ont déjà été sanctionnés par un avertissement et lui étaient antérieurs. Il conteste enfin la réalité des « manquements professionnels » qui lui sont reprochés.

En réplique, l’employeur rappelle la définition de la faute grave et, se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, soutient que le terme de grief dans une lettre de licenciement s’applique indifféremment à des faits fautifs et à des faits d’insuffisance professionnelle ; qu’à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, l’employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié s’ils procèdent de faits distincts ; qu’en cas de coexistence de motifs, le juge doit rechercher la cause première et déterminante au regard de cette seule cause. Il soutient que rien n’interdit à l’employeur d’évoquer les précédents avertissements dans la lettre de licenciement pour motiver une faute grave et que les griefs qui ont motivé le licenciement sont clairs et précis et justifiaient le licenciement du salarié.

***

L’employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.

Il appartient au juge, le cas échéant, de donner sa véritable qualification au licenciement. Il incombe au juge saisi d’un litige relatif à l’appréciation de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement.

L’insuffisance professionnelle peut être définie comme l’incapacité objective, non fautive et durable d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé. Elle constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

La faute grave, quant à elle, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

Enfin, l’article L. 1332-5 du code du travail dispose qu’aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.

En l’espèce, contrairement aux allégations du salarié, l’employeur ne se fonde pas dans la lettre de licenciement sur des faits déjà sanctionnés par l’avertissement du 31 janvier 2017 : l’employeur ne fait que rappeler dans un premier temps les griefs qui avaient été retenus à l’encontre du salarié pour motiver l’avertissement qu’il lui avait notifié le 31 janvier 2017. Dans la mesure où l’employeur a engagé la procédure de licenciement le 29 novembre 2017, soit moins de trois ans après l’avertissement en question, il pouvait invoquer ledit avertissement à l’appui de la nouvelle sanction. Cette nouvelle sanction ‘ en l’occurrence le licenciement pour faute grave ‘ est motivée par trois « manquements professionnels » postérieurs au 31 janvier 2017.

Lesdits « manquements professionnels » consistent :

. dans le fait que le salarié n’a pas pris ses responsabilités de pilotage et de développement, ce qui a engendré des démissions et des retards dont le salarié n’a pas informé sa hiérarchie et auxquels le salarié n’a apporté aucune action correctrice,

. dans le fait qu’en dépit d’une demande de sa hiérarchie, le salarié n’a pas mis en place une nouvelle organisation,

. en une négligence fautive dans le traitement d’un dossier.

La lettre de licenciement reprend les trois « manquements professionnels » visés ci-dessus en précisant : « Les faits énoncés, considérés dans leur ensemble, et compte tenu de la gravité de certains agissements, tendant à la dissimulation des difficultés rencontrées, au refus de répondre à des demandes de votre hiérarchie et à la négligence dans le traitement de dossiers ayant des répercussions désastreuses sur le plan économique pour ECM, nous conduisent à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de licenciement. »

Au-delà des termes que l’employeur a choisi d’utiliser pour regrouper les trois griefs qu’il a retenus pour licencier le salarié ‘ en l’occurrence les termes de « manquements professionnels » ‘ la cour relève que l’employeur impute bien une faute au salarié et non pas une insuffisance professionnelle, ce que montre le champ sémantique choisi par l’employeur pour les illustrer : « gravité », « agissements », « dissimulation », « refus », « négligence » par ailleurs qualifiée de « fautive ».

S’agissant du deuxième grief, qui, pour une meilleure compréhension de ce qui suit, doit être étudié avant le premier, l’employeur établit avoir demandé au salarié, à l’occasion de son entretien individuel avec M. [B] (directeur général et supérieur hiérarchique du salarié) le 1er juillet 2016, de corriger certains points et pour ce faire de « se consacrer » en priorité « fortement à l’action commerciale au travers des réunions, des outils, du suivi… », d’être « à l’écoute des salariés, se mettre à leur portée, animer, montrer l’exemple » en matière de management et d’anticiper en identifiant les risques sur le plan commercial.

L’entretien individuel en question, signé par le salarié, précise le contexte dans lequel il s’est tenu : « Avant 2008, ECM Nord possédait plus de 140 productifs avec un Rex de 8 %. Depuis, pour différentes causes énoncées ci-dessous, ECM Nord plafonne à 100 productifs avec un résultat d’exploitation qui varie de -300 à -400 K euros chaque année. L’objectif que nous nous sommes fixés est de prendre toutes mesures permettant de recouvrir le niveau de 2008 (CA, nombre de salariés, Rex) le plus rapidement possible et de remettre cet établissement en croissance. » Au mois de mai 2017 (cf. rapport d’activité produit par l’employeur sous sa pièce 9), les résultats de la région Nord ne s’étaient pas améliorés et ne s’amélioreraient pas.

Ces éléments établissent donc la réalité d’un important manque de performance de la région Nord. Dans ce contexte, M. [B] a, le 27 février 2017, adressé au salarié un courriel dans lequel il lui demandait de compléter, pour la fin de la semaine, un fichier de synthèse de ses actions commerciales. Il lui demandait aussi de mettre à jour « impérativement » ce document au moins deux fois par mois « de façon à faire un suivi précis de l’activité et du rythme de tes équipes et qu’il devienne le mode d’échange simple et factuel entre nous (‘) ». Or, il n’est pas établi que le salarié se soit effectivement conformé à cette demande ni qu’il ait pris des actions correctrices visant à remédier aux difficultés, avec cette précision toutefois qu’à compter du 11 mai 2017, le salarié n’était plus directeur régional de la région Nord mais directeur technique des opérations.

Le deuxième grief est en conséquence établi.

S’agissant du premier grief, l’employeur produit les rapports d’activité établis par le salarié en pièces 19 et 20, correspondant à des rapports de novembre 2016 et de février 2017. Ces rapports, ainsi que le soutient l’employeur, ne font état d’aucune difficulté particulière. Si le rapport de novembre 2016 n’est pas de nature à établir la réalité des griefs imputés au salarié postérieurement au 31 janvier 2017, le second rapport, de février 2017, l’est en revanche.

Dans la mesure où ce rapport d’activité ne fait état d’aucune difficulté particulière alors qu’il a été vu précédemment qu’en mai 2017 la situation de la société ne s’était pas améliorée et ne s’améliorerait pas, la cour en déduit que le salarié n’a pas informé sa hiérarchie, tout au moins à l’occasion de ces rapports.

Néanmoins, le salarié montre avoir régulièrement avisé sa hiérarchie des difficultés rencontrées par la région nord par d’autres moyens que les rapports d’activité, comme par exemple au travers d’un « document de synthèse pour présentation organisation activité interne » établi par le salarié et présenté au CODIR en septembre 2017.

Le premier grief n’est en conséquence pas établi.

S’agissant du troisième grief, il n’est pas discuté que le salarié s’est vu confier le traitement d’un dossier de financement par l’ADEME (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) d’un projet de recherche dit « DEMOS ». Il ressort des pièces versées aux débats par l’employeur que :

. par lettre du 23 juin 2017, l’ADEME mettait la société ECM en demeure de lui adresser « un état récapitulatif global des dépenses comme cela est indiqué à l’article 6 et précisé dans l’annexe des modalités financières de la convention (‘) »  ;

. la lettre, adressée à M. [B], était communiquée au salarié puisque ce dernier en transmettait une copie scannée à M. [I] (responsable des ressources humaines) par courriel du 6 juillet 2017 ;

. par courriel du 6 juillet 2017, M. [I] écrivait un courriel à l’ADEME pour lui demander un délai et par courriel du mardi 25 juillet 2017, l’ADEME accordait ce délai expirant « vendredi soir » c’est-à-dire le 28 juillet 2017, à défaut de quoi, le « reversement total des aides sera exigé » ;

. par courriel du 28 juillet 2017, le salarié adressait à l’ADEME un état récapitulatif des dépenses relatif au projet DEMOS « validé par les commissaires aux comptes » et l’ADEME répondait le même jour pour se plaindre de ce que le document que lui avait adressé le salarié n’était pas suffisamment détaillé et lui demander de procéder à un nouvel envoi. A ce stade, il n’est pas inutile de préciser que le commissaire aux comptes échangeait régulièrement avec le salarié pour l’élaboration de l’état récapitulatif litigieux ;

. par courriel du 22 août 2017, l’ADEME écrivait au salarié : « Bonjour, nous sommes sans nouvelle de votre part en ce qui concerne la transmission de l’ERD global faisant apparaître le détail des coûts. Or ces éléments font partie intégrante des demandes effectuées et de la mise en demeure transmise le 23/06/2017. Par conséquent, conformément au courrier de mise en demeure, nous exigerons le reversement total des sommes versées » ;

. par lettre recommandée du 11 octobre 2017, l’ADEME exigeait le reversement total des sommes versées à la société ECM dans le cadre du projet DEMOS. Dans cette lettre, l’ADEME rappelait qu’« afin de procéder au solde de la convention de financement (‘) qui portait l’échéance finale du projet DEMOS au 29/11/2016, nous vous avons demandé par email en date du 24/10/2016 puis en date du 09/02/2017 de nous transmettre un état récapitulatif des dépenses (‘) » et que c’est en raison de l’absence de réponse à ces deux courriels qu’elle avait adressé à la société la mise en demeure du 23 juin 2017.

Le salarié explique qu’il n’entrait pas dans ses compétences de renseigner et de vérifier des éléments comptables et des états de dépenses.

Toutefois, il doit être observé que le salarié ne conteste pas qu’il s’était vu confier le traitement du dossier de financement par l’ADEME ce qui supposait un suivi calendaire des échéances. Il découle des courriels qu’il adressait à M. [I] le 3 février 2017 ou encore à l’ADEME les 22 décembre 2016 et 9 février 2017 que le salarié était le principal acteur de l’élaboration de l’état récapitulatif des dépenses de « DEMOS ». Il ressort de la dernière lettre de l’ADEME que l’échéance avait été fixée au 29 novembre 2016 et que par deux fois avant la mise en demeure de juin 2017, la société avait été destinataire en octobre 2016 puis en février 2017 d’une demande de transmission d’un état récapitulatif des dépenses.

Compte tenu de ce que le salarié avait un niveau de responsabilité élevé au sein de la société puisqu’il avait été directeur régional (Nord) du 2 janvier 2013 au 11 mai 2017 et était, depuis le 11 mai 2017 directeur technique des opérations et de ce qu’il devait assurer le suivi calendaire des échéances imposées par l’ADEME, la cour en déduit que le salarié a nécessairement été avisé des relances de cette dernière.

En outre, alors que l’ADEME avait clairement fait savoir au salarié le 28 juillet 2017, que l’état récapitulatif des dépenses ‘ même avalisé par le commissaire aux comptes ‘ était insuffisamment détaillé, il ne ressort pas des pièces du dossier que le salarié aurait transmis les documents qu’attendait l’ADEME postérieurement au 28 juillet 2017. Cette dernière relançait d’ailleurs le salarié le 22 août 2017 en lui demandant de fournir le détail des coûts. Et il ne ressort d’aucun élément du dossier que le salarié a déféré à cette ultime demande.

La « négligence fautive » reprochée au salarié est donc établie.

En définitive, sont établis deux des trois griefs invoqués par l’employeur.

Compte tenu du niveau de responsabilité du salarié, ces griefs caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ils ne sont cependant pas d’une importance et gravité telles qu’ils rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave du salarié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié, qui était cadre, peut en conséquence prétendre à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire en application de l’article 15 de la convention collective applicable, sur la base d’un salaire de référence non contesté de 10 796,93 euros de sorte

que le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 32 390,79 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 3 239,08 euros à titre des congés payés afférant.

Le salarié peut également prétendre, au visa de l’article R. 1234-2 du code du travail dans sa rédaction issue du décret n°2017-1398 du 25 septembre 2017 au bénéfice d’une indemnité de licenciement, sur la base du même salaire de référence, et d’une ancienneté de 23 ans et 7 mois (du 9 mai 1994 au 13 décembre 2017) ce qui représente une somme de 75 878,41 euros. Le jugement sera de ce chef confirmé.

Le jugement sera en revanche infirmé en ce qu’il a « dit que les intérêts de droit courent à partir de la notification de la présente décision ». Statuant à nouveau, il conviendra de dire que les condamnations au paiement des indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, et congés payés afférents produiront intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, date de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Versailles.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens d’appel et de première instance.

Il conviendra de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance

L’employeur sera en outre condamné à payer au salarié une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il a dit que les intérêts de droit courent à partir de sa notification,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,

DIT que les indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Versailles,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société ECM à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d’appel,

CONDAMNE la société ECM aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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